La revue trimestrielle Masques a été fondée en 1979 par un groupe d’une quinzaine de femmes et d’hommes issus du militantisme politique et gai. Après six années elle a été remplacée par un mensuel dont cinq numéros ont été diffusés en kiosque (1986). A travers les rubriques régulières, Rencontre, Dossier, Connaître, Modes de vie et Magazine, la revue s’est efforcée de rendre compte de la création artistique et de l’évolution des mœurs, tant en France qu’à l’étranger. Trois Albums ont été publiés : Cocteau, Colette, et T. Williams.
Origine et originalités de la revue Masques
paru dans Entrevue mars 2023
Je ne développerai guère l’historique de la revue dans cet article puisque l’essentiel est déjà accessible sur le site revuemasques.fr. Je m’attacherai plutôt à faire ressortir l’originalité de notre démarche, à l’époque (1979) et probablement plus encore aujourd’hui, l’évolution des contenus et de la rédaction avant de terminer par la création du site internet en 2012.
L’ORIGINALITE DE LA DEMARCHE
Les créateur/trices de Masques refusaient toute logique communautariste ! Pas question pour eux de prendre la suite d’Arcadie, célèbre revue homophile créé en 1954 par André Baudry, époque où les lieux gais étaient inexistants hormis les zones de drague pour les hommes et quelques clubs pour les lesbiennes Pas plus que de nous inscrire dans la presse homosexuelle qui allait, après plusieurs échecs, en avril 1979,voir la naissance du célèbre Gai-Pied. Notre volonté était autre : refuser l’assignation sociale qui était imposée aux homosexuels et aux lesbiennes depuis des décennies. Pour faire court, nous ne voulions pas être les pédés/goudous de service, au mieux tolérés, le plus souvent moqués et parfois agressés ou arrêtés (jusqu’en 1982 pour les hommes). Nous n’étions nullement hostile au ghetto gai commercial qui commençait à se développer dans les années 70 : il avait évidemment son utilité et nous le fréquentions d’ailleurs ! Les cabarets lesbiens existaient depuis longtemps, dès l’entre deux guerre, mais les boites de nuit avec back room, venues des USA apparaissent à Paris à la fin des années 1970 (cf le célèbre procès du Manhattan). Il était donc parfaitement possible, après la suppression des alinéas anti-homosexuels de 1982, pour un/une homosexuel/le de vivre librement, même en couple, en restant discret/e quant à sa tenue vestimentaire, et en s’interdisant toute effusion publique… .Bref à condition de porter un masque ! Ce n’était d’ailleurs pas vraiment nouveau : Jean Marais et Cocteau étaient reconnus, tout comme Colette ou Marguerite Yourcenar sans même évoquer Proust ou Gide: leur célébrité les protégeait.
Une précision : le groupe d’ami/es qui fonda Masques s’était rencontré au GLH-PQ ( Groupe de libération homosexuel-Politique et quotidien) et/ ou à la commission homosexualité de la Ligue communiste révolutionnaire.(cf le site internet Masques-rubrique histoire). Pour nous, il était hors de question d’accepter cette tolérance et la place qui nous était assignée. Nous entendions bien quitter notre masque et vivre comme nous l’entendions. Ce qui, reconnaissons-le, était une attitude déjà largement répandue, et incarnée par exemple par Jean Louis Bory ou Yves Navarre. Mais surtout nous entendions questionner la société à partir de notre regard et de notre vécu, « porter un regard gai sur le monde » affirmait la préface, pour le questionner et le transformer. Immense défi, surtout pour une revue, qui plus est dépourvue de moyens financiers car nous n’intéressions pas les annonceurs ciblant le public gai !