Pascal Janvier interrogé par Nicolas Lorente, février 2008

Pascal Janvier travaille depuis de nombreuses années pour l’association Mémoire des sexualités

Il est ici interrogé par Nicolas Lorente, étudiant en sociologie, qui fait la transcription

Nicolas  : Comment décririez-vous l’évolution de la place de l’homosexualité dans notre société ?

Pascal : En voie de banalisation, malgré tout…

Nicolas : Malgré tout ?

Pascal : Le jour où on pourra se dire homosexuel comme d’autres peuvent se dire blonds ou bruns, ou hétéros n’est pas encore venu. J’ai un peu plus de quarante ans, je n’ai donc pas connu les années soixante-dix et encore plus les années cinquante ou même soixante, mais j’ai des amis qui ont connu ces époques, et si je fais un comparatif entre la situation actuelle et ce qu’ils me disent de leurs jeunes années, l’évolution est quand même flagrante.

Nicolas : Au niveau de quoi, au niveau de l’acceptation de…

Pascal : Au niveau de l’acceptation sociale du fait homosexuel, de la compréhension que l’homosexualité est une identité comme une autre. L’homosexualité est un fait naturel, il n’y a même pas besoin d’en discuter tant les exemples dans le monde animal et dans l’histoire humaine sont innombrables. L’homophobie, elle, est une construction. Une construction politique, philosophique, religieuse….. intellectuelle. Et l’homophobie, malgré d’indéniablement progrès, a toujours cours. Nous ne sommes pas dans le monde merveilleux des Bisounours, Mais cela évolue, progresse par rapport aux époques antérieures.

Nicolas : Est-ce que vous pensez qu’il y a des images qui sont véhiculées encore aujourd’hui sur les homosexuels dans la société ?

Pascal : Bien sûr. Genre les homos, ce sont les mecs rigolos qu’il faut absolument avoir à sa soirée. Ou encore que les pédés sont friqués. Alors qu’il y a aussi des gays ouvriers. Les homos c’est comme les hétéros, il y en a de tous les styles, de tous les genres. Il existe une infinité d’homos, de styles. A tous les niveaux, pratiques sexuelles, niveaux socioprofessionnels, modes de consommations, opinion et croyances, affinités culturelles… Il n’y a pas un homo type, ça n’existe pas.

Nicolas : Et selon vous par qui ces images sur les homos pourraient être véhiculées ?

Pascal : Principalement par la populace et les médias. De toute façon, nous sommes tous, et partout, encombrés de stéréotypes. Par exemple, un film pour lequel j’ai énormément de tendresse parce que contrairement à certains, au-delà de la performance d’acteur, j’y vois un message de tolérance et de tendresse, c’est la Cage aux Folles. Certes, on est là dans la caricature absolue, le couple de mecs dont l’un des deux fait la femme, et se vit comme telle. Mais c’est surtout une histoire d’amour entre deux êtres, entre deux mecs. C’est le grand stéréotype du « qui fait la femme ». Quel est le mec qui n’a jamais entendu cette question ? ».

Nicolas : Et vous voyez une raison, vous justement qui…

Pascal : Fondamentalement, pour un hétéro, un homo ce n’est pas un mec. Un gay, c’est quelqu’un qui d’une façon ou d’une autre, à un moment ou à un autre, veut être une femme. Puisque un homme doit aller avec une femme, aller avec un homme c’est vouloir remplir le rôle de la femme. Ce sont des stéréotypes extrêmement ancrés. J’ai des potes qui sont beurs, et ils disent être constamment confrontés au dictat de l’homme actif par nature, que le passif c’est le pédé, qu’être passif c’est être c’est faire la femme. Il y a tout un tas de schémas qui tournent autour de cette notion de l’homme véritable, Pareil pour les femmes : si elles ne sont pas mariées et mères de famille, elles ne sont pas vraiment des femmes. La lesbienne, c’est celle qui n’a pas rencontré d’homme.

Nicolas : Et votre évolution personnelle à vous sur le plan sentimental ou sexuel ?

Pascal : Alors que j’étais adolescent, un jour, je réalisais que j’étais attiré plus les mecs que par les femmes. Mais j’ai eu, alors, la chance d’avoir un caractère bien trempé et surtout d’être à Paris, au tout début des années quatre-vingt. Ce qui fut quand même beaucoup plus simple que si ça avait été dans les années cinquante aux fins fonds du Larzac. Je fréquentais beaucoup le quartier du Forum des Halles et le centre Georges Pompidou (j’ai vu ce quartier se construire), du fait que j’étais lycéen dans le coin. Un jour la curiosité m’a fait passer dans la rue du Renard, et j’ai atterris dans le Marais. A la toute première époque du Marais. Il n’y avait alors que Les Mots à la Bouche, le Central, Le Swing, le Mic Man,…

Nicolas : C’est là que vous avez eu la « révélation ».

Pascal : Oui, au tout début des années quatre-vingt. Je sortais dans des endroits où je rencontrais plein de mecs comme moi. De la sorte, la « révélation » de mon homosexualité s’est faite très simplement, très naturellement. Il m’est arrivé (et c’est l’une des raisons pour lesquelles il m’arrive de militer), à Marseille, de croiser des mecs qui avaient l’impression d’être seuls au monde. Le syndrome du monstre, du « Mon Dieu, suis-je normal ? Malade ? ». Lorsque j’ai commencé à sortir, j’ai pu constater que je n’étais pas le seul, loin de là. Et quand un mec me sort des « suis-je normal ? », je lui réponds qu’il est différent. Pas malade, pas damné ou sous l’emprise d’une quelconque possession, seulement et simplement différent.

 

Nicolas  : Donc ça, ça s’est passé à l’adolescence ?

 

Pascal : Oui. Je devais avoir, j’suis en train de compter….. La première fois que je suis sorti, je devais avoir un peu plus de seize ans. Oui c’est ça, en 79/80.

 

Nicolas : Et après, vous repérez dans votre histoire des étapes clefs dans votre sexualité, dans votre vie sentimentale ?

 

Pascal : Non pas vraiment… La toute première fois, ce fut au Central. Je me suis pointé devant, j’ai regardé et j’ai vu qu’à l’intérieur il y avait du monde. Je suis rentré, et voilà. J’ai tout de suite pris comme postulat que j’étais ainsi, que je n’avais pas choisi d’être homo, comme on ne choisit pas d’être brun ou blond, que s’il y en avait à qui cela déplaît, tant pis pour eux. J’étais armé pour m’imposer cette réalité. Ce qui n’est, hélas, pas toujours le cas. Ce qui a fait que j’ai vécu des années tranquilles, sereines, profitant joyeusement des possibilités qu’offrait Paris. Parce qu’on en revient à la question précédente, l’homophobie est encore extrêmement présente. Et cela, pour certain, pose problème. Se dire homo, ce n’est pas toujours facile. Ca peut même être douloureux. Par exemple, à Marseille il y a deux ou trois ans, un copain, David Gros, s’est méchamment fait taper dessus. Je l’ai vu très peu de temps après son agression. Les mecs, les agresseurs ne lui ont pas vraiment fait des bisous. Pourquoi ? Parce qu’il était sur un lieu connu comme étant un lieu de drague homo, parce qu’il était donc pédé. C’est tout…..

 

Nicolas : C’est ce qu’il s’était passé au Parc Borely, il y a quelques années ?

 

Pascal : Oui il y a deux ou trois ans. On ne parle pas du Moyen-âge où les bougres étaient envoyés sur les bûchers. Non…. on parle de maintenant, et de gamins qui avaient seize, dix-sept ans, pas des trisomiques. Des gosses a priori normaux, enfin en pleine possession de leurs moyens. Donc consciemment homophobes. D’ailleurs, il semble que ce soir-là ils étaient sortis avec l’intention de « casser du pédé ». Phénomène que l’on retrouve partout, A Marseille, à Rennes, au Mans ou à Paris… Cependant, dans les grandes villes, c’est quand même plus simple de se fondre dans l’anonymat de la ville. Mais il n’empêche qu’être homo, ce n’est pas toujours, et forcément, évident. Parce que la société est fondamentalement et intrinsèquement hétéro. L’hétérosexualité est la norme. De fait, cette société nous renvoie à notre différence.

 

Nicolas : Donc vous, par exemple au moment de l’adolescence, quand vous vous êtes rendu compte que vous étiez homosexuel, à ce moment là comment a réagi votre entourage, vos amis, votre famille ? Est-ce que de suite vous l’avez assumé auprès de tous ou est-ce que c’est venu petit à petit ?

 

Pascal : Je n’ai jamais joué à l’hétéro. Sans pour autant me « proclamer » homo. J’étais, sans plus. C’est maintenant fini cette période des premières communions, baptêmes et mariages où à chaque fois quand vous refaites surface dans ce genre de sauteries, après quelques années d’absence on vous sert du « Oh, qu’est-ce que tu as changé, eh puis tu deviens un jeune homme maintenant, alors quand est-ce que tu te maries ? ». La réponse c’était toujours plus ou moins la même, que jamais je me marierais parce que ce n’est pas mon trip, Et si la personne insistait, je lui disais carrément que je préférerais les mecs.

 

Nicolas : Vous ne vous en cachiez pas mais vous ne voyiez pas l’intérêt de…

 

Pascal : Je me reconnais beaucoup dans Jean-Louis Bory qui déclara quelque chose comme :  » Je n’ai pas honte d’être homo parce que ce n’est pas un sujet de honte, je ne suis pas non plus fier d’être homo parce qu’il n’y a pas lieu de l’être, je suis homo, c’est tout ». Il est vrai que je suis homo, et que cette homosexualité est transversale à l’ensemble des aspects de ma vie. Mais ce n’est pas pour autant que je me définis comme étant surtout, seulement, homosexuel. Et que je ressens le besoin de sans cesse me « proclamer ». On ne se « proclame » pas hétéro. Je dis souvent que ce n’est pas parce que je suis pédé que je ne vais lire que « pédé », que je ne vais m’habiller que pédé, que je ne vais sortir que pédé… Certes, je vais avoir plus d’affinité pour certains lieux ou pour certaines lectures. Bien évidement, mais ce n’est pas parce que je suis pédé que je me sens obligé d’idolâtrer Dalida.

 

Nicolas : Ce n’est pas forcément parce que vous êtes homo qu’il vous faut lire homo, sortir homo, mais alors, vous quelles sont vos principales sources de loisirs ?

 

Pascal : Sur Marseille ?

 

Nicolas : Peu importe, sur Marseille, sur Paris ou ailleurs…

Pascal : C’est très variable. J’aime tout ce à quoi l’être humain normal s’intéresse. Lire, sortir, voyager, passer des soirées entre amis. Bien sûr, j’ai une sensibilité homo, mais par exemple je m’intéresse énormément à la culture japonaise, à l’architecture et surtout à la physique quantique…. Pas très pédé comme trip. Pour moi, l’hérésie, le non-sens absolu c’est le rayon littérature pédé. Qu’est-ce que ça veut dire ? Baudelaire est hétéro, pourtant il a écrit des poèmes sublimes, Vincent Mac Doom a « écrit » un « livre ». Et parce que je suis pédé, il faudrait que je lise et aime sa prose ? Non. Mes curiosités sont multiples et différentes. Et pas guidées par ma seule homosexualité.

 

Nicolas : Et parmi vos loisirs, vos pratiques en général, est-ce que vous avez des pratiques que vous jugeriez à risques ?

 

Pascal : Pas trop à Marseille. En novembre dernier, parce que j’avais envie de soleil, je suis allé rejoindre un ami à Playa del Inglés. C’est aux Canaries. Quand je sors vraiment loin, loin de Marseille, loin des pédés français, alors c’est la fête, la défonce totale. Un moment de « respiration ». Dans le genre, dernièrement je suis allé à Bali. Là effectivement, ce fut plan défonce absolue dans tous les sens.

 

Nicolas : Tous les excès quoi,

 

Pascal : Oui, tout. Alcool, drogues, cul, queue… Tout y passe. Mais c’est fait de façon extrêmement consciente, réfléchie. C’est ce soir là, à cet endroit, avec untel et de cette façon. Et allez zou, on y va. Puis après on passe à autre chose.

 

Nicolas : Donc vous avez juste des périodes, des moments comme ça où… C’est un besoin ?

 

Pascal : Non, c’est histoire de tenter une expérience. Par exemple, pendant presque deux mois à Bali, je n’ai pas vraiment touché terre. Mais parce que c’était le pays, c’était le trip. Et à ce niveau, le fait d’être homo ne change pas grand-chose. C’est seulement une question d’ouverture, d’être curieux, et d’opportunité. Dans le genre, pour moi Internet est une opportunité assez chouette.

Nicolas : Au niveau de vos sorties, des rencontres …..

 

Pascal : Le problème, c’est qu’on est à Marseille !

 

Nicolas : C’est assez limité, c’est ça que vous voulez dire ?

 

Pascal : Très limité.

 

Nicolas : Vous auriez plus tendance à fréquenter les lieux gays ?

 

Pascal : Non. Mais, il y a deux types d’endroit que je ne fréquente pas en version hétéro sur Marseille. Les plages et les bars. Parce que je n’ai pas envie de me retrouver au milieu de ploucs qui s’extasient devant l’OM. Les beaufs, ce n’est vraiment pas mon trip. Par contre, dans le quartier de la Plaine ou même sur le Vieux Port il y a quelques salles alternatives (le Trolleybus, le Baby….) qui ne sont pas homos, mais offrent un éventail de populations intéressant. Ce que j’aime, ce sont les brassages de différents styles, de différentes populations, des gays, des hétéros rigolo et fêtards.

 

Nicolas : Quand vous sortez en général vous sortez avec…

 

Pascal : Tout seul comme un grand !

 

Nicolas : Tout seul comme un grand ? Vous n’avez pas un cercle…

 

Pascal : Si, mais ça dépend des lieux. Il y a des choses que je fais systématiquement tout seul, plutôt l’été. Je suis un fana des Calanques, je randonne des heures et des heures. J’y vais tout seul, tout simplement parce que je n’ai pas envie de traîner quelqu’un. Et puis, j’ai un côté assez solitaire…. Sans compter que si une « opportunité » se présente, il est plus facile d’être tout seul, car plus disponible.

 

Nicolas : Donc vous, vous sortez aussi bien avec des homos qu’avec des hétéros…

 

Pascal : Bien sûr. Ce n’est pas parce qu’un mec est homo que j’ai des affinités avec lui. Pour le cul si, bien sûr, mais encore faut-il qu’il me plaise… Je préfère la compagnie d’un hétéro marrant, intéressant, plutôt qu’un homo con. Un pédé Dolce Gabanisé made in Têtu, ça ne m’intéresse absolument pas, je n’ai rien à faire avec lui. A la limite s’il sait bien sucer ça pourra me divertir cinq minutes, mais dès que c’est fini il faut qu’il remballe et qu’il se tire, parce que j’ai rien à faire avec lui. J’aime les gens qui ont quelque chose entre les deux oreilles, un cerveau. Il y a des hétéros de compagnie agréable, je ne vois pas pourquoi je m’en priverais.

 

Nicolas : Et dans votre vie intime qu’est-ce qui compte le plus pour vous ? Dans votre vie intime, de couple, sexuelle…

 

Pascal : Je suis célibataire, cas désespéré ! Si j’étais avec quelqu’un, en couple, il faudrait que la relation soit basée sur l’échange. Il faudrait que j’ai la sensation d’apporter à l’autre quelque chose, mais que lui aussi m’apporte quelque chose, son univers, ses passions, ses curiosités…. Bref une exigence assez banale, commune à tous les couples, homos comme hétéros. Etre à deux, qu’on soit pédé ou pas, c’est être à deux, avec les mêmes attentes.

 

Nicolas : Et au niveau de la fréquence de vos rapports sexuels ?

 

Pascal : C’est variable, ça dépend du moment, de la saison… De façon générale, en été je me trimbale la queue à la main, alors que l’hiver j’hiberne. Mais c’est vraiment la pulsion, l’occasion du moment. Je n’ai pas de plans prédéfinis. L’occasion fait le larron.

 

Nicolas : Est-ce que vous avez des lieux où vous avez des rapports régulièrement ou est-ce que c’est peu importe où suivant le moment ?

 

Pascal : A Marseille, l’éventail des lieux gays est quand même particulièrement limité. Donc c’est surtout dans des lieux de styles salles de concert alternatives. Ou carrément à l’extérieur, comme dans les Calanques. Chaque été, je m’y fais des plans sympas.

Nicolas : Donc, c’est plus sur les lieux de drague…

 

Pascal : Lieux de dragues ? Il n’y ‘en a pas à Marseille !

 

Nicolas : Il y en a quelques-uns quand même ?

 

Pascal : Ah, Borely ! Ou pire, Sébasto. Quelle horreur ! Mieux vaut ne pas en parler, Non… j’ai passé l’été au Rove, à Callelongue, dans les Calanques, où effectivement j’ai rencontré des mecs. C’est beaucoup plus rigolo de s’envoyer en l’air en pleine cambrousse ! Sans compter que les paysages y sont nettement plus agréables que le macadam déserté et glauque de Borely et/ou de Sébasto.

Nicolas : C’est sûr ! Et au niveau du type de partenaire ? Votre type de partenaire en général ?

 

Pascal : Ce qui m’intéresse, c’est les mecs masculins. Comme tout à chacun, j’ai un style de physique qui me plait. Plutôt le type latin. Mais bon, le seul mec que je n’ai jamais aimé était l’exact contraire de ce qui me plait chez un mec. Pas un poil, pas de cul, une espèce de grande tige longiligne… Et pourtant, je grimpais aux murs ! J’en ai été dingue de ce mec. Bref, mon seul critère c’est que le mec soit masculin. Ca ne veut pas dire le gros Marcel en T-shirt, marqué sous les aisselles qui rote et qui se remonte les couilles en permanence. La virilité, la masculinité, pour moi, ce n’est pas ça. On peut être extrêmement précieux de sa personne et tout a fait viril. Donc un mec qui ressemble, naturellement, à un mec. Sans plus, sans moins.

 

Nicolas : Est-ce que vous pourriez me parler un peu de vos premières expériences ?

 

Pascal : La fois où j’ai regardé par la fenêtre du Central, je suis rentré, puis un mec m’a branché et foutu la main au cul. Voilà, aussi simple que ça. Sur la lancée, je suis allé chez lui. J’avais alors une vague idée de ce qu’il était possible de faire entre mecs, j’avais un peu moins de 17 ans. Ce soir là, bien heureusement je n’ai pas tout découvert mais j’ai expérimenté pas mal de trucs. J’étais très curieux !! Une bonne première expérience, tranquille. Par la suite j’ai écumé Paris (Haute Tension, le Broad, le BH, le Club, le Palace, le Kit Kat club……..), multipliant les rencontres. Mais j’étais alors à Paris, où le fait d’être homo n’avait rien d’unique ou, encore moins, de honteux. C’était même, quelque part, assez… tendance. Le Palace (souvenirs, souvenirs…) était LA boite où il fallait être. Sans compter les samedi soir de Haute tension. Draguer ou me faire draguer par des mecs, dans la rue, aux Tuileries ou en boite, puis coucher avec eux était quelque chose de…normal, d’évident.

Nicolas : Les premières fois, c’était plutôt avec ou sans préservatif ?

 

Pascal : Non, à cette époque là… on était début des années 80. Oui, justement, c’est cela qui est assez malheureux en matière de sida. Ce foutu télescopage temporel. Je me rappelle très bien d’un soir, au Village (un bar, rue du Plâtre) ou je m’étais pointé avec un article que j’avais trouvé dans je sais plus quel magazine américain (le Times peut-être), vraiment un tout petit article, un entrefilet qui parlait du cas de ces six gays new-yorkais ayant développé un syndrome de Kaposi. Et ce qui interrogeait l’auteur de cet article, c’était que six mecs, tous homos, au même endroit (New York) avaient développé cette infection extrêmement rare. Bref, je pointe avec cet article qui m’avait intrigué, on était toute une bande, on se voyait presque tous les soirs, et je sors un truc du style « vous trouvez pas ça bizarre, six homos….? ». Cet article ne provoqua aucune réaction. Nous en parlâmes un peu, sans plus. Normal, l’époque, le contexte d’alors explique cela. Au moment où est apparu le sida, au moment où on aurait dû mesurer qu’il y avait danger et qu’il fallait se protéger, du moins montrer une certaine prudence, l’homosexualité a été dépénalisée (août 1982). Le » sida apparaît alors que des lieux ouvertement homos pouvaient enfin s’ouvrir, où le fait d’être homo ne tombait plus sous le coup de la loi, où on pouvait, enfin, vivre au grand jour ce que l’on était, rencontrer d’autres personnes comme nous, rencontrer des partenaires, on nous disait : « Attention ! Il y a danger ». Nous ne pouvions pas, nous n’étions pas, alors, en capacité d’entendre ce discours et de l’accepter. Je me rappelle très bien d’avoir entendu des « Vous n’allez pas nous remettre dans nos placards ». Une porte s’était ouverte, hors de questions de la refermer. D’autant que, personne, personne ne pouvait envisager l’ampleur du désastre qu’allait être cette saloperie. D’ailleurs, comment aurions nous pu le savoir, l’envisager ? Donc on continua à s’envoyer en l’air, et quelques années après ce fut le drame. Le temps a passé, mais pendant une dizaine d’années, à chaque fois que je montais à Paris et que je croisais un ancien copain ou que je ne voyais plus tel barman… si je demandais des nouvelles de truc ou de machin, dans 25% des cas il avait quitté Paris, et dans 75% des cas il était mort. Comme nombre de gays de ma génération, je me suis retrouvé, à un moment, à n’avoir non pas un carnet d’adresses mais une revue nécrologique.

 

Nicolas : Et dans vos premières expériences…

 

Pascal : J’en reviens à mes premières expériences… La première fois que je me suis fait sauter, c’était bien évidemment sans préservatif. Et je l’ai fait longtemps, comme tant d’autres. Après coup, il est facile de réécrire l’histoire, à la lumière de ce que l’on sait, à grand coup de « si » et de « il aurait fallu »….. Mais l’époque était ce qu’elle était. Et elle explique bien des choses. Lorsque je me suis pointé avec cet article, quand je suis tombé dessus, moi-même je n’ai pas percuté, je ne me suis pas dit « attention sida, danger de mort ». J’étais simplement intrigué, sans plus. J’étais un jeune homo qui profitait allégrement des possibilités de l’époque et de la capitale. Pourquoi n’en aurais-je pas profité ? Les rencontres étaient particulièrement faciles, avec ma gueule de minet…..

 

Nicolas : Et c’était des partenaires plutôt expérimentés ou plutôt de votre âge ?

 

Pascal : Je n’ai jamais été attiré par les mecs de mon âge, mais toujours par ceux de mon âge actuel, Les mecs de vingt ans ça ne m’a jamais fait bander. Même maintenant.

 

Nicolas : Vous êtes célibataire, en ce moment ? Vous pourriez me parler un peu de votre dernière relation ?

 

Pascal : Ma vraie dernière relation, ce fut Yannick….. Il est mort depuis des années. Nous nous sommes rencontré au Cancan. On s’est croisé dans l’escalier qui descend pour aller aux toilettes, lui montait, moi je descendais. On s’est regardés, vraiment comme deux cons, pendant une minute, jusqu’à que quelqu’un nous bouscule, Et de fait, on s’est retrouvé dans les bras l’un de l’autre. On s’est donné rendez-vous le week-end suivant, toujours au Cancan. Cette deuxième rencontre a confirmé la première, le coup de foudre total. Foudroyant ! Je ne crois pas vivre à nouveau un truc aussi fort, alors je reste célibataire. Ce qui a ses inconvénients, mais aussi ses avantages.

 

Nicolas : C’est son décès qui a marqué la fin de votre histoire ?

 

Pascal : Non, c’est que nous deux c’était trop fort. On a paniqué…. II habitait à Toulon à l’époque, mais après notre séparation on se croisait, à Marseille, de temps à autres. Et chaque fois, on remettait ça, bien que l’on savait que le lendemain matin on se séparerait en s’engueulant ! A un moment donné, ça faisait six mois, sept mois que je ne l’avais pas croisé, donc je me suis douté d’un truc…. il était séropo. Alors j’ai téléphoné là où il travaillait à Toulon, histoire d’avoir des nouvelles. Sauf que quinze jours avant, ses cendres avaient été dispersées. J’ai pas pu lui dire adieu, il n’a pas voulu que qui que ce soit apprenne qu’il était hospitalisé…. Si je suis célibataire, c’est que je n’ai pas envie de me mettre à la colle avec n’importe qui. Yannick aura été le mec de ma vie. Et puis, j’ai un caractère de chiotte, il faut me supporter. Dans un lit c’est pas mal, mais en dehors d’un lit, faut pouvoir ! En plus, le célibat a l’avantage de me permettre, si ça me chante, à 3h du matin de me coller devant l’ordinateur ou d’écouter un opéra. D’être libre de mes mouvements !

 

Nicolas : D’après vous, quelles sont les valeurs les plus importantes pour les homosexuels aujourd’hui ?

 

Pascal : Les mêmes que pour les hétéros….. Pour autant, je suis assez d’accord avec la thèse qui affirme que l’identité homosexuelle se base, se construit sur le rejet, sur l’insulte. Quel est l’homo, homme ou femme, qui n’a jamais été confronté à un degré ou à un autre à un rejet, à des insultes ? Et justement, il me semble que la valeur la plus importante est la tolérance, l’acceptation de l’autre. Parce que je suis homo, parce qu’à travers l’expérience d’amis ou de copains, je me suis trouvé face au mur de l’homophobie, tout ce que l’on peut mettre derrière les concepts d’intolérance, de rejet et autres obscurantismes, j’y suis irrémédiablement opposé. Mais, je serais hétéro, parce que homme, j’y serais tout aussi opposé.

 

Nicolas : Et au niveau de la fidélité ?

 

Pascal : Typiquement pédé, je n’y crois pas du tout. Mais encore une fois, tout dépend de ce que l’on met derrière le concept de fidélité. Par exemple avec Yannick, quand j’étais avec lui je faisais l’amour, quand j’étais avec un autre mec je baisais. Les deux choses ne sont absolument pas comparables.

 

Nicolas : Dans ce cas précis, vous vous considéreriez comme fidèle ou pas ?

 

Pascal : Oui fidèle. Fidèle dans mes sentiments, mes émotions. Parce qu’il y avait que lui, il n’y avait qu’avec lui que j’avais envie de construire un quotidien, alors que les mecs avec qui je baisais, c’était purement physique. Avec Yannick c’était physique, mais aussi, et surtout, cérébral. Là était la nuance. Se taper un plan cul, ce n’est pas être infidèle. Un copain m’avait raconté que ça faisait trois ans qu’il était avec sa copine, et qu’en trois ans il s’est fait sucer seulement deux fois (à son anniversaire) parce que sa nana trouvait ça dégueulasse, et qu’il ne pouvait pas aller ailleurs parce que pour lui, se faire faire une pipe même par une pute ça aurait été la trahir. Parmi tous les copains qui sont en couples, il y a cette distinction entre faire l’amour avec son mec et baiser ailleurs.

 

Nicolas : La fidélité est quand même une valeur importante mais avec une certaine définition…..

 

Pascal : Mais encore tout dépend de l’autre, et de comment votre couple évolue. Par exemple le Pacs. Il y ‘a beaucoup plus d’hétéros que d’homos qui le signent. Pourquoi ? Parce que c’est beaucoup moins contraignant qu’un mariage. Le cadre, les modalités des relations de couples évoluent. Cette dichotomie que je fais entre faire l’amour et baiser, beaucoup d’hétéros, enfin de plus en plus le prennent à leur compte parce qu’ils s’aperçoivent que c’est une réalité, et que pour eux c’est un confort, une évolution sociale de plus à prendre en compte. Que l’humain est mouvant, changeant.

 

Nicolas : Tout à l’heure nous avons a un peu parlé du préservatif, que pensez- vous de son utilisation chez les gays en général ? Est-elle systématique… pour vous ? Enfin pas forcément vous…

 

Pascal : Pour moi, oui, elle est systématique. Malheureusement, parce que c’est aussi un trip. Il ne faut pas oublier que le premier organe sexuel c’est le cerveau, que donc tout se passe là haut. Baiser sans préservatif, ça a un côté très sexe, encore plus sexe. Mais la capote est incontournable. Donc systématique. Pour autant il y a trois phénomènes à prendre en compte quant à sa non utilisation. Le premier, et c’est ce que je reproche aux campagnes de prévention, c’est que le préservatif est toujours présenté comme un médicament incontournable ? Genre : « Tu ne veux pas avoir le sida, tu mets un préservatif ! ». Ce qui est vrai. Mais, baiser avec un médicament ça n’a rien d’affriolant, d’érotique. Erotise la capote, la mettre se la mettre, l’enlever…. cela peut être un jeu érotique. Quand je m’envoie en l’air, je ne sors pas ma boîte de pilules, je sors un plus, un accessoire. Comme un gode…. C’est un jeu. C’est vraiment le gros reproche que je fais aux campagnes de prévention, de médicaliser plutôt que d’érotiser quelque chose qui est malheureusement incontournable. L’autre problème, ce sont les jeunes qui disent, qui pensent que le préservatif est un truc de vieux, que de toute façon il y a les trithérapies. J’en voudrais longtemps à certains médias (comme Paris Match) qui avaient titré un truc du style « Les trithérapies arrivent, le sida c’est fini ». Non, certainement pas. Etre séropo, encore aujourd’hui c’est tout sauf glamour. C’est d’avoir la chiasse en permanence, des douleurs musculaires, des maux de têtes, des vertiges, c’est n’avoir plus de fesses et du bide, c’est tout un tas d’effets secondaires. Et c’est aussi, à terme, mourir. Non, le sida ce n’est pas fini et le préservatif est, et demeure, incontournable. Et enfin, troisième phénomène qui explique le rejet de la capote, ce sont les vieux, tous ceux qui ont vécu les années quatre-vingt qui sont confrontés au syndrome du survivant. Cela n’a rien de très agréable d’aller à tel endroit ou à telle soirée, puis de constater que Jérôme, Bernard, Christophe, Eric, François, Philipe, Vincent, machin, truc ou bidule chouette sont morts, alors que vous êtes passé à travers. Se retrouver seul, avec derrière soi tout un cortège d’ex et/ou d’amis ou de copains décédés, cette solitude est parfois lourde à porter. Tout ceci explique que si le préservatif est incontournable, il n’est pas forcément systématique.

 

Nicolas : Donc ça serait les jeunes, et comme vous le disiez les…

Pascal : Chez les jeunes, il y a un côté « Le sida est un truc de vieille tantouse, donc on s’en fout, ça ne nous concerne pas », J’ai eu vingt ans, à cet âge on est con, on se croit immortel. On se dit qu’on va passer à côté. Bien sûr….

 

Nicolas : Pensez-vous que l’utilisation du préservatif peut dépendre du type de pratique ou du type de partenaire ?

 

Pascal : Oui ! Il y a beaucoup de choses qui se font, ou ne se font pas, selon le type de partenaire. De fait, le préservatif s’imposera ou pas. Par ailleurs, j’ai parfois remarqué que lorsque que c’est le mec le plus âgé des deux qui le propose, le sort, comme quelque chose d’évident, le préservatif passera beaucoup mieux.

Nicolas : A votre avis, le sida est en augmentation, en diminution ou en stagnation ? En général et chez les homos ?

 

Pascal : Je pourrais vous sortir tous les chiffres, mais ce qui pose problème avec le sida, au-delà des questions thérapeutiques, médicales, de santé, toutes les questions sanitaires, c’est (même si ça s’est encore calmé un peu) l’équation systématique et récurrente qui est faite entre homos (gay) et sida. L’idée que l’identité homo est forcément et systématiquement attachée au sida. Pourtant, ce n’est pas le cas. On peut très bien être pédé sans avoir le sida et être contaminé tout en étant hétéro. Il convient de lutter contre cette idée de déterminisme sidéen pour les homos. Vraiment, ça me pose problème et parfois me pèse. Cet attelage systématique pédés/sida. Certes nous n’en sommes plus aux années quatre-vingt-dix, où pour qu’une association homo puisse se voir attribuer quelques subventions, il lui fallait mettre des gros morceaux de sida dans ses actions. Par exemple, sur la question du suicide des jeunes, du mal-être des jeunes qui se découvrent homosexuels, vous n’aviez pas de subvention si vous ne parliez pas de sida. Les choses, à ce niveau ont tout de même évolué. N’empêche, le sida est toujours collé à l’homosexualité, aux homosexuels. Le sida est un peu ce sparadrap qu’on a sur les doigts et dont on n’arrive pas à se défaire. Et si les homos furent très nombreux à être touchés, directement ou pas, aujourd’hui ils ne sont pas les seuls. Le sida concerne tout le monde. Personne n’est à l’abri.

 

Nicolas : Et vous pensez qu’il est en augmentation ? En diminution ? Au niveau des contaminations ?

 

Pascal : Au niveau des contaminations nous sommes loin de l’horreur de la fin des années quatre-vingt, début des années quatre-vingt dix. Aujourd’hui, on compte, je crois, quelques 7 000 à 7 500 cas par an. Ce qui demeure assez important, mais au regard des années antérieures reste… moins « dramatique ». Mais il y a toujours des contaminations, justement parce que le sida reste un truc de pédé, alors certains hétéros pensent être à l’abri…. Je me rappelle, à Copenhague, être rentré dans un magasin, un peu interpellé par la devanture, une salle immense et pas une petite échoppe confidentielle, où n’était vendu rien d’autre que des préservatifs. Pas de godes, pas de fouets, pas de cuir, rien que des préservatifs. Mais il y en avait de toutes les formes, de toutes les couleurs, de touts les styles. Du mickey qui couinait, de la capote qui clignotait, qui vibrait, qui se mangeait. J’ai trouvé ça extraordinaire, parce que utiliser un préservatif dans ces conditions c’est rigolo, on y va à deux, à trois ou à dix et on s’achète de quoi rigoler le soir même. Je ne sais pas, mais un mec m’encule avec mickey, ça me ferait délirer ! Avoir un mickey ou un truc qui clignote dans le cul, c’est quand même grandiose ! Sérieux, pourquoi en France les préservatifs sont-ils d’une tristesse absolue ? On dirait des antibiotiques. Le préservatif a l’extrême avantage de vous protéger contre le virus, ce qui est quand même pas mal en soi, mais aussi contre toutes ces saloperies de MST. Mais il est vrai que lorsque vous êtes dans un trip, sortir ce truc là c’est pas très…fun. Si on veut lutter contre le sida, à mon avis une des pistes serait de travailler sur l’érotisation de la capote. Après tout, l’information seule ne suffit pas, puisqu’on note plusieurs milliers de contamination chaque année.

 

Nicolas : Justement vous parliez tout à l’heure, pour reprendre vos mots, du syndrome du survivant. Depuis l’arrivée des trithérapies, on meurt moins facilement du sida ou en guérit plus facilement, qu’est-ce que vous en pensez ?

 

Pascal : Il est important de préciser qu’être séropositif, ce n’est pas neutre. Et si on veut lutter contre le Sida, il faut insister longuement sur le fait que d’être séropo cela induit tout un tas de conséquences. Il y a plusieurs années de ça, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence débarquaient dans le Marais, avec un pilulier (qu’elles avaient remplis de cachets) et de plusieurs rouleaux de PQ. Elles disaient alors : « Voilà ce que c’est d’être séropo, c’est de s’avaler tout ça, toujours à heures fixes, avant le repas, après le repas, pendant le repas, de se taper nombre d’effets secondaires, comme la chiasse ». Il faut dire et redire qu’être séropo ce n’est pas glamour, qu’être séropo c’est être malade, c’est d’avoir des contraintes horaires, des contraintes à tous niveaux, c’est effectivement avoir la chiasse, c’est de cumuler tout un tas de handicaps, de gènes, c’est d’être sous une espèce d’épée de Damoclès en permanence. Bref qu’être séropo ce n’est pas neutre.

 

Nicolas : Alors justement, par rapport à ça qu’est-ce que vous pensez des gens qui se revendiquent comme étant barebackers, qui revendiquent d’avoir des rapports non protégés ?

 

Pascal : Tout à l’heure j’ai dit que j’avais une certaine aversion pour tout ce qui est obscurantisme, fanatisme, je suis donc très attaché à la liberté d’opinion. J’ai toujours présent à l’esprit cette phrase de Voltaire : « Je m’oppose à ce que vous dites, mais je me tuerais pour que vous puissiez le dire ». Des militants d’Act Up allaient déchirer dans les Fnac les bouquins d’Erik Rémès parce qu’il prônait le Bareback. Au niveau du principe, je suis contre le bareback, car contaminer quelqu’un avec cette saloperie c’est quand même assez grandiose. Mais si la personne, en toute connaissance de cause, et c’est la réserve que je mettrais, s’expose à un risque, j’estime que c’est son affaire, sa responsabilité. On peut essayer de lui faire comprendre qu’il peut être homosexuel autrement qu’en étant séropo, que jouer à la roulette russe c’est fatalement perdre, à un moment ou à un autre. Mais ce n’est pas moi qui vais lui jeter la pierre pour lui dire qu’il est un mauvais homosexuel parce qu’il veut être contaminé. Derrière le bareback, il y a aussi certains processus psychologiques, on ne va pas rentrer dans les arguties psychanalytiques, mais qui a priori, en grossissant le trait sont assez faciles à comprendre. Et je crois qu’il faut mieux, plutôt que de jeter l’anathème sur la personne qui veut être, rentrer dans un trip bareback, lui dire ce à quoi il s’engage, ce à quoi il s’expose, et essayer avec lui, dans la mesure du possible, de démonter les mécanismes qui l’emmènent à avoir ce genre de trips. Je suis très réticent face à toute condamnation « morale ».

 

Nicolas : Selon vous, que seraient ces mécanismes ?

 

Pascal : On va faire grossier : autodestruction et autodépréciation. Cela demande à être discuté, affiné.

Nicolas : Et vous pensez qu’il y aurait une raison qui pousse ces personnes à avoir ce genre de comportement ?

 

Pascal : Chaque parcours est unique, mais il y a quand même des récurrences. C’est ce que je disais à l’instant, un mélange du syndrome du survivant, de l’illusion de croire de ne pas être concerné, de l’existence des trithérapies, de l’idée qu’être homo c’est être séropo. Bref; la combinaison de tout un tas de trucs. De fait, il n’y a aucune réponse type, aucune réponse facile. C’est toujours la conjugaison, l’ensemble de tous ces éléments qui s’additionnent, se soustraient, se multiplient… Ce qui me fatigue avec ce discours anti-barbebarck, c’est le côté un peu, pudibond et janséniste. Intégriste. Non il n’y a pas de réponse type, d’attitude type. Il n’y a rien de simple sur cette question, comme sur toutes les questions qui ont trait à la sexualité. S’il y a une question compliquée c’est celle de la sexualité parce qu’elle est liée à l’humain. Moi-même…. j’ai dit que j’utilisais systématiquement le préservatif, mais certaines fois, rencontre inopinée, ni lui ni moi n’avait sur soi des capotes… Dans ce cas là, comme on dit, on se la met sur l’oreille et on la fumera plus tard. Mais bonjour la frustration. Mais parfois, rarement mais parfois, il m’est arrivé de m’envoyer en l’air malgré l’absence de capote parce que complètement défoncé, excité, submergé par une vague de testostérone. Par exemple, une fois, alors que j’étais à Bali. J’étais, alors à l’autre bout du système solaire, et ils étaient si jolis ces Australiens surfeurs… Tout ceci pour dire Il y a la théorie, les grands principes, et la réalité du moment.

Nicolas : Bon on va finir sur une petite question un peu plus,

 

Pascal : Perso ?

 

Nicolas : Non anecdotique. C’est plutôt un truc qu’il m’est arrivé, J’aurais voulu savoir si vous aviez déjà donné votre sang ?

 

Pascal : A l’époque où j’habitais à Paris, je fréquentais beaucoup le Centre Georges Pompidou. Sur son parvis, plus exactement un peu après la Fontaine des Innocents, il y a eu à demeure, pendant des mois, des années, un bus de l’agence du don du sang. Je donnais mon sang, parce que je suis donneur universel….jusqu’au jour où on me demanda si j’étais homo. Et suite à ma réponse, j’ai cru que la dame qui m’accueillait allait sortir crucifix et gousses d’ails. Le verdict tomba : je ne pouvais plus donner mon sang parce que « je faisais partie d’un groupe à risque ».

 

Nicolas : C’était vers quelle époque ?

 

Pascal : 86/87 à peu près. Pendant des mois je n’ai pas remis les pieds dans ce bus. Puis un jour, je suis assez têtu, j’y suis retourné, A nouveau on me sorti que je faisais partie d’un « groupe à risque ». Ce à quoi, sur le coup, je répondis que je vivais peut-être avec un mec depuis dix ans, en étant parfaitement fidèles. Que j’avais un collègue de boulot, queutard frénétique, sautant tout ce qui portait une petite culotte. Et pourquoi lui, potentiellement plus exposé que moi (même si j’étais loin d’être triste niveau cul) il pouvait donner son sang, parce que hétéro ? Ce à quoi, le médecin qui me recevait répondit que oui. Depuis ce jour, je milite pour que les pédés ne donnent plus leur sang. J’ai des copains qui sont en couple, qui ont une sexualité tout à fait « normale », monogame… J’ai été volontaire à Aides pendant un an (j’ai arrêté pour différentes raisons), je me souviens de mes deux dernières interventions sur un lieu de drague et de rencontre, à Marseille. Notamment d’un mec qui, alors que je m’avançais vers lui pour lui donner un préservatif, m’a sorti, gentiment, « Non merci, pas besoin, parce que moi j’suis pas tout à fait pédé, je baise avec des nanas, enfin j’suis hétéro ». Oui bien sûr, t’as raison chéri un jour bobonne se réveille, elle est séropo, accessoirement les gamins aussi. Il n’y a pas de « groupes à risques » mais des « pratiques à risques ».

 

Nicolas : Vous considérez ça comme quoi, c’est de la discrimination ?

 

Pascal : C’est de la discrimination ! C’est de la connerie pure. Sous prétexte qu’on suce des queues on est à risques ?’ la contamination chez les hétéros, ca existe !!! le sida n’est pas une exclusivité homo. Loin de là.

 

Nicolas : Voyez-vous pour terminer, quelque chose à dire sur la discrimination en général sur les homosexuels ?

 

Pascal : A tous les homophobes, je leur conseillerai de faire le ménage entre leurs deux oreilles.