Patrick Cardon

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 Patrick Cardon, la folle militance

Tom Umbdenstock, Têtu 2023

Fondateur de l’association et maison d’édition Gay Kitsch Camp – qui a récemment réédité les numéros de la première revue homosexuelle, Akademos –, Patrick Cardon a commencé à militer dans les années 1970 aux côtés du Fhar. Récit de sa révolution folle, kamp et politique. Au premier étage du petit appartement qu’il occupe, seul, dans le quartier de la gare de Montpellier, Patrick Cardon oscille sur son fauteuil d’ordinateur, face au canapé. “Je me suis toujours présenté comme un enfant né dans un estaminet, à Tourcoing [nord de la France]…  » Et d’ajouter, se moquant de lui-même : « Pour la jouer pauvresse ». Le ton est donné : toujours à la frontière du sérieux. Avec les années, sa tignasse rousse s’est teintée de gris, contrastant avec les photos de ses primes années militantes.

Qu’est-ce qui lui reste de l’éducation de ses parents ? “Je vends des livres je crois, non ? Et puis je n’ai aucune ambition. C’est-à-dire que je n’en vends pas pour avoir de l’argent. Disons que je n’ai pas fait fortune”, nous confie-t-il, faisant référence au bilan pécuniaire de sa maison d’édition, Gay Kitsch Camp – précurseuse, foisonnante et consacrée à la culture queer –, fondée en 1987.

D’un estaminet de Tourcoing au Fhar d’Aix en Provence

 Patrick Cardon a grandi dans le nord de la France, dont il garde un souvenir ému. “J’ai horreur de Tourcoing« , n’hésite d’ailleurs pas à dire le militant gay lorsqu’il repense à cette ville où il est resté jusqu’à sa majorité. « Je me sentais à part parce que j’étais un peu maniéré, et que les gens ne se gênaient pas pour me le rappeler”, raconte celui qu’on appelait « Cardonette » pour se moquer de son attitude efféminée. Attitude dont il fera une arme et une revendication tout au long de sa vie.

En 1972, il rejoint Aix-en-Provence pour entreprendre des études à Sciences Po et rencontrer d’autres “maniérés” dans son genre, notamment des membres du Front

Fondateur de l’association et maison d’édition Gay Kitsch Camp – qui a récemment réédité les numéros de la première revue homosexuelle, Akademos –, Patrick Cardon a commencé à militer dans les années 1970 aux côtés du Fhar. Récit de sa révolution folle, kamp et politique.

Au premier étage du petit appartement qu’il occupe, seul, dans le quartier de la gare de Montpellier, Patrick Cardon oscille sur son fauteuil d’ordinateur, face au canapé. “Je me suis toujours présenté comme un enfant né dans un estaminet, à Tourcoing [nord de la France]…  » Et d’ajouter, se moquant de lui-même : « Pour la jouer pauvresse ». Le ton est donné : toujours à la frontière du sérieux. Avec les années, sa tignasse rousse s’est teintée de gris, contrastant avec les photos de ses primes années militantes.

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Qu’est-ce qui lui reste de l’éducation de ses parents ? “Je vends des livres je crois, non ? Et puis je n’ai aucune ambition. C’est-à-dire que je n’en vends pas pour avoir de l’argent. Disons que je n’ai pas fait fortune”, nous confie-t-il, faisant référence au bilan pécuniaire de sa maison d’édition, Gay Kitsch Camp – précurseuse, foisonnante et consacrée à la
culture queer –, fondée en 1987.

D’un estaminet de Tourcoing au Fhar d’Aix en Provence

Patrick Cardon a grandi dans le nord de la France, dont il garde un souvenir ému. “J’ai horreur de Tourcoing », n’hésite d’ailleurs pas à dire le militant gay lorsqu’il repense à cette ville où il est resté jusqu’à sa majorité. « Je me sentais à part parce que j’étais un peu maniéré, et que les gens ne se gênaient pas pour me le rappeler”, raconte celui qu’on appelait « Cardonette » pour se moquer de son attitude efféminée. Attitude dont il fera une arme et une revendication tout au long de sa vie.

En 1972, il rejoint Aix-en-Provence pour entreprendre des études à Sciences Po et rencontrer d’autres “maniérés” dans son genre, notamment des membres du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar). Patrick se rend à une de leurs premières réunions, puis y retourne de façon hebdomadaire. “Ce qui m’intéressait, c’était de rencontrer des gens qui partageaient comme moi l’idée d’une révolution anticapitaliste, d’une révolution sexuelle”, explique-t-il au sujet de ces années vécues comme la mise en action de ses aspirations rebelles. Les militants se retrouvaient pour échanger sur leurs idées “dans une salle de l’université, sur la pelouse du restaurant universitaire des Gazelles, mais aussi dans la ville ». « On se tenait par la main, raconte-t-il. Et dans les journaux c’était marqué ‘les homosexuels envahissent la ville’. C’était drôle comme tout, c’était spontané.”, puis y retourne de façon hebdomadaire. “Ce qui m’intéressait, c’était de rencontrer des gens qui partageaient comme moi l’idée d’une révolution anticapitaliste, d’une révolution sexuelle”, explique-t-il au sujet de ces années vécues comme la mise en action de ses aspirations rebelles. Les militants se retrouvaient pour échanger sur leurs idées “dans une salle de l’université, sur la pelouse du restaurant universitaire des Gazelles, mais aussi dans la ville ». « On se tenait par la main, raconte-t-il. Et dans les journaux c’était marqué ‘les homosexuels envahissent la ville’. C’était drôle comme tout, c’était spontané.”

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Patrick Cardon par lui-même

(Autobiographie parue en post face de L’Agapanthe de Raphaël Watbled, 2023)

Prélude

L’an passé, je profite d’une exposition Zao Wou Ki au nom prémonitoire, Il ne fait jamais nuit,  à l’hôtel de Caumont pour me rendre à Aix en Provence. En sortant du parking, je me rends compte que j’ai oublié mon briquet. Je demande du feu à des passants. Parmi eux un jeune homme s’offre à me rendre ce service. Son visage est un de ceux que j ‘ai familièrement connu à Aix il y a un demi siècle. Je lui demande très sérieusement si nous étions dans la même classe. Il me dit gentiment en souriant que certainement mais pas dans le même établissement. L’amie qui m’accompagnait me dit : « Tu aurais dû lui donner tes coordonnées. Tu avais toutes tes chances »

1972.

Une situation amoureuse pressante et des obligations familiales pesantes, tous les ingrédients sont présents pour rater une première année de droit à la nouvelle fac en chantier de Villeneuve-d’Ascq, près de Lille, c’est pourquoi je souhaite m’inscrire dans un institut d’études politiques. Je demande à mon amie si elle veut bien m’accompagner, auquel cas je choisis celui d’Aix-en-Provence ; sinon, je me rabats sur celui de Strasbourg, ville qui me paraît située dans une région plus austère et moins ensoleillée.

C’est ainsi que l’été 1972, nous quittons Tourcoing à vélo.

Quinze jours de randonnée, de camping en camping. Arrivée le 15 août, fête de l’Assomption. Aix me paraît bien grise, et la place d’Albertas plutôt délabrée. De ma première année universitaire, j’ai surtout retenu des écrits où la sexualité reproductive est très critiquée au nom de celle liée au plaisir. Mai 68 n’est pas loin et mes parents, pourtant chiches en argent de poche, n’hésitent pas à me donner les moyens d’acheter des livres qui figurent dans la liste fournie par les professeurs. Je dévore donc Marx, Marcuse, découvre Sade, Fourier, etc. Tout cela justifie l’union libre que je m’apprête à vivre dans une période de lutte pour la liberté sexuelle, où, jusqu’en 1974, la majorité civile est encore fixée à 21 ans.

Après quelques années d’apprentissage de la conjugalité, nous prenons notre indépendance. J’obtiens une chambre à la cité universitaire des Gazelles. À son entrée, un graffiti de phallus ailé, signé du Front homosexuel d’action révolutionnaire (le FHAR), invite à des réunions hebdomadaires dans une salle bien précise de la faculté de lettres. Je décide d’aller voir.

J’ai l’occasion d’y rencontrer surtout des étudiants et quelquefois de beaux/belles étrangers/ères. Les réunions se poursuivent en tables entières au restaurant universitaire des Gazelles, où Grégoire propose à la vente la revue du groupe 5 du FHAR, proche des situationnistes, Le Fléau social[1], ou encore à celui, voisin, de la cité de Cuques le week-end (le phallus est présent aussi sur le mur en face de la sortie), mais aussi à la brasserie de la place de la mairie, au pied de la tour de l’horloge. Le soir, en groupe plus restreint, aux Deux Garçons, sur le cours Mirabeau, avenue centrale d’Aix. On théorise, on étudie, on s’aime et on ne pense qu’à essaimer. Le 1er mai, on défile avec les syndicats sur ce même cours Mirabeau. Un peu plus tard, en désaccord avec un mouvement de revendication catégorielle, je risque une manifestation de la paresse qui réunit quelques personnes autour de sa banderole.

Faute de combattants au FHAR, nous nous ouvrons aux hétéros en fondant en 1974 un groupe de réflexion sur la sexualité et la politique, Sexpol. Nos interventions dans une grève d’étudiants en sciences économiques sont très suivies et remarquées. Sexpol, avec qui nous n’avons pas de rapport mais qui est dans le même esprit, est alors une revue parisienne qui s’inspire des travaux de Wilhelm Reich. Celui-ci indiquait comme source du fascisme la répression (hétéro)sexuelle. Très vite, nous enregistrons le premier Groupe de libération homosexuelle (GLH) français, sous la forme d’une association loi 1901. Ce n’est pas un mince problème. N’est-ce pas une atteinte aux bonnes mœurs ? On fait intervenir un avocat, qui préfère nous rencontrer dans un bar, en dehors de son cabinet. Rappelons qu’Arcadie a créé un Club littéraire et scientifique des pays latins (1957-1982) et le FHAR, le Front humanitaire antiraciste[2] (1971). Le mot homosexuel est tabou.

En 1977, pour faire connaître l’association, nous décidons de faire courir le bruit d’une candidature homosexuelle aux élections municipales de mars. Là encore, c’est une première et l’AFP relaie l’information dans toute la France. Le Provençal annonce l’événement par cet intitulé : « L’un dans l’autre, ils seront bien 41 », Libération, une page entière : « La société sera homosexuelle ou ne sera pas ». Une telle démarche est alors perçue comme séparatiste par la presse gauchiste, ce qui provoque une scission dans le mouvement parisien. Frank Arnal (1950-1993), directeur de Gai Pied, vient renforcer nos rangs avec un groupe d’amis parisiens. Ils ont fait un crochet sur la route qui les menait à Milan, où les « folles » squattent des palais. Nous défendons les « folles », une manière de vivre et de s’organiser anar/efféministe, en dehors des schémas hiérarchiques autoritaires machistes classiques tels qu’on peut les observer dans le mouvement ouvrier, les autres défendant ce que nous désignons comme les « pédés ». Nous voulons une communauté homosexuelle libérée des modèles virilistes. Jean Le Bitoux, qui est aussi descendu, montre sa différence. Nous sommes le contre-exemple mao-spontex de ce qu’il prépare à Paris : les élections législatives de 1978.

Il joue un rôle dans la scission du GLH aixois, dont les membres fondateurs se détachent pour créer une association au nom volontairement féminisé : Mouvance remplace Mouvement ; folle remplace pédé ; lesbienne pour folles entre elles. Cette mouvance efféministe investit la MJC Bellegarde pour y animer le ciné-club Le Mistral et organiser une fête au cours de laquelle je danse le tango avec Dominique Fernandez, qui vient de sortir son roman L’Étoile rose. Nous organisons un festival de films LGBT qui a beaucoup de succès, puis camp, avec une programmation de comédies musicales qui attire beaucoup moins de monde, dans la première salle de la future chaîne Utopia, spécialisée dans les locations de lieux de culte, place Miollis, en haut de la rue de l’Opéra.

La revue Le Fléau social, distribuée par Grégoire Herpin, militant au FHAR, m’a sensibilisé à l’Internationale situationniste, ce mouvement d’avant-garde incarné par Guy Debord (1931-1994) et qui ne souhaite rien de moins que le renversement du monde. C’est une révélation : les expressions pornographiques et politiques donnent un aspect libidinal à la volonté de changer la société. Je veux donc ensuite approfondir mes lectures de ce courant qui a ses partisans gays comme Alain Fleig (1942-2012), auteur de Lutte de con et piège à classe (1977), lequel me donnera plus tard, juste avant de décéder, l’autorisation de republier le Rapport contre la normalité. J’y tenais particulièrement, pour partager des souvenirs, y accoler une photo du FHAR d’Aix-en-Provence en guise de une de couverture. Les textes des situationnistes sont, en quelque sorte, inconsciemment, le volet politique du camp : une représentation des plaisirs impossibles et le détournement des seuls plaisirs légitimes.

En 1979, je publie Fin de Siècle, une tentative de magazine très décadent avec des témoignages de « folles », qui a son petit succès. La couverture représente Jeanne de France : c’est l’époque où l’on joue à qui a un titre, un territoire, une cour. À Aix, je suis déjà Comtesse de Flandre en exil.

La même année, nous profitons d’une énième annulation d’élections municipales à Aix pour présenter une liste fantaisiste : « Aix c’est fou, Mouvance c’est chic. »

On invite Daniel Guérin pour parler d’anarchisme et d’homosexualité.

Chaque samedi matin, je me rends au marché aux livres qui se tient en face du palais de justice. Un stand est tenu par un couple de femmes. Un livre est-il soupçonné de contenir des éléments gays que je l’achète. Encore faut-il qu’il relève de l’histoire littéraire. Je ne suis pas sûr que je lirai tous ces livres, mais j’ai besoin d’acquérir des choses qui en parlent. Ça me paraît l’originalité ultime. Mes études et mes préoccupations me font rassembler une quantité de livres, que je trie progressivement : marxistes et féministes, ils m’aident à comprendre des approches diversifiées du monde. Je garde ces approches pour me concentrer sur les livres homosexuels. De fil en aiguille, si l’on peut dire, on prend un livre, qui parle d’un autre livre, qui parle à son tour d’un autre livre, et tu te retrouves entouré d’une bibliothèque et d’un projet de centre de documentation dans la tête !

Je les lis au parc Jourdan pour allier travail et plaisir, un parc qui m’a été décrit par une connaissance gauchiste comme un baisodrome, ce qui ne m’a pas échappé. Il arrive que des hommes lavent leur sexe à la vasque de la fontaine du bassin fréquenté par de nombreux batraciens bavards.

C’est dans ce contexte d’effervescence militante et politique qu’intervient la création de l’Éventail (du nom d’une pièce d’Oscar Wilde : L’Éventail de Lady Windermere, 1892), qui ouvre rue du Petit-Saint-Jean entre 1980 et 1982. L’Éventail se définit comme centre culturel camp. On ne veut pas que cela soit « homosexuel », parce qu’homosexuel c’est forcément pour la revendication de droits, tandis que camp se veut culturel et cinématographique. Cette idée de camp vient du Second manifeste camp de Patrick Mauriès et bien sûr des Notes on « camp » de Susan Sontag. Sontag dit que le camp c’est l’humour des gays et l’humour des gays c’est surtout l’humour des folles, parce que c’est sur les jeux de genre qu’elles (s’)amusent…

Il y a une librairie, un bar et une terrasse dans un petit jardin. Les rencontres littéraires sont annoncées dans les journaux. Mme Edmonde Charles-Roux, épouse Defferre, vient parler de son livre Une enfance sicilienne. Très vite, pourtant, cela devient une plate-forme pour préparer les élections législatives de 1981, auxquelles je me porte candidat, dans un canton d’Aix.

Encouragée par le succès de Mitterrand à la présidentielle, disputée par Coluche, la « candidature homosexuelle » que je partage avec Marie Meyer est parrainée par Alternative 81, une fédération du PSU, et comporte un double programme imprimé sur la profession de foi. Au recto, un programme général de 18 propositions allant de l’arrêt du nucléaire à la réduction du temps de travail, en passant par le référendum d’initiative populaire ; au verso, une liste de 12 propositions concernant plus spécifiquement les droits et libertés des homosexuels et des lesbiennes : suppression de l’article discriminatoire 331 al. 2 du Code pénal, destruction des fichiers de police concernant l’homosexualité, adoption et reconnaissance d’un statut juridique pour les couples ou encore reconnaissance du changement de sexe pour les personnes trans.

Je me présente seul à la proclamation des résultats à l’hôtel de ville. J’entends à l’énoncé de notre liste un grondement de mécontentement. Un village a donné une voix et le centre-ville 0,87 %. C’est davantage que la liste d’extrême gauche que j’ai refusé de rejoindre.

J’ai épuisé mes forces et celles de mes compagnons. Il faut gagner sa vie et, en 1982, j’accepte un poste de professeur de français au Maroc, proposé par le ministère des Affaires extérieures. Je suis affecté à Oujda, là où Juan Goytisolo place un salon de mariage désopilant dans son roman Makbara, découvert par hasard dans la librairie Vents du Sud, en bas de chez moi.

Une amie d’Aix, militante du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) me donne les coordonnées d’un ami rencontré à Oujda. Je le rencontre là-bas à l’entrée d’un ciné-club français. Je lui propose d’habiter avec moi, ce qu’il accepte. J’ai tôt fait de croiser activement la communauté gay de la ville et d’en rendre compte dans Gai Pied Hebdo, le magazine auquel il me semble avoir toujours contribué. Il se dit de moi que que je veux faire à Oujda ce que j’ai fait à Aix mais que je n’y arriverai pas. Le chat roux que j’ai adopté négligeant les femelles, il est baptisé de mon nom par les voisins.

Je sous-loue mon studio d’Aix, où je reviens chaque été. Je décide de commencer un doctorat de lettres sur les discussions sur l’homosexualité dans les Archives de l’anthropologie criminelle du docteur Lacassagne, revue qui accueille les travaux de Marc-André Raffalovich (1864-1934), sous la direction de Raymond Jean. Cette thèse est soutenue en 1984, en présence de mes parents qui ont fait le déplacement. C’est la première thèse positive sur l’homosexualité masculine. Marie-Jo Bonnet en 1979 a soutenu la sienne sur l’amour entre femmes au xviiie siècle. La mienne n’est publiée qu’en 2008 aux éditions Orizons, qui acceptent aussi l’an d’après mes « vignettes post-coloniales » Le Grand Écart ou tous les garçons s’appellent Ali, où la première partie concerne les libertés que je prenais à Aix-en-Provence et la seconde ma découverte du Maghreb.

Cette thèse sera la source des Cahiers GayKitschCamp, qui deviendront ensuite les éditions QuestionDeGenre/GKC, dont le premier volume sortira à Lille en 1999, l’association GayKitschCamp étant déclarée une première fois en 1987 à Aix-en-Provence.

Un poste d’enseignant m’attend près de Lille. Je retrouve mon titre de Comtesse de Flandre et le documente en passant devant un tableau où elle figure avec sa sœur (et ses deux maris successifs) sur un tableau du musée Hospice Comtesse de Lille. Avec mon ami Benjamin, nous nous disons : « Ces deux princesses élevées à la cour de France et défiant le roi pour maintenir le commerce des draps qui faisaient la richesse de leur comté et délivrer les premières chartes municipales », c’est une bonne image féministe pour les futures Gay Pride, et c’est ainsi que nous y figurons deux années de suite, et aussi sur les affiches d’un festival.

Trois ans après avoir soutenu ma thèse, je décide de publier, pour le bicentenaire de la Révolution française, Les Enfans de Sodome à l’Assemblée nationale (1790). Le texte m’intéresse parce que c’est un recueil de pamphlets qui permet de remettre sur le devant de la scène des personnages historiques comme le marquis de Villette ou Mlle de Raucourt. Et c’est encore une histoire de cour ! Ce titre marque véritablement le début de mon activité éditoriale et l’acte fondateur de la maison d’édition GayKitschCamp, laquelle a proposé à Lille de 2000 à 2006 un centre d’archives et de documentation vivantes sur le passé des populations homosexuelles, bisexuelles et transgenres, et qui a notamment pour but de rééditer des ouvrages disparus présentant un intérêt historique et documentaire…

C’est en tant que responsable de cette initiative que je garde des contacts avec Aix et Marseille en répondant à des invitations pour rappeler les souvenirs d’une période qu’on peut appeler héroïque.

Donc Aix-en-Provence, Maroc, Algérie, Lille, Montpellier.

Quitter Tourcoing et retour à Lille, je n’oublierai jamais ce que je dois à Aix-en-Provence.

Où je suis né, finalement.

Patrick Cardon

[1] D’après l’amendement du sénateur Mirguet (1960), qui assimilait les rapports entre personnes de même sexe à un fléau social, à l’instar de la tuberculose, l’alcoolisme, la toxicomanie, le proxénétisme et la prostitution.

[2] Jacques Girard, Le mouvement homosexuel en France 1945-1980, Syros, 1981, p 82 ; Cornelia Möser, Libérations sexuelles : Une histoire des pensées féministes et queers sur la sexualité, La Découverte, 2022.