Répression et déportation des homosexuels pendant la guerre 1939-1945
Intervention de Christian de Leusse, Marseille, 19 juin 2023
Les persécutions des lesbiennes et des homosexuels en Europe nazie s’inscrivent dans un contexte historique qui est à la fois celui des régimes totalitaires fascistes européens dont le nazisme et celui de la répression pénale et l’opprobre sociale de l’homosexualité depuis la fin du XIXème siècle.
Au moment de la déclaration de guerre, plusieurs pays européens disposent déjà d’un appareil répressif contre les homosexuels et l’homosexualité : Allemagne, l’Autriche, la Roumanie, la Grande-Bretagne… certain d’entre eux comme l’Allemagne renforceront cet appareil répressif
La France est un cas particulier car l’homosexualité n’est pas pénalisée depuis l’adoption du Code civil après la Révolution
C’est le régime de Vichy qui pénalise l’homosexualité masculine en 1942 durant la guerre en lien avec l’ordre moral et les politiques natalistes
En Allemagne 1830-1933 : la mise en place du Paragraphe 175
Une minorité sexuelle apparaît au cours du XIXème siècle, avec ses réseaux de sociabilité et ses lieux de rencontre souvent clandestins, en lien avec un considérable essor économique et urbain
Une contre-attaque se construit contre ces personnes avec une règlementation des rôles et des comportements sexuels, au nom de la procréation et contre la dégénérescence
Avec une triple dimension :
- Juridique : codification des infractions pénales d’abord, puis adoption du Paragraphe 175 issu du code pénal prussien, au moment de l’unification de l’Allemagne en 1871
Le Paragraphe 175 (loi prussienne de 1794, loi allemande 1871) : « Les actes sexuels contre nature qui sont perpétrés, que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre hommes et animaux, sont passibles de prison ; il peut aussi être prononcé la perte des droits civiques »
- Médicale : prônée par médecins et psychiatres, ils décrivent sans relâche les comportements déviants, les risques de contagions et prônent l’hygiène sociale
- Morale : au nom de la pureté morale, en particulier par des organisations protestantes, l’encadrement religieux exclue l’avortement, les vices, les relations contre-nature et les dangers de la vie moderne
1900-1933, avant la guerre de 1914-1918 et après-guerre, la République de Weimar
L’émergence de l’érotisme en général se conjugue avec le développement de la sphère commerciale et les premières possibilités d’émancipation des femmes
En 1914 à Berlin il y a environ 40 bars homosexuels, pour hommes ou pour femmes
Dans les années 1920, ils se multiplient à travers les grandes villes d’Europe.
Avec une effervescence au cours de la République de Weimar (le film Cabaret donne une idée remarquable de cette liberté de vie)
Le mouvement d’émancipation se développe, avec Magnus Hirschfeld en particulier qui crée en 1897 le Comité scientifique humanitaire qui a une vision progressiste en matière de droits, et avec Adolf Brand ils créent en 1903 la Communauté des Particuliers avec une vision culturelle, plutôt conservatrice, fondée sur les Lumières
Dans les années 1920 il y a 25 organisations politiques culturelles et sociales qui soutiennent les revendications homosexuelles dont la Ligue des Droits de l’Homme qui arrivera en 1933 à 48 000 membres
Les femmes s’attachent à un programme féministe, lié à l’éducation, l’accès au marché du travail et le droit de vote, la figure de proue est en 1904 Anna Rüling
Celle-ci tient alors un discours fort à l’égard du mouvement des femmes qui ne tient pas compte de l’existence des lesbiennes en son sein.
Ainsi en 1910-1911 apparaît une mobilisation de mouvements de lesbiennes.
Ce mouvement d’émancipation est porté par l’idée de la « réforme de la vie »
En 1919 Magnus Hirschfeld crée l’Institut des sciences sexuelles, il est alors un sexologue reconnu sur le plan international
Les années 1930 sont celles de la croyance en un nouveau monde chez les homosexuel-les, marqué symboliquement par l’affluence dans un lieu de vie et de fête qui a pour nom Eldorado avec son enseigne Art Déco
Mais les réactions conservatrices sont fortes, nous sommes encore très proches de la Grande guerre de 1914-1918, de l’humiliation du Traité de Versailles et de la mort de 2 millions de soldats allemands ; les tensions s’exacerbent tandis que les conditions économiques se détériorent, elles sont tissées inextricablement d’antisocialisme, d’antisémitisme, de xénophobie et d’homophobie
En 1920 le mouvement national-socialiste s’établit en fusionnant les petits groupes d’extrême droite, en particulier les SA qui recrutent des jeunes chômeurs et forme avec eux un gang paramilitaire.
Les homosexuels sont cités comme responsables de l’instabilité de la société et de la faiblesse de l’Etat, et Hirschfeld l’est d’autant plus en tant que juif, gauchiste, réformateur social et militant homosexuel.
En 1927, le Dr Frick député du NSDAP explicite l’hostilité du parti nazi envers les homosexuels ainsi « (le parti est) au contraire d’avis que ces gens du Paragraphe 175, c’est-à-dire les actes sexuels contre nature entre hommes, doivent être combattus de toutes nos forces, parce qu’un tel vice va conduire le peuple allemand à la ruine. Naturellement ce sont les Juifs, Magnus Hirschfeld et ceux de sa race qui ici encore agissent en tant que guides et en qu’initiateurs, au moment où toute la morale juive ravage le peuple allemand. »
Pour le mouvement national-socialiste, les homosexuels sont une classe psychologique et biologique déviante, une sous-culture secrète, une communauté pseudo ethnique qui perturbe gravement la hiérarchie des sexes, à la conquête de l’agressivité masculine pour la préservation de la soumission féminine.
En Allemagne 1933-1945 : la destruction de la culture homosexuelle et du mouvement homosexuel
Une doctrine nationale se met en place qui définit les homosexuel-les comme une classe inférieure.
C’est avec une rapidité inouïe, juste quelques semaines après l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler le 30 janvier 1933 et sous l’impulsion d’Himmler, que les nazis mettent à l’index cette florissante culture homosexuelle allemande et mettent au ban de la société les lesbiennes et les homosexuels.
Un décret du ministre de l’intérieur prussien donne le champ libre à la « lutte contre les maisons de passe et les établissements d’homosexuels ». Dans le cadre de cette lutte contre « l’immoralité publique » 14 établissements sont fermés en mars 1933, dont le cabaret lesbien Monbijou de l’Ouest.
Le 6 mai 1933 l’immeuble du Comité scientifique humanitaire d’Hirschfeld est saccagé (ses travaux et sa réserve considérable de livres et de documents sont l’objet d’un autodafé)
Les publications sont contrôlées, la maison d’édition de Brand est attaquée
Une offensive est engagée contre tous les lieux de sociabilité homosexuels, l’Eldorado est transformé en centre de propagande nazi décoré d’énormes croix gammées
Les lieux lesbiens sont fermés et les lesbiennes qui les animaient sont contraintes de trouver refuge soit en quittant l’Allemagne, soit en essayant de se cacher, en modifiant leurs apparences vestimentaires pour ne pas être repérées ou encore en se mariant avec des amis homosexuels …
En juin-juillet 1934, une violente purge est engagée chez les SA, la Nuit des Longs couteaux est engagée au prétexte de l’homosexualité de certains de ses leaders – dont Röhm, vieux compagnon d’Hitler – et de ses membres.
C’est le déclencheur d’une campagne de presse de diffamation anti-homosexuelle, qui démontre aussi l’utilité de prétexter l’homosexualité pour attaquer des opposants
C’est un instrument politique nazi efficace qui lance un avertissement destiné à mettre au pas l’ensemble de la société.
Le 28 juin 1935 le paragraphe 175 est ainsi complété : « Un homme qui commet un acte sexuel avec un autre homme ou qui se laisse utiliser par lui dans ce but est puni de prison. Dans le cas d’un participant qui, au moment des faits, n’avait pas encore 21 ans, le tribunal peut renoncer, dans les cas les plus légers, à punir.
- 175a Est puni d’une peine de travaux forcés pouvant s’élever jusqu’à dix ans, en cas de circonstances atténuantes d’une peine de prison ne pouvant être inférieure à trois mois :
1-Un homme qui oblige un autre homme, par la force ou par une menace mettant présentement en danger son corps ou sa vie, à commettre un acte sexuel avec lui ou à se laisser utiliser par lui dans ce but ;
2- Un homme qui décide un autre homme, en usant d’une dépendance fondée sur une relation d’autorité, de travail ou de subordination, à commettre un acte sexuel avec lui ou à se laisser utiliser par lui dans ce but ;
3-Un homme de plus de 21 ans qui séduit un mineur masculin de moins de 21 ans, afin qu’il commette avec lui un acte sexuel ou qu’il se laisse utiliser par des hommes en vue d’un tel acte ou qui s’offre dans ce but ;
- 175b Un acte sexuel contre nature qui est commis par un homme avec un animal est puni de prison ; la perte des droits civiques peut être également prononcée. »
Des rafles sont organisées dans les bars connus pour accueillir une clientèle homosexuelle.
Les accusations et les inculpations d’homosexualité font un bond considérable, en 1934, 948 hommes sont reconnus coupables, en 1938 ils sont 8 562 à être accusés
Les femmes peuvent être poursuivies si elles ont des relations avec des personnes dont elles ont la charge ; en Autriche, annexée en 1938, la loi interdit les relations sexuelles entre femmes comme celles entre les hommes.
La Gestapo lance une collecte de tous les dossiers détenus par tous les commissariats de police du pays concernant les homosexuels ainsi que les avortements.
Dès 1933 homosexuels et proxénètes sont envoyés dans des camps, à celui de Fulsbüttel, puis à Dachau, 5 ans avant d’y envoyer des juifs pour des raisons raciales
En 1935 le Paragraphe 175 est renforcé, les baisers, les étreintes, les regards sont désormais soupçonnés et assimilables à des actes homosexuels.
Le décret de 1940 d’Himmler pour lutter préventivement contre la criminalité autorise l’internement en camps de concentration des hommes ayant purgé une peine de prison pour homosexualité. Ils sont immédiatement transférés en camp de concentration le jour de leur libération afin de leur éviter de commettre de nouveaux « méfaits ».
Une rafle est organisée à la veille des Jeux Olympiques de Berlin de 1936
Pourtant l’internement n’est ni uniforme ni systématique
Des distinctions sont faites entrer l’homosexualité passagère et celle qui est « habituelle », les récidivistes sont sanctionnés
Pour les premiers la discipline pénitentiaire est sévère (travaux forcés, psychothérapie, castration) mais avec possibilité réparatrice, de la mobiliser comme travailleurs ou comme soldats
Pour les autres, c’est la déportation et l’internement avec marquage (lettre A qui semble signifier « enculé », le chiffre 175, parfois le triangle noir des asociaux, le triangle vert, très rarement le triangle rose), le taux de survie est très bas (tâches exténuantes ou dangereuses, des expériences médicales) ; l’historien Rüdiger Lautman évalue à 60% leur taux de mortalité dans les camps.
Dans le Reich Allemand, environ 40 000 et 50 000 homosexuels ont été condamnés et entre 5 000 à 15 000 ont été déportés.
En France, la répression de l’homosexualité masculine en Alsace annexée a été variée et a évolué au cours des années de la guerre. D’abord une politique de traque des « asociaux » avant de se judiciariser avec l’introduction en 1942 du droit pénal allemand.
Les trois départements annexés par le Reich, d’Alsace et de Moselle, relèvent du Paragraphe 175, avec une application plus stricte de la loi en Alsace par rapport à la Moselle (cf Pierre Seel raflé dans sa famille à l’âge de 18 ans grâce au fichier de police) ; ainsi en France, 202 homosexuels ont été condamnés ou déportés sur réquisition des autorités allemandes, dont 115 arrêtés, requis ou prisonniers, dans les départements d’Alsace-Moselle rattachés au Reich, et 87 arrêtés dans d’autres départements du territoire national.
La zone non occupée relève de la législation mise en place par le régime de Vichy, la loi du 6 août 1942, qui pour la première fois pénalise l’homosexualité (amendes et peines de prison) et pointe les homosexuels comme faisant partie des responsables de la déchéance morale, sociale, politique qui a causé la défaite de 1940.
Reconstruire la famille et la patrie passe par le redressement moral, l’avortement et l’homosexualité sont parmi les cibles privilégiées du régime.
- Selon l’historien Arnaud Boulligny (présentés au colloque d’Angers le 31 mars 2021) environ 600 homosexuels français ont été inquiétés (30 sont internés en camp de concentration, 28 morts en détention), objets de diverses répressions policières, médicales ou judiciaires, ils se répartissent ainsi :
- Une cinquantaine de personnes ont été internés administrativement – au titre du décret-loi du 18 novembre 1939, en particulier – sur la Côte d’Azur par le régime de Vichy de 1940 à 1942 (indésirables ou invertis notoires) ; 8 d’entre eux seront déportés (Buchenwald, Dachau) avec le triangle rouge (2 mourront en déportation)
- 35 sont arrêtés au titre du § 175 qui les conduit plutôt à la prison (ou du § 175 aggravé de 1935 qui les conduit plutôt aux travaux forcés) dans différentes villes de la zone occupée (Lille, Bordeaux, Le Mans, Paris, Alençon, Bar-le-Duc, etc.), ils ont dragué un militaire, tenté d’obtenir des informations, etc.
- 9 tombent entre les mains de la Gestapo de façon extra-judiciaire pour oisiveté, agression sexuelle, meurtre, espionnage, escroquerie ou proximité avec l’occupant (l’acteur Hugues Lambert est déporté à Buchenwald), trois d’entre eux meurent en déportation
- 115 travailleurs civils et prisonniers de guerre français visés par le Paragraphe 175, 70% d’entre eux seront condamnés à des peines de prison simple (3 semaines à un an et demi), et 30% à des peines de travaux forcés plus lourdes (d’un à 5 ans en forteresse) ; 80 sont libérés au terme de leur peine, 3 meurent en détention, et deux lors de leur rapatriement ou de leur retour en France
- 370 Alsaciens-Mosellans, pour l’essentiel Alsaciens (40 Mosellans seulement) ont été arrêtés, pour une grande variété de raisons policières ou judiciaires, répartis ainsi 100 ont été expulsés en zone non occupée, 130 ont été emprisonnés par la police, 140 ont été condamnés au titre du § 175 dont 110 ont été envoyés à Schirmeck en vue de leur rééducation (Pierre Seel a fait partie de ceux-là, raflé dans sa famille à l’âge de 18 ans grâce au fichier de police).
Des persécutions avec des arrestations, des incarcérations et parfois des déportations ont eu lieu dans d’autres parties du territoire français notamment où régnait une vie homosexuelle active et où la prostitution masculine était développée : Paris, Toulon, Bordeaux, Nice… Ces persécutions n’auraient pas été systématiques selon les historiens français et auraient visé les homosexuels les plus visibles (propriétaires de club, usagers des lieux de dragues en plein air…).
Cette histoire de la répression des homosexuels dans la France de Vichy est en train d’être écrite, toutes les sources d’archives n’ont pas encore été explorées et exploitées. Concernant les lesbiennes françaises, cette histoire est à écrire. Certaines lesbiennes ont été internées dans les camps en France pour des accusations d’atteinte à l’ordre moral par exemple suite à des dénonciations et des accusations. De ces lieux d’internement, elles ont pu être déportées dans des camps de concentration, accusées d’être des asociales, antifascistes, etc.
Après-guerre : la stigmatisation des homosexuels et des lesbiennes se poursuit
En Allemagne, le Paragraphe 175 a continué à être en vigueur ainsi que les préjugés sociaux à l’encontre des homosexuels.
Ce qui, en Allemagne de l’Ouest, a abouti jusqu’en 1969 à 47 000 condamnations postérieurement à la guerre.
Et les survivants homosexuels ont été systématiquement exclus des programmes gouvernementaux mis en place en soutien des victimes du régime nazi (réparations et indemnisations) excepté 22 en Allemagne et 2 en Autriche.
Un homosexuel allemand survivant des camps s’exprime ainsi en 1958 :
« Il existe un groupe parmi toutes les victimes qui n’a jamais reçu la lumière de la publicité, ne s’est pas plaint des dommages qu’il a subis et n’a rencontré aucune compréhension de la part des journaux, des agences gouvernementales ou des organisations qui défendent les intérêts des anciens internés : ce groupe, ce sont les homophiles. Parce que l’article 175 du Code pénal allemand – le même paragraphe 175 qui fait l’objet de débats depuis des décennies – fait des homophiles des criminels, ils ne rencontrent aucune pitié de la part du public et ne peuvent évidemment pas demander de dommages et intérêts. À ce jour, personne n’a cherché à savoir combien d’homophiles avaient été traqués par les Nazis, ni à savoir ce que les survivants avaient récupéré de leur vie et de leurs biens »
Il faudra attendre les années 1980 pour abolir les paragraphe 175 en RDA et en RFA.
Dans les années 90 et début 2000, les témoignages d’homosexuels et de lesbiennes persécutés par le régime nazi sont encore rares à être partagés et diffusés.
En France, c’est après la guerre que les lois pétainistes ont fait le plus de mal avec près de 10 000 condamnations de 1945 à 1982. Ces condamnations ont surtout une valeur de stigmatisation des personnes, car les journaux régionaux se font un plaisir de détruire les réputations en révélant les dessous de la vie privée des hommes, et parfois des femmes.
En 1964 Charles Trenet est condamné en vertu des lois de Vichy.
En 1981, de façon déterminée Pierre Seel sort du bois et raconte sa déportation en Alsace à l’âge de 18 ans en 1940. Avec l’aide de quelques amis militants, il dépose la première gerbe au titre de sa déportation.
Ce n’est que dans les années 1990, Pierre Seel a été reconnu comme déporté « politique », mais pas déporté « homosexuel », en 1994 à la suite de la parution de son livre « Moi Pierre Seel déporté homosexuel ».
C’est au milieu des années 1990 que sont déposées les premières gerbes de la déportation homosexuelle à Paris et à Marseille, puis dans d’autres villes.
Christian de Leusse (sur la base d’un conférence faite avec Isabelle Sentis pour l’ARES en avril 2021)
Annexe : Témoignages et histoire
Aimé Spitz a fui l’Alsace quand il a su les arrestations d’homosexuels, résistant appartenant au groupe alsacien Nacht und Nebel, il est arrêté à sa 31ème mission d’agent de liaison, condamné à mort et déporté arborant un triangle rouge
Camille Erremann est arrêté à 28 ans, en prison il apprend que la Gestapo a en mains le fichier des homosexuels de la police française – par le commissaire de Colmar qui est resté en poste pendant toute la guerre – sur lequel figure son nom depuis une affaire judiciaire de 1937 impliquant un copain de Cernay, des mineurs qui avaient endommagé sa voiture l’ont dénoncé à la suite de sa plainte, 200 personnes ont été impliquées dans ce procès qui avait fait grand bruit et dura plus d’un an, « ce fut un défilé de honteuses »
Pierre Seel est arrêté à 17 ans, en mai 1941, sans doute grâce aux fichiers de la police de Mulhouse, envoyé à Schirmeck, puis au Struthof, libéré à la fin de l’année après de nombreuses maltraitances, il est enrôlé de force en mai 1942 dans l’armée allemande et envoyé sur le front de l’Est ; dans l’ensemble du Reich, environ 100 000 homosexuels ont été raflés par les nazis, dont 15 000 au moins déportés dans les camps de concentration ; dès juin 1940, les notables francophiles sont expulsés, puis en juillet 1940 les juifs sont expulsés par application des lois raciales du Reich, et en décembre 1940 environ 20 000 personnes sont expulsées, asociaux, indésirables, tous ceux qui risquent de polluer la race aryenne (juifs, gitans, races noires et jaunes, homosexuels repérés par les fichiers de la police)
Heinz Heger, étudiant autrichien, est déporté à Sachsenhausen, puis à Flossenbourg, parqué dans un bloc spécial, puis dispersé dans d’autres baraquements en 1941, il connait les brimades et les tortures, son récit confirme que les centaines de milliers de victimes du régime nazi mis à l’index par le § 175, arrêtés, jetés dans les camps, marqués du triangle rose et exterminés avec d’autres minorités
Rudolf Brazda répond 1er avril 1941 à une convocation de la Kriminalpolizei de Karlsbad dans les Sudètes (en territoire autrichien considéré comme partie intégrante du Reich)
Karl Gorath racontera son calvaire : « J’avais 26 ans quand je fus arrêté chez moi, en vertu des dispositions du § 175 qui définissait l’homosexualité comme un acte contre nature. Je fus emprisonné dans le camp de concentration de Neuengamme près de Hambourg, où ceux du 175 devaient porter le triangle rose
Richard Plant qui a fui l’Allemagne nazie en 1933, cite dans The Pink Triangle (Payot, 1987) des cas de prisonniers qui révélaient aux SS qui les questionnaient qu’ils étaient détenus au titre du § 175, l’un – à Dachau – a été immédiatement séparé des autres prisonniers et tabassé par plusieurs SS, idem pour un autre à Natzweiller, un autre – à Sachsenhausen – a reçu un coup de pied entre les jambes après plusieurs coups sur le visage, avec l’apostrophe « c’est ton ticket d’entrée, sale pédale dégueulasse ! »
L’historien catholique, Eugen Kogon qui survivra à 5 années passées à Buchenwald en tant que prisonnier politique, rapportera dans son livre l’Etat SS (le Seuil, 1970) “Leur sort dans les camps ne peut être qualifié autrement qu’”épouvantable”. La plupart d’entre eux ont péri“. Il dira aussi que “les politiques” envoyaient d’abord aux travaux les plus durs les “triangles roses”.
Régis Shlagdenhauffen parlera de la spécificité de camp de Mittelbau- Dora qu’il appelle le camp “des homos” ; il soulignera aussi que les homosexuels ont davantage été déportés suite à la délation (30% des causes d’arrestation) que suite à des rafles (10%) visant l’homosexualité
Isabelle Sentis porte son attention sur les femmes qui aiment les femmes qui ont vécues ces années de harcèlement, qu’elles aient été résistantes, juives, exilées ou déportées ;
Claude Cahun (1894-1954, Lucy Schwob) et Marcelle Moore qui avaient apporté leur soutien à la revue Inversions en 1924, puis à l’Amitié, à Paris, elles s’impliquent dans la résistance à l’ile de Jersey
Annette Eick (1909-2010), juive allemande aisée, à Berlin
Felice Rahel Schragenheim (1922-1944) berlinoise
Vera Lachmann (1904-1985) berlinoise
Ruth Peter Worth (1915-1997) allemande
L’écrivaine anglaise Radclyffe Hall dont le livre Le Puits de solitude (vendu à plus d’un million d’exemplaires aux USA) en 1928 avait fait scandale
Gertrude Stein (1874-1946) américaine vivant en France
Sylvia Beach, compagne d’Adrienne Monnier, qui a ouvert la librairie Shakespeare & Cy à Paris en 1919, internée au camp de Vittel libérée en mars 1943
Ursula Katzenstein, juive, née en 1916 à Berlin
Sylva Brusse costumière berlinoise en exil en URSS puis à Paris
L’artiste allemande Jeanne Mammen
Elisabeth Eidenbenz qui crée la maternité d’Elne dans les Pyrénées orientales de 1939 à 1944
Ans van Dijk (1905-1948), juive néerlandaise, qui collabore avec les nazis et sera exécutée en 1948
Ruth Maïer (1920-1942) autrichienne ; les journaux intimes, la correspondance, des aquarelles de la jeune autrichienne juive Ruth Maier. Elle avait fui en Norvège le nazisme. Elle fut déportée d’Oslo pour être assassinée au camp d’Auschwitz en 1942. Ses archives ont été conservées durant plus de 50 ans par sa compagne Gunvor Hofmo. En 2014, ces archives ont été intégrées au patrimoine norvégien. En 2020, elles ont été numérisées à l’occasion des 100 ans de sa naissance et diffusées sur le portail du Centre norvégien d’études de la Shoah et des minorités.
Marion Pritchard, rescapée de la Shoah
Mary Pünjer, juive allemande arrêtée à Hambourg en 1940, qui décède au centre d’euthanasie de Bernburg le 28 mai 1942
Felice Schagenheim juive allemande dont l’histoire berlinoise sera contée dans un livre et dans le film Aimée et Jaguar
Henny Schermann (1912-1942) lesbienne engagée dans des mouvements de résistance et ont été déportées pour ce motif
Marguerite Chabiron (1902-1967) française de Gironde, athée de culture catholique
Les deux amies Suzanne Leclezio (1898-1987) et Yvonne Ziegler (1902-1998), couple de résistantes françaises déportées à Ravensbrück qui fut soutenu tout au long de leur déportation par d’autres résistantes françaises elles ont été déportées au camp de Möringen pour l’une d’entre elles et à Ravensbrück pour les autres
Elsa Conrad (1887-1963) qui a tenu le cabaret le Monbijou à Paris. Elle était juive par sa mère, son père est inconnu. Il semble qu’elle n’ait jamais caché son aversion pour Hitler. Elle a été dénoncée. L’ordre de détention indique « … les propos de la juive Conrad révèlent la manière infâme et calomnieuse dont elle exprime son aversion envers le gouvernement actuel. » Elsa Conrad est condamnée en décembre 1935 pour « outrage au gouvernement du Reich » par le premier tribunal spécial de Berlin. Elle purge sa peine dans les prisons pour femmes à Berlin. C’est donc à la fois son opposition politique, sa classification comme « demi-juive » et son lesbianisme qui ont entraîné sa condamnation. Le 14 janvier 1937, elle est internée à Moringen, où se trouve le « camp central de concentration pour femmes ». Son ancienne amante, Bertha Stenzel (1892-1979) fait tout pour lui procurer le nécessaire : l’argent pour le billet de bateau, et le passeport. Elle est libérée en février 1938 de la prison de Moringen avec l’obligation de quitter l’Allemagne avant la fin de l’année. En novembre 1938 elle embarque de Hambourg vers l’Afrique de l’Est.
Hertha Stern, rescapée juive d’Auschwitz a été dénoncée comme lesbienne par sa logeuse auprès de l’organisation en charge des victimes du fascisme. Cet organisme a jugé que le comportement d’Herta porté atteinte à la dignité des victimes du fascisme en étant lesbienne, elle a perdu sa carte et son statut de victime du nazisme.
Ruth Jacobsen enfant fut cachée avec ses parents juifs allemands par la Résistance néerlandaise
En 1940, en Italie, 56 déportés pour homosexualité sont à San Domino delle Tremiti (ile de Tremiti), sur ce nombre 46 ont été envoyés par A. Molina, le commissaire de Catane, de sa propre initiative