Lionel Soukaz
1953-1925
Lionel Soukaz est mort dans son sommeil à Marseille le 4 février 2025 à 71 ans.
Il était à Marseille depuis une dizaine d’année.
Un jour où il revient dans cette ville il téléphone : j’ai perdu mon portefeuille je n’ai plus d’argent. Puis il trouve à se loger.
Il est venu plusieurs fois dans les locaux de Mémoire des sexualités accompagné de Stéphane Gérard, heureux de trouver des personnes attentives à son travail.
Lionel Soukaz a accompagné le mouvement homosexuel depuis le FHAR à l’âge de 18 ans. Il réalise en 1973 des court-métrages, en 1975 Paris Chausey et Boy friend, en 1976 Boy Frien II, en 1977 Le sexe des anges. Il participe au festival de film de la Rochelle en 1977 et 1978, il a été l’un des organisateurs de la quinzaine du cinéma homosexuel, le festival Ecrans roses et nuits bleues, resté célèbre à La Pagode et réalisé avec Guy Hocquenghem en 1979 le film initiatique Race d’Ep (verlan de pédéraste) : un siècle d’images de l’homosexualité, qui est devenu une référence.
Le film fait l’objet de censure de la part du ministre de la Culture, Michel d’Ornano, maire de Deauville, et de son successeur Jean-Philippe Lecat, et suscite une pétition de très nombreux intellectuels dont Michel Foucault, Gilles Deleuze, Roland Barthes, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir. Le film finira par sortir mais interdit aux moins de 18 ans et amputé de 25 minutes, « châtré de tous ses sexes ».
Ainsi Soukaz aura vécu 10 années de censures et d’attaques. Il réagit en réalisant le film Ixe, délibérément provocateur et pornographique, épileptique et provocateur dans la tradition expérimentale.
Il aura rencontré aussi dans ces années-là Copi, René Schérer, Michel Journiac, Gilles Chatelet, Serge Hefez, Christian Louboutin, Michel Cressole, Jean-Louis Bory, Pierre Clementi, Jean Le Bitoux, Hélène Hazera, Cleews Vellay, Hervé Le Tallec, Cunéo, autant de fréquentations stimulantes.
Il affectionne le journal filmé qui fait de lui un témoin, il constitue ainsi une archive des cultures militantes. Son Journal annales fait plus de 2 000 heures. Il est attentif aux vies queer, aux migrants et aux prolétaires. Il s’intéresse au porno avec Ixe en 1980 et en 1982 il obtient le prix spécial du jury du festival international du court-métrage en 1984 pour Maman que man.
Entre 1979 et 1985, Soukaz réalise 14 films.
Tenant du cinéma des marges, il cite Pier-Paolo Pasolini « La commercialisation du sexe n’est pas une preuve de libération mais d’ingérence du commerce dans la vue sexuelle. »
Il n’arrête pas de 1985 à 2011 (Tino, RV mon ami, Châteaux andalous, Vers l’Inde, Vivrez halluciné, Bouts tabous, Un plan idéal, La vérité danse, Nu, Journal filmé, I Live in a Bush World, Notre trou du cul est révolutionnaire, Shoot in the back, Abdallah Taïa, portrait d’un écrivain marocain, et Paysage mexicain).
Il a tourné avec Hocquenghem, un documentaire sur la Marche gaie de Washington en 1979, un hommage à Copi peu avant sa mort en 1987 ou encore Ballade pour un homme seul, le Sexe des anges
Lui-même séropositif, il est très ébranlé par les morts du sida, certains acteurs de Maman que man, Guy Hocquenghem, nombre de sa communauté de pédés de pauvres et de toxicos. Il devient chroniqueur de ces années sida, avec les réunions d’Act Up de 1992 à 1994.
Un jour de déprime, il dit « C’est horrible à dire mais je voudrais passer le restant de mes jours à témoigner de mes morts, de la mort de Guy, de celle de Copi… »
Puis il travaille sur les luttes trans de 2009 à 2011.
En 2022-2023 il réalise deux films avec Stéphane Gérard qui devient un collaborateur précieux, En Corps+ film remarquable sur la mémoire des luttes réalisé pour l’exposition du Mucem VIH sida, l’épidémie n’est pas finie ! et Artistes en Zones Troublées qui évoque son histoire d’amour avec Hervé Couergou de 1982 à 1992, un refuge dans la tempête.
Il travaille avec d’autres jeunes cinéastes Remi Lange, Tom de Pekin, Xavier Baert ou Othello Vilgard
Il écrit aussi de nombreux textes et donne des entretiens.
Et participe à de nombreux festivals, à Lille aux côtés de Didier Lestrade au début des années 1990, à la librairie Vigna à Nice, dans le hall de Paris VIII Saint-Denis en 2013, à Marseille en 2017, à la Cinémathèque française en 2019, Chéries Chéris en 2021, au Palais de Tokyo à Paris, à Bruxelles en 2022. Il travaille ponctuellement avec la Bibliothèque nationale. En octobre 2022 il participe avec émotion à une visioconférence à Paris aux côtés de Stéphane Gérard et d’Elisabeth Lebovici, transcrite dans le livre Le temps avec vous.
Son travail est l’objet de multiples articles, d’Hélène Fleckinger et Olivier Neveux en particulier, et de bien d’autres observateurs attentifs de Guy Hocquenghem et René Schérer à Jean-Philippe Renouard ou Nicole Brenez)
A Marseille, il continue à rencontrer des gens, à filmer, à archiver, à témoigner, avec l’aide de Stéphane Gérard. Il est attiré par l’effervescence qui se manifeste dans le milieu LGBT+ de cette ville.
Le dernier dimanche d’avril 2024, il vient assister à la cérémonie de la Déportation où les homosexuels déposent leur gerbe.
Marseille cérémonie de la Déportation
Il vit dans un bâtiment insalubre, une procédure d’évacuation d’urgence est mise en placer en 2024 et la police évacue tous les habitants que Lionel hébergeait dans son appartement. Il trouve un autre logement grâce à la mobilisation collective des ami-es, poètes, artistes et militan-es. Mais ses souvenirs personnels sont vidés en son absence.
A sa mort, Stéphane Gérard qui l’accompagne depuis plusieurs années dans la sauvegarde de ses archives, rend un hommage dans Libération à « son regard singulier sur le monde, sa façon inspirante de vivre intensément et son amitié sincère… un esprit libre joyeux et fulgurant… Son rapport amoureux à la vie et aux autres l’amène à se trouver au sein d’une constellation d’amis, d’amours, d’amants, dont il ne cesse de célébrer le génie. » Il conclut par « C’est à nous aujourd’hui qu’il revient d’entretenir ces souvenirs, de les nourrir en continu, avec cette même générosité, pour que dans l’obscurité de la nuit continue à briller la présence lumineuse, amoureuse, éternellement jeune de Lionel. »,
Philippe Mangeot, président d’Act Up de 1997 à 1999 se remémore sa dernière rencontre avec Soukaz en 2022 au Mucem à Marseille « Nous ne nous étions pas revus depuis plus de vingt ans. Nous avons fondu dans les bras l’un de l’autre »
Les Inrockuptibles parlent d’un cinéaste d’avant-garde et pionnier de la lutte homosexuelle, de sa « lutte pour exister sous ls injures, les coups, les interdictions… Aux côtés de Jean Gener, Derek Jarman ou de Barbara Hammer, il fait aujourd’hui partie d’un panthéon d’artistes queer qui lèguent aux nouvelles générations un modèle de cinéma poétique, radical et insurrectionnel. »
L’écrivain Olivier Charneux rapporte le message que Lionel Soukaz lui a envoyé après la lecture d’un de ses livres en janvier 2014 : « Merci beaucoup pour ton livre…qui m’a bouleversé me ramenant exactement à cette période où j’ai perdu tant d’amis…j’ avoue avoir pleuré comme une madeleine… dans le train pour Marseille… je suis rentré à Paris en laissant le livre à Marseille… acte manqué… je le fuis comme un trauma et veut aller jusqu’ au bout à mon retour de sa lecture pour vaincre ma tristesse et la travailler comme tu l’as fait avec précision…document et biographie… ces faits qui s’annoncent, renvoyant à d’autres le tout tissant une toile riche où tout s’annonce…pardon pour ma confusion mais j’ai été très touché…c’est magnifique et je ne peux qu’admirer ton courage … et ton travail de mémoire… dont l’affect rend le tout universel et pourtant particulier… Je le finis en rentrant… pour en finir avec le trauma…j’espère… Amitiés… frère en vie. Je précise que le livre m’attend à Marseille… Je ne l’ai pas perdu…il fait maintenant partie de ma vie. Lionel. »
Le fonds d’archives Lionel Soukaz 1991-2013 est à la Bibliothèque nationale
Avec Stéphane Gérard