Mon regard sur ma vie, esquisse d’autobiographie

 

Mon regard sur ma vie

Esquisse d’autobiographie

 

Les nombreuses raisons que j’avais d’écrire pourraient toutes commencer par un « pourquoi ».

Pourquoi suis-je homosexuel ? Pourquoi si « radicalement » différent ?

Pourquoi cela s’est passé comme cela dans la famille où je suis né ?

Pourquoi suis-je (si/le) seul dans cette famille-là ?

Pourquoi ma famille élargie est-elle si peu accueillante ?

Pourquoi cette société humaine, armée par l’Eglise, réagit-elle comme cela à mon égard ?

Pourquoi ma famille d’une façon plus générale a fait ce cheminement-là qui fait que je suis apparu là en telle année et ait vécu cette période-là de la vie de du monde ?

Pourquoi Marseille, pourquoi la France, pourquoi le monde, et comment ont-ils façonné le milieu social qui m’a accueilli ?

 

Confronté à toutes ces questions, je n’ai pas nécessairement trouvé des réponses, j’ai plutôt cherché à comprendre, j’ai analysé et fouillé la dimension historique des choses, avec tous les outils que ma vie universitaire, militante et professionnelle m’a donné.

La question des inégalités très fortes dans la société m’a hanté, j’ai voulu analyser tout cela de plus près. Je me vois un peu à mi-chemin de cette société, ni riche, ni pauvre, mais je me sens aussi particulièrement bien placé pour voir les multiples aspects de la richesse des uns (par mes origines familiales et sociales) et constater la misère des autres (par ma vie professionnelle ou associative).

Lorsque je m’attarde sur les aspects plus intimes de ma vie, je ne peux pas ne pas être frappé par les carapaces dont ceux qui ont les richesses se sont entourés, protections sociales et morales de toutes sortes qui créent une sorte de schizophrénie pour ceux qui proclament un discours bienveillant (ceux-là souvent mus par la religion font bien le partage entre ce qu’on dit et ce qu’on fait) et ceux qui sont sûrs de leur bon droit, celui de l’autorité, de la morale et du pouvoir.

 

Et puis, au fur et à mesure que j’ai avancé, que j’ai montré à mes proches toutes ces recherches que je faisais sur nos parents, nos amis, nos proches, sur eux-mêmes, j’ai mieux compris qu’eux-mêmes étaient, chacun à leur manière, « différents ».

Ils n’étaient pas tous semblables et moi « différent », ils étaient susceptibles de m’entendre, de comprendre ma démarche, de se découvrir à travers mes recherches.

 

Mon histoire

Un regard personnel

 

Mon regard sur moi-même

Ecrire mon histoire et celle de ma famille lorsqu’enfin j’en ai le temps, mais aussi lorsqu’enfin je n’ai plus les contraintes de devoir me tenir. Comment savoir ce qu’aurait été ma vie si je m’étais davantage laissé aller, davantage débrider ? Aurais-été une grande folle, lubrique et dépensière ?  Aurais-je été inadapté ? Aurais-je fait un tout autre métier ? Lorsque je me suis « dévergondé » dans les années 1980, j’ai connu ce que d’aucuns expriment dans l’expression « les vertiges de l’amour », la capacité à « partir » ailleurs, se laisser déraper pour vivre mieux et plus. Ce décalage d’avec soi-même donne parfois le vertige en même temps que le sentiment de vivre enfin pleinement. Et si j’ai dérivé ce n’est pas pour aller beaucoup plus loin. Je me suis tenu dans des limites, celle que mon corps ou ma morale admettait. Au fond, j’ai toujours eu le sentiment d’avoir été construit de sorte que je n’aurais pas pu être bien autres choses que ce que j’ai été. Il a fallu vivre tout cela pour que je puisse enfin sur le tard, faire le tour de moi-même.

 

Mon regard sur ma famille

La mise à distance m’est apparue nécessaire. Parler de soi à la 3ème personne m’a permis de prendre du recul et de s’observer soi-même en train de vivre au milieu des autres, peu ou prou comme les autres, même si le « il » qui concerne Christian m’est inévitablement beaucoup mieux connu. Il est temps de passer à la 1ère personne du singulier.

En revanche, connaître et tenter d’analyser la vie des autres m’est beaucoup plus difficile.

Toutes les difficultés rencontrées

 

Un regard affuté ?

Depuis l’enfance je suis un peu une éponge, tout ce que j’ai vécu reste vif dans ma mémoire

Est-ce un phénomène analogue à celui qui se passe pour mon frère Michel, sourd-muet, qui a tous ses autres sens très développés et s’est construit une mémoire importante liée à ses autres sens ? Et qui ferait que moi aussi j’ai mes zones d’hypertrophies mémorielles. Liée à ma sensibilité propre, liée à mon non désir hétérosexuel, liée à mon approche sensuelle et affective différente des autres ?

Ou est-ce seulement une curiosité propre, où depuis l’enfance je veux toujours répertorier, cataloguer, pour mieux me souvenir, pour rassembler tout ce que je sais dans un domaine ou un autre et le synthétiser pour en avoir une vision d’ensemble

 

Un angle d’approche personnel

Mon angle d’approche est marqué,

par mes études,

par ma vie professionnelle,

par mes préoccupations,

par ma liberté,

par mon célibat,

par mon homosexualité aussi

 

 

L’angle d’approche liée à l’homosexualité

Avoir un regard d’homosexuel sur sa famille n’est pas un avantage particulier, c’est en même temps une opportunité, celle d’avoir un regard différent, décalé.

Cela ne procure pas de grille de lecture particulière. En revanche, le fait d’avoir fait un travail important sur soi-même pour prendre sa place et peu à peu l’imposer, est extrêmement précieux pour tenter de comprendre les autres, après avoir tenté de se comprendre soi-même.

 

Être homosexuel donne un angle d’approche particulier qui permet d’être sensible aux aspects les plus moralisateurs de l’éducation donnée, du milieu social et de ses principes.

Il permet aussi de voir sous un autre angle les dogmes religieux qui ont cru possible de prôner une société sans homosexualité, c’est-à-dire non seulement niant l’existence du désir homosexuel, mais aussi bannissant les homosexuels.

Et donc coupant la société d’une partie d’elle-même, comme on pourrait refuser l’existence des aveugles, des culs-de-jattes ou des rouquins.

Il ne donne pas une capacité d’analyse plus riche ou plus large.

Il affute sans doute l’esprit, comme la pratique de la psychologie, de la sociologie, de la géographie, de la mathématique ou de la philosophie, donne des outils nouveaux pour comprendre le monde ou pour comprendre les autres.

 

Mon parcours d’homosexuel

 

Un milieu familial hors sexualité

On ne parle pas de sexualité. Ce sont des choses qui ne s’expriment pas, qui ne se partagent pas. Ce sont des choses cachées dont on ne sait si elles sont sales, on le suppose, le sexe lui-même est sale, immorales. Ou si elles sont nos exprimables (il n’y a pas de mot pour en parler), relativisées (il y a tant d’autres choses qui sont importantes), à tenir à distance compte tenu du regard de notre « conscience », de notre ange gardien, du Christ et de Dieu. Si elles sont inéluctables, chacun fera son apprentissage en temps voulu, lorsqu’il sera au pied du mur.

Mon père, Xavier a souhaité avoir beaucoup d’enfants, et il a eu beaucoup d’enfants, sans doute le « croissez et multipliez » de la Bible a-t-il joué un rôle majeur dans son esprit.

Mais il a été aussi très marqué par la grande difficulté qu’il a eu à maîtriser son désir sexuel lorsqu’il était adolescent et jeune homme, ou plus exactement par la culpabilité avec laquelle il a vécu toute cette période, au point de se flageller, au moins au sens figuré, en faisant de nombreuses pénitences et méditations, en se confessant et en communiant pour essayer de dominer ces tentations et ces péchés, « par pensée et par action ».  Il se croyait un peu (ou beaucoup ?) « maudit » par ce terrible désir qui le tenaillait et que par son éducation très rigoureuse, il jugeait condamnable et condamné.

Xavier a-t-il jamais vu son épouse nue ? Dans les années 1950 en Normandie un homme qui a eu 12 enfants n’a jamais vu son épouse nue, les chemises de nuit dissimulaient la nudité ; Xavier est d’une époque où le corps doit se cacher, le plaisir n’est pas de mise, la luxure est bannie, mais il faut faire avec pour « croitre et multiplier ».

Peut-être s’est-il quelque peu « racheté » lorsqu’il a pu exprimer ce désir sexuel en toute liberté à la face de Dieu. Et avec le consentement d’une épouse plus ou moins consentante, en tout cas éduquée dans la mémoire de cette aïeule qui a eu plus de 20 enfants, entourée de cousines (Noëlle Favre par exemple) et d’amies qui avaient généralement pas mal d’enfants, dans une époque nataliste encouragée avant-guerre (trop de soldats étaient tombés au front en 1914-1918), poursuivie lors du régime de Vichy (la médaille des familles nombreuses) et renouvelée après la 2ème guerre mondiale, la reconstruction était aussi une reconstruction démographique. Si mon frère Bernard est mort dans les mois qui ont suivi sa naissance, c’était en 1944-45 l’année du plus faible taux de natalité que la France ait connue. Pour ma part, j’étais le 6ème enfant, je suis né en 1946, l’année du « baby boom », et mes 4 frères et sœurs suivants seront enfants du renouveau démographique français.

Mes frères et sœurs, comme moi ont été confrontés à ce grand brouillard de la sexualité. Mais les étapes liées aux débats sur la sexualité en France (et au-delà) montreront que ce grand brouillard était largement partagé, chaque fois que sera évoqué quelque chose qui concerne la sexualité, ce sera un tollé. Déjà la question du mariage mixte (catholique-protestant) provoque bien des interrogations, une méthode non naturelle pour éviter d’avoir des enfants plus encore, alors lorsque viendra le temps de la pilule, du préservatif et plus encore de l’IVG, ce sera le temps des levées de bouclier.

Paradoxalement, chaque fois que des décisions seront prises ou que des débats auront lieu, ils seront écoutés attentivement, participant de façon inattendue à la diffusion d’informations bien peu connues. La société dans son ensemble s’est révélée aveugle, prude, mal informée, c’était peut-être une consolation pour des jeunes qui voulait savoir et comprendre, ils apprenaient en même temps que les autres. Mais il se rajoutait dans certaines familles et en particulier dans la mienne, un bocage moral lié aux nombreux interdits de l’Eglise consistant à dire, ou du moins à laisser entendre, vous ne savez pas, mais c’est mieux comme cela, évitez de regarder et d’écouter toutes ces choses dangereuses. Et s’il vous arrive de mauvaises pensées, confessez-vous ! La société s’ouvrait dans son ensemble, mais une partie de cette société refusait cette ouverture et multipliait les mises en garde devant ce monde inspiré par le démon, celui de la corruption et des choses sales du sexe, de l’exhibitionnisme et de l’impudeur, ce monde osait parler de ces choses, employer des mots maudits, les mettre sur la place publique, mais il osait aussi les montrer !

 

L’énigme de la toilette

Ma chambre est partagée avec celle de mon frère qui a 4 ans de plus que moi, elle est accolée à la salle de bain utilisée aussi par mes parents. Je n’ai jamais très bien su comment mes parents faisaient leur toilette, peut-être n’ai-je pas assez fait attention à l’usage de la douche, en tout cas la baignoire me semble n’avoir jamais servi. En fait, le gant de toilette était le principal instrument du lavage pour chacun des parents. Notre père se couchait après nous, peut-être étions-nous endormis et incapable de l’entendre faire ses ablutions de fin de journée, je ne l’entendais pas davantage le matin. Pour ma mère, un jour je suis arrivé à la salle de bain alors que l’eau tiède qui lui servait à se débarbouiller « le haut » était encore dans le lavabo, je ne l’ai sinon, pas davantage entendue. Mon père avait ses serviettes à gauche du lavabo, et ma mère celles qui étaient à droite du lavabo. Nous utilisions les mêmes serviettes, énigmatiquement désignées, celle « du haut » et celle « du bas ».

Je ne me suis mis que très tard à prendre une douche sur un bac incommode, entouré d’un rideau de plastique blanc, n’ayant jamais vu personne l’utiliser (à moins que je n’ai guère été attentif au bruit de cette douche qui pourtant se trouvait derrière le mur sur lequel s’appuyait la tête de mon lit…), j’ai mis du temps à me faire à cette idée, il est vrai que ce bac à douche mal commode était non pas dans un coin isolé mais un peu au milieu de la salle de bain, il fallait passer devant pour utiliser la cuvette de WC.

Cette incapacité de me prendre en charge dans toute ma nudité (les « risques d’érotisation et d’érection » aidant) et l’absence de miroir qui me donne une occasion de me voir nu, ont entretenu un immense flou en ce qui concerne mon propre corps.

Ainsi, j’ai découvert très tard que mon prépuce, non nettoyé, préservait autour du gland une espèce de pommade desséchée (que plus tard un ami, Gérard, sans doute, familiarisé avec ce genre de découverte chez les garçons, moquera sous le nom de « fromage »).  Un réservoir à sperme desséché se constituait malaisément dans ce petit espace.

Pour poursuivre dans ce sens, ce n’est que des années plus tard (déjà étudiant à Parsi, donc vers 20 ans) que je déduirai que peut-être mon sexe ne « fonctionnait » pas normalement, le prépuce ne découvrant pas le gland quand je bandais, tenter de tirer sur le prépuce pour dégager le gland me faisait mal. J’apprendrais plus part que j’étais atteint de phimosis. Mais je ferai avec, peu à peu ce « muscle » (le frein apprendrais-je), à force de mouvements délicats ou plus brusques, se déchirera libérant le gland. Mais il me restera toujours un resserrement du la peau au-dessous du gland, plutôt mal commode, douloureux dans un (long) premier temps lorsque je bandais, puis habituel. Toutes ces incommodités inexpliquées ont été sources fréquentes de toutes sortes de complexes…

 

La méconnaissance du corps

L’éducation reçue, par moi, mais aussi par mes frères et sœurs en ce qui concerne le corps – nos corps – est quasiment inexistante ; le fait qu’en 2016, Chantal s’interroge, après l’opération d’ablation de l’utérus de Geneviève en est la meilleure expression, certes étant consacrée et menant une vie de religieuse avec vœu de chasteté, elle n’a pas eu de raison, à 80 ans, de s’interroger sur ces choses, mais elle est l’ainée et elle avoue, sans le vouloir, toute cette misère de la méconnaissance, la sienne et celles des autres, ils ont tous appris, comme ils ont pu ; nous n’avons rien appris sur le sexe et sur notre corps, sur la rencontre sexuelle aussi, dans la famille, nous ne risquions pas d’apprendre quoi que ce soit sur la question de l’orientation sexuelle, sur les modalités du désir…

La naïveté et la fragilité

Cette naïveté générale est pour moi facteur de fragilité. Je suis exposé à la manipulation car je n’ai pas appris à me défendre. Par ma naïveté je suis plus fragile que d’autres. Lorsque viendra le temps de l’incursion d’adultes dans mon intimité (un prêtre qui cherchera à me faire parler de mon intimité pour me contraindre à confesser mes mauvaises pensées ou mes mauvaises pratiques), je serai complètement désarmé. D’autres se protègeront face à de telles incursions, moi je prendrai les choses à la lettre. D’autres en prendront et en laisseront, moi je prendrai la totalité. Je serai complètement vulnérable. Plus largement je resterai longtemps crédule, croyant volontiers tout ce que j’entends, et je serai très vulnérable aux remarques grinçantes, ne supportant pas l’ironie, prenant toujours au premier degré ce que les autres laissent « pisser » comme on dit alors. Tout me heurtera, tout me fera rougir, craignant de m’être dévoilé sans m’en rendre compte. Je ne saurai pas me défendre, ou au moins me protéger.

Je ne serai pas le seul dans ce cas, ma sœur Hélène – qui restera plus naïve que moi, bien plus longtemps – se trouvera livrée à l’extérieur, sans défense, et aura à en souffrir sévèrement.

 

 

Un milieu familial entre ignorance et hostilité à l’égard de l’homosexualité

Les générations passées sont des générations d’ignorance et de dénégation à l’égard de l’homosexualité, soit parce qu’elle est très marginale et très dissimulée, soit parce qu’elle est niée avec force. Personne n’a vu cela, on n’en prononce pas le nom, on n’imagine pas que cela puisse exister, sauf comme une dépravation inavouable, un péché comme le serait la prostitution. Le divorce et l’adultère ne sont jamais évoqué, il est impensable que l’homosexualité le soit. J’ai vécu dans ce bain-là, celui du non-dit. On dit à demi-mot que tel ou tel parent éloigné ou personne connue a eu un tel comportement, on l’oublie aussi vite, on n’en parle pas. Comme il est normal de détourner son attention du péché, tout le monde peut pécher. On sera tolérant à l’égard de ceux qui ont péché, ils pourront se racheter.

 

Mon père ne connaît pas l’homosexualité, ou s’il la connait (ce qui est vraisemblable car de loin en loin il en a des échos) elle est en dehors de son langage, elle n’a pas de nom. Elle aurait eu un nm, cela lui aurait donné une existence à mes yeux. Mais le black-out la rend non seulement inexistante, mais impossible. Elle est vraisemblablement réfugiée dans un immense trou noir, entre la malédiction de Sodome et Gomorrhe, et la terrible « mollitia » du Moyen Age, proclamée par Saint Jérôme (l’homme, consécration de la création ne peut pas vivre comme une femme, déchoir et trahir la destinée de son genre). En s’accrochant à des mots abstraits comme la « mollesse » – si tant est que ce mot soit utilisé par lui à ce propos -, Xavier n’est pas aisément compréhensible pour un adolescent, de qui parle-t-il en particulier ? de quoi parle-t-il vraiment ? Je ne me sens pas davantage concerné que quand un père jésuite m’a parlé de cet autre mot abscons, la « pureté ».

 

Des années après, je me souviendrais que mon père, Xavier, avait passé une partie de son enfance à Gourdans. Depuis Prissé, sa mère l’envoyait volontiers chez cet oncle Louis, le marquis qui avait proposé à Mamé, sa mère, devenue veuve de s’occuper du petit Xavier comme de ses propres enfants. Xavier allait volontiers chez cet oncle affectueux, passer du bon temps avec ses cousins, Louis, son contemporain, et Jean. Louis s’avèrera homosexuel, Xavier a dû découvrir cela peu à peu. Louis a du tout faire pour le cacher, il s’est engagé dans l’armée, il a fait un bon mariage avec tante Gilette (de Benque) qui a hérité d’un magnifique château à Saint-Hilaire s/Charlieu. Ils n’auront pas d’enfant. Avant que ses frasques ne révèlent publiquement son homosexualité au tournant des années 1960-1970 au Jockey Club, peut-être Xavier avait-t-il déjà des pressentiments, a-t-il eu des échos, a-t-il entendu des rumeurs ? En tout cas il devait être au fait que l’homosexualité existait quelque part, dans sa propre famille. Et cela a-t-il résonné dans sa tête lorsque Paris Match a révélé publiquement l’homosexualité de son propre fils en 1979. Il n’avait jamais rien dit à propos des mœurs de Louis (dommage parce que ça aurait été bien utile à son fils), ce n’était pas du tout son genre de « médire » de quelqu’un ou de rapporter des rumeurs. Louis devenu marquis à son tour restait une référence. Xavier n’avait pas hésité à laisser Christian, adolescent, aller à la chasse en Chartreuse où son cousin Louis invitait son fils, une battue et de bons repas regroupant de nombreux chasseurs.

 

Lorsque la question de l’homosexualité va commencer à se poser, a fortiori de la part d’un proche qui ose s’en prévaloir, tout est différent. Il faut dire qu’auparavant de nombreuses batailles ont été menées qui ont donné l’occasion d’aiguiser les arguments moraux : les prêtres qui ont défroqué dans les années 1960, et sont même allés jusqu’à se marier, les divorces qui ont été autorisés, la contraception qui a osé entrer dans la loi au détriment des méthodes naturelles, l’avortement qui a été légalisé dans les années 1970 a sérieusement fait déborder le vase. Dans ce contexte l’homosexualité exhibée a été une étape de trop.

Il y a une incompatibilité fondamentale entre l’homosexualité et l’enseignement de l’Eglise. Elle touche une corde extrêmement sensible, au même niveau que la vie (l’avortement) et la mort (que personne n’a le droit de devancer). C’est une ligne jaune, infranchissable. L’Eglise se donne là-dessus un droit de regard absolu. Ce regard déteste s’embarrasser de considérations sur une homosexualité qui serait innée, elle ne peut être qu’un caprice, un choix, une volonté de l’homme et de son désir perverti. C’est l’hétérosexualité qui est innée, l’homosexualité ne peut être qu’acquise (culturelle). Accepter l’homosexualité, c’est vouloir porter un coup fatal à l’Eglise, et au-delà à la société dans son ensemble.

Il y a dès lors un moment où on ne peut plus être tolérant, car tout risque de s’écrouler.

C’est dans ce contexte que je me suis trouvé (que je me trouve).

 

La rupture vis-à-vis de la famille, c’est un ensemble de ruptures, avec une certaine incapacité à faire « la part des choses » (entre ce qu’on pense et ce qu’on vit), ce sont des ruptures multiples mais aussi un certain repli sur soi, avec catalogage des choses et des gens et préventions à l’égard des gens. Il me faut rompre pour vivre libre.

 

Après le grand retrait

Le retour au milieu social d’origine – ou tout au moins, à l’analyse de ce milieu social – est à la fois très utile et instructif, sur les modalités de construction de ce milieu social (endogamie, protection, sécurité, morale, etc.), et décevant, comme si le retrait par rapport au milieu d’origine trouvait tout naturellement sa justification.

Les affaires liées à la succession favorisent ce retour au cercle familial restreint. Celui-ci est fort nécessaire, il faut réapprendre à se parler pour travailler ensemble, se défendre ensemble et ne pas laisser sur le côté les plus faibles dans ce combat inégal avec un beau-frère terrible et odieux. Il est riche de souvenirs, de mémoire, de tentative de compréhension collective de tout ce qui a conduite à cette situation, des difficultés traversées ensemble depuis l’enfance (psychologiques, morales, religieuses) et des prémices des violences et des affrontements d’aujourd’hui.

Mais ce retour est aussi un peu terrifiant, il met en évidence l’ampleur des béances de l’éducation, des échecs de cette vie familiale, des manques de maturation.

Ce retour met aussi en évidence bien des choses sur les faiblesses et les limites du milieu social dans lequel a baigné cette famille, bien des défauts repérés dans le cercle restreint sont présents dans le cercle élargi. L’ouverture d’esprit n’est pas très présente ailleurs. Les affrontements, les conflits familiaux sont très partagés.

Au-delà, dans le milieu familial élargi, comme dans le milieu social élargi, les références morales, les valeurs, les références, les impératifs sont terriblement excluant, les concessions à la liberté des autres sont limitées. Certes les séparations, les divorces, les conflits sont admis, en silence le plus souvent, on s’y résigne, on ne s’en vante pas. En revanche l’homosexualité reste in-tolérée et bannie. C’est le moins supporté et le moins supportable. Cela justifie a posteriori le grand retrait qui avait été choisi au début.

 

 

L’éveil 1946-1965

A 2 ans, je fais tout pour utiliser ma situation de petit emmailloté pour apercevoir le sexe de mon père Xavier pendant que ma mère Claude m’a monté sur la planche qui recouvre la baignoire, située face à la cuvette des WC. Ma curiosité mêlée d’émotion commence très tôt.

A Notre-Dame de France, en 10ème, je suis très attiré par un regroupement des petits garçons (et filles) destiné à s’exhiber et à regarder le sexe d’un autre, un peu volontaire je me laisse un peu violer, sans doute les avais-je un peu provoqués

 

Dès le petit collège, premières tentations, 1èrs attouchements. Claude Guez laisse apercevoir ses couilles en s’asseyant ostensiblement, avec ses jambes, relevées et écartées, et sa culotte courte évasée, quelques jours plus tard je ferai la même chose, en 8ème sans doute. Derrière un bosquet, avec Claude Vie (futur architecte), nous nous sommes donnés rendez-vous pour nous montrer nos sexes et prendre plaisir à toucher nos sexes, c’est en 7ème

A l’Armande, enfant j’ai eu l’occasion de la même d’aller dans un bosquet avec un garçon. Et un jour, en présence de ma sœur Odile, je propose à François Perrone qu’elle aime bien d’aller à l’écart pour faire de même. Je ne sais si Odile comprend de quoi il en retourne dans mon esprit, elle ne dit rien. François Perrone lui, réagit, son argument : non je ne peux pas parce que je dois dire tout ce que je fais à mes parents.

 

A Monêtier-les Bains, en été nous jouons avec les enfants de Garam, près de leur chalet, en bas du village (qui est alors loin de tout, mais sera plus tard au pied des pistes de ski), près de la Guisane, je suis moins attiré par la copine de ma sœur que par le slip de bain du frère un plus âgé, Charles, qui nous apprend des jeux, il laisse apparaître de façon assez éloquente pour mes yeux attentifs le relief d’un joli petit sexe qui me fascine.

 

A Rosas, j’ai 10 ans ou 11 peut-être, je me tiens bras dessus bras dessous le fils d’un ami de mes parents, pied-noir revenu du Maroc, le long du port, il y a une tendresse entre nous. Très vite on me fait comprendre que 2 garçons ne peuvent se tenir comme cela. Quelques années plus tard, ce garçon viendra à l’Armande, je ne sais pas pourquoi mais je suis heureux de le revoir, et on va dormir au sol sur des pseudos matelas au belvédère à côté l’un de l’autre.

 

Un jour la villa d’à côté est en travaux – elle va deviendra bien plus tard le centre Saint-Paul pour handicapés – ce sont des travailleurs immigrés qui sont là. Au moment de la pose, dans un coin ombragé, visible à travers le grillage depuis l’Armande, je suis attiré par un manège qui m’émoustille, deux adultes ont entrepris de déshabiller de force un jeune ouvrier. Je me dépêche d’aller prévenir mes jeunes frères et sœurs, ils viennent avec moi en courant. Nous arrivons au moment où le pantalon et le slip vont commencer à descendre. Lorsqu’ils voient le groupe d’enfants, ils hésitent, et ils arrêtent tout. Nous avons sauvé le jeune homme, mais ma déception est grande.

 

Jeune adolescent, j’ai des émotions et des interrogations sur moi, sur les autres, ainsi un jour d’été bd Vauban, je vois un homme torse nu, en se penchant pour prendre de l’eau à la fontaine de rue, il a la poitrine qui tombe, je crois voir des seins, l’émotion est grande, j’en parle aux parents, à table, on m’interroge davantage, puis on classe l’affaire.

Une autre fois dans la voiture de mon père, je prononce le mot testicule, sans trop comprendre de quoi je parle, cela provoque un silence gêné de mon père. J’ai compris que j’avais prononcé une incongruité.

 

Une nuit, je me retrouve chez des amis, les Lionne, dont le papa est magistrat, ils résident dans un appartement aux Docks, Bernard Lionne est mon camarade de classe, je dors dans son grand lit. Avec stupeur je constate que la nudité n’est pas un problème pour eux lorsqu’ils déambulent d’une chambre à l’autre. Je suis excité et mon sexe devient alors un centre d’intérêt inattendu.

 

A l’occasion d’une tournée familiale en camping (1958, voyage à Bruxelles à l’occasion de l’Exposition universelle sans doute, j’ai 12 ans), je suis inévitablement attiré, dans l’immense hangar qui abrite les WC, douches et lavabos pour les hommes, par tel ou tel corps d’homme que j’aperçois sous la douche au loin, rideau non tiré, mon père s’efforce d’occuper mon attention. Il est un peu gêné d’amener un si jeune enfant dans un lieu où les campeurs ont peu de pudeur.

 

En 1958, j’ai 12 ans, nous voyageons en famille, je suis émerveillé par l’Exposition universelle de Bruxelles qui propose mille attractions fabuleuses pour les enfants, labyrinthe de glaces, envolées en l’air, centrifugeuse, tunnels obscurs, etc. ; à un moment j’oublie complètement ma famille, je recommence les jeux, un monsieur me repère, il me voit tellement heureux qu’il me paie encore et encore des entrées, je ne pense plus qu’à cela. Au bout d’un long moment, mon père me retrouve, étourdi je ne vois pas son désarroi, il engueule ce monsieur si sympathique. Ni lui, ni moi n’a vu à mal, mais Xavier n’est pas content, et me met en garde pour l’avenir…

 

En 5ème, minuit sonnant, avec Bruno Ravanas, et quelques autres (Flanaghan, etc.). Se toucher dans le noir. Mais j’étais le seul à faire des tentatives plus osées dont j’ai tellement envie. Je me réfrène. Je n’ai pas de blocage, mais je découvre que les autres n’ont pas de désirs, à moins qu’ils n’aient des blocages… comme François Perrone quelques années auparavant.

 

Quelques années plus tard, en 4ème, je fais remarquer à Gérard Dubout qui sort des WC que j’ai été étonné par sa capacité à pisser très haut sur le mur car le viens de voir en allant dans le WC après lui que de la pisse dégouline à hauteur de mes yeux, il est sans doute éveillé par mes propos, et quelques mois plus tard lors d’une sortie de week-end (ou d’un camp) nous cheminons ensemble dans un bois et nous nous touchons les sexes avec un immense plaisir.

Mais je me croirais obligé d’en parler en confession au père Perroy, mon père spirituel…

 

Les activités sportives que nous propose le professeur d’éducation physique sont nombreuses, nous allons nager au Cercle des nageurs, nous faisons du cheval du côté des Pennes Mirabeau. Et je choisis, sans trop savoir de quoi il s’agit, de faire de l’aviron. En fait d’aviron il s’agit essentiellement d’entraînement en bassin au Rowing club du Carénage, les sorties en mer ne sont pas trop envisagées à ce stade. Entrainement fini, je vis un moment extraordinaire, c’est la 1ère apparition d’un homme nu de face, un bel homme en train tout simplement de se changer dans le vestiaire. Je n’en crois pas mes yeux, je suis bouleversé.

 

En 3ème, lors d’un camp d’été des Petits chanteurs de Provence, je me retrouve dans la même tente que d’autres membres de ma patrouille « Aigles toujours ? Prêts !», nous sommes 5 par tente, je suis à côté du chef de patrouille, Patrice Jauffret ; il sollicite ses voisins, je ne sais pas ce qu’il fait avec le sexe de son voisin de droite, mais il m’autorise à toucher son sexe, et c’est pour moi un émerveillement tant son sexe et soyeux, tant se mêle l’admiration que j’ai pour ce garçon qui est mon chef et qui est plus âgé, donc plus formé, que moi, et le désir ; cette rencontre est sans doute le choc le plus important. Le copain Pialet décidera de quitter cette tante, et alors que je tenterai de lui faire comprendre qu’il a eu bien tort car nous avons continué à nous amuser après son départ, il me renverra dans mes filets en disant assez fort pour que d’autres l’entendent, qu’il ne s’intéresse pas à toutes « vos saloperies ».

A Monétier-les Bains, en été, le pli est pris, et je me retrouve une 1ère fois avec Denis Pinatel, dans la vieille maison de village où nous avons nos 1ères vacances dans ce village (la maison de Miss 1900 comme dit Odile), dans une chambre, pendant que toute la famille est partie, nous pouvons nous toucher librement, entièrement nus, là encore Denis a un sexe bien formé et dressé, alors que je me sens moins précoce sans doute, un peu honteux mais affolé de plaisir ; la fois suivante un cousin Guiol se mêle à nous, il hésite, il n’a pas très envie, mais il est attiré à son tour, il se met nu, en érection, et là je vois que son sexe est moins formé, sa timidité et son petit sexe sont moins attrayants pour moi. Nous nous mettons à 4 pattes, nus, en érection. Nous ne touchons pas beaucoup mais nous aimons cette liberté. Une fois, lorsque la famille revient un peu plus tôt que d’habitude, maman ou quelqu’un d’autre nous interroge « Vous êtes restés là ! ». Les fois suivantes, nous nous retrouveront dans les combles du chalet Pinatel, là le fantasme de Denis est de descendre la culotte et de resté assis le sexe bandé en lisant des bandes dessinées, nous y prenons grand plaisir, plus ou moins bien assis entre les poutres de la toiture.

Cette période de désirs au naturel s’entrecroise bientôt avec la phase culpabilisation.

 

C’est d’ailleurs une attitude constante chez moi de « choisir » comme par hasard des amis qui ne sont pas susceptibles d’être désirés. Jean-Michel Girardot, l’un des seuls amis que j’ai amené à l’Armande quand j’étais encore jeune, en 5ème je crois, était plutôt gros et « empoté ».

 

Plus tard, à partir de la 3ème, sont venus à la maison François de Muizon, Daniel Hardouin et Jean Barkhausen, c’était pour moi une chance d’avoir des amis avec lesquels rien n’était présupposé, avec lesquels je faisais mille choses (sport, balades à vélo et mobylette, soirées). Enfin des amis, surtout François avec qui je fais du tennis, il n’habite pas loin, au Trioulet. Mais des amis avec lesquels les liens ne sont pas intimes, je sens que beaucoup de choses me tiens à distance. François commence à fréquenter Cécile Delannoy, c’est quelque chose qui m’est un peu étranger. Je suis ailleurs. Même si j’aime bien les fêtes, pour danser de façon échevelée. C’est pour moi du sport, de l’exaltation. Ce n’est pas pour moi, comme pour les autres, prétexte à rencontre, flirt, désir. Les filles sont sympas, le cercle s’est étendu. Les prétextes à sortir sont plus nombreux. Je suis dans le tourbillon… des autres.

 

En Angleterre, c’est l’été (à la fin de la seconde ?) une groupe de français en vacances ou en révision d’anglais – plus ou moins accéléré – de l’organisation Turgis, nous nous retrouvons entre garçons, un jeune niçois excité par sa nouvelle liberté tire vers l’avant l’élastique de son short, je suis stupéfait et surtout je me retiens de regarder aussitôt ce qu’il y a dans ce short magique ; à la piscine de Surbiton, encore des émotions, les portes de ceux qui se changent restent ouvertes, je ferme soigneusement la mienne, puis surprise en sortant une jeune garçon se change ostensiblement, même si tout va très vite, je suis remué et curieux, il a un sexe pendant étonnamment long, là aussi l’émotion restera longtemps à la vue, même furtive, de cette nudité si rare.

 

Le père spirituel chez les jésuites, surtout le père Perroy, le 1er qui veut aller dans les détails, et dès lors je me croirais obligé de me livrer aux autres (Chomienne, de Mauroy ou Charon, de la 4ème à la philo), veille au grain, il interroge, suspicieusement, lors des convocations en salle d’études, pour les entretiens préalables à la confession, car il n’est pas possible qu’il n’y ait pas anguille sous roche ? « Et la pureté ? » Tu ne sais pas ce que c’est ? As-tu des idées, des fantasmes, des rêves, des actes, liés à la chair ? Le langage est contourné, il faut arriver à se faire comprendre, sans éveiller quoi que ce soit qui ne serait pas encore mûr chez un garçon moins évolué que d’autres, difficile de parler de désir (qu’est-ce que le désir ?), impossible de parler de sexe. Au bout d’un (long) moment, le bouclier est percé, la flèche touche son but, la culpabilité est instillée. Le sous-entendu apparait peu à peu : Oui, il faut que tu me parles de cela dans ta confession. Foin de toutes ces peccadilles dont tu me parles à chaque fois.

Avec l’envoi des projecteurs sur le sexe, arrive le recul nécessaire pour la réflexion sur ce qu’est être adulte, et sur tout ce qui va faire l’adulte, la raison et la chair, le spirituel et la chair, la maîtrise de soi, le contrôle de soi, la sublimation, la transformation du désir en force de construction humaine et sociale, c’est aussi mais je ne le vois pas encore tout ce qui fait le cœur de la vocation du prêtre qui s’est construit en maîtrisant tout cela pour se consacrer au bien des autres. Il faut être adulte en dominant le sexe, il faut aussi un peu être chrétien voué à son Seigneur…

 

Groupe de JEC ? Groupe de Vie chrétienne, c’est plus proche de la spiritualité jésuite, le père Chomienne, je crois, voit que nous sommes des amis assez proches, François de Muizon, Daniel Hardouin et un 4ème, bonne occasion pour lui de creuser avec nous le thème de l’amitié si cher aux adolescents. Chacun s’exprime sur ce thème, puis il pose la question à chacun de nous « pouvez-vous dire que vous avez un vrai ami à qui vous pouvez tout dire ? », oui disent les autres. Est-ce à dire que Daniel et François par exemple se confient sur tout ? Est-ce à dire qu’ils ont ailleurs un ou de très bons amis que je ne connais pas ? Quand mon tour arrive, je réponds « non », pour moi même ces amis proches ne sont pas des confidents, je sais et je pressens que je ne peux pas leur parler de moi au fond des choses, notre relation reste superficielle.

 

En littérature, des écrivains viennent et reviennent, Mauriac avec Thérèse Desqueyroux c’était plutôt en 4ème, Montherlant et Gide en 3ème avec le père Reiner ; Montherlant avec La Ville dont le prince est un enfant et La Reine morte, Gide avec La Porte étroite, par leur modernité ils expriment sans doute bien des questions d’aujourd’hui, l’adolescence et ses tourments, les aspirations idéalistes, les grandes hésitations face à la vie ; j’apprendrai bien plus tard que ce sont des auteurs tiraillés par leur homosexualité, on s’est bien gardé de nous le dire ou peut-être n’en savait-on rien, si l’on avait appris que c’était aussi en tant qu’homosexuels qu’ils se osaient tant de questions, cela m’aurait aidé à mieux les lire et les entendre, et cela aurait sans doute dit bien des choses sur la capacité de ces hommes à créer des espaces de réflexion et de sentiments propres à notre temps ; Mauriac c’est autre chose, j’apprendrai plus tard encore combien il était torturé par ses désirs homosexuels, non assumés, repoussés, refusés, mais assez lucide sur lui-même pour accepter de parler de cette question avec des homosexuels assumés, et cette torture intérieure explique tellement sa crainte permanente du péché, et c’est le péché homosexuel qui transparait dans sa façon de parler du péché hétérosexuel.

 

Je vis parfois des moments de communication intense avec un garçon que je trouve très sympathique, une fois en Creuse, j’étais en seconde, une fois lors du pèlerinage d’Assise-Rome, une autre fois à Gérardmer (mais là c’est plutôt un fantasme porté sur un cousin que je trouve très attirant), dans ces 3 cas je n’étais pas encore étudiant, une autre fois avec un garçon qui m’a pris en auto-stop en arrivant sur Paris, nous étions dans une qualité de communication qui me fera longtemps rêver, d’autres fois c’est moi qui prendrai des garçons en stop qui m’attireront et que je chercherai inconsciemment à séduire (dans les Pyrénées en allant en Espagne, sur l’autoroute entre Aix et Marseille), ou encore sur le bateau pour la Corse.  Mais chaque fois je « m’arrange » pour que ce soit une rencontre impossible, sans débouché, parce que je suis bloqué, parce que je n’entrevois pas la suite possible, parce que – chance ou malchance – c’est un moment éphémère, qui est fini avant même d’avoir commencé.

 

Je joue au tennis souvent avec François de Muizon, nous faisons des balles sur le court de l’Armande. Avant de jouer, nous nous changeons l’un l’autre, lui dans les WC du rez-de-chaussée, moi dans ma chambre. Je suis un peu remué à l’idée que mon ami le plus proche se change, pas loin. Mon sentiment est mêlé, j’ai en même temps le désir de le voir se changer plus près de moi et satisfait qu’il le fasse loin de moi, d’autant que je ne le désire pas particulièrement. Sans désir de sa part, je dois être plutôt à l’abri du désir, je suis surtout dans une curiosité… désirante. Un jour, plus culotté que les autres, je lui demande de venir se changer dans ma chambre, en même temps que moi, il n’y voit pas malice, même s’il ne comprend pas ma demande, il se change dans ma chambre, nous continuons à nous parler pendant que nous nous changeons, la parole détourne l’attention et le regard, au bout du compte c’est plutôt moi qui suis plutôt dans la gêne.

 

L’année du bac au collège, en période de révision, nous partons ensemble – le groupe habituel : François de Muizon, Daniel Hardouin, et Alain Barkhausen dont je me sens moins proche –  en mobylette pour un bain de minuit. Je suis excité à l’idée d’un bain de minuit, j’ai entendu dire qu’ils se prenaient tout nu, je fais une fixation, je me demande comment ça va se passer. Dans le noir, Daniel Hardouin est à côté de moi, il se met tout nu et court dans l’eau ! Pour moi qui attendais cela avec anxiété, c’est plutôt la déception, je me mets à poil et cours dans l’eau à mon tour. Tout est allé vite, sans regard particulier, sans contact, toujours avec la conversation pour détourner l’attention, et … dédramatiser (au moins de ma part). La sublimation toujours.

Je ne suis pas formé à tenir un discours et faire le contraire. Je suis plutôt entier. Et j’ai d’ailleurs tendance à démasquer ceux qui ne font pas ce qu‘ils disent.

A partir de là, je suis soumis à forte pression. Penser au sexe, parler de sexe, toucher mon propre sexe (plutôt rare pour moi qui prends des douches de façons plutôt espacées), tout cela entre en zone de turbulence. Il faut éviter, contourner.

J’amène à la maison un garçon, gentil plutôt empâté et lourd, il s’appelle Girardot, tout ce qu’il faut pour que personne ne s’imagine, à commencer par moi, que je puisse fréquenter des garçons qui attirent l’attention. Déjà donner au change…

 

Heureusement, le groupe d’amis, Daniel Hardouin, François de Muizon, Barkhausen et d’autres, apporte toutes les occasions de ne pas songer à mal, à travers la détente, le vélo, le solex, la mobylette, le tennis. La sublimation se fait aisément. Ils ne sont pas porteurs de désirs.

 

C’est le temps des informations contradictoires, il faut penser avenir et mariage, les amis pensent « naturellement » aux filles, pour certains d’entre eux c’est leur grande préoccupation, leur désir secret permanent, quoique peu d’entre eux en parlent ou se vantent ; mais il n’y a pas de filles autour de nous, il faut aller les chercher ailleurs, savoir les fréquenter, leur parler, les respecter, mais rien n’indique quoi que ce soit sur le modus operandi, pas de vade mecum, débrouillez-vous, les jésuites ne sont pas là pour ça ; et moi je ne suis guère déluré dans ce domaine, ni dans tout autre ; curieusement beaucoup de discours « enseignés » sont des discours de retenu, de crainte, de mise en garde, et plus profondément de prévention à l’égard du sexe, à l’égard de l’autre sexe, tout cela est proche du péché, il faut s’en prémunir, tout cela détourne de Dieu, tout cela privilégie le corps et ses noirceurs, tout cela est perte d’idéal, l’image du bonheur ne peut pas coller avec les nombreux risques de dévoiements dont ces choses-là sont porteuses ; pour tout dire la relation sexuelle avec les femmes est source de péché, sans compter que les femmes sont des tentatrices dont il faut se tenir éloigner ; peu à peu on comprendra que les relations avec les femmes sont possible, mais elle sont grandement codifiées et le mariage en sera peut-être la clef, mais même de lui il faudra se méfier, tant les voies du corps sont viles ; décidément même pour quelqu’un comme moi qui n’est pas « naturellement porté vers les filles, il n’est pas grand-chose qui puissent me pousser à aller regarder de plus près, tout cela est un peu sale, voire avilissant

 

La JEC (jeunesse étudiante chrétienne) s’esquisse, mais elle est très vie remplacée par le groupe Vie Chrétienne qui est plus adaptée au style des jésuites, avec ses revues spirituelles.

Un réseau des élèves des Collèges de jésuites structure les groupes Vie chrétienne sous la houlette du père Latapie, avec textes de prières, retraites, pèlerinages, et camps.

Je deviens peu à peu un bon chrétien, je vais davantage à la messe parce que mon père spirituel m’y incite pour me purifier, et participe volontiers à des moments de prière de groupe ou chacun lit à haute voix un texte ou dit une intention.  Mais depuis ma vie de familles très communautaire avec ses 10 enfants, et depuis les patrouilles des Petits Chanteurs, je suis à l’aise dans la vie de groupe, et ne rechigne ni devant la marche ni devant les tâches à accomplir pour la vie collective.

 

En seconde ou en 1ère, je participe au pèlerinage Assise-Rome pour Pâques qui est une longue marche de plusieurs jours et une belle découverte d’une vie collective avec des jeunes de mon âge issus des autres collèges de jésuite de France, c’est pour moi sympathique et intéressant. Je découvre beaucoup de choses sur les autres collèges et les autres régions (Toulouse, Lyon, Lille, Reims…), l’ouverture d’esprit est passionnante et l’ambiance est sympathique.

A Rome, du haut d’une église, je suis attiré par un ami, qui termine comme nous tous ce pèlerinage, nous sommes côté à côte à regarder le paysage, il me fascine un peu, il me plaît un peu. Mais rien ne peut se dire, ni même s’imaginer. Il s’appelle Edouard Charroy son nom restera dans ma mémoire.

En juillet, je me retrouve (pour la 1ère, la 2ème, la 3ème ou la 4ème fois, je crois qu’il y en a eu 4, dans des villages différents à chaque fois) en Creuse dans le cadre de ces camps imaginés par le père Latapie, pour témoigner en terre déchristianisée sans doute, destinés à apporter un coup de main aux paysans tout en vivant une sorte de retraite, avec messes et prières) pendant une quinzaine de jours. Chaque jour nous sommes affectés, dans une famille pour apporter un coup de main (biner les rutabagas, démarier les betteraves, faire les foins, et si la saison est très avancée participer à la moisson), cette aide bénévole, simplement rémunérée par le repas de midi et quelques en-cas dans la journée, sous un soleil de plomb des heures durant, est appréciée. Nous ne sommes pas regardant sur l’effet que cela peut avoir, nous sommes simplement assez costauds et assez consciencieux pour aimer le travail bien fait.

On organise des petites fêtes pour les villageois. Mais les autres soirées sont à nous avec discussions, chants et jeux, et préparation des petites fêtes avec les habitants.

Je suis bien dans tout cela, cette vie collective, sympathique, me convient. Là encore il m’arrive d’avoir le regard qui s’attarde sur tel ou tel, mais la sublimation du collectif prime. Une fois pourtant à la fin d’un camp, je sens un regard plus ému qui s’attarde sur moi et sur lequel je m’attarde (il vient d’un collège du nord, il est émouvant). Nous aurions presque envie de nous revoir, mais nous savons bien que tous ces noms et téléphones que nous prenons en fin de camps n’ont pas beaucoup de suite. Le camp c’est un contexte, des « conditions de température et de pression » comme je me dirais souvent pour éviter de gamberger.

Mais au mois d’août nous nous retrouvons en famille à Gérardmer, nous nous baignons dans le lac. Et là un jour, un garçon, un cousin attire mon attention, je vais vers lui, il ne me calcule pas trop, je lui parle du garçon du Collège des jésuites de Reims que j’ai rencontré, Edouard Charroy, il le connaît, j’imagine que c’est une façon de l’intéresser. Mais ça ne va pas bien loin, il s’appelle Eric Seynave, il est beau garçon, il est de mon âge, il l’air intelligent, mais il a d’autres préoccupations.

Lorsque je serai à Paris, je le verrai à la télévision, jouant dans un documentaire sur les étudiants à Paris, jouant son propre rôle, en tant qu’élève de l’Essec. J’aurai un petit pincement de cœur. Bien plus tard, j’apprendrai grâce aux arbres généalogiques familiaux qu’il a 4 enfants et vit à Saint-Quentin…

A l’été 1961, je fais un en camp volant en Corse, avec la JEC (jeunesse étudiante chrétienne) venue de l’école de Provence, mais aussi d’autres établissements comme le Sacré-Cœur, le camp est encadré par le père (Jean-Marie) Charron ; le parcours est rude, nuit à la belle-étoile à Ajaccio, Ajaccio-Cargèse en car, puis marche jusqu’à Corte (qu’on prononce Corté), à travers les forêts d’Aïtone et de Vadoniello, où sont installées les tantes, mais il pleut beaucoup, puis le parcours au-dessus des gorges est spectaculaire, de Corte à Bastia, c’est le petit train (qui s’arrête lorsqu’il traverse une route) jusqu’à Bastia, et retour en bateau (des années plus tard l’avocat, professeur de droit, Christian Bruschi, élève au Sacré-Cœur, se rappellera cette équipée commune). Ces nuits sous la tante ne sont pas sans susciter mon voyeurisme, frustré (je fais tout en particulier pour apercevoir l’intimité de l’un de mes voisins, il s’appelle Ract-Madoux, un garçon brillant, le futur général ?).

 

Les cahiers personnels : 5 octobre 1961-31 octobre 1963, au collège de Provence, je me mets à la rédaction d’un cahier à l’instigation de son professeur de Français-Latin-Grec, monsieur Souvignet (Soussou, comme dit François Régis qui l’a eu quelques années avant lui), apprendre à écrire, c’est en forgeant qu’on devient forgeron a-t-il dit, très appliqué, je le rédige le soir vers 22h30. A la relecture ce sera à la fois ennuyeux et riche d’anecdotes, concernant le Collège et les amis (dont François de Muizon que je visite à l’hôpital), ma vie spirituelle et mes activités, les voyages et les vacances, la famille et Notre Dame de Vie, les amis des parents et de la famille, les nombreux films sur écran ou à la télévision, mes lectures aussi, et les événements du monde tels que je les a vus.

Lorsqu’en octobre 2022, François de Muizon aura l’occasion de lire le résumé de ces cahiers, il sera un peu remué en lisant le passage qui concerne sa longue hospitalisation : « Comment te dire à quel point je te remercie ? Dans ce temps chaud et chahuté, j’étais coupé du monde comme tu le rappelles et j’en ai une conscience d’autant plus vive en lisant tes « souvenirs ». Tu faisais bien des expériences en t’ouvrant au monde, j’étais clos dans mes livres, mon handicap temporaire et ma souffrance. Je comprends que d’une certaine manière cela m’a marqué à vie, bien que l’univers clos des HLM où nous vivions et une famille très close sur elle-même y ont aussi lourdement contribué. Ma sociabilité native et ma joie de vivre l’ont masqué… Merci. François »

 

Au total chez les jésuites, je pourrais résumer l’enseignement reçu au regard du sexe : les garçons interdits, les filles autorisées, la frigidité préférée. Il n’est guère besoin de revenir sur cet interdit à l’égard des garçons, la barrière est établie purement et simplement.

Pour les filles c’est une énigme, tout se passe comme si les garçons étaient naturellement attirés par les filles, on n’en parle pas, on sent bien qu’il y a quelques mises en garde qui prennent davantage de consistance dans les classes supérieures. Un jour un ami est amené à se marier en urgence, il se dit sous le manteau qu’il a engrossé une fille, cela l’a condamné au mariage, même tout jeune. Les prêtres et les enseignants n’ont rien à dire, c’est le domaine des parents (?), c’est celui de « l’éducation » par les pairs. En parler ? en parler comment ? prendre le risque d’être rabrouer par des parents, d’être la risée des élèves ?

Pour la frigidité, c’est un peu le chemin naturel, le noir, les soutanes, le bréviaire et les messes incessante (chaque prêtre doit se débrouiller de dire sa messe quotidienne et de lire ses pages chaque jour), la communion, la confession, l’absence de toute communication sur l’affectivité (et plus encore bien sûr sur la sexualité). Tout est non-dit, mais aussi tout est dit. Les moines du Moyen Age ont choisi l’isolement et la recherche toujours plus poussée de l’absence de tentation. Les jésuites en ont hérité, mais ils ont ajouté l’intelligence, l’érudition, la qualité de l’enseignement et de la parole. Ils montrent la voie, celle de la sublimation des corps par l’esprit et la spiritualité. Leur « message » est un message très élevé, l’adolescent peut (doit ?) s’en faire un modèle.

 

J’ai plaisir à chanter dans la chorale des successeurs des Frères Jeff (dirigé par le futur avocat Alain Vidal-Naquet), il y a Mercurin (qui sera cheville ouvrière du Comité de liaison interconfessionnel pour l’accueil des Rapatriés d’Algérie en 1962), Jean-François Nallet (que le retrouverai comme économiste à l’AGAM) et Jean-Pierre Pichot (économiste que je retrouverai à la DRE, puis au SGAR à la préfecture des BdR). Une chorale est un peu ma voix royale, toute naturelle pour moi depuis ma préadolescence. Je calculerai que j’ai été dans 11 à 12 chorales différentes, j’arrêterai bientôt car je ne lis pas la musique alors que je suis de plus en plus entouré de personnes qui savent la décrypter. C’est en tout cas une de mes sublimations…

 

Lorsque je redoublerai ma terminale au Lycée Marcel Pagnol, je serai armé pour ne pas donner à penser quoi que ce soit, pour ne pas être attiré par qui que ce soit, par chance si je suis très intéressé par cette sortie prolongée hors de ce milieu trop conformiste que j’ai connu, personne ne m’attire en particulier. Je suis pourtant émerveillé par cette mixité, garçons-filles, que je n’ai jamais connu et jamais imaginé. J’entre dans de petits jeux de séduction à l’égard de quelques filles, mais je suis surtout apprécié pour ma civilité à leur égard. Je ne les connais pas, je ne sais ni comment les appréhender, ni comment leur parler, autrement que de façon très convenue. Je suis passe-muraille, j’ai largement été formé à cela.

J’ai la chance d’y retrouver François de Muizon qui redouble comme moi (on disait pourtant que le bac de 1964, suite aux « fuites du bac », repassé en septembre, pour tous, avait été largement « donné »), sa présence familière a dû me faciliter la transition, mais je ne m’en rendais pas trop compte.

L’aumônier du Lycée me paraît étonnement libre dans ses propos, rien ne le rattache à de l’éducation religieuse, il tranche complètement avec les pères jésuites.

 

Il y a quelques indices que je ne sais pas saisir, je suis trop construit pour négliger, ou mépriser, l’homosexualité. Je ne vais jusqu’à hurler avec les loups. J’enregistre les informations. Un jour dans la chorale de Bruno Argemi (futur médecin réputé, spécialiste de l’Egypte et académicien de Marseille), l’un de nous se gausse de Guy Béart car on dit qu’il est homosexuel. Cela ne dit rien sur ses qualités de chanteur, mais semble disqualifier l’homme et ses chansons. Dans le groupe de chant, Il y a Emmanuel de Muizon, frère de François. Il y a aussi un garçon qui s’appelle André Baudry, lorsque je lui demande son nom il « s’effondre » un peu, est-ce sous l’effet de mon regard ou de son désagrément de donner son nom, ce nom me résonne dans les oreilles mais de façon très brumeuse, nous sommes en 1963-1964, j’ai déjà dû l’entendre, avec une connotation un peu scabreuse ou indécente. Dix ans plus tard, lorsque je travaillerais à la DRE, un camarade de travail m’apprendra qu’Albertine dissimule le nom d’un garçon chez Proust. Je ne connais pas Proust, je ne m’attarde pas.

 

Heureux d’obtenir mon permis de conduire, je me sens libre tout d’un coup. Un jour je crois que ma capacité d’aimer tout le monde, couplé avec l’utilisation de l’une des voitures de papa me permet de proposer à des personnes qui attendent le bus à l’obélisque de Mazargues de les conduire à leur destination, mais si j’avais visé en particulier un jeune homme, je me sens obligé de le proposer aussi à une dame âgée… finalement la dame refuse et le jeune homme accepte mais ni lui ni moi n’osons nous dire un mot jusqu’à ce que je le dépose du côté de Saint-Giniez. L’anecdote résume beaucoup de choses sur ce que je vivrai par la suite.

 

Mais en fait je passe mes années à « passer à côté ». Je ne peux pas murir en même temps que les autres, car le seul murissement qui serait possible m’est interdit.

Chaque fois que je pourrai saisir une occasion pour « m’ouvrir », je passe à côté.

Pendant des années et des années, je passerai « à côté », incapable d’établir un contact lorsqu’il s’offrira moins, coincé entre mon désir et mes interdits, refusant de simples contacts humains, arguant en moi-même « je ne suis pas celui que vous croyez », et à force de non communication je m’enfermerai en moi-même.

Une fois, je suis confronté à un garçon originaire de Nice qui, loin de ses parents, en séjour lycéen d’été en Angleterre, sent qu’il va pouvoir se libérer sexuellement. J’envie terriblement sa liberté mais je ne cherche pas à en savoir plus…

Une autre fois il me semble avec le recul, qu’un garçon en fin d’études au collège a parlé de la possibilité pour un garçon de se faire de l’argent par le sexe.

Je suis incapable d’écouter les signes, d’entendre ceux qui à la dérobée, s’expriment.

 

 

Le black-out 1965-1978

 

Silence, négation, tolérance, condamnation

L’ambiguïté du silence qui entoure la question homosexuelle est totale.

Le silence absolu peut être celui de la méconnaissance, comme il peut être celui de la condamnation, plus ou moins virulente.

Percer le silence est essentiel pour la personne concernée, afin de mettre à jour le contenu de ce silence.

Le silence est mortifère.

Surtout s’il se révèle peu à peu comme une chape de plomb volontairement placée sur un espace dangereux, destiné à éviter toute tentation d’y toucher à tous ceux qui pourraient être – au fond d’eux-mêmes – concernés. Comme si le fait de ne pas en parler pouvait avoir des chances de les en tenir à l’écart.

Empêcher une jeune fille de la laisser devenir religieuse si elle le souhaite, empêcher un jeune homme de rencontrer la jeune fille qu’il aime, serait aussi vain que d’empêcher un homosexuel de vivre sa vie.

Ce sont des années d’errement dans la vie sociale et dans la ville, un peu comme un somnambule. Plus rien n’accroche, plus personne n’attire l’attention. L’affectivité n’est pas en jeu. Il faut vivre parce qu’il faut vivre.

 

Le black-out choisi

Le black-out subi, construit par moi pour une part, imposé par les autres pour une autre part

Le black-out construit, c’est celui de l’absence de confiance en moi ; je m’échappe, j’évite les gens et leur compagnie en de nombreuses occasions, de peur qu’ils ne détectent des failles trop visibles, en particulier cette homosexualité sous-jacente qui risque à tout moment de se trahir elle-même, d’être démasqué là où je ne veux pas être vu, non pas que je ne veux pas qu’on voit mon homosexualité, mais je plutôt que je ne veux pas qu’on suppose que je puisse l’être. Les barrières se rajoutent aux barrières. Peur du ridicule, peur de ne pas savoir faire bonne figure, d’être moqué, dévisagé, peur des autres.

Chrétien, j’ai appris à retenir mon désir, et bon chrétien, j’ai appris à écraser mes désirs

 

 

A Sciences Po Paris 1965-1972

A Sciences Po Paris, je redoute les séances de sport parce qu’il y a des douches collectives. C’est pour moi un supplice, de l’imaginer et de le vivre. Fermer sur moi-même, n’osant regarder personne, je bande parce que je suis nu, je bande parce que plein de mecs sont nus autour de moi. Je pratique les activités sportives, mais au lieu de tenter d’échapper à la douche, je me crois contraint d’y passer, j’ai sans doute peur qu’on me fasse une remarque si je tente d’y échapper. Je me mets dans mon coin autant que je peux, mais il y a le moment où il faut prendre sa serviette et ne plus échapper au regard des autres. Je me précipite pour m’habiller, mais ça ne change pas grand-chose, on m’a vu, on me voit avec mon regard fuyant. Je chaque fois mortifié. Une fois nous partons dans un espace de nature vers le Bois de Boulogne, il fait froid, c’est l’hiver, il y a un vestiaire collectif, parmi les étudiants qui présentent leurs fesses devant moi, il y en a un qui fait une remarque publique haineuse, il a dû remarquer que je n’étais pas loin, mais je n’ai pas compris tout de suite que cela me visait…

 

Après un samedi soir de solitude (je loge alors rue de Bourgogne, derrière l’Assemblée nationale chez les de Campeau, chambre trouvée grâce à l’entregent de mon frère Hubert), je remonte les Champs-Elysées. Je me suis levé tôt, ma façon de sublimer (et de tromper ma solitude ?), c’est de me passionner pour la découverte de la capitale pendant les premiers mois, et de l’arpenter dès les premières heures. En remontant à partir de la Concorde, il n’y a personne ce dimanche matin. Je vois pourtant, de loin, un homme qui descend l’avenue, et qui ne cesse de me regarder, lorsque j’arrive à son niveau il sort subrepticement quelque chose de rouge au niveau de sa poche. Je ne comprends pas son regard ni son geste. Je mettrai du temps à comprendre qu’il avait cherché à me montrer son sexe turgescent.

Un jour, un garçon de Sciences Po, au sortir du sport, m’accompagne de la rue St Guillaume à St Germain des Près, il a dû remarquer mon trouble priapique, je ne l’avais même pas remarqué, par plus que les autres, tellement j’étais gêné et mal dans ma peau.

Il me parle des slips des garçons, il voit s’ils ont des caleçons ou des slips – comment les distingue-t-il à travers leurs pantalons ? – puis il me parle de Arcadie et de la rue Cadet, ce n’est pas la 1ère fois que j’entends parler de la rue Cadet, mais comme une information de « culture générale », là si j’étais un peu « éveillé » je pourrais faire un lien. Mais j’abandonne bien vite ce compagnon qui m’importune. Avec le recul, je me dirais que j’ai manqué là une occasion rare.

Il y a bien une fois où je vois deux garçons sortir ensemble d’une cabine de WC, je n’ose y prêter attention et y accorder une coloration sexuelle (mais j’en garderai mémoire…).

La disposition des urinoirs permet d’envisager d’envoyer le regard vers le sexe d’un autre, mais je n’ose pas franchir cet interdit. Pourtant le hasard fait qu’un jour Raymond Barre notre enseignant d’amphithéâtre en économie vient pisser à côté de moi, avec une résolution incroyable je franchis l’interdit, tellement je suis curieux de savoir, j’arrive à regarder à la dérobée, je suis surtout surpris par ce petit sexe de rien sur un si grand (gros) personnage.

 

En 1ère année, j’ai de petits souvenirs. Une fois, je suis un peu amoureux d’une jolie fille, je la connais par le Centre (catholique) St Guillaume. Lors de la retraite pascale dans cette jolie petite chapelle de montagne, aux Vernettes, en Tarentaise, elle est à la guitare, je chante cette chanson de « Une homme, une femme » qui me plaît tant « Mon amour, il faudra pourtant se quitter… Avec ce qui se passe en ce moment en Algérie », c’est un (court) moment enchanteur. On se revoie dans les semaines qui suivent, elle m’invite chez elle pour une révision, mais ce n’est pas si simple, je trouve qu’elle fume beaucoup, je lui en fait la remarque, elle ne supporte pas.

Pendant plusieurs semaines, je sors au cinéma le samedi soir avec une fille qui n’est pas parisienne, elle est l’amante de Meyer Nezri, ami de François de Muizon, celui-ci avait eu l’imprudence de me parler d’elle et de me donner ses coordonnées. Seul à Paris, comme elle visiblement, j’ai besoin de me détendre les samedis soir. Nous nous voyons donc, plusieurs fois pendant quelques mois. Mais toujours un eu pataud, je fini par m’embrouiller, nous nous entendons, mais l’ambiguïté de cette relation gagne (je crois qu’elle croit que…), et nous devenons patauds tous les deux. Puis nous ne nous voyons plus.  En revanche Meyer me fera une sortie lorsque je le reverrai à Marseille, persuadé que je l’avais trahi… Des années plus tard, je rencontrerai par hasard Meyer, devenu médecin connu à Martigues, plus rien de son amertume n’apparaitra, il y a longtemps qu’il a oublié cette fille, j’en serai rassuré. Il m’informera qu’il ne voit plus François de Muizon depuis longtemps (il me communiquera peu après son n° de tel, je rentrerai ainsi en relation avec ce très ancien ami, si proche à l’époque, mais le lien ne se renouera pas, nos chemins sont trop divergents, il sort un livre sur Jésus-Christ).

 

Je fréquente la paroisse universitaire de la Cité universitaire (dite CIUP, cité internationale de l’Université de Paris), localisée à l’église de Gentilly. Ma formation catholique me tient au corps et j’ai besoin d’interlocuteurs, deux prêtres émergent le père Terrien, avec lequel j’organise 3 conférences en 1969, dans la foulée de Mai 1968, dans une des grandes salles de la Cité, avec Jean Fourastié, économiste en vogue, Michel Rocard, homme politique en pointe, et Michel de Certeau, jésuite, penseur d’avant-garde. Le père Terrien est un conservateur, plutôt rigide, dont j’apprends qu’il est proche de la Fraternité Saint Pie X, de Mgr Lefèbvre, les cathos intégristes que provoqueront un schisme dans l’Eglise. (Le hasard fera que je retrouverai le père Terrien 30 ans plus tard, lorsqu’il célèbrera la messe de mariage de mon frère François Régis en l’Eglise des Blancs manteaux le 3 juillet 1998). Un autre prêtre, très différent, psychologue et très nuancé dans ses propos, provoque alors mon attention, Blaise Noël, je le découvrirai 20 ans plus tard, animateur d’un n° d’appel téléphonique à l’écoute des homosexuels.

Evidemment la paroisse universitaire est attentive à répondre à la grande préoccupation des étudiants, l’amour humain (il n’est bien sûr pas question de la sexualité, ce sujet se contourne par sa sublimation). Elle diffuse un texte intitulé Schéma de prédication sur l’amour humain qui après avoir mis de côté les approches sartrienne, psychanalytique, l’amour libre et le courant marxiste, propose une réflexion chrétienne, partir du Christ (son enseignement, les attitudes fondamentales de respect, d’admiration, de souci de servir et d’histoire commune à construire, condition spirituelle d’un « véritable érotisme », inscrit dans l’amour de Dieu), l’amour humain avant le mariage est un parcours, d’accession à la lucidité, par une sexualité maîtrisée, imprégnée de culpabilité et d’éveil à la Rédemption, l’éthique est fait de certitudes, marquées par des idéaux (mariage monogame, maîtrise de la sexualité) et sortir de l’alternative entre ce qui est permis et ce qui est défendu, maintenir en soi l’idéal et de se mettre en route vers lui, ce rapport entre la conscience et la loi morale permettra de sortir de la culpabilité, ce qui compte c’est l’histoire du salut en chacun « la sainteté chrétienne consiste à s’engager dans cette marche avec Dieu et le Christ », c’st un chemin entre l’exigence infinie et la miséricorde infinie de Jésus. Il n’y a pas de développement l’amour après le mariage, comme si ce sermon était valable tout au long du cheminement de l’amour humain, comme s’il parlait tout autant au prêtre lui-même pris dans un célibat exigeant. Il n’est pas question de faire des variations sur les amours humains (ce n’est pas le lieu, ce n’est pas l’époque), le discours s’en tient à un amour idéal, unique et pur.

 

L’accession à l’âge adulte

Un dimanche matin, me baladant très tôt sur les Champs-Elysées, il n’y a pas un chat, je vois venir vers moi un homme qui me regarde assez intensément, je suis un peu intrigué, au moment où j’arrive à son niveau il sort à peine quelque chose que je crois apercevoir rouge et boursouflé. Je ne vois pas bien, je ne comprends pas trop d’autant qu’il n’y a pas un mot. Je comprends rétrospectivement, c’était son sexe, il est à la fois gêné et désirant face à ce jeune étudiant tout seul.

 

La librairie la Hune, à St Germain, expose beaucoup de beaux livres d’architecture, j’y passe du temps comme je passe du temps dans la librairie qui est en face de Sciences Po dans la rue St Guillaume ou dans d’autres librairies. Mais là je m’attarde un peu et je finis par découvrir, en sous-sol, dans un endroit dissimulé, des petits journaux surprenants, comme L’Antinorm en couverture duquel j’aperçois un garçon nu, allongé sur le ventre, j’ose à peine regarder, puis je le prends et le remets, il m’a échauffé le regard, il m’a un peu brûlé. Je suis un peu tétanisé. Par des lectures rapides comme celles-là j’apprends que des gens se rencontrent, mais je laisse passer, cela ne me concerne pas. Je vaux mieux que cela, je vaudrais mieux que cela.

 

Je fais des voyages d’été qui me marquent.

L’un en Algérie à l’été 1968. C’est la petite paroisse de la Cité universitaire, avec le père Terrien (que, surprise, je retrouverai bien plus tard lorsqu’il célèbrera le mariage de mon frère, 30 ans plus tard !), prêtre plutôt traditionnaliste, il propose un séjour d’été en Algérie pour faire des classes d’été à des élèves dans un bled éloigné (Teniet Al-Haad, près de Tiaret), il a là un collègue prêtre qui 6 ans après l’Indépendance, maintien vaille que vaille une vie dans son église. Nous sommes une petite dizaine de « parisiens » garçons et filles, dont un couple, mon ami étudiant et sa copine et la sœur de mon ami étudiant, une fort jolie fille. Je me trouve bien embarrassé lorsque celle-ci, au cours d’un voyage de groupe pose sa tête sur mes cuisses pour dormir, la caresser eut été naturel pour tout autre, mais j’étais trop mal dans ma peau pour appréciée cette présence…

L’autre aux USA en 1969. J’ai sauté sur l’occasion qui était proposée d’un séjour offert dans le Connecticut, par l’Institute of World Affairs, une belle idée que s’offrait une riche héritière, vivant en Floride, de rassembler des étudiants du monde entier, pour se donner le sentiment de contribuer au monde du futur par le rassemblement des élites… Le mélange de nationalités est impressionnant, nous ne sommes pas trop nombreux. Pas grand-chose à noter si ce n’est cette douche collective où nous ne sommes que deux assez loin l’un de l’autre, l’Indien me hèle et me demande pourquoi je me dissimule à son regard curieux du style « on est tous fait pareil », je me sens malgré moi obligé de me monter. Lorsqu’il y a quelques jours de vacances tout le monde s’égaye, je me retrouve un peu seul, une étudiante américaine que je n’avait guère remarquée, un peu grosse, travaillant dans une bibliothèque universitaire me propose soit d’aller voir l’université où elle travaille, soit d’aller au festival qui s’annonce à Woodstock ; pas très bien dégrossi je ne sais pas ce qui se prépare à Woodstock, aussi nous partons à son université, nous voyageons dans sa voiture, mais rien ne se passe, calme plat, elle ne m’attire en rien. D’autres personnes suscitent mon attention, un israélien, avec lequel je me dispute à propos de la Guerre des Six Jours, mais qui me fait découvrir des caves à Jazz new-yorkaises extraordinaires avec les plus grand jazzmen (Dizzy Gillespy, Buddie Reach, etc.) et une mexicaine qui m’émeut tant à propos de la répression sauvage du mouvement étudiant qu’elle vient de vivre l’année d’avant à Mexico alors que nous avions vécu sans trop de répression notre mouvement étudiant.

Le troisième à Cambridge, en 1970 sans doute, Je m’adapte à des cours d’anglais que je comprends plus ou moins, et apprécie cette vie de campus britannique, ses joutes d’aviron sur la Cam et la découverte des campus gothiques de Cambridge et d’Oxford. Un étudiant que j’ai plus ou moins connu à Science Po, plutôt caustique, apprécie ma compagnie, il finit par me proposer une lutte en corps à corps, mais entièrement nu, je refuse absolument, mais il arrive à ses fins en usant d’arguments plutôt malins. Il ne m’attire pas et l’homosexualité est exclue de ses propos (d’autant qu’elle est interdite en Angleterre depuis 1967), mais inévitablement je bande tout le temps de cette joute virile qui n’a pour moi guère de sens. Nous nous rhabillons, sans que j’aie compris sa démarche. (De façon étonnante, je retrouverai ce garçon, François-Georges Barbier-Wiesser, travaillant dans la diplomatie, lors de l’Université d’été euroméditerranéenne des homosexualités de 1999, 20 ans plus tard, il reprochera à notre président de ne pas organiser un minimum de service sexuel pour combler sa solitude…)

 

L’un de mes professeurs (M. Huet) du cycle supérieur en aménagement et urbanisme (1970-1972), prof d’architecture et d’urbanisme, aux Beaux-Arts, peut-être, invite les élèves à manger ensemble au restaurant. Je perçois chez lui une sensibilité homosexuelle, sans attirance ni désir particulier pour lui, je suis mal à l’aise, il me semble qu’il perçoit mon regard « dénonciateur, et peut-être un peu homophobe ». J’aimerais peut-être mieux comprendre ce qui se passe avec lui. Cela ne va pas plus loin.

 

Ce sont des années où j’erre avec des hétéros, sans repérer une âme sœur. Un homosexuel aurait pu me faire bouger, mais je ne suis pas capable d’en voir, je ne donne aucun signe et c’est un temps où eux-mêmes se fondent dans les groupes sans se distinguer. Je ne peux que me tourner vers certains hétéros que je trouve plus intéressants que d’autres mais cela ne dure que le temps d’un contexte particulier et d’événements publics (sortie de cours, séjours de vacances, événements mondains, etc.), et rarement des moments de détente, je ne suis pas une compagnie agréable et encore moins désirable.

 

A la Cité universitaire, un étudiant anglais cherche à se faire loger dans les chambres individuelles. Il s’appelle Bruce Cobbett. Une réputation pas très favorable le précède. Il a besoin d’être hébergé, je lui propose de dormir, mais au sol et de se débrouiller seul. A l’heure de dormir, il tient un discours que je juge peu cohérent. Il parle du fait qu’il y a une démographie galopante et qu’il n’est pas nécessaire de faire des enfants. Je ne comprends pas trop son discours et met fin à la discussion. Je comprendrai plus tard, qu’il était plutôt ouvert à l’idée d’épancher son désir et que son discours n’était là que pour théoriser son besoin. A la réflexion ce moment aurait peut-être été pour moi une occasion de m’ouvrir à mes propres désirs. Mais mes choix du moment ne me rendent aucunement réceptif, ni au discours, ni même au désir. Sans doute aussi que sa façon d’être n’était pas susceptible de percer la carapace, il n’était ni particulièrement beau, ni assez séduisant pour provoquer « quelque chose » chez moi.

 

En 1967 et 1968, avec une petite équipe, on s’est fait élire dans le comité des résidents de la MPF (Maison des Provinces de France), j’en suis le président. Le mouvement de Mai 68 a évidemment des répercussions y compris dans cette paisible maison d’étudiants. Les autres pavillons, comme un dit alors, ont bien des raisons de s’associer au mouvement de Mai 68 mais surtout à cause de ce qui se passe dans leurs pays, marqués par des coups d’Etat ou des régimes ultra-autoritaires (Maroc, Mexique, Grèce, Cambodge, Iran, etc.). Nous nous sommes plutôt dans une attitude de solidarité avec ces étudiants étrangers mobilisés et parfois menacés. C’est aussi une période de réclamation collective sur la réorganisation de la gestion de la Cité universitaire dans son ensemble.

 

Pour ce qui me concerne intimement, je suis dans ma période glaciaire, avec quelques soubresauts… une jeune troupe de théâtre américaine qui m’électrise lorsque acteurs et actrices se mettent nus, plus ou moins dissimulés par une immense tenture, une italienne, un peu plus âgée que moi, qui en juillet atterri à la cité universitaire et qui se débrouille tant et si bien qu’elle parvient à me mettre dans son lit, c’est bien peu de choses. En fin d’année, le comité des résidents organise un repas, je comprends qu’ils ont une intention cachée, ils me la laissent entendre de façon voilée, je ne veux pas les croire, ils boivent pas mal et me font boire, puis on va dans le centre de Paris, ils négocient, ils me donnent des sous, puis ils m’envoient auprès d’une prostituée. Celle-ci m’amène dans sa chambre, je suis embarrassé et surtout aviné, je n’ai aucun plaisir à être là, elle prend rapidement prétexte du fait que je suis saoul pour me demander mes sous… Je repars, heureux d’en avoir fini, mes amis sont tous surpris et déçus de ne pas pouvoir s’assurer d’être parvenus à me dépuceler…

 

Un soir de hasard, j’ai pu passer, embarqué par des amis hétéros une soirée extraordinaire au Carambole, en banlieue sud de Paris, je ne comprenais pas pourquoi j’y étais si bien et si heureux ; j’ai dansé à n’en plus finir, je crois qu’il y avait un vent de liberté que j’attendais, liberté d’être et de vivre. Je ne crois pas que ce soit la dimension homosexuelle qui m’ait sauté aux yeux, j’étais trop aveugle pour voir cela, c’était une frénésie et un bonheur qui rendait cela aussi possible, je voyais le plaisir d’être là, sans voir la dimension homosexuelle.    J’apprendrai plus tard que ce nom qui m’a tapé dans l’œil est le titre d’un livre de Ponson du Terrail. Mais surtout je découvrirai à la lecture de livres biographiques écrits par des homosexuels qu’eux aussi fréquentaient cette boite, comme Guy Hocquenghem, ou l’arcadien Christian Gury qui y allait aussi se diner.

 

Parfois lors de voyages en auto-stop entre Paris et Marseille, j’ai de bons contacts. Une fois avec un garçon, le contact est exceptionnel. Nous nous parlons sans arrêter, nous sommes bien ensemble. Mais rien… je le quitte comme si de rien était. Il ne va pas plus loin, je ne vais pas plus loin.

 

 

En puis, il y a la coopération au Tchad (1972-1973), avec ses désirs… inavouables et impossible à assouvir. Tout un groupe de jeunes lycéens de Fort-Lamy (pas encore N’Djamena) avec lesquels j’avais plaisir à aller aux bars avec espaces de danses où on buvait de la bière Gala (« Gala c’est quoi ? c’est la bière du bonheur » disait la publicité) ou je mangeais avec eux un repas préparé par l’une des mamans. D’autres visiblement plus habitués à rencontrer des européens, pour être leurs boys, plus aguicheurs mais peu attirants pour moi, avec lesquels je passai quelques moments. Et puis, ce sont des moments d’extase où je voyais au bord du fleuve Chari des boys avec leurs corps noirs magnifiques en train de laver le linge, puis de se laver eux-mêmes, ou ces gardiens – peut-être des soldats – de la préfecture du Chari-Baguirmi située en face de mon appartement qui prenaient la douche, nus, debout, à l’heure de la sieste ; je sais à quel moment ils vont profiter de ce moment de calme et d’eau fraiche, je suis souvent à l’affût, avec mon émotion.

Je connais lors de ce voyage plusieurs de mes (premières ?) émotions, mais soigneusement dissimulées dans plusieurs couches de rationalisation, d’évitements et de négation.

 

 

Les années de tâtonnement

Entre la « norme » et la « vie » je vis des années de tâtonnement, je ne sais où aller, au risque d’aller dans le mur, celui de la vie appauvrie, de la vie sans but et sans joie, de l’incommunication, je ne sais pas encore, je n’ai pas encore les yeux pour voir que c’est l’homosexualité auto-réprimée qui m’étrangle

Je fais longtemps le choix, un peu désespéré mais je ne m’en rends pas compte, de rester dans la norme de même qu’en 1965 lors de ma 1ère année à Paris je suis sorti plusieurs samedis soir avec l’amie de Meyer Nezri (il m’avait recommandé celle qui était son amante, seule à Paris, comme moi).

Juste avant de partir aux USA  à l’été 1969 (pour l’Institute of World Affairs dans le Connecticut), j’ai fait la connaissance d’une bien jolie fille qui partait pour aller vivre au Québec, je lui ai dit que je passerai la voir, et j’ai été bien heureux de prolonger mon séjour américain pour aller en auto-stop à Montréal et aller la voir, j’arrive dans une maison avec piscine, des invités nombreux et je découvre mon amie déjà bien prise en main par un monsieur plus âgée que moi, je suis déçu de ne pas la voir davantage, mais je sais déjà que comme toujours « les bonnes choses » ne sont pas pour moi.

Lors de ce séjour américain j’étais allé en auto-stop, pour une virée de 3 jours avec une jeune américaine dans son université (au lieu d’aller à Woodstock !).

Lors du séjour américain dans le Connecticut en août 1969, je sens bien qu’il y a un petit malaise sous la douche, mais cette fois-là c’est un Indien – pour lequel je n’ai pas d’attirance – qui me fait une remarque sur le fait que je me dissimule.

L’année d’avant il y avait eu à Cambridge, ce curieux combat nu dans une chambre noire qu’un garçon que je connaissais de Sciences po m’avait « imposé » à force d’insistance. Il m’avait mis au défi de me mettre nu et de m’engager dans un corps à corps chaste. Mais j’étais tellement mal d’être nu devant quelqu’un d’autre que j’avais bandé sans arrêt.

Il y a aussi Maggy Puzin, fille de magistrat, rencontrée à la Cité universitaire, on s’est apprécié mais à mon souvenir ce n’est pas allé bien loin, je lui ai proposé de me rejoindre au Tchad lorsque j’y étais en coopération en 1972-1973, ce qu’elle a fait, mais les retrouvailles n’ont pas été très heureuses, en particulier lorsqu’elle est arrivée en short collant dans ce pays, pauvre et sans plage, qu’elle voyait sans doute comme un lieu de vacances… Il est vrai que lors de ma dernière année en cité universitaire en juillet, j’ai rencontré une italienne plus âgée que moi qui découvrant mon incompétence et n’a pas vu de difficultés à me déniaiser une nuit. Il y a donc bien au total plusieurs « essais » hétérosexuels.

A mon retour de coopération en 1973 – et là ça plait dans mon entourage familial « il est en voyage avec une fille » -, je vais faire un voyage en Bretagne avec une américaine, puis je vais à Montgenèvre faire du ski avec Danièle (fille du Dr Tocci ?), à chaque fois c’est « en tout bien tout honneur »…

(Et quand un début de basculement se fera, je ferai encore pendant quelques années, un effort désespéré pour tenir les deux bouts, un peu pour donner le change, beaucoup pour construire un idéal de jonction, entre vie et norme, entre homosexualité et hétérosexualité plus exactement, je resterai un temps assez naïf pour croire que les deux peuvent coexister aisément)

Le 13 juin 1973, maman m’emmène, à 27 ans, chez sa « radiesthésiste » préférée, Mlle Decours, j’hésite parce que je ne crois guère à ces balivernes et parce que je crains que des éléments très personnels concernant mon instabilité sexuelle soit révélés à ma mère, mais le récapitulatif est plutôt neutre, ma mère les note scrupuleusement :

« Santé :  ne pas manger trop gras, 75% de volonté, positif plus psychique que physique, 76% de santé, 60% de vigueur, très bon magnétisme, se construit, devient un homme physiquement, gros nerveux, inquiet, bilieux, a les nerfs fatigués actuellement, il faut le fortifier et non le calmer, le foie est fatigué, lobe droit, l’estomac est fatigué, ne digère pas bien, a les mains douées, très bon toucher, peut faire ce qu’il veut de ses mains (sculpture), du colibacille, dents à soigner, a la vie devant lui, quand il est fatigué : dépression ou bien agitation, deux points de migraine en haut du front, à toucher en acupuncture, contre la furonculose auréomycine » suit une prescription d’homéopathie (42 Boribel 3 granules avant les repas 30 jours pour le colibacille ; 4114 Lehning 10 gouttes 15 jours pour le foie ; 25 gouttes de Poconéol 1, 4 et 55 pour l’état général 20 jours),

« Caractère : ça lui est difficile de se lever tôt, n’est bien qu’à 9h du matin jusqu’à 24h  pas plus tard, 4/5 d’intelligence, a de la bonne volonté, la mémoire n’est pas très exercée, il faut la développer, elle est latente, évoluera encore beaucoup en général, surtout de 30 à 35 ans, quelque fois un peu trop renfermé, il rêve sa vie, il a toujours besoin d’émulation, grande fermeté de caractère, il aime l’existence, très prudent en tout, bon jugement, aura une belle personnalité, équilibré, juste (moralité) , verseau il faut marcher droit, a le respect des lois, courageux, masculin, très enfant encore comme caractère, très prudent, sérieux dans le travail, n’a pas encore donné sa mesure, très délicat dans ses sentiments, sincère et affectueux, se démoralise un peu dans les épreuves mais se reprend, réservé avec les autres, une grande spiritualité : il a sa religion à lui, tient à ses parents, à sa famille mais n’admet pas leur emprise, grande force morale, il ne peut rester tranquille, a besoin d’activité prolongée et soutenue »,

« Situation : il se créera une belle situation, se mariera lus tard vers 32 ans, pas d’association, peut prendre avion, auto bateau, pas de boisson, pas d’alcool, pas de vices, sera entouré d’affection plus tard, pas de moto après 29 ans, à 29 ans trouvera une situation, pas de syndicats ni franc-maçonnerie, voyage en mer long et confortable, situation à l’étranger intéressante pour lui, excellentes relations avec l’étranger, fortune acquise en pays étranger, santé bonne, vie longue »

Tout cela rassure maman sans doute, j’oublie rapidement tout cela, ma vie va trop vite pour que je m’appesantisse sur ces fadaises, mon inclination sexuelle n’a pas été analysée je suis rassuré, à vrai dire j’aurais aimé que ma mère partie, elle m’en dise un peu plus, seule à seul, elle n’a rien d’autre à ajouter je suis un peu déçu ; avec le recul, revenant sur ce « diagnostic » j’y trouverai des vertus sans toujours comprendre (magnétisme ? traitement en homéopathie sur un mois ? belle situation ? mariage ? pas d’association, pas de syndicat ? fortune acquise à l’étranger ?), je me retrouve en revanche dans divers aspects de ma personnalité comme le caractère inquiet, la prudence, le jugement, la fermeté, l’emprise familiale, mais aussi les voyages à l’étranger et la maturité affective à partir de 32 ans ; je devrais bien reconnaître que l’analyse est approfondie bien que faite avec peu d’éléments et en en temps record

En été 1974 et 1975, fort de mes souvenirs d’escalade, je prends contact avec le CAF (club alpin français), on me propose une fois un séjour d’escalade près de Grenoble. Nous nous trouvons en train de monter la dent de Crolles, au-dessus de moi et d’une fille le premier de cordée, à peu près de mon âge, grimpe avec un short et un caleçon plutôt évasé, la fille et moi-même sommes sous le coup de l’émotion en voyant ses couilles apparaître, je me tourne vers elle pour calmer le choc, mais je suis aussi bouleversé qu’elle. L’année d’après c’est un séjour du côté de Monêtier-les-Bains, village de tant d’été de mon enfance et adolescence, on part pour des randonnées longues, les jeunes randonneurs sont aguerris, je me sens moins expérimenté mais la montagne ne me fait pas peur mais je suis un peu un importun pour eux qui ont l’air de se connaître, deux petits incidents me marqueront, mes yeux s’attardent sur un parisien déluré qui me fascine un peu, mal m’en a pris il voit dans mon regard quelque chose de vicieux, il se met à chanter la phrase d’un chanson à la mode « il me dit j’aime pas les pédés » (extrait de Oh ! les Filles de Au bonheur des Dames) à en m’envoyant un regard noir, je me prend ce coup dans les flancs, une autre fois on me voit lire Manouche de Roger Peyrefitte, j’apparais comme un solitaire, intellectuel, 27-28 ans, et ce Peyrefitte, c’est sulfureux, on parle de moi dans mon dos…

– Un contexte social extrêmement répressif et aveugle depuis tant et tant d’années à l’égard de l’homosexualité

– Des années d’incapacité (ou d’impossibilité) de se connaître soi-même pour l’auteur de ces lignes (voir Vraies et fausses obscénités) : non-dits familiaux, regards sévères des prétendus éducateurs, propos et conduite homophobes de certains entourages (une sœur vertueuse et intransigeante ; amis peu bienveillants ou excédés (les Valdelièvre qui habitent bd Pèbre à côté d’un lieu fréquenté par les homosexuels ou plus tard François de Muizon, ancien ami proche de Christian, qui viendra habiter à proximité) ; un beau-frère très tôt formé à menacer voire à agresser les homosexuels (François-Régis révèlera en 2013 qu’adolescent, Hervé proposait à ses amis d’aller « casser du pédé »), déguster les railleries véhiculées par le Crapouillot sur cette faune extravagante et à aller dans leurs bars pour les voir de près (Hervé expliquait à Christian , dans le salon de l’Armande, à la fin des années 1970 qu’il était allé dans des bars d’homosexuels pour prendre connaissance par lui-même des comportements méprisables de ces sous-hommes) , et mieux les caricaturer et moquer leurs mœurs ; une belle-sœur formée à la rigidité traditionnelle et à la préservation de l’innocence de ses enfants) 

– De 1975 à 1978, j’habite « à plusieurs » dans la maison des Moulières à Cabriès, tout ce qu’il faut pour éviter que je ne sois seul, et me donner l’illusion d’être sociable, tout ce qu’il faut pour me donner le sentiment d’être dans l’air du temps, celui des « communautés » ; on est trois, ils ont leurs amis et leurs amants qui viennent diner ou passer du temps, je suis seul, pratiquement pas de visites. Un jour, je vais à un stage de massages californiens qui se tient dans la campagne aixoise, c’est un moment de libération qui me convient bien, garçons-filles nous sommes nus, et nous apprenons à masser, lorsqu’il faut choisir un partenaire, je me trouve avec la plus jolie fille du groupe, c’est un massage « professionnel », à la fois distant et très sensuel, on masse tout un côté, puis tout l’autre, lorsqu’on a fini je m’illusionne sur le fait qu’un proximité s’est créée avec cette fille, je lui parle mais elle réagit vivement, durement selon moi  « ce n’est pas parce que l’on a fait cela ensemble qu’il faut s’imaginer quoi que ce soit ! », je ne sais ce que j’avais « imaginé », mais encore une fois je me suis pris cela dans la figure …

– Des années de censure à l’égard de tout ce qui pourrait être des indices de vie contrevenant à une morale non écrite et non dite, héritée d’une morale qui plonge ses racines loin dans l’histoire et dans la religion, ce sont des choses dont on ne parle pas : mariages mal acceptés (marié avec un protestant, un juif, un noir), divorce (tante Josette), remariages, mariage civil et non religieux (Roselyne), divorcés remariés et leur accès impossible à la communion (Hélène), prêtres défroqués, prêtres sortis de la vie religieuse et mariés, adultère, enfant né hors mariage (d’ailleurs Gérard fils handicapé d’Yvonne n’est-il pas marqué par cette infidélité infamante ?)  séparations, contraception (méthode naturelle Ogino ou méthode des températures, diaphragme, stérilet – Odile qui arrête de mettre son stérilet – et enfin la pilule…), avortement, bienséances diverses (les écrits de Marc de Leusse), enfin l’homosexualité, la réalité peut-être la plus grave, bannie de vocabulaire certes, mais surtout exclue du « paysage », ça se sait mais maudit soit celui qui ose s’afficher (Christian bien sûr ; mais aussi les cousins,  Frédéric fils de Marc de Leusse, l’oncle Louis maudit par la famille Leusse quoique marquis et chef de lignée, Philippe-Jean Vennin cousin épisodiquement fréquenté ; Van Meele, cousin homosexuel de Philippe-Jean Vennin)

     belle-famille : la sœur d’Henri de Lander, Myriam, dont on ne parle jamais, médecin-psychiatre, elle prend sa retraite en 2015, elle vit avec Marie-Christine, historienne qui travaille au Parc Naturel régional du Luberon ; amis : Alain Blachère dont on parle à mots feutrés, mal accepté par son frère et sa sœur) ; à l’inverse promotion de la fidélité – coûte que coûte – à ses vœux religieux et au sacrement du mariage (Claude et Xavier, Odile et Hervé), promotion du mariage avec une personne bien née, du bon métier, des attitudes pionnières (diplômes, métier en vue, postes honorifiques, engagements militaires), voire saintes ou héroïques, qui seules sont à la hauteur de ce qu’on attend « dans nos milieux »

– La trainée de poudre : l’information se transmet au fil du temps vers les amis, les cousins, cela se dit à demi-mots, cela se sait, celui qui se permet « cela » est stigmatisé, toute reprise de contact après des années de cheminement personnel silencieux (trop silencieux ?) est vouée à une reconquête difficile ou perdue d’avance

 

Années perdues, années de survie :

– Aux années de recherche de soi-même, de refus de se connaître soi-même (malgré le gnauti seauton), d’impossibilité de se connaître soi-même, ont été des années de glaciation, de non communication, de négation de toute sensibilité, de non épanouissement ; et compte tenu du rôle majeur de la sensibilité pour développer des relations humaines, pour développer son intelligence, pour développer sa vie affective, ce sont aussi des années de blocage, de naïveté, d’« arrêt sur image », d’absence de goût pour les gens et pour les choses, d’absence d’expérimentation sociale et humaine, de rabougrissement, de ralentissement au moment où tous les autres prennent la vie à pleine mains, aucun parmi les autres ne peut saisi ce qui se passe ni « d’où cela vient », ne peut apporter d’aide ; ce sont finalement des années de vieillissement.

Il y a d’autres rencontres hétérosexuelles, au Chili en août 1973, où je rencontre un soir une jolie chilienne et avec laquelle je danse comme un fou toute une soirée où je m’exerce à être le chevalier servant flamenco, applaudi par les observateurs. Le flirt s’avance mais je retourne à l’hôtel.

– Je sais bien que j’ai souvent la voix éteinte quand on m’adresse la parole, ou au téléphone, et que ce peu d’empressement à vivre est un obstacle de plus à la rencontre et à la communication. Personne n’a envie d’inviter quelqu’un d’éteint, qui n’apporte guère d’optimisme avec lui.

Un jour j’attends désespérément derrière la porte d’une amie que j’ai connu par le travail, j’aimerais au moins parler avec elle. Une autre fois je manifeste de l’attention à une fille que j’ai aperçue lors d’une réunion militante en lui demandant maladroitement où elle habite, elle voit cela comme une intrusion.

Mais l’essentiel est dans la solitude, cette solitude que je m’efforce de tromper en faisant des kilomètres en voiture pour découvrir les villages de la région, faire des photos, etc. La région (et la Région) m’intéresse, je me mets dans l’idée que je vais essayer de découvrir tous les coins de la région, comme je me suis mis à découvrir pas mal de pays (Algérie, Tchad, Chili…). Et puis j’ai au moins des choses à raconter…

– Que d’années perdues ! Face à cette impossibilité de me comprendre soi-même, le choix que je fais est de me donner une apparence, qui dissimule ma solitude et ma tristesse intérieure, de m’habiller pour me donner une apparence stricte, non pas avec des costumes chics, je n’en ai ni le goût ni les moyens, mais avec une veste simple et une cravate ajustée comme il est de bon ton, à sciences po puis au travail.

Je me fixe aussi des caps, qui sont des motifs de valorisation à mes yeux, des motifs de discussion avec les autres, dans la mesure où à tout moment ils permettent de donner le change : des km à la découverte de la région PACA, la pratique de la photo, un long séjour de coopération en Afrique, etc.

-Ce sont les années de carême

-« Je ne suis pas celle que vous croyez !» : il y a ceux qui soupçonne, il y a le mal être, les tenues plus ou moins corsetées, le malaise et la tristesse, autant de signes qui peuvent peu ou prou entrainer des remarques, des regards, de ma part d’abord (paradoxalement) ; je m’engage dans un effort permanent (désespéré ?) pour contrecarrer l’image que je peux donner, pour me figer dans un costume-cravate anonyme, pour m’arc-bouter, pour n’exprimer aucune affectivité, pour être gris ; et au bout du compte je souffre de cette grisaille, de cette in-expression, de cette tristesse, qui en retour n’inspirent aucune amitié, aucun contact humain, aucun désir de me connaître, de me parler

 

L’engagement 1978-1987

Mais avant la « libération » de 1978, il y a les prémisses pendant lesquels se mêlent culpabilisation et moments de bonheur.

 

1975-1978, années de tâtonnement et d’éclosion

1975 et ma rencontre décisive avec ce collègue de travail à la DRE (André Jacquemart), fraîchement divorcé, qui s’interrogeait sur son échec vis-à-vis de sa femme « Suis-je homosexuel ? » se demandait-il » et avec lequel s’est construite ma 1ère séduction réciproque. J’ai été amoureux de lui à en mourir quand il m’a laissé tomber, surtout quand j’ai découvert qu’il passait du bon temps avec l’un des comédiens des Mirabelles. J’étais mortifié d’avoir été son « expérience » pour se découvrir lui-même, j’étais mortifié d’être trompé, je me sentais incapable de découvrir par moi-même, tout seul, quelqu’un d’autre que j’aime autant dans un monde si hostile à cette découverte que je faisais. J’avais au moins découvert que l’homosexualité « heureuse » ça pouvait exister. Alors que jusque-là, je n’avais en tête qu’une image négative de ce qu’étais l’homosexualité.

 

Il y a eu mon retour au Tchad pour un mois au printemps 1975, lors du coup d’Etat du général Maloum, qui renverse Tombalbaye. Je séjourne ensuite une semaine au Cameroun, à Yaoundé j’ai enfin trouvé la force de « solliciter » par un regard, dans l’escalier, l’un des employés de l’hôtel … qui n’attendait que cela. Lorsqu’il s’est étendu sur le dos en ouvrant grand ses jambes j’ai compris qu’il voulait que je le pénètre, je n’avais jamais imaginé cela… il m’a « refilé » une chaude-pisse. Je ne connaissais pas cela, quand je suis allé voir un médecin européen, il m’a dit : « Ce n’est rien, il faut simplement vous circoncire. Venez tel jour, je le ferai. ». Chance, je rentrai en France quelques jours après pour traiter cela.

 

Et puis en 1977 le Maroc, mon voyage avec Sophie Gadenne. Je suis heureux de ce voyage avec Sophie, bordelaise et parisienne. Intelligente et vive, Le sud marocain que nous parcourons par une grande boucle depuis Marrakech et Fès, par les vallées du Drâa et du Dadès est époustouflant. Sophie partie, j’ai une semaine devant moi. Je reste à Mohammedia, chez les Bauchet (M. Bauchet y travaille, son épouse est une collègue de travail à la Direction régionale de l’équipement, à Marseille). A cette époque, je suis déjà un peu sorti de mon placard et je sais déjà un peu assumer mon désir sexuel. Ce voyage avec Sophie a été très bien, mais pas particulièrement marqué par le désir sexuel, plutôt par la sublimation liée à la beauté du pays. Je m’étais ouvert de mon désir homosexuel, elle me disait qu’il n’y voyait pas d’inconvénient… Je remarque vite immédiatement après son départ que la plage de Mohammedia à laquelle est adossée la villa des Bauchet est une incroyable farandole de garçons, je n’y comprends pas grand-chose, mais je suis irrésistiblement attiré. Un beau garçon vient à moi, cheveux blonds peroxydés, je suis désarmé, là sur place, impossible, je lui donne rendez-vous chez les Bauchet – qui sont partis en voyage – pour le lendemain à 16h. Mais le lendemain, j’attends en vain, ma déception est grande. Lors du retour des Bauchet, c’est le branle-bas de combat, j’assiste à une explication sur le fait que quelqu’un a essayé de venir dans la maison, mais apparemment avec mon accord. Il est vrai que tout à côté se trouve une résidence du frère du roi et la surveillance est draconienne. Au moment décisif de l’explication, celui qui donne l’explication s’exprime en arabe, et M. Bauchet est atterré (le mot homosexuel a sûrement été prononcé), sous-entendu « comment est-ce possible, chez moi, de la part de cet ami bien sois tous rapports de mon épouse ? ». Je sais à partir de là que ma présence n’est plus bienvenue. Heureusement mon séjour touche à sa fin…

 

A mon retour à Paris, je revoie Sophie qui m’a pris en amitié, ce voyage nous a bien rapproché. Mais inévitablement, j’ai la tête ailleurs, et lorsque nous passons devant les Tuileries, la machine à fantasmes s’active d’un coup…

1975-1977 sont les années du grand malaise, entre désir mieux connu, blocages continus, sentiment de vieillir sans vivre, solitude et recherche personnelle sur ma voie. Je suis dans un mal être existentiel. Dans ma grande solitude, je sublime le plus souvent le dimanche avec de grandes balades à pied ou de grands parcours en voiture pour découvrir encore et encore de nouveaux villages de la région. Le samedi soir est le plus dur et maintenant que je sais quel est mon désir je pars à la recherche de garçons, sans trop savoir où en trouver, en fonction des informations furtives cueillies ça et là, une fois un travesti Bd de la Libération, une fois avec un beau sortant de prison rencontré rue Sénac, face au Cancan, une autre fois avec un garçon cadre dans une banque, marié, son épouse n’est pas là, il m’emmène dans son appartement douillet. Quelques semaines plus tard, le même il m’appelle pour me rendre une partouse dans un appartement du vieux La Ciotat, ils sont une dizaine nus à m’accueillir, il faut que je me mette nu, on dîne ensemble, puis les ébats commencent, je suis tellement tétaniser de devoir me mettre bu devant ce petit monde que je me dissimule comme je peux, puis ne quitte pas mon chevalier servant. Je tente ce qu’on appelle la drague près du parc Borély la nuit, sans comprendre le jeu des ombres ni ce qu’il faut faire pour en savoir plus. Je tente « Sébasto » dont on parle tant, mais je ne comprends pas la manège des hommes que j’aperçois. Je reviens déçu de ces sorties en extérieur. Je tente les saunas dont on parle, j’en identifie un puis un autre, je découvre la déambulation nue la taille en entourée d’une serviette, dans l’obscurité et l’odeur forte liée à l’humidité, comprendre le manège, les tentatives d’approches qui essuient des refus désagréables puis les rencontres soulagement toujours anonymes et sans paroles, l’expression d’un sentiment n’a pas sa place, on se quitte aussi vite qu’on s’est trouvé, pas question de construire une relation même courte, le furtif prime.

Pour moi tout cela est nul, sans espoir. Impossible d’imaginer une vie, un avenir sur cette vacuité. J’ai perdu de vue mes amis hétéros, j’ai des contacts réguliers avec ma famille grâce à des repas familiaux et des moments de fête, j’ai ma vie professionnelle mais fondamentalement je suis seul. Le Laboratoire de conjoncture et prospective où je travaille m’envoie au Sénégal et au Cameroun, moments importants pour moi, dérivatifs de sublimation que je connais bien, découverte de nouveaux espaces, de nouvelles cultures. C’est aussi des lieux de tâtonnement dans mon cheminement homosexuel, j’ai le culot de faire monter dans mon bel hôtel, le Teranga à Dakar, un jeune sénégalais, je serai un peu plus assuré au Cameroun lorsqu’un employé d’hôtel se proposera, sans doute au vu de mon regard. Cette rencontre camerounaise me laissera un petit souvenir, le sexe irrité je consulte un médecin, un français, voyant mon sexe riquiqui (sans doute l’effet de la honte) recouvert par mon prépuce, il me dit ce n’est pas grave, revenez demain je vous circoncis, heureusement que je dois rentrer en France quelques jours plus tard, je préfère faire regarder cela en métropole, le diagnostic ce sera une blennorragie, elle se traitera par antibiotique. Je savais que les relations sexuelles étaient risquées, cette petite expérience aura été suffisamment cuisante pour que je sois toujours sur mes gardes à l’avenir (prenant peu de risques, mais au bout du compte ayant une vie sexuelle plutôt réduite…).

 

Aux années de fuite éperdue (voyage, évitement, dissimulation) et d’illusions, succèdent les années d’appropriation de moi-même, difficiles car je ne veux si peu me regarder moi-même ; je vis peu, je vis mal, je n’ai guère de plaisir de vivre, je tâtonne, mais je goûte à d’autres choses, la vie collective à Cabriès, on est à trois (avec Marc Depriester et Monique Visserot, dite Julie, puis avec l’amante de Marc, Gloria, une bolognaise sympathique), à la fois pour économiser sur le prix de location de cette grande maison des Moulières, nous sommes amis, mais pas très proches, ils sont faciles à vivre, ils m’aident à vivre, ils réfléchissent beaucoup, les discussions sont parfois poussées, leurs lectures sont de bon niveau, personne ne juge l’autre, ni ne regarde ce que vit l’autre, on se respecte, et par là sans le savoir ils m’aident ; mai 68 est passée par là, Marc cultive du cannabis dissimulé peu ou prou au milieu de plans de tomates, et surtout je me laisse un peu porter, sans trop savoir où je vais, par des stages qui m’ouvrent à de nouvelles analyses psychologiques, à écouter et à m’exprimer (l’un de ces stages se veut initiation au nom pompeux de « psychogénèse »), ou un week-end de massage (c’est là que j’apprends le massage californien) ; un jour un groupe d’ami bolognais de notre italienne vient passer un week-end, et avec eux j’accepte avec réticence de consommer du LSD, expérience transgressive s’il en est pour moi avec sa plongée dans un nouveau monde, expérience douloureuse aussi car je suis tellement retenu et bloqué, tellement seul aussi dans mes hallucinations, que je ne le vis pas comme une libération ou un épanouissement ; en même temps l’espace s’ouvre, Jean-Paul Curnier, futur philosophe, et sa copine Marie, futur psychiatre je crois, viennent souvent manger avec nous, ou même dormir dans la pièce du bas, Jean-Paul est vif, intelligent, toujours gentil et respectueux ; ces présences sont à la fois peu de choses et beaucoup dans cette période où je me cherche. Ce sont des années perdues, mais aussi des années nécessaires, il me faut mieux me connaître et mieux m’accepter pour arriver à vivre enfin.

 

Peu à peu je ferai un pas, des pas ; la rencontre avec  André Jacquemart, décisive en 1975 lorsque je travaillais à la DRE, puis avec Jacques Fortin qui était un train de créer un GLH (groupe de libération homosexuelle) à Marseille, par le Cancan et par la Mare au Diable ont commencé à jouer un rôle ; pendant la période de vie à Cabriès, je travaille au Laboratoire de conjoncture et prospective, à Bandol, dirigé par Christian Goux et animé par Bernard Morel,  je fais des missions au Sénégal puis au Cameroun, j’y laisse un peu s’exprimer mon désir homosexuel

 

En 1977, j’ai quitté volontairement la DRE, le LCP (Laboratoire de conjoncture et prospective) dirigé par Christian Goux (économiste, maire de Bandol, alors) et de Bernard Morel (économiste et futur conseiller régional), me propose une mission au Sénégal, c’est mon rêve de retrouver l’Afrique, j’ai à conduire une étude de prospective sur ce pays. Je ne m’attarde pas sur le caractère prétentieux de ce travail d’expert auprès de la présidence de la République, au regard de mes capacités… c’est en tout cas pour moi un saut dans la liberté affective, à un moment où j’ai enfin fait les premiers pas dans mes désirs homosexuels. Premier séjour dans un petit appartement, deuxième séjour à l’hôtel Teranga (beaucoup plus cher, je suppose plus à la hauteur de la mission qu’on m’a fixée…). Grâce au petit appartement, je fais mes premières rencontres librement, en revanche à l’hôtel Teranga, je dois conquérir ma liberté face aux vigiles et huissiers, je ne peux pas inviter un garçon à venir me voir, je dois affronter avec lui les regards. J’ai trop besoin de ces 1ères rencontres pour ne pas prendre ce risque, dans un pays où l’homosexualité n’est que tolérée.

 

A Marseille, avant comme après ces séjours sénégalais, je suis démuni. Je tâtonne comme l’aveugle qui ne connais pas les usages, comme l’étranger qui ne connais pas les clefs. Un soir je vais au Cancan, un garçon, plus malin, dont j’apprendrai qu’il travaille dans une banque, m’accoste, il m’entraine chez lui, appartement très correct d’homme marié dont épouse et peut-être enfants, sont en vacances, nuit sympa, sans plus, il faut que je m’habitue aux odeurs de corps et des habitudes que je ne connais pas nécessairement. Il a ferré le poisson, il se méfie un peu, il note ma plaque d’immatriculation au cas où… Quelques jours après il m’appelle pour une soirée galante, j’hésite, mais dans ma solitude, je plonge. Je me retrouve dans un appartement de La Ciotat, j’arrive un peu tard apparemment, tout le monde est à poil, le plus âgé est médecin hospitalier, m’étant mis à nu obligatoirement, je suis mal à l’aise, à la fois extasié et replié sur moi-même. L’un ou l’autre commence à tripoter son voisin, tétanisé et désirant, je suis entrepris par celui qui m’a invité, le seul que, dans mon souvenir, j’ai osé toucher. Puis les choses se passent correctement, chacun a assouvi ses désirs et nous mangeons dans une nudité qui pose plus problème.

Mais après cet événement, je me suis retrouvé seul, avec des rencontres épisodiques, une fois un travesti ramassé dans le prolongement de la Canebière, je ne comprends pas le travestissement, en même temps c’est grâce à cela que je l’ai repéré… Une fois un sortant de prison ramassé juste en face du Cancan, très beau moment de rencontre de deux solitudes.

 

En 1978, toujours au LCP, on me propose une mission au Cameroun, toujours l’Afrique, mon désir de connaître ce continent, et la sublimation africaine. Je suis beaucoup plus libre, mais le financement venant de la Fondation Nestlé, me met mal à l’aise, moi qui ai plutôt envie de travailler sur les réalités sociales, et à temps perdu de me plonger dans les quartiers africains. J’ai quelques rencontres plus ou moins sympa, la 1ère me surprend, un garçon d’hôtel qui ouvre grand les jambes en avant pour se faire pénétrer, outre que je ne suis pas attiré par ce genre de relation, je m’attrape alors ma 1ère (et dernière, je crois) chaude-pisse (blennorragie), elle ne sera pas si simple à résorber car je ne sais pas et je n’ose pas en parler, mon séjour est court heureusement, je finirai par rencontrer un médecin, français, qui n’y voit goutte, il me dit « revenez demain, je vous circoncis », il est vrai que cette fois-ci mon sexe était resté tout petit devant lui, il n’avait vu pas vu le gland…Une autre fois, j’ai vécu une rencontre qui m’a semblé dangereuse lorsqu’un gars a fini par détecter chez moi le désir de rencontrer un garçon, à force de me pousser à m’exprimer, il a alors essayé de me faire chanter et de me courir après pour me dénoncer. Une autre fois, à Douala, je fais une rencontre sympa avec un gars avec qui je me suis lié dans la rue, il finit par comprendre mon désir, il demande à un ami de m’attendre devant sa maison, mais il met tellement de temps à en ressortit que je renonce et l’échappe, son ami très malheureux de ma voir partir, tente de me rattraper, sans succès…

 

Marc Depriester – l’une des personnes avec lesquelles je vis en « communauté » à Cabriès de 1976 à 1979 – se charge de m’expliquer que l’homosexualité, c’est la solitude assurée pour les jours futurs (et pour les vieux jours). Il me dit aussi le plus grand mal de la musique disco, la seule musique que je découvrirai dans la boite gay de la Mare aux Diables que je découvrirai le samedi soir lors de mes 1ers pas aux GLH en 1978. Je n’y vais pas pour la musique…

 

A l’Armande, lorsque je vais voir les Parents, Hervé Rousseau intervient de façon égrillarde dans le salon, en présence de mon père Xavier, pour raconter la façon dont se comportent des homosexuels qu’il a vu dans un bar ou une boite où il est sans doute allé intentionnellement pour observer cette faune. Il lit « le Crapouillot » qui brocarde grassement les homosexuels…

 

La Société comme verdict de Didier Eribon, (qui paraîtra en 2013) dans son milieu ouvrier d’origine à Reims on jase sur « le fils qui est… » lorsqu’il revient voir sa mère et il décrit ces « centaines de murmures s’échappent de ces maisons en s’agrégeant en un nuage sombre qui m’enveloppait de sa force de catégorisation : ‘Le fils homosexuel de Mme Eribon’ »

 

Revenant sur ma vie personnelle, je découvrirai que des prêtres étaient remués par la question de l’homosexualité. Ceux qui m’avaient posé des questions intimes ? peut-être. Mais aussi d’autres, plus explicitement, Blaise Noël dont les sermons étaient percutants, à l’église de la Cité internationale pendant mes 3 années de cité universitaire, et que je redécouvrirai comme psychologue animateur d’un lieu d’écoute gay à Paris, lors d’une gay pride parisienne. Je resterai de loin en loin en contact avec lui, il aura plaisir à me revoir au hasard d’événements militants (salons des associations, gay prides, etc.) dans le milieu gay parisien.

Je découvrirai, membre du David et Jonathan, le curé de la Valentine, qui héberge le groupe pour certaines de ses réunions, il est alors en même temps aumônier au Cours ND de France…

Plus vaguement tel ou tel autre restera dans ma mémoire, alors que je prends de plus en plus mes distances avec le milieu clérical. En particulier, une fois, un père jésuite rencontré dans le milieu gay, tourneboulé par sa découverte de lui-même et son besoin de vivre son désir, restera dans ma mémoire, d’autant plus que les jésuites ont été mon milieu d’enfance et d’adolescence.

 

Grâce à ma rencontre avec André Jacquemart en 1975, j’aperçois une lueur. Je comprends que l’homosexualité, jusque-là vue comme détestable à travers les figures publiques que j’avais devant les yeux (les figures du spectacle), est désormais acceptable. J’au rencontré quelqu’un de cultivé et intelligent, donc c’est possible d’être homosexuel et normal. Je suis un peu rassuré mais complètement déstabilisé. En même temps il m’a donné un indice qui puisse m’aider à avancer. Il y a quelqu’un à la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire) dont il est sympathisant, qui a une réflexion forte sur ce sujet et qui crée un groupe de réflexion.

Jacques Fortin, RDV, groupe, la Criée

 

L’homosexualité assumée

Fin 1977, après de longues tergiversations, je fais le pas de monter les escaliers (montée pleine d’émotion, un coming out à elle seule) qui mènent au local du GLH, rue de la Palud, à côté de l’église.

Montée des marches, le groupe, dynamisme, accueil, repas du vendredi soir, festival cinéma, débats publics

Les amants dans le GLH (Martinez, Marco, et tant d’autres), peu hors GLH

– 1978, le GLH ; le Mazel à l’été 1978

– 1979 la 1ère UEH extraordinaire avec ses ateliers, son bal et son grand gala, elle est le point de départ du CUARH et de plein d’autres choses (contacts à travers la France) en juillet 1979 et Paris Match qui sera le point de départ de Mémoire des sexualités

Une vie nouvelle, je revis, je crois comprendre enfin où je peux aller

 

A Noël 1979, nous partons à quelques-uns du GLH (dont Gogo, Marco) à Londres, chez un ami anglais de Gérard. Des soirées à la découverte des grandes boites de nuits, toutes plus grandes et exaltantes les unes que les autres. Noël à Londres c’est à la fois une grande fête et un peu lugubre, dès que Noël est passé il n’y a plus personne dans les rues. Mais nous sommes entre amis et ça se passe très bien. Pour moi ce séjour se fait dans l’attente, dans l’attente de notre retour sur Paris, c’est moi qui conduis et je suis un peu casse-cou entre le ferry et Paris, la route est enneigée, mais je veux aller vite (je commets une imprudence et la voiture glisse vers un ravin, nous sommes bloqués, nous appelons à l’aide des riverains, ils sont assez sympas pour nous aider à remonter la voiture sur la route…). En fait je ne veux pas arriver trop tard, car j’ai eu un coup de foudre dans une boite de nuit avec un garçon à l’aller, je veux le revoir. Chance, je retrouve mon joli garçon. Il nous faut trouver un lieu, j’ai la chance que Pablo Rouy soit présent, il nous propose de nous recevoir chez lui. Pour la première fois je découvre le plaisir de la pénétration, ce garçon que je désire me fait vivre ce plaisir nouveau pour moi et si fort. Au point que je suis un peu gêné que ma plainte de plaisir risque de s’entendre de l’autre côté, où dort Pablo. Ce n’est pas pour cela que j’y prendrai goût, mais ce garçon m’a envouté.

 

En juillet 1980, je prends l’initiative, un peu inconsciente d’organiser une grande soirée à l’Armande – la maison de mon enfance et de mon adolescence – rassemblant mes différents amis ; en cela je suis dans le rêve de faire la synthèse entre mes amis homos et hétéros, je ne veux (pas encore…) croire qu’il s’agissent de deux mondes différents, un peu étanches et largement incompatibles… Idéal personnel de vivre au grand jour, de mêler et réconcilier, que sais-je ? en tout cas de donner à mes nouveaux amis homos toute leur place dans mon ancien monde hétéro. Pourtant beaucoup de choses ont changé depuis mon émancipation du milieu familial il y a 15 ans. Mon père ne comprend pas trop ma demande d’obtenir qu’il ne soit pas présent, il a des craintes tout de même que cette maison familiale où il y a tant de belles choses ne soit pas tout à fait respectée…Il a demandé à Mme Rougier, l’épouse du jardinier, d’être là (ce qui est un peu humiliant pour moi). La fête est belle, je suis heureux, je ne vois pas trop tout ce qui se passe, je ne pense pas à ces danses et ces rencontres clairement homosexuelles qui risquent de heurter les chastes regards hétérosexuels (anciens amis de mon adolescence et nouveaux camarades de travail). Mme Rougier me fera une remarque, marqué par un sourire un peu égrillard, du type : « il s’est passé de drôles de choses ».

 

Puis je me rends au 1er camping gay italien de Capo Rizzuto, en Calabre dans l’extrême sud de l’Italie, c’est la découverte du « paradis perdu », une occasion extraordinaire de vivre pendant 15 jours la fête et la détente avec des homosexuels italiens et de différents pays. J’y fais la connaissance de Claudio Cappuccio, 22 ans alors que j’en ai 35, avec lequel je vis de bons moments.

 

En septembre 1980, je fais un stage de danse à Venise sous la direction de Jerome Andrews, ancien du New York City Ballet. Je fais depuis plusieurs mois de la danse contemporaine avec Nicole et Norbert Corsino, ce stage se présente à moi, je saute sur l’occasion, j’y retrouve Anne-Marie Chovelon qui anime un cours de danse à Marseille et quelques amis. C’est l’occasion de voir la Mostra de Venise et de retrouver un ami du camping gay italien, fou de cinéma (et en particulier de Fassbinder).

 

Profitant d’un temps de chômage, je passe la 2ème quinzaine de décembre 1980 en Italie. J’y vais pour revoir Claudio Cappuccio à Tarente, où il habite avec sa famille, je découvre qu’il m’a un peu oublié mais il m’ouvre de nombreuses portes et me fait découvrir la région des Pouilles (Copertino, Alberobello, Locorotondo, Nardo et la magnifique capitale de la région, Lecce). Je vis à Tarente une de mes plus belles rencontres amoureuses que j’ai décrite dans un cahier qui raconte ce voyage :

« A l’heure dite les deux jeunes Tarentais que j’avais rencontré la veille sur la grande place sont arrivés. Pleins de gentillesse et de tendresse. Ils n’étaient pas venus pour rien, je ne leur avais dit « oui » pour rien. C’est merveilleux cette liberté d’être. Les Italiens sont je crois là bien en avant des Français. Quand ils ont pu franchir la barrière des tabous bien sûr. Ils ne sont pas bloqués par quelque pudeur mal placée, ce qui n’enlève rien à leur délicatesse. Comment puis-je décrire ce plaisir d’être que j’ai éprouvé avec eux. Je leur ai dit que je n’avais pas encore fait l’amour depuis que j’étais arrivé à Tarente ; je ne sais pas si cela a eu un effet sur eux, en tout cas cela en a e un pour moi. J’étais si bien avec eux, surtout avec le plus beau d’entre eux (celui qui n’avait pas dit s’il viendrait ou pas) le plus éclatant, le plus vivant. Il fait de la danse classique, il a de beaux muscles pectoraux et dorsaux, dans les jambes aussi. Quelle fête d’être dans un tel climat de désir et de tendresse.

Nous sommes restés longtemps l’un contre l’autre, assis, sexe contre sexe. Lui gémissant au moindre contact de la main sur son sexe, craignant d’éjaculer trop vite. Corps contre corps, plénitude et vie intense. Après de longs baisers et ce contact de peaux qui transporte et transforme la vie. Toison noire sur un corps peu velu mais déjà très développé. Sexe sensible et beau recouvert d’un prépuce souple et fortement innervé. Yeux soulignés par des cils noirs, magnifiques cheveux noirs et souples. Il m’a dit s’appeler de l’équivalent italien de Blaise. Et son ami que j’ai quelque peu négligé a sent, avec tant de délicatesse, mon attirance pour lui qu’il nous a laissé faire l’amour longuement. La fête de l’amour donne un goût intense à la vie. Tarente, c’est encore et toujours la joie d’aimer. »

Après ce voyage dans le sud, j’ai découvert Milan et de nombreux amis que j’avais connu auparavant, au camping gay et à la Mostra de Venise, et de parler avec tel ou tel d’amis Français et Britanniques. 1980 est décidément mon année italienne.

 

Le 14 septembre 1981, le magazine italien Europeo rend compte du campegio gay (camping gay) qui se tient à Ripari di Giobbe, près d’Ortona, dans les Abruzzes, avec pour titre « Eran trecento, giovani e gay », les animateurs sont cités, Felix et Ivan, les deux fondateurs du journal Babilonia, et bien d’autres qui viennent de tous les coins d’Italie et d’ailleurs, parmi les étrangers interrogés, je figure « Christian, marsigliese », je suis alors un assidu de ces campings italiens, lieux de liberté et de fêtes.

 

Arrivé depuis peu à l’Agence régionale pour l’environnement (de la Région PACA), j’ai connu Françoise en travaillant sur les questions d’éducation à l’environnement. J’ai grand plaisir à rencontrer sa mère, érudite admirable, traductrice de la Bible grecque des Septante.

 

A l’été 1982 je fais avec Françoise Harl le tour du Mont-Blanc – partis de Chamonix où sa mère a un chalet, on en fait la moitié – ce qui n’est déjà pas mal – peu à peu nous dormons dans le même lit en refuge ou en hôtel de montagne. Il y a bien longtemps que je ne me suis pas retrouvé avec une fille, nous faisons un peu l’amour, je ne suis pas trop à l’initiative. Elle m’aime bien, moi aussi. Je resterai longtemps pour elle un ancien amant. Elle est dans une période où elle choisit entre 2 hommes, moi et un bon ami architecte marocain, elle veut se faire une idée sur celui avec lequel elle pourrait faire sa vie. Elle choisira tout naturellement le beau marocain, elle n’en est pas folle amoureuse, mais c’est pour elle le plus raisonnable.

 

1983 n’est pas une bonne année pour moi. Je suis proprement vidé du GLH par Jacques Fortin au moment où j’avais le plus à cœur la préparation de la 3ème Université d’été homosexuelle sur le thème que j’avais proposé « Vivre gai en Méditerranée ». Après 4 années de participation à ce groupe et de militantisme assidu. Les autres ont préféré « écraser » devant Jacques Fortin plutôt que de prendre ma défense. Je m’en suis expliqué dans une lettre d’information en juillet dernier. Ce n’en est pas moins cette année que j’ai écrit ce texte de synthèse et de réflexion après 5 années de vie homosexuelle dans cette ville, bilan pour moi intitulé Notes sur vivre gai en Méditerranée.

D’un autre côté, je suis très déçu sur le plan professionnel. Cela fait 10 ans que j’effectue des travaux et des approches diverses pour être recruté par la Région – l’établissement public régional dit-on avant que cela devienne le Conseil régional -, j’ai fait une thèse de 3ème cycle sur les grands acteurs fonciers et immobiliers de Provence -Alpes – Côte d’Azur, rendu une étude sur le secteur bancaire de la Région au seuil des nationalisations, etc. Je connais le petit staff qui entoure le président de cet établissement public, Gaston Defferre, puis Michel Pezet en 1981). Je me persuade que je suis ostracisé par le directeur de Cabinet, Jean-Paul Geoffroy (futur préfet) qui a déclaré à des proches, après avoir vu ma photo en grand dans le journal Paris Match d’août 1979 : « Avec une photo comme celle-là, il pourra toujours présenter sa candidature à la Région ! » …

Je finirai par être recruté par le seul membre du staff que je ne connais pas, Bruno de Monsabert, directeur de l’Agence régionale pour l’environnement, pour travailler dans un domaine que je ne connais guère. (Je prendrais pourtant plaisir à découvrir de nouveaux aspects de cette région, ce sera surtout pour moi une entrée pour accéder à un autre service, celui de la politique de la ville et de m’occuper des aides de la Région aux quartiers défavorisés, de Marseille et d’ailleurs.)

 

Juillet 1983, le journal Le Monde (dont Jean Contrucci est correspondant) cite mon nom au bas d’un grand article sur la 3ème Université d’été homosexuelle, comme contact pour le lancement d’un projet de fondation pour des archives homosexuelles. Depuis quelques mois, à la suite du procès gagné contre Paris Match, et les 10 000 francs difficilement gagnés, (pour la grande photo parue dans Paris Match en août 1979 me montrant en train de danser au cours du bal de la 1ère UEH) nous avons créé à Paris une petite équipe avec Jean Le Bitoux (Jacques Vademborghe, Geneviève Pastre, Pierre Verdurier et d’autres) qui met en place un projet de fondation mémoire des homosexualités destinée à recueillir les archives des gays et lesbiennes.

 

Vers 1984, à l’ARPE (agenre régionale pour l’environnement), je fais une fixation sur un collègue de travail, ingénieur, en charge des rivières, Jacques Podlejski, il s’en rend compte rapidement, un jour il me propose de venir chez lui, sans doute conscient d’une bisexualité latente (il est en effet dans une période où il a beaucoup de tendresse pour une secrétaire), j’ai dormi chez lui, j’ai souvenir de longues discussions et confidences, mais aucunement d’une nuit d’intimité ; un week-end suivant il nous propose à tous les deux, cette jeune fille et moi, de faire une excursion dans le canyon de la Nartuby dans le haut Var. C’est pour moi d’abord une épreuve sportive (pénible descente à pied dans un canyon froid et dans une eau glacée, je suis à un moment exténué, il vient au bout d’un long moment de repos m’encourager à repartir), puis c’est un magnifique moment de surprise lorsque je vois son corps nu sautant dans une vasque, c’est une émotion inespérée, l’intimité qu’il a avec nous deux lui paraît suffisante pour qu’il fasse cela devant nous.

 

Les années 1979-1985 sont pour moi des années de bonheur et d’affirmation, rencontres amoureuses, folies, organisation d’événements (UEH, débats, festivals, 1ers mai, fêtes chez moi, etc.)

 

Même si tout n’est pas rose : là aussi je peux ne pas être totalement admis, un jour un repas est organisé par Alain Julien (fondateur du tout premier noyau du GLH), j’ai été tenu à l’écart des invitations, je ne comprends pas cet ostracisme à mon égard même si je n’ai jamais eu de contact très amical avec Alain, pour moi « on s’aime tous », l’information est venue incidemment à mes oreilles et j’ai appris alors que d’autres repas s’étaient tenu sans moi, je me rends pourtant à ce repas, Alain Julien très « pro » me donne tout de suite un couvert… ; ainsi donc je peux là aussi être tenu à l’écart ! le milieu familial (dont je me tiens à l’écart plus qu’il ne me tient à l’écart) n’y suffit pas…

Et les 2 dernières années 1985-1987 sont difficiles, après le départ de Jacques Fortin en 1985 (il dit devoir s’occuper de son fils qui a 14 ans) le GLH s’effiloche (de la Boulangerie au Bateau Ivre de la rue Fongate) et l’UEH de 1987 pose un gros problème.  François-Claude Giannoni, nouveau président, est loin d’être le fédérateur qu’était Jacques

 

En 1987, j’organise une fête chez moi, après mon installation rue d’Aix, en invitant ma sœur Roselyne au milieu de tous ces gays, mes nouveaux amis ; Roselyne a un malaise, elle demande à s’allonger et se met ainsi à l’écart (je ne saurai pas ses raisons : elle n’a jamais vu cela ? elle ne supporte pas ? dans quoi Christian l’a-t-elle amené ?)

 

Je vis des années de découvertes artistiques importantes pour moi :

– Danser et découvrir les grands danseurs

– Me passionner d’opéra

– Aller au théâtre et dans des expositions

– Ma passion pour la photo, capter la beauté des regards et des corps ; extraordinaire moyen pour attirer l’attention et les désirs

 

Le reflux 1987-1992

 

1987, voler de ses propres ailes

Disparition du GLH, disparition de l’Université d’été, ce sont des séquences fortes qui mettent le grand oiseau (il a déjà 41 ans) à l’épreuve de voler de ses propres ailes. L’épreuve est difficile, ses amis, ses amants il les trouvait dans le groupe, grâce au groupe. Désormais tout cet entourage, porteur, a disparu. Et, ce qui est peut-être plus dur, l’espérance de participer à la reconstruction d’un mouvement collectif est loin d’être d’actualité. L’effondrement lié au sida est à plusieurs détentes : démobilisation, solitude, enfermement, et … veillées funèbres.

L’apprentissage est douloureux.

 

En 1987, le bruit s’est répandu parmi les membres de la famille (8 ans après la photo de Paris-Match), François-Régis avec l’énergie du converti prend l’initiative de proposer à ses frères et sœurs de prier pour Christian. Sans que celui-ci n’en sache rien. Plutôt que parler avec la personne supposée concernée et chercher à comprendre, il vaut mieux échafauder des théories et prier (pour tenter de convertir ? pour espérer un miracle ? mettre fin à un scandale ?) ; en février 1987, François-Régis écrit à Hubert que « toute la famille a décidé de faire une neuvaine pour Christian » qui a 41 ans le 1er février, il poursuit « il suffit de lire la prière du père Marie-Eugène, ci-jointe,… d’autant qu’il est en voie de devenir bienheureux… prions avec conviction, foi et amour pour Christian »

 

La longue période de déséquilibre personnel

Trouver son équilibre, dans la solitude n’est pas facile. Je n’ai pas d’amis proches, les amis militants ou rencontrés lors des fêtes ou des événements de toutes sortes de la vie homosexuelle, ne sont pratiquement jamais des amis proches. Ils ne sont donc plus là. Seuls restent les amis du petit noyau qui se retrouve au restaurant des Régates sur le port, deux ou 3 fois par semaine pour déjeuner : Pierre Jolivet, Michel Richardot, Léon (JP Léonetti), Claude Prévost, quelques fois Flavien (Georges Fernandez), mais aussi Lolo (Laurence Jouanneau, sœur d’un ancien du GLH) et Sophie Sicoit qui nous aiment bien, s’y rajoutent Joss (qui tient un laboratoire médical à la Castellane et bientôt les Morin (Daniel et Danièle, couple d’enseignants qui apprécient cette compagnie fantaisiste), ce lieu de rendez-vous attirent d’autres anciens du GLH (Roland Farges, Jean-Marie Bado, l’infirmier, etc.) ou tel ou tel ancien amant de l’un ou l’autre.

Il y a heureusement les nombreux dimanches passés à Barjols, chez Pierre Jolivet, ses parents sont toujours accueillants et c’est pour moi un apaisement d’aller ainsi à la campagne en week-end.

Il y a le boulot, intéressant, dans le domaine de la politique de la ville, il y a mes activités associatives, A3CI (association d’aide à la création d’entreprises par les jeunes) toujours intéressant, le centre social Belsunce qui connait de belles périodes d’action pour les habitants du quartier où je vis, pendant un moment l’ADRIM (successeur de l’ATOM), un peu de vie politique avec le Cemers, club politique mis en place par Philippe Sanmarco.

Hormis ces moments-là, c’est pour moi une période difficile, marquée par la solitude. Une période pendant laquelle je vis souvent avec le sentiment du manque. Ce n’est pas le manque d’un compagnon, je ne suis pas assez déterminé à vivre mon homosexualité pour ressentir ce manque-là, d’autant que j’ai déjà vécu pas mal de rencontres, et la vie à deux n’a jamais été simple. Non, c’est un manque, face à ma vie, face à un sentiment de vide. Le discours des prêtres n’est pas complètement estompé, et le discours familialiste est toujours un peu là. Ce n’est pas le sentiment de culpabilité, c’est la difficulté qui m’est propre à organiser ma vie. Ce n’est pas la tristesse, ce n’est pas la nostalgie, mais le sentiment de l’inutilité m’envahit parfois. J’ai fait un choix difficile, celui de m’assumer, il me faut aussi assumer cette solitude. Par chance, je ne suis pas envahi par le sentiment que tout le reste de ma vie risque d’être une longue solitude. J’ai assez de ressort pour « tenir », et vis-à-vis des autres faire bonne figure. Les moments de détente, de joie, de plaisir ne sont pas si fréquents. Je n’appelle jamais qui que ce soit le dimanche alors que c’est la journée la plus difficile, il faut attendre que ça passe jusqu’à mon jogging de fin de journée à Borély ou à Pastré.

La piscine que je fréquente chaque semaine depuis 1977, est un moment fort de voyeurisme et exceptionnellement de rencontre-attouchement dans une cabine. L’interdit ou au moins la nécessité de discrétion, renforce la violence désir. C’est pendant de longues périodes d’abstinence, un moment attendu, avec ses émotions qui restent plusieurs jours en tête.

 

 

La nécessité de choisir (à regrouper avec le § adéquat)

Soit passer mon temps à chercher, dépenser sans compter de l’énergie et du temps à la recherche de l’âme sœur, « écumer » les boites et les saunas, dans une recherche éperdue et impossible de l’âme sœur

Soit choisir d’assumer ma solitude, de « faire avec » cette difficulté de vivre, et de m’engager dans mes autres centres d’intérêt, faire comme si vis-à-vis de mes autres interlocuteurs, dont certains peu à peu savaient (à partir de l’article de Paris-Match en 1979, du Monde sur Mémoire des sexualités en 1981, à partir de telle ou telle interview télévisée, ou des cérémonies de la Déportation depuis 1995) ; choisir de m’ « engager » socialement (association, syndicat, politique) avec une vie affective (très) pauvre qui inévitablement se lisait sur mon visage ou qu’en tout cas je vivais dans mon corps et dans ma tête

L’idéal aurait été que je sache vivre les deux, vivre le jour et vivre la nuit peut-être (si j’en avais été capable) ou plutôt vivre plus librement les choix et ma sexualité en même temps que ma vie sociale et professionnelle, mais j’étais sans doute mal construit pour cela. Je serai admiratif de ceux qui auront réussi cela, j’aurais parfois des exemples autour de moi. Certaines personnalités susciteront mon admiration, souvent écrivains et artistes, mais pas seulement. L’écrivain militant Daniel Guérin a sans doute été un des exemples les plus réussis et assumés de cette vie d’intellectuel, de militant et d’homosexuel libre que j’ai eu à connaître.

 

Le poids du sida

-La liberté nouvelle issue de la dépénalisation de l’homosexualité a joué un rôle réel, pour faciliter les rencontres et les relations. Mais le soufflé est un peu retombé, ce n’est plus le grand courant de tendresse et d’affection, les possibilités de rencontre se démultiplie, mais avec des codes de plus en plus organisés, en l’absence de vie associative désintéressée, il faut passer par le l’échange commercial, (développement considérables des lieux commerciaux – boites de nuit, bars, saunas – et des journaux, sites de petites annonces), par des codes (chaque catégorie d’homosexuel a ses signes distinctifs), par des mouvements de mode, etc.

Ces nouvelles règles sont pour moi rébarbatives.

-Et la désillusion liée au sida joue un rôle important, la crainte d’attraper le sida et la contrainte d’aller se faire dépister, tout cela contribue à m’enfermer dans mon isolement. Ce n’est plus l’heure de la liberté et de l’euphorie. Le « refus » d’une vie sexuelle, ou au moins la crainte de ses complications, s’insinue peu à peu dans ma situation de déséquilibre.

-Désormais la crainte diffuse du sida rôde, j’avais déjà été humilié d’attraper une blennorragie, puis des crêtes de coq, moi qui avait une vie sexuelle réduite, presque inexistante avant de m’assumer comme homosexuel, il est vrai plus exubérante dans mes 1ères années d’« engagement » homosexuel, j’en reviens à un sexualité limitée – bénéficiant peut-être d’un besoin sexuel réduit -, mais aussi une sexualité frustrée, terrorisée par les risques permanents, diffus et mal définis, mis en face de tant et tant de cas d’amis atteints, séropos ou malades, et de ces discours menaçants et terrorisant (sans compter les discours odieux de ceux qui parlent avec assurance de jugement de Dieu, de vengeance de Dieu, suivant à la trace ceux qui intériorisent ces discours)

-Les moments difficiles : tous ces amis qui sont malades, tous ceux qui sont éclatant de vie et en même temps au seuil du désespoir parce qu’ils savent qu’ils n’en ont plus pour très longtemps, toux ceux qui s’enferment sans le dire, parce qu’ils ne veulent pas avouer qu’ils sont séropositifs, et ne veulent pas entamer une nouvelle relation de peur d’avoir à révéler leur était sérologique , tous ceux qui meurent du sida, qui disparaissent sans qu’on le sache, qui disparaissent en provoquent tant et tant de chagrin autour d’eux

Et puis ces cérémonies de deuil, les unes escamotées car récupérées par les familles, les autres célébrés par les amis, les cérémonies du 1er décembre devant le Palais de Justice, le déroulement du Patchwork des Noms

-La liberté enfin trouvée n’aura pas duré longtemps, la joie des 1ers temps est cernée par risques et les douleurs

-Faire le test, c’est le mot d’ordre permanent ; au fur et à mesure que les jours avancent, que les occasions de rencontre – plutôt rares pour moi – se produisent, protégez-vous, faites le test, c’est placardé, c’est diffusé par des flyers, c’est répété dans les journaux gay ; un jour, j’ai pris des risques, je culpabilise, je fini par aller faire le test, au CIDAG de la rue de Pressensé, pas loin de chez moi, puis je reviens quelques jours plus tard chercher les résultats ; je tombe sur le Dr Chantal Vernay-Vaisse, directrice des services de santé au département, elle exerce dans ce CIDAG, sans doute l’un des plus concernés, je suis mortifié, elle ne me reconnait pas, je suis négatif, mais elle débite un discours dur et sévère « Attention, attention, il faut se protéger, il y a trop de risques », je suis un petit garçon réprimandé ; j’ai vu cette femme quelques fois à des conférences d’information d’AIDES, dont elle est membre, je la reverrai plusieurs fois, pour elle c’est un discours rôdé qu’elle répète sans doute sans arrêt ; pour moi ce sera désormais une hantise, de ne plus jamais me retrouver dans cette situation, aussi je serai « sage », c’est-à-dire pas très différent de ce que j’étais déjà par nature mais laissant plus qu’avant le contact sexuel intime de côté ; comme pour tant et tant d’autre, le risque sida occupe l’espace et paralyse

 

 

Réunir les anciens du GLH

– Les débats avec les anciens du GLH

-Les voyages au Sahara : moments d’émotions dus au spectacle d’une nature fantasmagorique, mais moments d’émotions effectives inexprimées et inexprimables

 

 

Le renouveau 1992-2000

 

L’effet bataille pour le Pacs en 1999

Internet en est à ses débuts. Quelle n’est pas la surprise de Christian de découvrir que toutes ses signatures de pétitions en faveur du contrat d’union civile figurent sur internet, noyant quelque peu les occurrences de voir le nom des Leusse sur la toile. Christian découvre par la même occasion quelques textes parlant des Leusse, en particulier un texte racontant l’histoire de ses cousins, Jean-Patrick et son frère, contraints pendant la guerre de poursuivre les études secondaires en Suisse. Le fait est que l’un des Leusse

Occupe une place prééminente dans le combat pour le CUS, le futur PACS. Christian est un peu gêné par cette place disproportionnée qu’il occupe.

Tous ses cousins sont au courant. Bien au-delà de sa famille la plus proche qui ne connaît pas internet et ne sait rien de l’implication de Christian sur ce sujet.

Dès lors, Christian – qui se croyait hors de portée du regard de sa famille élargie – est marqué. Il pensait que justement il était important d’utiliser son nom, afin de dire que chez les Leusse aussi, il y avait des combattants pour les « droits »…

Il aurait utilisé un pseudonyme, comme il est de bon ton de la part de ceux qui vivent hors de la norme, il n’aurait pas « sali » le nom.

Des années après, il comprendra d’où vient cette défiance à son égard. Il comprendra que s’il s’est peu à peu tenu à l’écart de ses cousins et cousines, occupé par bien d’autres choses, ceux-ci le lui ont bien « rendus »…

 

Les fêtes

Celles de Thierry Gamby, celle de Jean-Marc Lapiana

Les concerts de Double-Croche, le concert de l’église de Roquevaire

Les concerts payants du château d’Arnajon à Aix

 

 

Les années à la Région

En 1999, la majorité politique a changé à la Région, Jean-Claude Gaudin a laissé la place à Michel Vauzelle.

J’avais eu vent que, lors de son premier mandat régional (1986-1992), Jean-Claude Gaudin avait utilisé un peu les avantages de sa fonction pour attirer des jeunes gens dans ses filets. Un jour un garçon plus mûr m’avait raconté qu’il avait eu cette fonction d’intermédiaire. J’avais par ailleurs rencontré un jeune tunisien qui me disait être allé assez souvent avec Jean-Claude Gaudin dans des hôtels le week-end. Enfin, je savais que deux ou trois membres de son cabinet étaient homosexuels, son conseiller culture (Founeau), un collaborateur de celui-ci (Alain Danand) dont je ferai connaissance dans le milieu de la lutte contre le sida (il est le fondateur de Solensi) ou encore un homme haut en couleur, sans doute en charge du protocole (Stoupan). C’était un sérail, un réseau, une clientèle, ce n’était en rien un engagement. C’était dès lors l’inverse de ma vision des choses. Il fallait « être discret » parce que cela a toujours été la conception de JC Gaudin concernant son homosexualité, et plus encore parce que ce premier mandat s’appuyait sur une majorité incluant le Front National. Paradoxalement son 2ème mandat a été plus discret, en tant que maire il apportait une aide purement technique à la Gay Pride (apparue en 1995, l’année où il est devenu maire de Marseille), et en tant que président de Région il a bien voulu faire voter des subventions pour AIDES (la lutte contre le sida ce n’était pas trop compromettant).

En 1999, je m’occupe des nouvelles universités d’été homosexuelles (les UEEH, désormais « euroméditerranéennes »), et il faut bien dire que je profite alors de l’absence de règles contraignantes sur les services de reprographie pour produire en grande quantité les Actes de ces universités d’été dont je m’occupe par ailleurs des retranscriptions. Et ceci pendant plusieurs années. Mais surtout à partir de 1999 (gouvernement de gauche et vote du PACS, et majorité régionale de gauche avec M. Vauzelle), je profite de mes relations avec Bernard Morel, membre du cabinet (mon ancien chef de service au Laboratoire de conjoncture et prospective en 1977-1979), pour demander l’aide de la Région pour l’Université d’été, puis pour organiser une journée du colloque des UEEH dans les locaux de la Région.

Cette incursion de l’UEEH dans les locaux de la Région au mois de juillet me fait connaître au sein de l’Institution, et je découvre alors que j’ai des soutiens inattendus et très appréciables. Cette visibilité-là me parait importante, ce n’est pas celle d’une grande folle qui se fait admirer, c’est celle du militant courageux qui aide les autres à se révéler à eux-mêmes et/ou à être davantage courageux pour eux-mêmes.

Un élu du Front national cependant vient me réprimander, ne supportant pas qu’un garçon en robe, ose tremper ses jambes en public dans le petit bassin de la cour intérieure. Cet élu du Front national est un assidu qui contrôle les associations destinataires des subventions (pour dénoncer le laxisme supposé de la Région), c’est Durbec, élu noir, métis d’Antillais, considéré comme le noir de service de Jean-Marie le Pen, alors président du groupe FN au Conseil régional ; paradoxalement, c’est lui qui poussera son groupe à l’abstention lors du vote d’un vœu à l’initiative des élus Verts de la Région en 2007-2008 contre l’homophobie. Cette abstention, couplée avec une initiative pour établir le dialogue une frange de la communauté musulmane, lui sera reprochée par l’aile montante du FN (le dur Stéphane Ravier), si bien qu’il quittera le FN pour se réfugier à l’UMP, et faire ainsi comme plusieurs FN à la fin du 1er mandat de JC Gaudin, trouver une place plus sûre sur les listes RPR-UDF ; c’est Durbec encore qui quelques années plus tard vers 2009-2010 viendra vers moi dans la rue pour me raconter l’histoire extraordinaire qui lui arrive, il a découvert que ses parents étaient tous les deux homosexuels, et il est né dans les années 1970 parce qu’ils ont été forcés à suivre une thérapie par leurs parents et qu’ils n’ont rien trouvé de mieux que de donner le change à faisant un bébé…

Pour les années qui suivront, je serai souvent un intermédiaire pour la « communauté » gay à la Région, repérant les élus ouverts et les fonctionnaires attentifs.

Tant et tant d’années à se contraindre en milieu professionnel hétérosexuel ; lorsque la retraite viendra je pourrai choisir mes milieux de fréquentation, les discussions mêmes futiles entre homosexuels me paraîtront une liberté bien agréable

 

 

Une partie du milieu familial toujours aussi « borné »

Au cours des années de maladie qui ont précédé la mort de leur mère (Claude), de septembre 1992 à septembre 1999, Geneviève note le « mépris profond » qu’Odile manifeste à mon égard. Odile est ma sœur la plus proche (elle a un an de moins que moi), elle est poussée par un mari (Hervé) qui a largement alimenté sa boite à mépris avant et après la parution de la double page de Paris-Match en 1979.

Les conflits familiaux qui opposent Odile à ses frères et sœurs avant et après le décès de leurs parents, sont prétextes à chercher des raisons multiples – morales tant qu’à faire – aux difficultés rencontrées.

Geneviève note aussi des « insinuations » d’Odile et Hervé à l’égard de personnes que connaît Christian.

Les tensions familiales révèlent les sentiments profonds.

 

Les voyages d’été

Je fais plusieurs voyages d’été avec un ou deux copains gays, après les années de campings gays italiens au cours des années 1980, et un jour ça s’arrête, il n’y a pas assez de plaisir à être ensemble. Le voyage me suffit, ils veulent davantage, dans le domaine des émotions affectives.

Un camping gay français : j’ai en tête les campings gays italiens, je veux découvrir ce camping gay français sur la côte du Languedoc-Roussillon, j’en revient déçu, aucune exubérance, aucune folie, on s’occupe ensemble au bord de la mer, c’est tout. Pas de naturisme. (Je retourne l’année suivante dans un autre lieu de cette côte, décidément « ça veut pas ».)

Une année je fais un beau voyage en Grèce, avec un Réunionnais dont je suis un peu amoureux. La Grèce est merveilleuse (toujours les voyages pour sublimer dans l’esthétique…), mais le copain réunionnais m’échappe et je le retrouverais en 2000 ou 2001 à l’Université d’été euroméditerranéenne des homosexualités – que nous recommencerons à organiser à Luminy – mais entre les mains d’un autre garçon venu du Nord (fonctionnaire à la DRAE de Lille je crois)

 

La libération du voyage en Egypte

Au printemps 1994 je participe à une croisière gay sur le Nil, croisière sage avec des copains gays que je ne connais pas, sans doute connue grâce à une information parue dans Gai Pied Hebdo ; pas d’accointance, pas de désir particulier en direction de tel ou tel participants, nous sommes une douzaine, la découverte de l’Egypte est une révélation que j’attendais depuis longtemps (la mythique vallée des rois, mais aussi Louxor et le barrage d’Assouan). J’en ai plein la vue, mais l’organisation de ces croisières avec ses rythmes obligés est trop pesante pour moi. Je veux revenir libre. Au retour, je décide de repartir dès l’été 1994.

A l’été 1994, à 48 ans, j’ai vécu un rêve, seul en Egypte. Un rêve paradisiaque et érotique. Louxor m’avait enchanté, je repars là-bas rapidement, à l’aventure. Je fais une escapade dans un site peu fréquenté, je vois sans voir que c’est un site militaire, un jeune militaire me court après pour me retenir, mais plus il approche, plus il est désarmé malgré son fusil, je me recule le long d’un grillage en lui faisant signe de venir à moi, je le plaque contre moi tendrement, il ne peut se retenir, il éjacule dans son vêtement. C’est un beau flash, je sens que je suis en liberté, cette façon d’être simple et naturelle, me paraît si belle. Une autre fois, je vois ce garçon sur sa felouque, attendant comme tant d’autres, le touriste prêt à partir sue le Nil. Il me propose d’aller sur l’île aux bananes, la curiosité et le sourire du garçon m’attirent. Le parcours est enchanteur, il cherche un endroit où accoster librement et discrètement, il n’y a que des bananiers, nous cheminons dans ce sous-bois, il sait ce qu’il veut, j’adhère à son idée instinctivement. Il s’assied, son sexe apparaît pointé sous son boubou (c’est moi qui l’appelle comme cela depuis mes séjours en Afrique noire), il est excité il n’attend de ma part qu’une fellation, j’y prends goût avec gourmandise. On s’arrête dès qu’il entend un bruit. Nous rentrons calmement et heureux. Une autre fois, j’entre dans un magasin de bimbeloteries comme il y en a tant, je vois garçon qui comprends vite que je m’intéresse à divers bibelots, je cherche un ouchebti (l’une de ces statuettes qu’on disposait à côté de la momie), si possible un original, mais c’est difficile à obtenir, il me dit que c’est possible mais il faut repasser, il voit aussi que je suis un touriste « disponible ». Je reviens plus tard, et là non seulement je trouve l’ouchebti supposé original, mais aussi le jeune homme est accompagné d’un autre, et assis sur le sol me montre allègrement son sexe, je comprends vite qu’une fête joyeuse s’annonce. Je dois attendre la fermeture du magasin et les 18h fatidiques de la fin du jour, et je pars avec eux et d’autres dans la nature, un endroit improbable où l’on se masturbe et se caresse allègrement dans le noir. C’est l’un de ces garçons sans doute qui m’emmène en voiture après, il me propose gentiment de me pénétrer, je ne suis pas trop adepte de ce plaisir-là. Malheureusement j’ai la diarrhée, je ne sais s’il s’en rend compte dans le noir, ou s’il confond son sperme et… Je suis plutôt malheureux de lui donner un plaisir fort désagréable.

Au Caire, j’ai des rencontres un peu sordides. A l’hôtel d’abord, j’ai choisi un hôtel très moyen, de façon intentionnelle (les hôtel de tourisme sont chers mais surtout ils nous éloignent des habitants), et là je suis servi mais pas tout à fait comme je le souhaiterais, lorsqu’on comprends quel est mon « inclination » on se propose à moi, un client de l’hôtel qui vient dans la salle de bain se proposer avec son sexe en érection, puis le gérant de l’hôtel qui me donne son accord à condition de pratiquer la pénétration et à qui je cède, mais ce n’est rien de ce qui me convient. Dans un musée du Caire, un homme me poursuit dans les toilettes, peut-être l’avais-je un peu trop regardé, et me présente son sexe, sans doute pour me pénétrer, je m’en défais assez rapidement. Un autre fois je rencontre un garçon qui est content de parler avec moi, très vite on convient de se mettre à l’écart dans une pièce noire, je suis éberlué quand je vois sexe, il a un sexe ou des couilles énormes, un éléphantiasis comme je n’en ai jamais vue, nous ne prolongeons pas la rencontre, j’essaie de lui faire comprendre d’aller consulter un médecin… A Alexandrie, c’est plus poétique même si c’est plutôt frustrant, je vois un groupe de jeunes sur le front de mer non loin de l’hôtel où je loge, entreprenant je m’efforce dans mon mauvais anglais d’engager la conversation avec eux, l’échange est sympathique, ils sont beaux et désirables, mais l’échange s’éternise, ils proposent de cheminer ensemble, au bout d’un moment on parle de sexe, mais le malentendu se développe, je fini par dire que j’ai plutôt envie d’aller avec l’un d’entre eux (drôle d’idée d’évoquer l’homosexualité quand il y a plusieurs garçons…), et je n’aboutis qu’à ce que je mérite, ils s’en vont tous les uns après les autres et je me retrouve seul. Je vais faire un tour pour découvrir le collège français des jésuites, après tout j’ai eu un oncle éloigné qui y a fait du bon travail (il dirigeait 2 revues l’une scientifique, l’autre littéraire à destination des élites intellectuelles d’Afrique), mais cet intermède n’avait pas trop à voir avec mon état d’esprit du moment… Le lendemain, je fais une jolie rencontre sur le front de mer, nous nous désirons très vite, l’un et l’autre. Le garçon accepte de rentrer avec moi dans mon hôtel, mais le gérant de l’hôtel met le holà à cette invitation mal venue. Je passe outre en me disant qu’on n’osera pas me faire quelque chose. Mal m’en a pris, alors que nous sommes en train de nous déshabiller, des cerbères rentrent dans la chambre et mon jeune ami est emmené par la force policière. Je me retrouve seul et surtout malheureux d’imaginer le mal qu’on a pu faire à ce garçon. J’en aurai longtemps des remords.

Nous sommes bien avant la répression des gays du Queen Boat en mai 2001 au Caire (52 hommes arrêtés, 5 mois de procès, 22 peines de 3 ans de prison et 29 acquittements, en mars 2003).

Au retour j’ai droit à un rappel à l’ordre de Thierry Gamby, bienveillant, et castrateur, président de Aides Provence (« Christian as-tu pris tes précautions ? », sans même chercher à savoir si j’avais pris des risques ou pas…)

 

Mes rencontres amoureuses :

Il y aurait temps à dire sur mes rencontres amoureuses avec les avancées et les replis

Nombreuses rencontres pendant la période du GLH favorisées par cette dynamique commune

Périodes plus difficiles après car il fallait apprendre à vivre seul ou à chercher le contact dans des contextes plus ou moins compliqués. Se prendre un « vent » comme on dit alors est ce que je redoute le plus, je suis gauche, je ne sais quoi dire pour entrer en contact, même quand le contexte est a priori plus favorable (en boite, au sauna, etc.). Que de rencontres manquées, que d’incapacités de faire le premier pas, d’exprimer mon désir, que de soirées et de week-end passés seuls…

Il y a pourtant quelques belles rencontres, ce sont des perles qui jalonnent un parcours de solitude. Elles sont nombreuses il faudrait les classer par type de rencontres pour tenter d’en donner reflet un peu complet.

C’est de toute façon bien peu de choses au regard de tant de vie « coureuses », amoureuses, conquérantes, apparemment sûres d’elles, au regard aussi de tant de prises de risque que d’autres prêts à prendre, risque de dragues nocturnes, temps parfois infini passé à guetter, à attendre, à boire, argent dépensé, risques nombreux liés à la santé (en cette longue période de sida). La quête est permanente pour beaucoup et certains sont dans l’addiction sexuelle. Il est vrai qu’il y a une part de fantasme projeté sur les autres, plus habiles, plus malin. Et puis il y a la convivialité dont je suis dépourvu. Avoir des amis, plein d’amis, les recevoir, être reçu et y trouver mille opportunités. Là aussi, il y a une part de fantasme. Ceux qu’on voit comme cela, ceux qu’on envie, ne sont peut-être pas aussi nombreux que cela. Je me rassure comme je peux, mais j’aimerai tellement être davantage invité et associé à toutes ces agapes que je pressens. Je suis (trop) souvent seul, pendante une dizaine d’années de l’âge de 35 à 47 ans environ (âge de ma rencontre avec Rémy), après l’avoir été beaucoup plus il est vrai de 18 à 32 ans (14-15 ans) avant de m’accepter comme homosexuel.

 

Mes rencontres amoureuses

 

 

La rencontre avec Rémy

Rémy, ce n’est pas une grande rupture dans ma vie, mais il devient à la longue, un point d’ancrage, une référence, un interlocuteur nécessaire. Il contribue à gommer efface peu à peu les séquelles du déséquilibre qui m’habitait.

J’ai rencontré Rémy à une fête organisée par Pierre Jolivet (de Thorey) à Barjols en juillet 1992. Léon (Jean-Pierre Léonetti) nous a présenté l’un à l’autre. Je lui dis que je dois partir en août en Egypte, il sait comme moi-même que notre rencontre est trop fraîche et que seules les retrouvailles pourront en tester la consistance.

 

Rien n’est simple, nous sommes trop différents, les conflits sont nombreux. Mais vaille que vaille, nous nous retrouvons. Ce n’est pas le sexe (le désir sexuel, le plaisir des corps) qui nous retient l’un avec l’autre, avec l’âge je me suis assagi, le sexe ne s’efface devant d’autres raisons, ne plus avoir à courir, et dépenser une énergie considérable (et du temps) à chercher des âmes sœurs plus ou moins provisoires, trouver un équilibre avec quelqu’un d’autre plutôt que le déséquilibre de la solitude, et donc apprendre à me contenter de ce que j’ai ; je n’ai pas tiré le gros lot (tant espéré), mais un lot de consolation, me disais-je alors

 

 

« L’ancien » 2000-2020

 

Lorsque les années 2000 arrivent, je suis blanchi sous le harnais, tant par mon âge (55 ans en 2001) que par la durée de mon engagement militant (20 ans). Et les nombreux abandons du combat militant, pour de nombreux militants à leur corps défendant, me positionnent de fait comme un ancien, parfois comme un sage qui mérite d’être écouté, souvent comme un vieux sans intérêt. Mais j’acquiers peu à peu le sentiment que l’expérience m’a beaucoup appris, je sais davantage écouter les autres avant de m’exprimer, intervenir en médiateur, et surtout garder le cap, celui du projet collectif qui nous dépasse tous, et préserver, à mon niveau qui est modeste, le contenu de l’action, contre l’apparence de la communication. J’ai appris aussi à me jauger par rapport aux autres, ce qui aide à laisser la place à plus intelligent que soi, plus efficace que soi, et au contraire à se méfier de ceux qui font illusion.

 

En novembre 2016, c’est le sentiment de l’encerclement du côté de ma famille. Quelques soit mes tentatives d’explication ou le film Les Invisibles dont j’espérais qu’il avait plaidé pour moi, les choses ont bien eu changées. Je n’ai pas été invité avec Rémy, comme je le souhaitais explicitement lors du mariage de Guillaume le 1er octobre, et les propos de Marielle, par Pauline interposée, sont violents (je n’ai pas à m’imposer, elle est allée  toutes les manifestations contre le PACS et le mariage pour tous, ton homosexualité c’est ton choix, tu ne nous as même pas invité à ton PACS, etc.), de ce côté-là, c’est évident rien n’a bougé, et elle ne supporte pas que j’ai plaidé ma cause auprès de ses enfants à travers un mail collectif d’après mariage, il faut dire que les occasions de parler avec Marielle et Louis de ce sujets (depuis mon choix d’assumer mon homosexualité, c’est-à-dire en 1977-78) ont été inexistantes, à vrai dire je devais être un peu un « pestiféré » dont on se méfiait face à la ribambelle des enfants. Mais du côté des autres, mes frères et sœurs plus proches, ceux que je vois périodiquement pour régler les affaires de famille, j’apprends qu’ils votent sans ciller pour Jean-Frédéric Poisson lors du 1er tour des Primaires de la droite, et pour François Fillon lors du 2ème tour, parce qu’ils sont les défenseurs de la famille et de la morale, contre l’adoption plénière et la PMA pour les homosexuels. Pour eux, mon avis n’a guère d’importance, les principes comptent davantage, pour la société qu’il faut préserver de la décomposition morale… et de l’islam. Même s’ils ont, un peu pris ma défense face au comportement très dur de Marielle à mon égard, je vis tout cela comme un encerclement, on te tolère, mais n’exagères pas…

 

Février 2022, Ariane Chemin dans le Monde fait 3 grands articles sur la vie des homosexuels avant la dépénalisation de 1982, je lui fait remarquer que c’est un peu dommage qu’elle n’ait pas parlé du outing dont j’ai été victime avec Paris Match en 1979, elle a la gentillesse de dire qu’elle y a pensé, et m’envoie un documentariste qui va produire une émission radio à l’occasion de la Pride 2022 ; par un concours de circonstance je vois ce journaliste audio, je lui parle de ce que m’a dit la veille mon frère Michel, sourd-muet, handicapé par un AVC depuis près d’un an qui le contraint à être au crochet de ses frères et sœurs pour prendre l’air, il s’est excusé en se tapant la poitrine d’avoir amené à notre jeune frère Louis, très carré sur l’ordre familial (M. le comte, rigide sur l’ordre et le respect de la famille, avec ses 6 enfants et son épouse très catholique) les divers articles où l’on pouvait voir ma photo, montrant ma présence publique en tant qu’homosexuel, il les découpait dans la presse gratuite chaque fois qu’il en avait l’occasion ; ainsi mon frère me « dénonçait » sans s’en rendre compte, donnant à Louis des occasions nouvelles de me tenir à l’écart, sa famille ne m’a jamais reçu à sa table (son ainée Pauline m’avait fait comprendre que moi non plus je ne les avait pas invité à ma table …), Louis n’a jamais fait un geste pour m’accueillir, il avait bien dit « tu viens quand tu veux, la piscine est là » mais ce propos ne signifiez en rien « vous venez quand vous voulez » (le reproche concernant ma vie personnelle est latent : dans la famille on sait se tenir)

 

Mai 2022, nouveau problème de santé, après le cancer du testicule et celui du psoas, de polypes dans la vessie ; heureusement je suis très suivi, rendez-vous avec la néphrologue, avec l’urologue et l’oncologue, sans compter le médecin traitant avec lequel je traite des petits problèmes (œdème à la cheville gauche sans doute consécutif aux radiothérapies, colonne vertébrale pas bien droite, somnifère, etc…), impeccable système de santé, chance d’être remboursé à 100% ; ces questions de santé sont heureusement vite contournés, l’essentiel est ailleurs, j’analyse à quel point j’ai de la chance, dans ma vie personnelle bien sûr (la cohabitation avec Rémy se passe bien , nous avons à la Ciotat une belle petit maison avec vue sur l’ile Verte – et le golfe d’Amour comme me le faisait remarquer Damien -, avec piscine depuis un an, Rémy ne rechigne pas aux travaux, il est toujours prêt à payer pour des améliorations), mais pour moi l’essentiel est dans ce que j’appellerai mon « héritage », les domaines dans lesquels je me suis beaucoup investis et qui maintenant perdurent ou prolifèrent, Mémoire des sexualités bien sûr, toute cette documentation que j’ai rassemblé a maintenant un avenir assuré, une équipe a pris la relève, ce n’est pas nécessairement ce que j’aurai voulu, mais leur implication, leur dynamique collective, leur passion, prennent ma suite de façon très positive, l’avenir de cette documentation est assurée, le collectif Idem que nous avons créé en 2013 prend une magnifique vitesse de croisière, la Pride de Marseille qu’il nous a fallu redynamiser avec peine en 2010, avec le terrible effondrement de 2013 (l’Europride), et faire redémarrer en 2014, avec le collectif Idem, puis de façon autonome, a maintenant admirablement pris son envol – en incidente le collectif Idem a su soutenir l’association des musulmans homosexuels (Calem) qui prend un essor remarqué -, l’inter-associatif LGBT a désormais trouvé sa capacité de travailler collectivement, au bon moment la commission créée par le département des BdR a poussé les LGBT à travailler ensemble, si l’implication du département n’a pas été à la hauteur des souhaits exprimés par les LGBT, au moins les associations ont trouvé là les ressources pour se coordonner et exprimer collectivement leur souhaits, la dynamique Pride en a été confortée ; pour couronner le tout la municipalité a changé en 2021, avec un accueil  beaucoup plus favorable à l’égard des LGBT, mais surtout avec un sentiment d’avoir œuvré à mon petit niveau pour que ce contexte politique d’ensemble soit enfin à l’écoute des vrais problèmes des habitants (mal logement, école, équilibre Nord-Sud, etc…)

5 Juin 2022, baptême du petit Marien, dernier né de Guillaume et Cécile, se passe à l’église d’Eourres, tout près de chez eux ; je suis invité ainsi que Rémy, c’est à la fois un moment exceptionnel car c’est la première fois que nous sommes invités à une réunion de famille du couple Louis-Marielle, c’est aussi un événement ordinaire qui ne méritait pas de la part de Rémy et de moi cette hésitation (serions-nous bienvenus ? serions-nous bien reçus ?), ce n’était pas Guillaume et Cécile que nous craignions, mais la trop longue défiance de Marielle nous avaient échaudés (n’y aurait-il pas d’autres regards et attitudes désagréables ?) ; nous avons été pleinement acceptés et, les conversations ont été simples et faciles, les frères et sœurs de Guillaume que je ne voyais jamais, était accueillants ; une nouvelle génération est là, Louis est un peu plus décontracté qu’au cours de cette vie professionnelle qui le broyait, il n’en a pas moins un visage sec, Marielle ne nous adresse pas la parole sauf des petits bonjours, Pauline qui défendait tant sa mère, esquisse un pas dans ma direction (quand nous invitez-vous à La Ciotat ?), les temps changent peu à peu…

 

Le mariage de Guillaume 1er octobre 2016

  • Le 1er octobre 2016, Guillaume aîné de Louis et Marielle, promu au titre de comte, se marie à Servas, en Lozère, où le frère de Marielle, Roch Varin d’Ainvelle, est maire.

Les invitations sont soigneusement rédigées par Marielle. J’en reçois une à titre personnel, pourvu comme il est de rigueur, du titre de comte.

  • Dès le mois de juillet, je me permets d’envoyer un mail à Guillaume, pour le remercier et lui faire remarquer qu’il serait bien qu’ils prennent en compte Rémy dans leur invitation. Rémy avec lequel je « vis » depuis 24 ans, et avec lequel je suis pacsé. Il me fait une réponse, rapidement, pour me remercier et me faire savoir que la décision ne dépend pas de lui mais de ses parents qui sont en charge des dépenses.

De retour de vacances, Roselyne me fait savoir que pour l’invitation que je n’ai pas reçue (croit-elle que je n’ai pas reçu d’invitation ?) Marielle et Louis attendent ma réponse et que je peux les appeler.

Dès le 22 août, au retour des vacances, je fais une lettre à Louis et Marielle pour les remercier et pour leur dire que l’invitation adressée à moi seul, me fait assumer une « discrimination » à l’égard de Rémy, au cas où je me rendais seul à ce mariage. Geneviève et François-Régis, informés de ces échanges, me font savoir leur malaise et leur incompréhension. François-Régis me dit que Louis a envoyé pour toute réponse les mots suivants : « Tu n’as pas envoyé ta réponse ».

Certes, je sais que Marielle est allée avec tous ses enfants à Paris, en 1999, pour s’insérer dans le cortège contre le PACS animé par Christine Boutin, en particulier.

Certes, je sais que depuis de nombreuses années, je suis autorisé par Louis à venir à me baigner – seul – dans leur piscine des Caillols.

Je sais aussi que l’une des seules fois où Marielle a été contrainte de voir Rémy, c’était lors de la réunion de famille qui s’est tenue à Gardanne, juste après la mort d’Hubert.

Bref, je sais que Marielle est une obstinée.

A 70 ans, est-on encore un paria ?

Le 26 octobre, j’écris une lettre destinée aux neveux et nièces, enfants de Louis et Marielle, pour leur expliquer pourquoi je ne suis pas allé à ce mariage, compte tenu du malaise dans lequel j’étais de laisser Rémy, avec lequel je suis pacsé depuis 7 ans. Je leur dis que je sais que plusieurs d’entre eux ont participé à la grande manifestation contre le Pacs en 1999, mais sans m’appesantir. Et surtout j’attire leur attention sur homosexuels proches de la famille, amis et cousins, qui ont été ou sont oubliés, voire rejetés, en soulignant combien aujourd’hui les choses ont changé. Je fais appel à leur ouverture d’esprit que je présume plus grande que celle de leurs parents…

Mes frères et sœurs informés de ce courrier, m’apporte leur soutien. Roselyne : « Comme d’habitude tu as bien présenté les motifs de ton absence, douloureuse, je le regrette », Geneviève : « 3 je pense que tu as raison de mettre les choses au clair », François-Régis : « Je partage tes idées car de tous temps il y a eu et il y aura des homos », et même Chantal : « Bravo pour la confession »

Le jour même la réponse de Pauline est cinglante, argumentée, vraisemblablement écrite par Marielle. En forme de coup de sifflet de fin de partie. Avec copie à tous ses enfants, elle leur « dicte » en même temps ce qu’il faut répondre et ce qu’il faut penser, mineurs ils étaient tenus en laisse, majeurs il faut encore les « cadrer » … « Pourquoi tu reviens, encore, sur le sujet de ton invitation. Ce sujet a été la série de l’été par toi, tes frères et sœurs… Depuis toujours il y a eu des homosexuels, tu nous fais un topo sur les homosexuels de la famille et des amis oui et alors. Nous côtoyons tous au quotidien, par nos relations et notre travail des homosexuels. Cela est-il un problème ? Non aucun !!!!… Tu sais que nous avons participé à la manifestation contre le PACS en 1999, et je te dis que nous avons participé aux manifestations, sous le quinquennat de notre cher président François Hollande, de la Manif pour Tous !! Et oui comme quoi nos idées n’ont pas changé, même si la société nous le demande. Cela veut-il dire que nous ne respectons pas l’être humain en face de nous, sommes-nous tous homophobes comme les médias s’obstinent à nous traiter… J’aime beaucoup ce que dit Saint Augustin : « A force de tout voir on finit par tout supporter… A force de tout supporter on finit par tout tolérer… A force de tout tolérer ont fini par tout accepter… A force de tout accepter on finit par tout approuver ». C’est exactement ce que la société d’aujourd’hui essaie de faire. Nous devons tout accepter ! Si nous ne rentrons pas dans ce diktat, cette pensée nique, alors nous sommes les méchants… Alors oui nous n’avons pas les mêmes mœurs que toi. Mais nous pouvons être libres de faire comme nous l’entendons ? Pourquoi est-ce à nous de nous adapter ? Nous devons respecter tes choix, ce qui est l cas… mais respectes-tu ce que nous pensons, le choix de vie que nous voulons, notre pensée qui est différente, respecteras-tu l’éducation que nous donnerons à nos enfants si nous en avons ? Tu nous reproche de ne pas inviter ton compagnon (Noël, Mariage ou autre…) mais toi, une seule fois, nous as-tu invités ? JAMAIS. Ton pacs aurait pu être l’occasion d’une fête familiale, tu nous parles souvent de la famille, mais non, même pas. Tu as fait ça dans ton coin… Nous ne connaissons pas ton compagnon… Mais tu n’as jamais fait en sorte de nous le présenter. Juste de nous l’imposer ! … A nous de nous adapter mais pas à toi si nous comprenons bien. Nous avons droit aux jérémiades des uns et des autres (LEUSSE) à chaque fois que nous (papa+maman et/ou les enfants) agissons, si ce n’est pas dans le sens du vent, que vous avez choisi (les frères et sœurs sans notre père) … Et évidemment nous sommes toujours les méchants. Depuis les histoires de famille (Rousseau and co). Papa est toujours le méchant, celui qui ne comprend pas, celui qui ne s’adapte pas… Ton histoire, ta vie, c’est ton choix. Notre histoire, nos vies c’est notre choix aussi. Nous sommes dans un pays libre où chacun peut s’exprimer, vivre et faire ce que nous voulons, mais nous ne l’imposons pas à l’autres, merci de le respecter. »

Je questionnerai Pauline pour savoir si c’est bien elle qui a écrit cela, elle m’assurera que oui, mais quelques jours plus tard, le 8 novembre, elle m’écrira : « Je déteste écrire, je suis nulle en français. Maintenant si tu me réponds, je te répondrai ! »

Alarmé par le « Ton histoire, ta vie, c’est ton choix », j’écrirai à Louis, son père, mon frère pour l’interroger sur le mot « choix » et tenter lui en faire comprendre l’incongruité, et lui demandé s’il croit, lui aussi, que l’homosexualité est une affaire de choix, il ne répondra pas…   Quelques jours plus tard, le 31 octobre, je lui réponds calmement,    sur la contradiction qu’il y a entre la citation peu tolérante de St Augustin et les propos plus ouverts qui la précède, certes on pourrait s’inviter plus souvent mais le « désir » de se voir n’est pas beaucoup là et je n’ai pas trop pensé à faire une fête pour notre pacs, il m’a paru utile de vous expliquer à vous aussi les raisons de mon absence au mariage, parler de jérémiades de ma part est un peu blessant, enfin l’homosexualité n’est pas « mon » choix, elle n’est d’ailleurs un choix pour personne ; et je conclu sur le fait que je l’aurais pensée plus réceptive compte tenu que je lui avais parlé de ce qui était arrivé à notre cousin Frédéric

Le 2 novembre, j’écris à mon frère Louis pour attirer son attention sur le fait que sa fille m’a parlé de « choix » à propos de mon homosexualité et que je suis un peu étonné qu’on puisse parler ainsi, lui demandant d’expliquer à ses proches qu’il n’y a pas de choix en ce domaine…

Le 20 novembre, Roselyne, dans un mail tente de faire la part des choses, mais en fait elle justifie leur droit de ne pas recevoir « un couple d’homos pour respecter leurs idées, c’est bien leur droit », elle souligne qu’elle non plus n’a pas su que « vous étiez pacsés », elle aurait « apprécié que vous nous l’appreniez avant que cela ne soit fait et que nous nous réunissions en petit comité  autour d’un apéritif par exemple » (ils ont été hostiles à la loi sur le Pacs et je n’avais aucune intention d’en faire un événement, voilà qu’on m’en fait le reproche…), « ils ne savent pas à quel point Rémy est agréable » (ne le serait-il pas en serait-il moins respectable ?),  « pourquoi pas un gâteau des rois à la Ciotat pour présenter Rémy à Louis et Marielle » (ce serait donc à moi de faire encore un pas ?), « Pauline n’est pas prête à accepter, tolérer supporter (mais) elle a pu échanger avec toi et garde sa considération à ton égard » (bon…)

5 juin 2022, baptême de Marien, Guillaume et Cécile ont invité Christian et Rémy qu’ils ont eu l’occasion de rencontrer dans leur maison d’Eoures il y a 2 mois, par l’entremise de Roselyne ; baptême très familial comme la famille de Marielle et Louis sait les organiser, beaucoup de cousins et d’amis, je me sens un peu – ou beaucoup – décalé, mais l’occasion est belle de se faire admettre, de parler à tous librement, de ne plus se sentir comme un paria ; les contacts que j’avais avec Guillaume, Jean-Loup et Sylvain n’était que de courts échanges liés à mes contrats d’assurance contractés du temps de Louis, j’ai eu quelques contacts avec Pauline il y a 2 mois lors de son cancer de l’utérus, il m’avait semblé que mon cancer pouvait me rapprocher d’elle – ce qui a été le cas – et j’ai redécouvert Sixtine, beaucoup plus grande désormais ; Rémy est « découvert » par les uns et les autres à commencer par Marielle – qui lui fait de brefs bonjours – et Louis qui lui parle un peu

 

12 août 2022, Barjols, restaurant Verte Fontaine de Gérard Goyet et Stéphane, dit Nono

Il est des moments mémorables. Nous avions entre 25 et 30 ans au GLH, nous en avons entre 70 et 75. Nous nous retrouvons à 6 à Barjols, terre précieuse où vivait Pierre Jolivet (de Thorey) et où Gérard s’est fixé avec Nono pour gérer un restaurant fort bien placé sous les ombrages et face à une belle fontaine moussue. Nous sommes montés ensemble Jean-Pierre Léonetti (Léon) et Alain Abignoli (Bibi), Rémy est notre chauffeur il s’est déjà un peu habitué à ce petit groupe, il est ami avec Léon depuis bien longtemps puis que lui et Gérard ont été nos « parrains » de fiançailles à Barjols lors de la fête d’anniversaire des 40 ans de  Léon et Philippe en 1992. Il était venu au mariage de Gérard et Stéphane en Bretagne, dès l’année de l’adoption de la loi sur le mariage en 2013. Mettre en place cette équipée s’est révélée simple finalement, le mois d’août nous convenait, mais Michel Bricard, en camping à Hyères, ni Flavien (Georges Fernandez) n’ont pu se joindre à nous. De telles retrouvailles 50 ans plus tard sont exceptionnelles, les liens que le GLH a créés entre nous sont très restés très forts et Gérard Goyet est un vrai ciment, il a été étincelant pendant toutes ces années de GLH, créatif, imaginatif, chanteur et crooner, gentil et amical. Ensemble nous avons refait le monde et retrouvé tous nos amis, Jacques Fortin et sa nouvelle maison dans les Cévennes, Michel Richardot qui avait su concevoir au pied levé sur une nappe chez Alex la toile d’araignée des relations sexuelles des membres su GLH « qui a couché avec qui ? », le restaurant Alex qui avait été lieu de rendez-vous des trotskystes gai de la LCR (Jacques, Léon et d’autres) avant de devenir les rendez-vous du GLH, Jean-Luc Vanhaesebrouck qui vit dans les Deux-Sèvres dans une belle maison ancienne, Suzanne qui chantait si bien, Jean-Marie Bado et Jean Rossignol tous deux en pleine dérive, disparus des écrans radars depuis plusieurs mois, les proches de Gérard Goyet, souvent ses amants d’un moment, Gérard Fouquet (Gégé) hétéro devenu médecin, Jean Charles Pavia marié deux fois, 11 enfants, qui travaille pour le tribunal en Martinique, Anne-Marie Chovelon qui danse toujours, son technicien Pépito qui aurait tourné « complotiste », le comédien Pierre Haudebourg décédé peu de temps après Pierre Jolivet, Patrice Triboux conservateur des archives militaires à Toulon où il vit avec son copain, il serait devenu très gros,  etc. ; on s’est désolé de la situation de la maison des Jolivet à laquelle Pierre tenait tant, les sœurs s’étaient entendues pour le mettre en vente, l’agence leur faisait miroiter 1M€ mais elles ont dû déchanter, Frédéric occupe la maison, le chemin d’accès  n’est pas en bon état et la servitude d’accès n’est pas sécurisée juridiquement, l’eau est fournie par une pompe et le branchement électrique doit être revu, la maison se dégrade, la mise en vente serait à 400 000 € désormais ; on évoque tant de moments plus ou moins beaux, Roland Thélu, chef de magasin chez Frojo, qui soutenait Gogo dans ses petits spectacles « Du luxe Gogo, du luxe », et Roland qui a été retrouvé un lundi matin séquestré dans son magasin après un braquage de la bijouterie, les grands événements comme le bal de l’Alhambra et le gala de la 1ère UEH en 1979, le restaurant clando qu’avait ouvert Gérard rue de Pressensé ; et Gérard nous parle de ses années de lycéen au Sacré Cœur, d’une très courte année au Collège de Provence puis de son premier travail au sauna Le Dragon, il nous parle du prix du roman gai attribué chaque année qui lui donne l’occasion de lire beaucoup, trop rapidement, mais à la recherche de la qualité de l’écriture ;  on a passé en revue et évoqué tant de choses, même les passages de l’ex-amiral Lanxade (conseiller militaire de Mitterrand) qui vient manger en voisin depuis Varages, qu’on est resté de midi à 17h, sans se lasser de parler avec Gérard que nous aimons tant ; on n’a pas parlé de Raymond Martinez, de Marco Lemaire et de tant d’autres… , de Roland Escobar vieil ami de Gérard qui a été chauffeur de Guy Hermier, député communiste apprécié des 15-16èmes  arr. à Marseille ; Gérard a beaucoup donné, gratuitement, son bénévolat, passionné par ce qu’il faisait a toujours déclenché en retour, beaucoup de bonnes volontés gratuites, en particulier lorsqu’il était directeur artistique au théâtre Bompard, lorsqu’il a géré le café-théâtre Verte Fontaine, devenu Chocolat-Théâtre, quand il a ouvert le Béret volatile ou encore l’Horodateur, depuis une quinzaine d’année tout a changé selon lui, il n’y a plus de gratuité, les artistes veulent être payés, il ne comprend pas pourquoi il faut rémunérer ce qu’on fait par plaisir, ainsi s’explique son mode de vie sobre, ainsi s’explique aussi la capacité qu’il a toujours eu de faire de beau avec 3 fois rien, de faire du merveilleux pour le plaisir des regards davantage que pour des rentrées financières ; aujourd’hui il pourrait prendre sa retraite, car la fatigue est là mais aucune caisse de retraite n’est  la hauteur de ses besoins, il sait qu’il doit continuer à travailler, et heureusement que Nono est là, fidèle et bien aimé ; au retour, avec Léon nous parlons de nos amis morts du sida, du silence qui s’est imposé sur ces morts, de l’absence d’information qui nous a rendus incapables de veiller les uns sur les autres, de nous connaitre autrement que joyeux et festif, on mourait en silence, avec des replis non souhaités mais seuls possibles sur les familles, il y avait Aides et certains passaient ainsi de la convivialité GLH à la bienveillance de Aides, voire à l’attention d’un ami-amant

 

 

Le mariage de Gabriel le 24 septembre 2022

24 septembre 2022, je suis invité, ainsi que Rémy, au mariage de Cécile Bertrou et de Gabriel à Servas, notre participation à la réception lors du baptême de Marien a donné à Marielle l’occasion de nous voir et de nous inviter – à la messe mais pas à la réception -, l’événement est important, je ne serais plus un paria ; Servas est loin, nous n’envisageons pas de nous y rendre, c’est, quoi qu’il en soit, une évolution remarquée par beaucoup de monde ; c’est loin, c’est une mondanité parmi d’autres que je redoute, et en plus Rémy me fait remarquer que nous ne sommes invités qu’à la messe, pour ma part j’en prenais mon parti, considérant le passif de mes relations avec Louis et Marielle.

A la mi-août je réponds à Marielle que nous ne viendrons pas ; lors d’un échange avec Gabriel, je lui indique que nous ne sommes invités qu’à la messe, il s’en inquiète et demande à sa mère de nous envoyer l’invitation complémentaire, Marielle s’excuse de cette erreur involontaire, du coup nous changeons notre fusil d’épaule, Rémy souhaite que nous ayons toute notre place dans ma famille. Louis qui n’a rien suivi m’envoie un message un peu sévère « C’est quoi le problème ? », avec un air de dire : c’est encore Christian qui crée des problèmes, je lui fait une réponse un peu détaillée, mais il la lit à peine puisqu’il s’énerve encore au téléphone avec Roselyne à mon sujet.

Nous nous rendons à ce mariage, deux autres voitures partent de Marseille et de Gardanne pour Alès, Roselyne qui doit prendre François-Régis et ses enfants en gare de Nîmes et Hélène conduite par Cyril. Une foule remplit la petite église de Servas, belle cérémonie à 15h30 animée par le père Didier Rocca ami très proche de la famille, chants, avec instrumentistes, et textes très préparés. Cette foule d’amis de plusieurs générations et de multiples cousins se retrouvent dans la grande maison de la Colonie, juxtaposée à l’église, ancien internat pour des orphelins éduqués à la dure aux travaux des champs. Un beau buffet occupe l’après-midi de 17h à 20h, alimenté par un énergique cuisiner barbu-moustachu, adepte de bon produits locaux (excepté de grosses moules chauffées sur place). Pendant se temps trois porcs rôtissent à la broche pour le repas du soir.

Tout est pour moi une magnifique découverte, enfin je rencontre vraiment cette famille et ses beaux enfants déjà bien grands. Marielle est une énergique et accueillante maîtresse de maison, attentive à tout le monde. Guillaume est très présent, avec sa Cécile et ses 3 enfants. Les autres frères et sœurs de Gabriel sont attentifs et actifs. Sixtine est exubérante, Jean-Loup est un peu songeur son passé un peu trop exclusivement consacré au foot, sur sa vie, son avenir. Gabriel apparaît sous un jour magnifique avec son épouse, le baptême de leur bébé, Lazare, a eu lieu le matin même, c’est un jour d’exubérance pour eux, leurs sourires, leur énergie, sont très communicative, l’ambiance est excellente. Cousins et amis venus de tous les coins de France sont heureux de se revoir ou de se découvrir. C’est Pauline qui réserve la plus grande surprise, elle paraissait distante et dédaigneuse, elle apparaît transformée et amoureuse, elle nous présente son homme, nettement plus âgé qu’elle, qui fait un bel effort pour s’intégrer et parler à ceux que Pauline lui présente. La surprise est grande pour tous, Pauline reste décontractée, même si ce n’est pas simple pour elle de se mettre ainsi en avant pour la première fois. Ce mariage est aussi l’occasion de voir les enfants de François-Régis, Anne-Claire et Irénée, leur grande taille, leur sourire, leur gentillesse et leur cursus d’ingénieurs provoquent l’admiration. François-Régis est heureux et très discret il y a longtemps qu’il n’est pas sorti de sa résidence senior et de sa réclusion parisienne, il est marqué par l’âge. Cyril est heureux dans ce contexte. Pour moi c’est une plongée inattendue dans ce milieu familial, je m’en étais senti exclu pendant tant d’années, il est vrai que je n’étais assoiffé de mondanités familiales. Je dois à Guillaume et à Gabriel une fière chandelle, c’est eux qui ont pris la décision de m’intégrer dans leur milieu familial. Rémy apprécie vraiment cette journée qui lui a vraiment sa place.

 

Dans l’accumulation des jours et des événements, il est difficile de distinguer ceux qui ont une place plus importante ou sont susceptibles de le devenir. Le 15 mars 2023, j’ai 77 ans et une mois, je note 3 événements, un garçon de 15 ans de Toulouse m’appelle – mon téléphone circule je ne sais pas toujours comment – par sms d’abord il est inquiet car il a fait une fellation sans préservatif, je lui répond comme je peux, ma réponse empathique l’amène à m’appeler longuement, il a deux mamans, il n’ose pas leur en parler, il a trouvé un sextoy dans leur chambre, il est ouvert et déjà préparer à la question de savoir s’il est homosexuel, l’entretien est riche, il me remercie, je ne connaît pas son nom, 2ème chose dans la nuit pour la première fois je rêve d’embrasser un garçon sur la bouche et de dire à la fille qui est avec nous que nous sommes mariés, ainsi l’homosexualité et même le mariage avec un homme prend place pour la première fois dans un rêve, 3ème chose je viens de finir un avant-projet d’exposition sur les 30 ans de la Pride (la marche des fiertés comme disent certains) à la demande des organisateurs, toute une histoire dont j’ai la chance d’avoir la mémoire et les documents pour cela. Je pourrais rajouter une 4ème chose, j’ai fait partir la semaine dernière un courrier au maire de Marseille pour obtenir « l’inscription » de la mémoire LGBT+  dans la ville à travers les triangles de la déportations minoritaires sur le monument à la Déportation, la création d’une stèle des LGBT (morts en déportation, morts du sida, condamnés en vertu de la loi de Vichy de 1942 jusqu’en 1982, morts et blessés suite à des agressions, dénomination de rues, de places ou d’espaces publics de noms LGBT+, mais aussi fierté homosexuelle), mise en circulation de l’exposition 50 ans de Fiertés – que j’ai réalisée pour l’essentiel – présentée en 2019 lors de la Pride), ce courrier au maire est cosigné des plus grandes associations LGBT+ de Marseille (la Pride, le Centre LGBTIA+, le Collectif Idem, les Vieilles canailles, ainsi que Mémoire des sexualités et le mémorial de la déportation homosexuelle dont je suis le représentant). Cette lettre est un peu l’aboutissement de mes 40 années d’investissement homosexuel. Tout cela constitue quelque chose de fort pour moi.

 

 

Le 5 avril 2023, journée importante, en préfecture j’obtiens (je peux dire je parce que je me suis vraiment battu seul sur cette question, en tant que délégué local du Mémorial de la Déportation Homosexuelle) la décision d’arborer tous les triangles des déportés lors de la cérémonie annuelle du Souvenir des Héros et Victimes de la déportation du dernier dimanche d’avril, soit cette année le 30 avril. Il y a des représentants de la Préfecture (Préfet des BDR et de PACA, préfet à l’égalité des chances, protocole), celui du protocole de la Ville de Marseille, le directeur de l’ONAC (Office des anciens combattants), le président de la Maison du combattant qui coordonne les associations d’Internés, résistants et patriotes, une personne du CRIF, un membre de l’Inspection académique. J’ai fait le tour de plusieurs d’entre eux depuis octobre 2022, après leur avoir envoyé un courrier, sans effet, en juin 2021. Le débat est facile, les esprits sont murs, seule précision, bien compréhensible, le CRIF demande que l’étoile jaune soit plus en évidence que les triangles. C’est selon moi une belle avancée.

Mais cette journée est marquée par d’autres choses. J’ai appris la veille que Marc Billoud (antiquaire, qui s’est approché de près du mouvement associatif homosexuel dans les années 1990) est dans un état de santé dramatique, il a perdu ses parents l’un après l’autre dans des conditions pénibles, il a eu un AVC qui l’a beaucoup diminué, il a perdu un œil, il a grossi, ne reconnaît plus ses visiteurs et s’abime dans l’alcool de façon dramatique, un proche lui a demandé « pourquoi tu ne te suicide pas ? » il a répondu « je n’ai pas le courage ». D’un autre côté, Claude Prévost (animateur du Chocolat théâtre pendant les années 1990-2000), avec lequel je déjeune ce jour-là, vit un véritable calvaire, il vit avec des poches pour ses déjections, celles-ci posent mille problèmes qui le contraignent à aller souvent aux urgence, un seul chirurgien est en capacité de remettre les choses en état (ce qui le contraint à attendre des heures lorsqu’il se rend aux urgences), il est atteint d’une maladie qui le fait transpirer en permanence, ce qui entraine la nécessité de boire – et d’uriner – très souvent, il doit prendre pour cela un médicament tous les quatre heure, le médecin refusant de dépasser cette dose alors qu’il aurait besoin de plus que cela. Heureusement son compagnon Patrice est très attentif et présent. Mais il pleure souvent, tellement il est exténué et sensible aux remarques des uns et des autres.

 

22 octobre 2023, 77 ans et demi, je me rends compte que les moments si forts que j’ai vécu sur le plan sexuel que je n’ai pas détaillés, se sont estompés et que j’aurais plus de difficultés que je n’aurais pensé à retrouver dans ma mémoire (il faut que je m’y colle). Quand je me remémore cette rencontre incroyable dans un petit magasin de souvenirs de Louxor, où cet adolescent qui m’a reconnu assis au sol la djellaba remontée sur les genoux, le sexe bandé, je suis encore tout ému mais avec l’âge mon sexe ne réagit plus aussi fort, je suis maintenant un peu mou, je ne prends pas cela comme une malédiction, ce qui compte c’est mon émotion. Je perds les détails mais ce qui compte c’est la force de ces instants toujours imprimés aussi fortement en moi. En revanche d’autres choses sont encore très fortes le souvenir des paroles du chœur de Fidélio, à Orange j’avais 18-19 qans « Tendres cœurs, époux fidèles, mêlez-vous à nos transports, mêlez-vous à nos transports… » ou la Chanson de Solveig dans le Peer Gynt de Grieg, j’étais encore Petit chanteur de Provence « Mais tu me reviendras, oh mon doux fiancé, oh mon doux fiancé… », ou plus jeune encore, en 9ème au petit collège de Provence quand j’apprenais la chanson du film Blanche-Neige de Walt Disney « Un jour mon prince viendra un jour il me dira, c’est un jour si troublant si pur… » et tant d’autres chants liturgiques et chansons qui m’enchantent durablement la mémoire.

Le 18 octobre je viens de réaliser un tour de force, j’ai réuni en un débat public la crème des militants et militantes homosexuel-les marseillais. Pourtant nous nous sommes beaucoup opposés les uns aux autres, parfois durement. C’est ma longue histoire militante et ouverte à toutes les tendances qui me permet cela. Je suis reconnu et respecté. Mais surtout, enfin, le milieu homosexuel arrive à se rassembler. Seul manque à l’appel le CEL, mais cette association lesbienne, pure et dure (TERF comme on dit maintenant, hostile aux personnes trans, à la gestation pour autrui et à la prostitution) s’est beaucoup marginalisée ces derniers temps. J’ai pourtant tout fait pour rester en contact avec elles pendant de nombreuses années…

Cette semaine le cabinet d’assurances de Guillaume et ses deux frères, a reçu un courrier anonyme, c’est la photocopie de l’article de La Marseillaise qui parle de moi en titrant sur moi « mémoire de la communauté », l’information a été transmise à Louis qui l’envoie à Roselyne en ajoutant « sans commentaire ». Je regrette bien sûr qu’il n’y ait pas de commentaire car cela en dit long sur le refus d’analyser, je ne sais pas si le « sans commentaire » est bienveillant, mon père Xavier ne faisait pas de commentaire, il n’aurait pas écrit cela il l’aurait fait tout simplement. Apparemment pour Louis c’est autre chose, c’est une atteinte à son image.

 

 

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Réflexions, commentaires, analyses

 

 

Une vie de contrainte

Assumer son homosexualité n’est pas un champ de roses.

– Se tenir, toujours se tenir : ne pas laisser d’espaces, ni pour se trahir sans le vouloir, ni pour « laisser parler », pour éviter les regards ou couper court aux regards inquisiteurs ; s’habiller, travailler l’apparence, celle de l’image extérieure, mais aussi celle donnée par les propos tenus, filtrer les informations à diffuse pour ne pas donner de grain à moudre

– Faire face à tout ce qu’on dit dans son dos, par un comportement exemplaire (comment peut-on être président d’un centre social en étant homosexuel ? etc.)

– L’entourage professionnel même « bienveillant » se permet de faire savoir que untel et homosexuel (le outing permanent) ou de « casser la baraque » sans vergogne auprès de personnes avec lesquelles vous développez des relations sans avoir de raison de dévoiler votre sexualité

– Une famille élargie (très exigeante) sur l’absence de droit à exprimer son homosexualité ; comme une trainée de poudre le bruit s’en répand, devançant votre éventuel désir de renouer le contact

 

L’écrivain Edouard Louis, à 29 ans, venu d’un milieu très pauvre et populaire, vis une double fracture sévère entre milieu populaire et milieu bourgeois, et entre milieu hétérosexuel et attirance homosexuelle, il dit en septembre 2021 : « Ce ne sont pas des décisions de rompre, mais plutôt l’évidence, qui vous frappe d’un coup, que vous ne ressemblez plus aux gens qui vous entourent, que vous n’avez plus le même langage, les mêmes références, les mêmes aspirations. » Ses propos me parlent, car si un monde nouveau, plein d’inconnues, s’est ouvert pour moi, j’ai déjà d’autres références, d’autres perspectives en têtes, d’autres projets, d’autres amitiés, qui ne peuvent pas être comprises de ceux qui m’entouraient.

 

La vie sociale est très hétéronormée plus encore en milieu familial fortement religieux. Famille, enfant, école, communion, confirmation, mariage, fête de ceci, fête de cela, ne pas en être naturellement partie prenante est une manière de se couper des autres et de risquer l’isolement, voire la solitude.

Hors du milieu familial elle est encore très hétéronormée, les amis qui partent les uns après les autres vers leurs dulciné(e)s, qui vivent d’autres choses suffisamment fortes pour les absorber entièrement. Je n’ai pas vécu de milieux amicaux porteurs pour moi, par exemple gay friendly, qui auraient pu heureusement m’accompagner dans mon célibat et me mettre la puce à l’oreille.

Dans le milieu du travail de la même façon je n’ai jamais connu de milieu accueillant à une éventuelle diversité. Par définition j’avais à faire à des collaborateurs mariés, dotés d’une famille et absorbés par leur vie de couple et de famille. Tout est calibré.

Arrivé à l’âge de la retraite, on mesure davantage la multiplication des multiples contraintes auxquelles on a été soumis. Le langage et les propos, la tenue, les contraintes de toutes sortes. Et toutes ces contraintes sont encore très vivantes dès que l’on sort en célibataire ou plus encore en couple homosexuel, les regards sont toujours là, dans la rue, les restaurants, les hôtels, etc.

Face à ce qu’on appelait le « qu’en dira-t-on » quand j’étais jeune, il y avait le conformisme. Les règles vestimentaires (couleurs, tenues, etc.) étaient considérables, la façon de parler, les gestes, etc. tout pouvait être interpréter et connoté.

Le renversement a été long, le droit de chacun a été davantage respecté.

Il a fallu attendre les années 2000 pour que les regards indiscrets, les remarques désagréables, les insultes parfois, puissent être qualifiées d’« homophobes ».

Il a fallu un ensemble d’éléments qui ont constitué une « révolution » (1982 la dépénalisation, 1985-1995 les luttes contre le sida, 1999 le PACS, 2013 le mariage pour tous) tout cela a considérablement changé le regard des autres. Et les jeunes ne pensent plus comme leurs parents, dans mon milieu familial comme ailleurs.

Ce que j’ai vécu (parfois durement), tant d’autres l’ont vécu plus durement encore !

 

Contre-attaquer en s’investissant hors de milieu homosexuel

– Présent et actif dans mille lieux, s’agit-il de remplacer l’absence d’investissement dans un couple ordinaire et une famille, peut-être un peu, mais ce n’est pas dominant dans mon engagement ; ce qui domine c’est plutôt le service des autres, dans la suite de ce que j’ai vécu comme étant avec Sciences Po le service public ; ce n’est pas de la « charité » mais une implication naturelle dans l’action « sociale » ; cela me vient un peu de Xavier, mais plus encore de ma réflexion « chrétienne » au début (c’est le réseau Vie Chrétienne qui m’a poussé vers le travail avec les paysans), puis de ma réflexion politique, qui me pousse vers certains engagements politiques (oh bien limités, au PSU d’abord et plus tard au PS), mais surtout vers de multiples engagements sociaux (alphabétisation et GISTI, groupe d’accueil aux travailleurs immigrés, pendant mes études à Paris, et bien d’autres par la suite, de groupe de soutien aux chiliens exilés à cause de Pinochet en 1973 au Centre social Belsunce, mes engagements syndicaux à la CFDT dès 1974-75 jusqu’à la fin de mes années à la Région dans les années 2000)

– Ces engagements contribuent à m’occuper (beaucoup, et à penser à mille autres choses peut-être aussi), ils sont ceux de tout militant, je suis bien plus disponible que d’autres certes mais la question des raisons de ma disponibilité ne se posent pas ; je suis engagé comme d’autres s’engagent activement, ma vie personnelle n’est pas évoquée et n’a pas à l’être

 

Contre-attaquer en s’investissant dans le champ militant homosexuel, en faisant face à la presse

-Pour tenter de se présenter la tête haute, le jour venu

 

La solitude

La solitude a des avantages et des inconvénients. J’ai eu de longues années de solitude, l’ai-je choisie ? Peut-être. Elle était souvent difficile, ce sentiment de n’être appelé, ni sollicité par personne, de n’être pas considéré comme un proche, quelqu’un d’amusant, quelqu’un d’intéressant, que d’autres ont des amis, des amants, d’être beaucoup sollicité. Ceux qui se sont construits par le mariage ne sont plus seuls, par définition. Ils la vivent avant leur mariage au temps de la recherche de leur âme sœur, ils la vivent pendant lorsque les couples se désaccordent, ils la vivent après bien sûr.

Mais du côté des homosexuels, rien ne brise cette solitude, si vous n’êtes pas toujours sur la brèche ou toujours préoccupés par quelque chose qui les contraints, champs à labourer et bétail à entretenir chez les paysans, responsabilités toujours accaparantes pour les cadres et haut niveau et les responsables de commerces ou d’entreprises, mais ceux-là aussi doivent vivre des moments de solitudes, et chez les homos doivent aussi être s’arrêter pour reprendre leur souffle, le sport rarement individuel est loin d’être suffisants, ils cherchent l’affection, le sexe, là où ils le peuvent.

De mon côté j’étais généralement dans la solitude parce que j’avais rarement des amis, moins encore des amis proches, et plus rarement des amants avec lesquels les relations se poursuivaient un peu.

Adolescent, j‘avais beaucoup d’amis. Mais lorsqu’un « bon père » du collège m’a demandé devant mes plus proches amis, j’ai répondu que je n’avais pas d’ami, au sens où on venait de le définir. Il y avait sans doute de la stupéfaction pour ceux qui me connaissaient et me voyaient vivre. Je crois que je ressentais déjà la solitude fondamentale, affective, que je vivrais pendant de longues années.

Mon investissement, à côté du travail dans une vie associative diversifié, tient une place essentielle. Mais elle n’empêche pas la solitude la plus difficile celle du samedi soir et du dimanche.

 

Arrivé à l’âge de la retraite, le contexte est différent puisque je vis avec Rémy, depuis longtemps. Avec d’inévitables accrochages, mais la relation reste forte. La solitude que je vis n’est plus la même. Elle a même bien des avantages, ceux de n’être plus sollicité, ni interpellé sans arrêt, de ne plus réfléchir à tout ce qu’il y a à faire. Je peux me recentrer, revoir ma vie, écrire et écrire. Sur ma famille, dans toutes ses ramifications. Sur ma vie. Sur l’histoire de ma ville et du monde. Lire et lire sur l’histoire homosexuelle, la mienne et celle des autres, le site internet -Mémoire des sexualités – que j’ai créé dès le bat de ma retraite est une source incessante de recherches qui me passionnent.

Curieusement, c’est l’âge de la retraite qui est source de calme (et de sagesse). Je ne savais pas que j’aurais enfin cette chance là. Heureusement aussi que j’avais accumulé, en les protégeant, tant et tant de choses au cours de ma vie, et qu’au temps de la retraite je peux exploiter tout cela.

 

Les nombreuses occasions manquées

– Les occasions de rencontrer et d’aimer n’ont pas été très nombreuses, mais 1 000 fois j’ai craint, je n’ai pas osé

– Chaque fois que je manquais une occasion de communiquer, de rencontrer, je trouvais des raisons, je ne suis pas beau, je ne sais pas faire, je ne sais pas comment faire, ce sera pour la prochaine fois ; quand je ne m’assumais pas c’était je ne suis pas ce que vous croyais, pas ça pas moi ; depuis que je m’assume j’ai toutes sortes de craintes, pas la crainte du danger en particulier parce que je ne me risque pas là où je sens qu’il y en a, et je n’ai pas de crainte du danger en particulier,  mais crainte de me faire rabrouer, j’ai vécu, comme les autres sans doute, de cuisants refus, mais à l’inverse de bien d’autres j’en ai tiré une sensibilité trop grande, je redoutais de me voir « refusé » ; et peu à peu j’ai appris à ne pas tenter ma chance hors des lieux clairement homosexuels

 

Désirer et être désiré

– J’ai la chance, avec l’âge, d’être épargné par le désir de la relation sexuelle, je peux en revanche m’attarder sur les méandres des relations humaines et sur toutes les nuances des échanges interpersonnels

– L’âge est évidemment une composante majeure de la relation de désir, même si mon regard est toujours le même sur les garçons, je les vois comme je les voyais, je suis prêt – moins prêt qu’auparavant, certes – à porter vers eux un désir (si celui-ci offre une lueur de réciprocité), le fait de dire bonjour est l’occasion d’un regard, d’un sourire

– Mais toujours ou presque, au moins pour ce que j’en peux percevoir, le regard de l’autre est plus neutre, la différence d’âge joue un rôle majeur, avant même le genre (le sexe) de la personne aperçue ou rencontrée

 

 

« Choisir » son identité homosexuelle

S’il ne peut être question de choisir l’homosexualité, une identité qu’on a malgré soi en quelques sorte, il est clair qu’il est un moment où il faut choisir son identité c’est-à-dire l’assumer. Face à cela il y a 2 attitudes dominantes parmi mille, courir pendant des années à la recherche de l’âme sœur ou « décider » d’agir et de construire sa vie en ne se laissant pas régir par son désir. C’est après plusieurs années perdues dans l’« errance » et de solitude mal vécue, le choix que j’ai fait relativement  rapidement, bien avant la rencontre avec Rémy, c’est-à-dire bien avant qu’un élément extérieur m’y pousse, voire m’y contraigne. J’ai eu cette chance de pouvoir trouver en moi les ressorts et les ressources de ma propre vie, de mes propres choix, de mes propres projets de vie.

André Gide en novembre 1922 écrivait (en préface à Corydon) : « Je ne crois nullement que le dernier mot de la sagesse soit de s’abandonner à la nature, et de laisser libre cours aux instincts ; mais je crois qu’avant de chercher à les réduire et domestiquer, il importe de bien les comprendre, car nombre de disharmonies dont nous avons à souffrir se sont qu’apparentes et dues uniquement à des erreurs d’interprétations. »  A l’âge de 53 ans, il a eu le temps de comprendre que vivre et se connaître réellement, c’est le passage nécessaire pour se construire, éviter les déséquilibres intérieurs et atteindre une certaine sagesse.

 

 

Tel est pris qui croyait prendre

– Je m’étais un peu dit qu’après cette longue période d’auto-exclusion du cercle familial, je pourrai peut-être revenir autrement, suffisamment construit pour dire tout ce que j’avais à dire, pour que les autres comprennent l’absurdité de l’exclusion des homosexuels ; mais le résultat n’est pas celui-là, les autres dans le même temps se sont construits, en opposition à cette émergence du mouvement homosexuels, indépendamment de moi, et même aguerris face à moi, éventuellement contre moi ; je croyais que le moment était venu de parler de m’exprimer, comme j’avais tenté de le faire face à mon père face à son éducation erratique et souvent injuste, mais mes frères et sœurs, les amis de mes parents, mes cousins Leusse plus encore cabrés face à la mauvaise image pour le nom que j’avais diffusé (en usant de mon propres nom !) étaient davantage méfiants que compréhensifs ; comme si les années de montée en puissance  de la tolérance  sociale à l’égard des mœurs nouvelles, n’avaient pas touché ces rivages

– Le combat perdu d’avance de celui qui table sur son cheminement et le courage qu’il lui a fallu pour l’assumer, sur sa bonne foi et sa sincérité, pour se faire entendre, pour « témoigner » (comme disent les catholiques) par sa présence et par ses actes, face à ceux qui ont poursuivi leur chemin parallèlement en ayant choisi de ne pas faire attention à ce frère et même de s’en préserver ; en m’armant pour dire et agir, en agissant collectivement au point que les homosexuels invisibles dans les années 1960 sont devenus nombreux et visibles 50-60 ans plus tard, je croyais naïvement que le rapport de force, au moins psychologique et culturel, s’inverserait et que tout naturellement les homosexuels prendraient leur place enfin dans une société qui à l’époque pouvait se permettre de les négliger ; à cette évidence, il m’est en quelque sorte opposé une autre évidence : « tu es seul et nous avons beaucoup d’enfants qui à leur tour auront des enfants, le nombre est de notre côté et pas du tien »

– Le rôle essentiel des baptêmes, 1ères communions, mariages, etc. pour rassembler, les amis, les cousins, là se cultivent les réseaux, les proximités, les complicités et… les endogamies ; mais je n’ai pas trouvé dans le milieu homosexuel ces réseaux-là, le réseau homosexuel n’est pas, ne peut pas être celui de la complicité liée à l’enfance, il n’est pas non plus celui de la proximité-confiance qui existe de soi dans le réseau des cousinages, il est certes celui du désir, des proximités militantes et des convictions communes qui mêlées aux affections créent d’autres liens avec d’autres ciments, mais il est souvent difficile car chacun se retrouve seul face à sa solitude et face à ses désirs ; autant le milieu familial est le lieu du repos, autant le milieu homosexuel est celui du combat

– La coupure avec amis et cousins est plus considérable que prévue ; certes j’ai pris mes distances à l’égard de tous, je n’ai pas demandé à mes parents de continuer à être informer de tous les mariages en cours, ce n’était ni dans mes centre d’intérêt ni dans mes soucis ; mais a posteriori, en consultant l’agenda de mes parents et de mes frères et sœurs (à travers les lettres de ma mère Hubert, qui lui est tenu sous perfusion d’informations en quelque sorte), je découvrirai tout ce que je n’ai pas su, je découvrirai que si je n’étais pas attentif à tout ce qui se passait chez ces cousins et amis, et toutes ces interactions qui se poursuivaient entre eux et mes parents, ils me le rendaient bien ; je ne peux que supposer que si mes proches leur disaient peu ou prou ce que je faisais, il y avait au-delà pour l’essentiel du non dit, comme pour tel ou tel des cousins et amis dont on disait qu’il a mal tourné (il est toxico, il a fait un mauvais mariage, etc.), ou s’il y avait du « dit » l’étiquette était d’emblée négative ne suscitant plus l’attention, ni même les questions pour ne pas mettre les parents mal à l’aise ; l’omerta est la règle, aucun d’entre eux ne fait d’effort particulier pour renouer le contact avec moi, comme si pour eux tous la question de l’homosexualité est étrange, taboue ou repoussante ; à croire que ceux parmi eux qui ont des attirances homosexuelles ou une bienveillance à l’égard des homosexuels, ont été empêcher da faire le pas, ils se sont eux aussi tenus  l’écart, ils n’ont pas osé demander des informations précises sur Christian, ils ont fait leur chemin ailleurs ; il faudra un hasard par exemple pour que je rencontre Alain Blachère, banni par son père et sa sœur et il faudra des efforts de recherche particulier pour que je sache davantage de choses sur tel ou tel parent « concerné »

– Toutes ces années « ailleurs », ce sont autant d’années sans frottement avec l’entourage, c’est-à-dire que ma recherche de moi-même, mes difficultés, mes hésitations ne sont pas connus de mes proches et de ce fait je n’ai en rien contribué à leur réflexion, à leur évolution, ils m’ont trouvé bien plus tard, très différent, déjà autre ; il n’y a pas eu de pédagogie à l’ouverture morale et sociale, d’échanges sur ma vie, comme sur la leur, d’accompagnement de chacun à ses évolutions ; il me vient à penser que peut-être leur approche de mon homosexualité, de la question plus générale de l’insertion des homosexuels dans la société, des droits des homosexuels auraient pu être appréhender avec plus d’empathie de leur part, au point que les réclamations successives formulées par les homosexuels auraient été mieux comprises (dépénalisation en 1982, PACS en 1999, mariage en 2013, etc.) ; mais en même temps, imaginer cela est chimérique, dans le contexte où je vivais il aurait fallu soulever des montagnes pour faire avancer les mentalités, les blocages sur la pilule, les relations avant le mariage, le divorce ou autre, m’en avait donné un avant-goût, et la puissance du message pontifical sur l’homosexualité venait couronner tout cela ; et de mon côté j’étais trop fragile, trop incapable de savoir où j’en étais pendant si longtemps, puis trop désireux de rattraper le temps perdu et de me trouver moi-même sans plus être regardé, observé, analysé,  « contrôlé » par qui que ce soit, j’avais trop besoin de me construire, ou plutôt de me reconstruire, je n’avais plus de temps à perdre ; c’est plus tard que j’ai pu reprendre contact et formuler, rationnaliser, expliquer ; l’un des « malheurs » de ce cheminement compliqué c’est que tous les fantasmes ont pu se développer, sur le caractère immoral de l’homosexualité et ses errements, sur les dangers de laisser un homosexuels fréquenter les enfants, et donc la dimension positive de ma tenue à l’écart,  ne pas avoir de mauvaise influence sur les enfants mais aussi éviter le risques que l’oncle ne vienne à commettre des attouchements, à l’heure où se propage l’idée que les incestes les plus fréquent se pratiquent dans l’entourage familial…

– Toutes ces années de recentrement sur moi-même – années 1980-1990 en particulier – ont été des années de coupure avec ma famille, mais aussi avec les cousins et les amis des parents. Je ne me suis pas intéressé à leur évolution, leurs enfants, leurs maladies et leur décès. Et quand il m’est venu l’idée, une fois que j’étais plus libre vis-à-vis de moi-même, moins engagé « associativement » (dans le milieu LGBT ou pas), plus disponible pour savoir ce qu’ils étaient devenus, mes parents étaient déjà décédés, mes frères et sœurs étaient passés à autre chose, tandis que je cherchais à recomposer tout ce qui s’était passé, pour mieux comprendre ce qui m’avait entouré. J’avais « manqué » beaucoup de choses, et nombre de ces proches m’avait oublié ou, pour ce qui concerne de nombreux cousins, m’avaient rayé de leurs listes… Je payais – inévitablement – la monnaie de ma pièce.

– Mais à vrai dire, aurais-je fait tous les efforts nécessaires pour me rapprocher de Louis, aurais-je été mieux admis ? J’en doute très fortement. Aucun atome crochu ne m’aurait permis de me rapprocher d’eux, les rapprochements que j’ai pu avoir avec mes frères et sœurs étaient surtout liés aux problèmes de la succession des parents, il a fallu ferrailler entre nous, nous étions contraints de nous coordonner, Louis s’est abstenu de toutes communications avec nous, il a fallu faire sans lui. Lui et son épouse sont restés complètement réfractaires à mon cheminement, mieux encore ils ne voulaient pas en entendre parler. J’ai fait de gros efforts pour rester le plus près possible de mes frères et sœurs, mais en ce qui concerne Louis, je dirai plutôt qu’à l’impossible nul n’est tenu.

– Mes frères et sœurs qui ont été parents à leur tour se sont trouvés confrontés à de grandes difficultés face à leurs enfants ; ces enfants devenus grands adolescents ou plus encore adultes, ils sont face à bien des difficultés, ce qui relativise quelque peu mes regrets d’avoir été exclus de tous contacts avec eux (pour les uns) ou d’avoir été bien peu capable de les voir et de les écouter (pour les autres). Les problèmes que rencontre Hélène avec ses deux fils sont sans fin, idem pour François-Régis avec ses deux enfants, c’est un peu différent pour Roselyne avec son fils mais le dialogue reste difficile, les couples n’ont pas duré et mes sœurs se sont trouvées trop vite seules à s’occuper de leurs enfants. Et pour les deux couples qui ont apparemment été les plus stables, offrant un cadre éducatif solide et répondant au mieux aux besoins de leurs enfants, les réactions de ceux-ci et leurs choix de vie expriment bien des insatisfactions, les enfants d’Odile ruent dans les brancards de diverses façons et ceux de Louis sont plutôt révoltés face à la rigidité de leur père

 

L’importance de dire et de se dire

– Il me revient des cas de jeunes cousins qui font scandale parce que leurs parents apprennent leur homosexualité ; c’est-à-dire que ce blocage qui se manifeste peu ou prou à mon égard est susceptible de faire des ravages ; mon exemple, ou au moins, ce qu’on sait de moi n’a visiblement aucun effet, soit qu’il s’agisse de cousins trop éloignés qui ne me connaissent pas, soit qu’il s’agisse de proches qui n’ont rien appris à mon contact, il est vrai que rares sont les proches qui ont fait un effort quelconque pour me connaître, m’entendre et ouvrir un peu leurs oreilles sur ce plan là

– Le danger de se dire est grand, il est là à tout instant, il est là périodiquement ; tout le cheminement d’un jeune homosexuel, puis d’un homosexuel plus affirmé et plus sûr de lui, est à tout moment de jauger le milieu dans lequel il est avant de dire ou de se dire ; les gifles que j’ai prises sont nombreuses, celle d’hétérosexuels émancipés qui se gausse de l’homosexuel qui se retient ou se dissimule, celle d’hétérosexuels qui tout à coup comprennent devant qui ils sont, et sont alors plus ou moins violents dans leurs réactions, celle d’homosexuels dissimulés – en milieu professionnel en particulier – et qui ont peur de se faire démasquer en fréquentant quelqu’un qui à un moment s’est affiché

 

Enfin le calme

Avec l’âge, sans doute aussi grâce au fait que je suis dans une relation stable (même si elle est non sexuée) avec Rémy. Me voilà enfin dans la paix avec mes désirs, non pas dans le non désir, il y a et il y aura encore sans doute des admirations, des émerveillements qui feront naître le désir, mais, enfin, je suis loin, très loin, de cette « recherche » du désir. Je suis calme, et cela me donne la force de faire tant d’autres choses dans la cadre de ma retraite, avec une vie soutenue et très active, qui marie mes différents engagements (mes militantismes LGBT et sociaux) et mes recherches (familiales, historiques et LGBT), je suis présent dans mille lieux, je dis ce que j’ai à dire calmement et, fort de mon expérience, sûrement.

Je n’ai pas à « courir », à draguer, à faire jouer la séduction (si j’ai jamais trop su la faire jouer…), j’ai enfin trouvé ce calme dont j’ai tant rêvé, car il évite les déperditions d’énergie, il permet de se concentrer. Je ne suis plus désirable, je ne « désire » plus, tant mieux.

Mon sexe se tait, il n’appelle plus à tort et à travers. C’est comme un sentiment d’être arrivé à le dompter.

Le gros avantage pour moi, c’est que si c’est le temps de la frigidité, que les « bons pères » appelaient en quelque sorte, c’est une frigidité choisie, après avoir vécu. Non pas après avoir « beaucoup » vécu – je me suis beaucoup plaint de n’avoir pas « vécu » pendant mes 15 années de jeunesse -, mais avoir vécu quand même. Je vois bien que je n’ai pas été construit pour être quelqu’un de « sexuel », avide et insatiable comme d’autres. Cette frigidité me convient, elle ne me convenait pas, elle me déséquilibrait totalement lorsqu’elle été subie, elle m’enchante maintenant qu’elle est de retour…

J’écris cela alors que j’ai atteint 70 ans, l’un explique sans doute cela (quoique j’ai pas mal d’exemples de personnes de 70 ans qui ont toujours « bon pied, bon œil » comme on dit avec un air coquin). En tout cas, je constate que je fais encore des rêves érotiques, sans que cela conduise à ces infernales (bon, tout est relatif…) pollutions nocturnes.

 

Interdit de donner mon sang

J’ai toujours gardé dans mon portefeuille ma carte de donneur de sang. J’ai donné mon sang 9 fois de 1966 à 1975, la première fois c’était à Sciences Po en février 1966, la dernière à N’Djamena en avril 1975. Puis j’ai hésité, sans doute parce que j’avais souvenir que j’avais eu la tête qui avait tourné une fois ou plus vraisemblablement parce que je n’y ai pas trop pensé.

En 1984, l’interdiction tombe, les homosexuels ne peuvent pas donner leur sang. Il y a alors le drame du sang contaminé et les mauvais contrôles du sang, le temps est à la « conviction » pas très argumenté que les homosexuels – quel que soit leur mode de vie – sont le premier danger à écarter, au nom du principe de précaution. On ne me demande pas mon avis et encore moins mon mode de vie.

J’ai par la suite rencontré bien des gens qui me disaient « mais il suffit que tu ne dises pas que tu es homosexuel » et « de toute façon ils contrôlent la qualité du sang ».

De plus en plus « révolté » contre cette règle générale, absolue, je ferai la démarche quelque temps avant de partir à la retraite, de faire inscrire noir sur blanc par le médecin en charge du prélèvement (lors d’une journée de collecte à la Région) son refus de prélever.

En 2016, les choses changent, on annonce la remise en place du prélèvement pour les homosexuels. Mais je dois attendre le mois de juillet et je devrais m’engager à dire que je n’ai pas « baisé » depuis un an.

Manque de pot, en juillet se déclare mon cancer du testicule. Les chimios de l’automne m’interdisent de donner mon sang. Dernier délai pour donner mon sang, mes 70 ans révolus sont pour le 1er février 2017… malheureusement opérations et chimios ne se termineront que fin mars 2017. Je n’aurai donc pas pu redonner mon sang.

 

Elément de bilan personnel : une psychologie personnelle complexe

– Se libérer sexuellement et affectivement n’est pas tout, soit que le long blocage affectif laisse des traces, soit que mon tempérament me porte à « son » rythme, il m’a fallu m’habituer à moi-même : ni boulimique de fêtes, ni assoiffé de relations et de vie sociale, ni très convivial et sympathique, ni particulièrement attiré par le sexe

– Je reste très solitaire, mais avec un grand changement par rapport à cette solitude d’adolescent ou de jeune homme triste, une solitude assumée et relativement heureuse qui lors de la retraite trouve ses ressources pour continuer la vie associative et faire des recherches historiques et psychologiques, par passion de savoir de comprendre, de retrouver tout ce qui n’a été vu que superficiellement au cours d’une vie trop rapidement vécue, une vie qui a contraint les choix et souvent imposé ses priorités

– Le contact avec les autres reste marqué globalement par la « frigidité », le manque d’attirance à l’heure des attirances sexuelles, le manque de sensibilité pour les épreuves vécues par les autres, le manque d’attention aux autres, le manque de chaleur humaine, le manque de désir sexuel bienvenu l’âge venu permettant de s’abstraire – enfin – des attirances paralysantes et des heures perdues à dépenser son énergie pour « draguer », mais aussi un manque de désir sexuel mal compris au début par un compagnon qui a eu peur de perdre, par la même occasion, une relation forte, si patiemment et difficilement construite

– Une incapacité chronique à entrer en contact avec l’autre, pour nouer la relation, tenter d’entrer en désir réciproque ; la longue auto-répression du désir, auto-inhibition, automutilation liée à la longue répression de l’homosexualité joue un rôle important,  elle a laissé ses stigmates, mais l’autocontrôle, la peur permanente d’être rejeté ou refusé, la dissimulation construite, le manque d’expression visible du sentiment et du désir joue un rôle majeur ; hors du groupe ou du milieu « sécurisé » et sécurisant, le désir homosexuel ne s’exprime pratiquement pas, il reste « rentré », il s’interdit de s’exprimer, conduisant soit à la frustration  (combien d’occasions manquée !), soit au rabougrissement progressif de la sexualité ; lorsque l’âge viendra ce « rabougrissement » apparaîtra – lorsqu’il deviendra égal à zéro – comme une « libération » : enfin vivre sans ce désir qui vous tenaille !

– Le malaise de la plongée dans les fêtes de familles, les mariages, les cérémonies religieuses rituelles ; le sentiment que les liens amicaux et surtout les cousinages n’existent pas beaucoup hors de ces moments m’engage à prendre mes distances ; la prégnance des valeurs familialistes m’exclut dans les faits, les questions « et vous vous êtes marié ? » « vous avez combien d’enfants ? » prennent une telle place qu’elles en deviennent « excluantes », avec le sentiment qui apparait bien vite que vous n’avait pas de valeur ou pas de sens sans cette dimension ; apparemment vos choix, vos réflexions, vos projets ne sont que peu de choses, la personne s’efface derrière la famille et l’avenir des enfants que vous avez su élever

– Ce n’est qu’avec le temps que certains milieux amicaux et familiaux sauront relativiser votre « célibat », soit parce que l’eau a coulé sous les ponts, bien des couples se sont séparés, bien des éducations ont été plus ou moins réussies, « l’arrogance » apparente des parents et grands-parents s’efface devant la relativité des choses, les membres des couples ont (re)trouvé l’importance de se construire soi-même  plutôt que derrière un autre, soit parce que avec l’évolution de la société dans son ensemble les valeurs d’origine se sont faites moins prégnantes, laissant place à davantage de tolérance

– Avec le recul, je vois combien il était vital pour moi de sortir de la « mélasse », toutes ces forces d’appréciation de la part des autres, des remarques plus ou moins bien intentionnées, des propos désobligeants tenus dans mon dos que je n’ai même pas l’occasion d’entendre afin de riposter ; j’ai eu une chance exceptionnelle de pouvoir sortir de cette glu, d’apprendre, dans la douleur certes, à voler de mes propres ailes, afin de pouvoir regarder de plus haut les gens bien ou mal intentionnés le moment venu ; de quoi se mêlaient-ils tous ceux qui prétendaient regarder ma vie, de donner leur avis, de – parfois- détruire ma réputation, avant même que je ne réapparaisse ?

– Les années de solitude n’ont pas manqué, années de résignation où il fallait se « pousser » un peu, années un peu désespérantes d’avoir atteint un âge où l’entrée en contact – en séduction ? sans doute pas, car je ne me suis jamais trouvé séduisant – avec les autres était d’autant plus difficile que je ne suis pas très joyeux, je suis toujours un peu rébarbatif, « pas marrant », et peu nombreux étaient ceux  qui m’intéressaient vraiment… ; je n’arrivais pas à cette mélancolie positive, ou optimiste, dont une Amélie Nothomb a fini par se convaincre à force de fréquenter les japonais, ne plus être nostalgique des beaux moment vécu par le passé, ne plus en rêver, mais plutôt se réjouir de les avoir vécu ; et un jour, j’ai su faire ce basculement et recommencer à vivre positivement, peu à peu je me suis relancer dans la vie, et j’ai retrouvé des centres d’intérêt et des passions

– J’ai toujours été très actif, sans doute trop, ne prenant pas assez de recul pour comprendre les ce qui se passe autour de moi ; sans doute trop personnel, trop personnel parce qu’il me fallait d’abord trouver moi propre équilibre avant de m’engager dans la vie, trop personnel et de ce fait dans l’incapacité de présenter un profil qui donne confiance à d’autres et les engagent à m’appuyer, voire à me suivre, trop personnel aussi pour saisir ce qui se passe au-dessus de moi, ce qui se décide ailleurs, me trouvant ainsi dans un manque de compréhension de ce qui se déroule, une incapacité de voir que des gens plus intelligents que moi ont vu mieux que moi ce qui était important. Heureusement que j’ai su faire confiance à d’autres, comprendre qu’ils avaient raison, grâce à cela j’ai vécu mille choses passionnantes, mais j’ai toujours été un fantassin, rarement été un leader, sauf de façon temporaire. Lorsque je lis ce qui s’est passé autour de moi grâce à d’autres qui ont pris la peine d’écrire sur des périodes que je vécues, je suis toujours étonné de constater que je n’ai vu et compris que peu de choses sur ce que j’aurais du voir et comprendre, les acteurs se parlaient entre eux, les concepts circulaient, je ne comprenais pas tout, j’agissais un peu simplement, heureusement que je n’ai pas trop souffert de ma cécité car j’en aurai conçu bien des complexes et me serait davantage replié sur moi-même

– J’ai toujours eu le chic pour éviter de me faire aimer (en amitié, en amour, dans ma vie sociale ou militante). Peur d’être regardé de trop près ? Peur d’être envahi par l’autre ou les autres ?

 

 

Un contexte familial encore prégnant

Malgré l’âge, la famille de naissance est toujours là, diverses raisons m’ont amené à y revenir (âge des parents, maladie, décès, conflits familiaux liés à la succession)

Ce retour m’a donné des moyens nouveaux pour analyser et comprendre (dialogues nouveaux avec de nombreux frères et sœurs, multiplicité de documents témoignant de cette longue aventure familiale), jusque-là j’avais mes souvenirs et ma mémoire, désormais j’ai des textes, des photos, les souvenirs des autres, leur regard et leur vécu d’aujourd’hui ; je peux mieux discerner mon parcours propres avec ce que j’en ai fait, et leurs parcours spécifiques, avec ce qu’ils en ont fait et les raisons de leurs choix

Je savais qu’ils étaient ailleurs, je ne mesurais pas à quel point ; pour une bonne part, ils et elles me sont devenues étrangers, ils ont retenu de mon père, de mes parents de ce cercle familial qui nous est pourtant commun, que certains aspects, à moins que ce ne soit moi qui n’ait pas retenu tous les éléments dont j’aurais dû naturellement hériter. Déjà assumer comme je l’ai fait mon homosexualité aurait dû me créer une phase de traumatisme bien plus grave et plus grave, tant l’idée même de l’assumer aurait dû me rebuter. Mais mes engagements militants, syndicalistes, politiques, professionnels ont été autant de mises en distance, incompréhensibles au regard du cheminement des autres.

Politiquement et religieusement, puisque comme pour mon père, chez eux les deux choses sont intimement liées, ils font le choix de l’Opus Dei, des Chevaliers de Malte, des lieux d’apparition de la Vierge, des sœurs de la Charité, des écoles libres et des mouvements de scoutisme, de la proximité avec les catholiques traditionnalistes ; tout cela structure leurs choix, avec un naturel absolu, les sacrements (baptême, 1ère communion, mariage en particulier) sont les lieux de rassemblement obligés, multipliés par les fêtes (fêtes religieuses et fêtes de chacun), les anniversaires, les pèlerinages, voire les fiançailles ; les manifestations nationales à consonance religieuse sont des moment de rassemblement « populaires » naturels (de la manifestation pour  l’école libre en 1982 à la Manif pour Tous en 2013) ; et les grands rassemblement lancés par l’Eglise sont des moments naturels de convergences, s’ils sont lancés par l’évêque, mais plus encore par le Pape, des Journées Mondiales de la Jeunesse lancées par Jean-Paul II en 1983-1984 aux sanctifications des papes Jean XXIII et Jean-Paul II à Pâques 2014

 

Les années perdues à n’avoir pas gardé le contact avec famille, cousins et amis

Les années sont des années de construction personnelle ; il est difficile sinon impossible d’entretenir ces contacts tout en se construisant soi-même

La difficulté de se construire soi-même est proportionnelle à l’importance de la prégnance – morale, religieuse, etc.- du milieu familial ; bien des milieux familiaux n’offre pas la liberté pour l’adolescent de trouver sa voix, j’ai été dans cette situation

De ce fait, il m’a fallu pour me construire, mettre en place une protection, une séparation qui me tienne à l’écart des regards, des opinions, des avis plus ou moins bienveillants ; je pense à un débat que j’avais organisé, j’y avais invité quelqu’un que je pouvais croire bienveillant, en l’occurrence ma sœur Geneviève, entrée en religion, se sentant « faible » à l’égard de ce sujet, elle a invité une de ses anciennes, l’effet a été inverse, cette personne ne s’est pas ouverte au sujet, en revanche elle est venue me trouver en m’expliquant combien je me fourvoyais…

Au lieu d’entretenir les contacts et de me faire accepter peu à peu tel que j’étais, j’ai finalement laissé s’entretenir les a priori, les idées toutes faites, voire d’échafauder des théories sur mon compte

Mais à rester, célibataire, toujours dans les parages, pendant toutes ces années d’enfance de mes neveux et nièces comment aurais-je été accueilli ? peut-être mieux que je crois, mais mon rythme de vie, mes fréquentations, ma présence dans les média, mon manque de piété, de participation aux fêtes familiales, religieuses ou non, tout cela n’aurait-il pas été épié ? Et lorsque l’hystérie anti-pédophile, due aux affaires diverses révélées dans les années 1990 (en France et en Belgique, les affaires d’Outreau et Dutroux ; et même dans l’Eglise, pourtant si recommandable, les nombreuses affaires en Irlande, aux USA, en Allemagne ou ailleurs !), n’auraient-elles pas de toute façon tout emporté ? La tentative d’accusation par vengeance contre mon frère François-Régis, pourtant hétérosexuel, monter les limites de cette tolérance à l’égard d’un proche. Les enfants sont sacrés et le soupçon est intense. Hors de toute proportion, l’heure est venue peu à peu à l’édification de barrages…

 

Le poids de la famille symbolique

Le fait de s’appeler de Leusse a énormément de sens pour la famille élargie ; à un point que je ne soupçonnais pas

Le développement d’internet au début des années 2000 a été cruel pour la famille de Leusse, en particulier pour ceux qui commençaient à consulter internet, en effet mon engagement en faveur du Pacs (par diverses pétitions dès 1998) apparaissait au grand jour de façon complètement inattendue, même pour moi, à un moment où le nom de cette famille était très peu référencé, il n’y avait presque rien sur mes cousins et parents, en revanche mon prénom et le Pacs était largement mis en évidence ; je n’y ai pas pris garde alors, mais j’étais en quelque sorte dénoncé et « fiché » auprès de cette famille – répartie sur le territoire national – qui allait peu à peu découvrir les joies d’internet

Avoir ce nom, c’est savoir se tenir, au risque de le salir

 

Les épreuves les plus dures ne concernent pas que les questions homosexuelles

Hormis la terrible épreuve qui a précédé mon entrée en homosexualité, et qui a duré tant d’années, les plus dures épreuves sont venues quand j’étais en pleine possession de mes moyens, ayant enfin, largement assumé mes choix. Ils ont concerné mes engagements associatifs homosexuels, tout autant que mes autres engagements (familiaux, associatifs, professionnels).

Leur apogée sera en 2001-2003, mais les épreuves se déroulent de 1990 à 2012.

1990, mon voisin Khelifa Harichane me met en cause parce que je me suis « approprié » le jardin du 52 rue d’Aix dont je suis pourtant propriétaire depuis mon arrivée rue d’Aix en 1985. Sa mise en cause est violente, il creuse un escalier pour y accéder, il envoie ses enfants l’occuper. J’ai désormais des intrus qui arrivent derrière mon appartement et peuvent me regarder vivre, j’ai plus gravement, à faire à un copropriétaire violent qui m’accuse de vol et veut reprendre son bien. Il a quelques arguments juridiques, à charge pour moi de prouver le contraire. En attendant, il fait jouer la force. L’événement m’accable. C’est l’année où Saddam Hussein, président de l’Irak, attaque par la force le Koweit, la coïncidence me frappe.

1997, je me fais rejeter avec violence d’un accès à la soirée de la Gay Pride par Eric Séroul, organisateur, il n’admet pas que j’ai pu faire signer une pétition pour l’organisation d’une « vraie » Lesbian & Gay Pride, c’est-à-dire organisée démocratiquement et au bénéfice de tous les gays et lesbiennes, et non pas organisée de façon anti-démocratique par un petit groupe, contre l’avis de la majorité. Il sen justifiera plus tard, c’était parce que notre texte les avait accusés de « s’en mettre plein les poches ». Je suis ulcéré.

2001, le décès de mon père Xavier donne lieu à une phase de tension maximum avec Hervé, beau-frère qui embarque ma sœur Odile dans un bras de fer radical contre tous ses frères et sœurs. Comme un bulldozer il attaque avec férocité sur tous les fronts, au nom de ses droits et ceux de ses enfants. L’affrontement est sévère et sanglant et met à dure l’épreuve mon tempérament de conciliateur.

2001, ma montée au créneau contre les pratiques clientélistes de Sylvie Andrieux sur les 13ème et 14ème arr., conseillère régionale vice-présidente en charge de la politique de la ville, toute puissante, elle a la tutelle sur le Service dont je suis chargé de mission pour Marseille, elle est prête à briser tous ceux qui font obstacle à ses petites affaires. J’en fais les frais dans des conditions pénibles, dès sa réélection législative. Très vite il m’est enjoint de quitter ce Service où je travaillais depuis 1986. Il faudra attendre 2016 pour que Sylvie Andrieux soit définitivement condamnée…

2002, je suis administrateur du centre social Belsunce depuis 1987, lors de l’assemblée générale à laquelle je ne participe pas de nombreuses personnes nouvelles se sont fait élire, au printemps de cette année-là. Lorsque le CA se réunit, le président Jean-Jacques Lardot, avec lequel nous administrons ce Centre Social depuis quelques années, annonce subitement sa décision de démissionner (à l’heure où a femme le quitte le laissant pratiquement seul avec ses 2 fils adolescents). Je me retrouve avec un CA qui m’est imposé, dans un contexte difficile, celui qui veut se présenter à la présidence, Maurad Manceur, est un gars que je ne connais pas et qui me parait incontrôlable. Je me présente à la présidence, par force. A partir de là le centre social entre en turbulence, Manceur veut ma peau, il utilise d’abord une partie des administrateurs, puis les adhérents du centre social, je résiste à ses assauts, il ne supporte pas cela, n’ayant pu voir ma peau, il s’engage dans la politique du pire, plutôt la mort du centre social plutôt qu’un centre social qui n’est pas à sa botte. Il obtient la mort de ce centre social, fondé au début des années 1980, par Fathi Bouaroua (1er directeur) et le curé de St Théodore, Jacques Julien (1er président).

2003, je suis depuis 1995 le chef de file de ceux qui déposent au nom des homosexuels la gerbe du souvenir des victimes de la déportation homosexuelle lors du dernier dimanche d’avril, après la cérémonie officielle. Cette année-là, je fais venir Pierre Seel, déporté homosexuel à 17 ans en Alsace, pour accompagner ce dépôt de gerbe, au nom de l’association Mémoire des sexualités. 4 jours avant ce dépôt de gerbe, apparaît une association concurrente qui utilise l’événement pour se faire de la publicité, les Oubliés de la Mémoire, soutenue par Jean-Marc Astor, leur délégué local (par ailleurs président de la Lesbian & Gay Pride depuis 1996). Leur discours tient en deux mots, ayons de bonnes relations avec le ministère des Anciens combattants et occupons-nous seulement de porter le drapeau en hommage aux déportés homosexuels. C’est pour moi un effondrement. Soucieux de ne pas entrer en conflit ouvert, je me garde de m’occuper de déposer une gerbe l’année suivante. Je constate que ce n’est pas leur souci, et pour la 1ère fois depuis 1995 aucune gerbe n’est déposée au nom des homosexuels en 2004.  Notre image a été entachée, il faudra reprendre un bâton de pèlerin pour recommencer à déposer une gerbe. Et commencer un autre combat, celui de l’intégration à la cérémonie officielle, grâce à l’intervention de la HALDE en 2010. A ce moment-là, depuis plusieurs années les Oubliés de la Mémoire aurons disparu de Marseille.

2012, une fracture terrible apparaît dans le mouvement homosexuel qui, après les années de « dictature » de Jean-Marc Astor (1996-2010), est tant bien que mal en train de se reconstruire, de façon plus démocratique. Suzanne Ketchian vient d’obtenir le label Lesbian & Gay Pride au détriment de Christophe Lopez qui a organisé la Marche en 2011, la rupture est en marche « couverte » par le réseau national de l’Interpride. Après tant d’année d’espoir de reconstruction, cette rupture est pour moi impossible à admettre, j’use de toute mon influence pour empêcher la coupure et l’affrontement. Je suis tellement effondré face à cette rupture que je fais 3 jours de « burn out » le week-end qui suit, à la Ciotat, heureusement que Rémy est là, et que l’hôpital me prend en charge, me faisant toutes les analyses possibles, sans détecter quoi que ce soit. La rupture de 2012 ne sera que le signe avant-coureur du grave échec de l’Europride de 2013. Suzanne Ketchian ayant choisi de faire coûte que coûte une contre-Marche de la Gay Pride en juillet 2012 plutôt que de réserver ses forces pour 2013, sera incapable d’unifier les forces associatives pour l’Europride…

 

Mes choix bipolarisés

Mon désir a toujours été de vivre « double », même si la « vie » double a dû sa réduire très rapidement malgré mon souhait, au moins je voulais « agir » dans les 2 domaines à la fois pour faire avancer les choses pour les droits des homosexuels d’un côté, pour le droit et la justice par des actions de l’autre

Mes amitiés hétérosexuelles n’ont pas pu coexister longtemps avec mes amitiés homosexuelles naissantes

Centre social, association de danse, groupe de musique, fédération des sourds et malentendants, un centre-Ville pour Tous, 3CI, vie professionnelle etc. toujours en parallèle de mon engagement militant homosexuel, avec les moments d’affichage public que cela impliquait comme lors de la cérémonie de la Déportation

 

Mes coups de cœur

– Ma vie a été jalonnée de coup de cœur, il y a eu les coups de cœur esthétiques, liés sans le savoir aux événements de mon adolescence (les Petits chanteurs de Provence et ses chants souvent enthousiasmants, les Calanques, les Alpes), liés à mes voyages (j’ai gardé longtemps en tête Louxor en Egypte, Hampi en Inde, Nauplie en Grèce) ou encore le Tchad de ma Coopération,  le Maroc (Marrakech, Fès et les vallées du Draa et du Dadès), le désert algérien (de Tamanrasset à Djanet), l’Espagne (de Cordoue à Grenade) et bien sûr l’Italie (de Sienne à Lecce), mais il y a eu aussi de belles rencontres ou des moments qui ont pu se prolonger (de Saignon dans le  Luberon à la Ciotat)

– Mes coups de cœurs affectifs les coups de cœurs liés à des moments de bonheur intense, beaucoup d’entre eux sont liés à de grandes étapes de mon cheminement d’homosexuel (depuis le Mazel en Ardèche en 1978)

– Mes coups de cœurs manqués, le nombre de coups de cœurs qui ont été manqués est considérable ; mille fois je n’ai pas su entreprendre, je n’ai pas su prendre l’initiative, et je me suis si souvent retrouvé seul, avec une déception, trop contraint dans mes principes, trop apeuré à l’idée de me faire rejeter, trop raisonneur (« il n’est pas assez bien », « et comment je vais faire à cette heure-ci, en ce lieu, pour l’amener quelque part ? », « je ne suis pas assez bien », « il est trop beau », etc.), et me retrouvant seul le regret montait en intensité ; les coups de cœur manqués me paraissent avec le recul bien plus nombreux que les réussis, j’ai m’impression de n’avoir pas eu une vie heureuse, à la fois parce que le contexte globalement anti-homosexuel de toute la période de mon éveil amoureux entre mes 15 ans et mes 30 ans (1961-1976) n’y a pas aidé et parce que mes propres blocages ont été très castrateurs

 

Homosexualité, sensibilité, intelligence

– Nécessaire sensibilité pour sentir les choses, saisir l’attitude des autres (hostile ou amical)

– Délicatesse nécessaire

-Une intelligence sensible se développe

 

L’effet « Les Invisibles » en 2013 (film paru en 2012)

Le film arrive en 2012 au moment du débat sur le mariage homosexuel.

La surprise d’apprendre qu’un membre de la famille témoigne dans un film et le désir de comprendre « l’énigme » Christian circule comme une trainée de poudre. Ses frères et sœurs vont le voir les uns après les autres (en janvier 2013) d’autant que les premiers échos sont favorables.

Roselyne est touchée, elle en parle même lors d’un repas chez Marielle, alors que ses enfants ne sont pas loin… Louis est outré qu’on puisse le voir enfant au milieu de sa famille dans un tel documentaire

François-Régis réagit de façon inattendue : « tout le monde devait aller le voir » ; Christian aura dûu attendre l’âge de 67 ans pour l’entendre révéler qu’Hervé au Collège des Jésuites de Marseille lui proposait, adolescent, d’aller « casser du pédé »

Geneviève et Hélène sont touchées, elles admettent que si Christian révèle un peu ses « secrets » dans ce film, elles sont très retenues – et depuis très longtemps – dans leur propre expression sur leurs « affaires » personnelles : ni avec nos amies, ni entre nous, encore moins avec nos parents, on ne se livrait.

« Tu es tellement secret, on ne savait rien de toi » dit Roselyne qui poursuit « François-Régis, vivant pourtant dans la même chambre que toi, dit qu’il ne s’est rendu compte de rien ».

Quels secrets auraient pu prendre place dans un cercle familial qui révèle, bien des années plus tard, que le silence total et les prières discrètes étaient en fait construites d’incompréhension, de dégoûts et d’exclusion ? Fallait-il que, même adulte, mais toujours en équilibre difficile, Christian prenne en pleine face ces remarques de désapprobation.

Fallait-il qu’il livre ses tâtonnements affectifs à ses frères et sœurs ?

D’autant que tous autant qu’ils étaient, gardaient jalousement leurs propres histoires affectives ou n’en révélaient qu’une partie afin de se conformer aux règles de la bienséance et aux règles du choix du conjoint acceptées dans ce milieu social.

D’autant que la partie qu’ils révèleraient – même peu acceptable moralement ou socialement – le serait toujours au regard des principes divins.

Roselyne le Dizès (ex de Bez), voit le film « Les Invisibles », elle voit Christian, elle en parle autour d’elle à Michèle et Jean-Claude Boscher et à Armelle Dichon, ex-du Bourguet, Christine et Robert Bellue, dès lors des anciens amis de la famille sont au courant… Armelle et Véronique du Bourguet venaient aux soirées festives que François-Régis organisait à l’Armande, Armelle y a rencontré Jean Dichon lors d’une fondue, ou encore Roselyne ex-de Bez. Les uns et les autres reconnaissent cette famille et cette grande maison.

 

 

Le moment Mariage pour tous, janvier 2013

Réclamer le mariage est un interdit absolu. Il ne faut pas y toucher. Il ne relève pas des hommes, il relève de Dieu. « C’est un sacrement » dit Hélène.

Roselyne qui vient de parler du film « les Invisibles » avec son frère François-Régis, plus exactement de ce qu’elle a découvert car elle ne savait pas grand-chose sur son frère Christian, change de ton et baisse le regard à propos du débat en cours sur le Mariage pour tous, et comme pour réciter un discours appris ailleurs, elle lui dit, en le regardant par en-dessous : « On vous a déjà donné le Pacs, que voulez-vous de plus ? »

Un cheminement personnel mieux compris, parce qu’expliqué grâce à un documentaire comme les Invisibles ne peut en rien influencer l’opinion – soutenue par le pape et les évêques – concernant le rejet de tout droit au mariage pour les homosexuels.

J’apprendrai plus tard que Benoît, mon neveu Rousseau, a vu le film et en a parlé à sa sœur Marina ; il est entouré d’artistes, c’est une question qu’il connait et qu’il voit parmi des proches.

 

Je serai étonné quand même lorsque j’apprendrai en 2017 que Benoit est le régisseur du char de la Pride (comme on dit désormais, à la place de Lesbian and Gay Pride) ; grâce à la Fiesta des Sud il a noué des contacts avec Eric Séroul, désormais en charge de la Pride. Je ne m’entends pas très bien avec cet Eric Séroul qui fut celui qui m’a interdit d’accès – par la force – à la nuit de la Lesbian and Gay Pride en 2000 (sous prétexte que j’avais fait signer une pétition contre l’appropriation de cette manifestation par son petit groupe). Cette conjonction de personnes proches avec lesquelles je n’ai pas les meilleures relations, me fait grincer. En même temps je dois reconnaitre que savoir que Benoît n’a pas les préventions de sa mère contre les homosexuels me fait plaisir, d’autant que j’apprendrai rapidement qu’il a des chances d’être encore le régisseur de la Pride en 2018 (année pour laquelle j’accepterai, un peu malgré moi certes, que Eric Séroul reste l’organisateur désigné pour la Pride…).

 

 

Les réflexions que j’en tire

Pour moi

La double vie

A compter de mon « engagement » homosexuel, je me suis trouvé dans la contrainte d’avoir une double vie ; d’abord parce que j’ai dû me cacher de presque tous dans un contexte où l’homosexualité était à peine légalisée (la légalisation ne débloquant en rien les mentalités), ensuite parce qu’il m’a fallu cloisonner ma vie à l’égard de ma famille, comme dans ma vie professionnelle

J’ai été dans un long tunnel d’omerta personnelle, je ne parlais pas de moi et de ma vie, il est vrai que peu de monde osait poser des questions et que sans doute beaucoup de monde échafaudait ; il est vrai aussi que peu à peu j’ai tendu des perches pour qu’on sache, en terme d’image publique (interviews diverses  sur FR3, le Monde ou presse locale dès le début des années 1980, cérémonies de la Déportation à partir de 1995) ; mais je protégeais ma vie privée, je m’efforçais de ne rien laisser percer

Mon engagement dans la vie homosexuelle est devenu aussi importante que mes engagements sociaux (ma « bipolarité »), cela m’a amené à créer deux espaces bien différents, voire à édifier des cloisons étanches, ma famille n’en devait rien savoir, mon milieu professionnel aussi, et mes engagements militants et associatifs hétérosexuels tout autant, même si sur le tard les choses ont évoluées ; lors de la bataille pour le PACS à la fin des années 1990 où je suis arrivé à faire adopté une motion en faveur du projet de loi (dans ma section syndicale CFDT et au centre social Belsunce dont j’étais administrateur), et une fois le PACS adopté (j’ai obtenu que les pacsés puissent bénéficier des droits des personnes mariées, à la Région au début des années 2000), et la retraite venue, des ponts se sont établis (PLM , LDH, CVPT, MDH, IDEM, etc.)

 

Le vertige immense

Me (re)construire face à soi-même après avoir décidé d’assumer son homosexualité, introduit à un immense vertige. Il n’y a pas d’idéologie, pas de communauté de vie prédéfinie, pas d’affection porteuse, pas de référence rassurante. Il faut se débrouiller seul, dans le brouillard.

 

L’acceptation d’une triangulation

S’ouvrir au monde homosexuel, c’est sortir du rapport homme-femme, s’ouvrir un autre espace où hommes et femmes ne sont pas en « complémentarité naturelle » mais en cheminement commun, où se crée un autre pôle, un 3ème pôle, homosexuel. Un contexte où les femmes et les hommes se sentent ailleurs, par-delà la case du mariage « obligé » ou la case construction d’une descendance.

 

La dichotomie entre corps et esprit

Se construire comme corps et esprit simultanément est un processus bien difficile, c’est tellement plus simple de séparer les choses pour ne plus avoir à s’inquiéter de façon permanente, il y a le travail, la vie associative, la vie mondaine d’un côté, la vie sexuelle de l’autre ; les hétérosexuels peuvent bien plus aisément mêler les choses, il est de bon ton d’insinuer de la drague à tout moment, c’est beaucoup plus compliqué pour les homosexuels dans le contexte que j’ai vécu et que je vis encore ; au contraire, la drague homosexuelle a ses propres espaces, bien limités au demeurant ; au bout du compte l’esprit peut et doit s’animer  au contact des hétérosexuels, dans la vie professionnelle et associative, mais il s’interdit une bonne partie du plaisir de la vie, surtout quand il s’est construit, comme le mien, de tant et tant d’interdits

Cette coupure qu’on s’impose a des répercussions permanentes sur le regard posé sur les autres, il y a deux espaces bien nets qui se créent, la séduction de l’esprit par l’esprit, la séduction du corps par le corps, très rares sont les occasions où corps et esprit se séduisent ensemble. Et bien des rencontres sexuelles, plus ou moins bonnes, sont des obstacles à une rencontre avec l’autre, avec les autres, tout comme bien des rencontres « conversationnelles » ne permettent pas d’aller jusqu’à une rencontre sexuelle. Le regard sur les autres organise deux catégories de contact, qui ont une certaine étanchéité.

 

 L’esprit justifie a posteriori l’échec

Chaque fois qu’il y a eu un élan du cœur et du corps, et que cet élan a été incapable de s’exprimer, de se dire, de se vivre, la raison intervient après coup pour expliquer l’échec. « On se fait une raison » même si on rumine pendant tant de jours l’occasion manquée.

  • Tt

 

Les nombreuses tentatives manquées

Oser, ne pas oser ? Plus d’une fois j’ai voulu oser, happé par le désir chimérique de suivre ou de retrouver ce beau garçon aperçu, je me croyais tout d’un coup capable de l’aborder ! Une fois c’était un joli garçon vêtu de blanc aperçu en roulant à un carrefour en arrivant à la Plaine, je suis revenu plusieurs jours de suite à la même heure pour essayer de le revoir… Une autre fois c’était à la Maison de la Presse sur le Vieux-Port, un beau danseur, sans doute, émerveillé, je l’ai suivi un bon moment vers la place d’Estienne d’Orves, arrivé à un immeuble, il m’a semé…

Mais le plus souvent je n’osais pas, je me sentais démuni, incapable, bête.

Parfois, je me torturais, que pense l’autre, qu’a-t-il dans la tête, comment va-t-il m’accueillir ?

« Mais je sais bien que ce qui est vrai, ce qui du moins est vrai aussi, c’est tout ce que j’ai pensé, c’est tout ce que j’ai lu dans les yeux d’Albertine, ce sont les craintes qui me torturent, c’est le problème que je me pose sans cesse relativement à Albertine » (Marcel Proust)

 

Les incapacités liées à la timidité

Timide de nature, car peu sûr de moi, effrayé par le regard des autres, je me fais petit toujours, je crains qu’ils n’aient vu quelque chose qui manque, qui ne va pas, qui n’est pas propre, qui trahisse quelque chose de moi ; je crains par-dessus tout une remarque désagréable ou blessante, à laquelle je serai incapable de répondre, mon manque de répartie m’empêche de répondre, je ne sais pas contre-attaquer, je contre-attaque à mauvais escient ne sachant pas toujours comment interpréter une remarque, prenant pour moi une remarque, j’ai souvent l’impression d’être visé, je suis souvent visé ; je me blotti, je me mets à l’écart, parfois je me cache

Cette timidité est mal comprise : pourquoi se dissimule-t-il ? pourquoi se cache-t-il ?

Cette timidité est surtout un amplificateur d’incommunication

Quand j’aurais enfin compris où est mon désir, cette timidité me jouera des tours terribles, elle ne me permettra pas d’affronter les regards, de comprendre les désirs des autres à travers leur regard ; j’aurais encore et toujours l’impression de ne pas être à la hauteur, non seulement d’avoir quelque choses qui cloche, mais aussi de n’être pas beau, d’être moche, de n’être pas désirable ; et je m’arrêterai à mon tour à l’apparence de l’autre plus qu’à son for intérieur, je ne saurai pas détecter ni capter le regard de l’autre ; je n’aurai pas confiance en moi face aux autres, je capitulerai rapidement dans le « je ne suis pas capable », le « ce n’est pas pour moi » ou le « ils ne sont pas assez biens pour moi »

 

Les amis perdus ou perdus de vue

Parmi les amis perdus, il y a surtout des hétérosexuels : François de Muizon, ami de virées à vélo et de parties de tennis, il m’a suivi lorsque je lui ai révélé que j’étais homosexuel, il voulait même me présenter sa nouvelle copine « qui aime les homosexuels » et journaliste il est venu à la Boulangerie gay, à un moment où il venait de faire un article pour Le Matin de Paris sur une ligne d’écoute homosexuelle qui venait de se créer (mais qui n’était pas celle que j’avais créée…) dans les années 80 ; le voyant je lui ai crié « Oh tchoi ! » notre ancien signe de ralliement, il a été surpris et content de me voir apparemment ; lors de ses 50 ans il a pris la peine de m’appeler au boulot pour m’inviter, mais ça a foiré, il invitait aussi un ami médecin qui m’avait pris en grippe (à l’époque de mes études à Paris car j’étais sorti certains samedis soir avec elle, à vrai dire pour noyer nos solitudes) ; de cette époque il y avait aussi Daniel Hardouin revu une fois

Il y en a d’autres, bien sûr, mais ils m’ont peut-être moins marqué : rencontrés à la cité universitaire ou à sciences po (Bernard Krynen et Marie-Madeleine Maître, sa copine et future épouse, Alain ( ?) Dufourmantelle, Alain Farré, Jean-Pierre Langellier, etc.), il y des filles dont j’ai été assez proche (Maggy Puzin, fille de Magistrat, qui viendra me rendre visite au Tchad ou la marocaine Amina Benchemsi) ; il y a Christian Arnaud, marseillais, ancien des jésuites, rencontré à la cité universitaire et avec lequel je suis resté en contact, mais peu de choses me lie à lui et à son épouse Michèle Rabanit, et là s’interroge nécessairement le « perdu de vue » s’il y a parfois des regrets de ma part, il ne sont pas si fréquents… Il y a ceux que j’ai connu à Cabriès (dans la petite communauté des Moulières dans les années 70), mais de la même façon je n’ai pas fait beaucoup d’effort et je n’ai pas eu beaucoup d’envies de revoir Marc Depriester et son amie Gloria, ni même Jean-Paul Curnier (qui deviendra un philosophe connu à Marseille) ; il y a aussi ceux et celles que j’ai connus à la Région (dans mon service, dans la section syndicale) et à côté (partenaires de la ville de Marseille en particulier), et ceux que j’ai connus dans mes multiples actions sociales (du Centre social Belsunce à CVPT, en passant par 3CI en particulier), ils se diluent peu à peu car il n’y a pas parmi eux d’amis proches

Parmi les perdus de vue, il y a surtout des homosexuels, et là j’ai souvent de vrais regrets, d’autant que parmi eux il y a ceux qui sont vraiment perdus, parce que morts du sida, anciens du GLH et de tant d’autres rassemblements (connus aux UEH et aux UEEH) ou associations LGBT ceux que je n’ai pas vu assez ou pas assez estimés alors qu’ils auraient bien davantage mérité mon attention (Gérard Goyet à Marseille, Jean Le Bitoux à Paris, et tant d’autres)

 

L’énergie avec laquelle je me suis investi dans la cause homosexuelle

Frappé de voir comment Michel-Ange a voulu sublimer dans son art ce désir homosexuel qui le tenaillait et qu’il refusait d’assumer librement, je n’ai pas pu ne pas penser à moi et à mon attitude face à ce « vice » que je refusais

L’intensité de mon engagement a été un peu exceptionnel, peut-être pas dans son intensité, bien d’autres que moi ont été « meilleurs » que moi dans leur investissement personnel, leur capacités créatrices, la qualité de leur engagement militant, etc., mais je dirais plutôt dans la durée ; tant d’autres ont abandonné ces combats qui leur paraissaient adaptés à un moment, à une revendication ou à la résolution d’un problème, pour moi cela n’avait rien à voir, c’était le combat d’une vie ; ce que j’avais vécu – ou plutôt non vécu – était de trop grande ampleur pour que j’abandonne, trop d’entre nous étaient dans la difficulté d’être confrontés aux mêmes problèmes ; ce combat ne pouvait pas s’arrêter, il me dépasse et – de plus – avec le temps il devient encore plus nécessaire, car je deviens l’un des rares témoins de nos premières batailles ; sans compter que je me suis transformé peu à peu en archiviste de ce long passé, avec une documentation impressionnante ; je pourrai dire que 40 c’est assez, mais cela ne me viens pas à l’idée

Je m’étais mis dans la tête que mon signe astrologique était peut-être une explication ; c’était le propre des Verseau de regarder au loin, et beaucoup moins devant soi (ainsi je me contentait de vivre de peu de choses ou d’habiter un quartier dégradé, ce qui comptait c’était le projet, l’ambition) ; mais peut-être cette capacité de regarder au loin me vient-elle de cette force de sublimation que j’ai trouvé au plus profond de moi, la grande misère de ma vie de jeune adulte m’a donné des ressources considérables pour m’engager et me projeter, à partir du moment où j’avais su m’assumer pleinement ; j’ai puisé ma force dans ma faiblesse

 

Chez les autres

L’insulte et l’aveuglement

Jamais mon père, Xavier ne se serait permis de mettre un qualificatif insultant dans le fait d’être homosexuel, moins encore sous le qualificatif homosexuel – mot qu’il ne se permettait pas d’utiliser -, la réprobation morale ou religieuse ne pouvait pas, pour lui, signifier accusation, et moins encore soupçon, ou méfiance a priori

Envahis par la psychanalyse à la petite semaine sur les traumatismes de l’enfance, et plus encore par les multiples affaires de pédophilies découvertes en quelques années à la fin du XXème siècle, pratiquement en même temps que le mouvement homosexuel prenait de l’ampleur, tous les amalgames ont été permis ; sans faire attention au fait que la « visibilisation » des homosexuels avait contraint la société à discerner homosexualité et pédophilie allègrement amalgamées jusque-là à réfléchir à l’âge de la majorité civile et à l’âge de la majorité sexuelle, à regarder de plus près la fonction d’éducateur  et aux fonctions d’autorité sur les mineurs ; tout cela était grossièrement regroupé ; quoique que leur enseigne les faits, les proches parents d’un homosexuel ne veulent pas y regarder de plus près, mieux vaut s’en méfier globalement, sans réfléchir, les tenir à l’écart de mes enfants ; les accuser de faire un choix non conforme d’abord, les « accuser » d’être une menace ensuite, plus exactement les dénoncer avant qu’ils n’y ait quoique ce soit à leur reprocher, bref, les insulter dans les faits

Dans le même temps l’aveuglement prédomine, à l’égard des autres pressions qui père sur les enfants, y compris de la part de leurs propres parents, aveuglement à l’égard des autres adultes que fréquentent leurs enfants, aveuglement à l’égard des institutions et organisations qui exercent des pressions sur d’autres enfants (je ne sais pas, je ne savais pas, des institutions religieuses ? oui mais c’était marginal, en tout cas pour mes propres enfants ce sera différent, etc.)

Le scandale de ceux qui accusent les homosexuels d’être ceux qu’ils sont ; comme se les droitiers devaient accuser les gauchers, les bien-voyants accuser les myopes, les noirs accuser les blancs, la persistance de ces attaques à l’égard de ceux qui s’adonneraient à un vice, comme si bien des homosexuels ne pourraient pas critiquer à leur tour les hétérosexuels qui s’abandonnent au vice ; l’absence de recul et de rationalité face aux réalités humaines les plus simples a quelque chose de sidérant

 

L’exclusion de ceux qui vont « de travers »

Marie-Aimée l’a dit un jour, elle voulait préserver ses enfants de l’influence néfaste d’Hubert (malade psychiatrique), et de Christian, homosexuel

Marielle ne l’a pas dit, Odile et Hervé ne l’ont pas dit mais il était clair qu’il n’était pas trop question d’inviter les membres de la famille, on les « invite » pour les événements religieux/familiaux (baptême, 1ère communion, confirmation, mariage), mais c’est bien suffisant ; les invitations concernent les amis et les parents les plus en harmonie avec ces événements, ceux-ci sont susceptibles de partager la « joie » de ces moments, pour les autres l’invitation est vague et générale (du style « tu viens quand tu veux » (Louis), mais il n’y a pas de moment consacré au partage de la table avec  les enfants ; la relation qui n’existait guère avant, a peu de chance de se construire et de se développer ; la famille est close, elle n’est déjà pas très ouverte aux frères et sœurs, ni aux cousins, encore moins à ceux qui vont « de travers » ; le mariage de Guillaume manifestera ce choix, les neveux invités sont limités (ni Nicolas, ni Cyril, ni Lionel, enfants de Roselyne et Hélène,  ni les enfants d’Odile), les cousins admis le sont avec des conditions

 

Le blocage des proches

Parmi ceux qui sont « bloqués », il y a ceux qui sont étrangers à l’homosexualité, vivent leur vie hétérosexuelle, sans se poser de question et justement ne font aucun effort pour comprendre, pour entendre, pour dialoguer ; il y a aussi ceux qui se sentent trop concernés, qui ont tout fait pour résister à cette tentation, pour détourner leur regard, et estiment y avoir réussi, « accusant » celui qui a « succombé » de n’avoir pas su résister, de n’avoir pas su se tenir et se retenir

Parmi les cousins, certains peuvent devenir dur à l’égard de celui qui ne se cache pas, et ainsi porte atteinte au nom partagé par d’autres, ils salissent ce nom qu’on met tant d’énergie à préserver, et qualifier et requalifier, dans la vie professionnelle, dans la vie sociale, dans le cheminement social, moral, religieux, élitiste, endogamique, etc.

Pour les cousins les plus proches, il y a deux périodes, celle de l’éducation des enfants pendant laquelle Christian n’a pas sa place (danger, mauvaise image, etc.) et celle de la maturité des enfants pendant laquelle Christian n’a pas non plus sa place, il est hors de question qu’il y ait d’interférence avec un couple d’homosexuels (en témoigne le rejet manifesté au moment du mariage de Guillaume « on veut bien te voir, mais sans ton ami, tu n’as pas à nous l’imposer »)

Parmi les amis, de la même façon, il y a ceux qui veulent appartenir à un milieu recommandable, mettant peu à peu de côté les éléments « parasites », ceux qui peuvent à terme dévaloriser le milieu soigneusement et patiemment choisi

 

La course aux limites de la morale

Chaque étape de l’évolution sociale est une occasion pour édifier une limite symbolique de l’acceptable ; il y a toujours des moralistes pour dire « au-delà de ce stade, tout risque de foutre le camp », des prédicateurs pour introduire une limite au nom de la religion, des philosophes pour avertir de dangers que court la civilisation : « vous avez obtenu cela, vous voulez encore davantage ! »

 

Le silence assourdissant

Du côté de mes proches, de mes cousins, de mes amis anciens, je suis confronté à un silence assourdissant. Aucun ne fait un pas dans ma direction, après avoir entendu telle ou telle de mes paroles publiques, après avoir vu mon positionnement sur le projet de loi sur le pacs à la fin des années 1990 ou lu tel ou tel article me présentant comme le représentant des homosexuels lors du dépôt de gerbe pour la cérémonie de la Déportation. Aucun geste, aucun signe ne me parvient. Mon langage est inaudible, dans un terrain social hostile ou réfractaire. Aucune sympathie ne se manifeste. C’est le black-out.

Ceux qui pourraient y être plus attentifs parce que leur inclination pourrait les rendre plus réceptifs, me sont aussi inconnus. Ont-ils peur de se révéler, en me faisant savoir leur ouverture ?

Un aveuglement à l’égard de ce qu’a pu être la répression des homosexuels à travers les temps ; un refus de voir les complicités qui ont accompagné ces aveuglements dans l’histoire

J’ai acquis peu à peu la certitude que ce silence assourdissant était structuré par des convictions où religion et politique se tiennent la main, où défense de l’Ecole libre en 1984 d’abord, puis JMJ (Journées Mondiales de la Jeunesse lancée en 1995 par Jean-Paul II), puis Manif pour tous en 2013, Opus Dei, etc. ont une place éminente, construisant une barrière infranchissable à l’idée-même que l’homosexualité puisse être pensée, reconnue ou admise

 

Le cas particulier de l’attitude d’Odile et Hervé à mon égard

La surprenante attitude d’Odile

Sans doute aurais-je apprécié qu’Odile qui est la plus proche de moi, soit sinon confidente, au moins un peu attentive à moi, à ce que je suis devenu ; au-delà de sa nouvelle vie, elle aurait sans doute pu tenter de comprendre ; il est vrai que rien dans notre adolescence nous a poussé l’un vers l’autre, à faire des choses ensemble, à nous confier l’un à l’autre ; l’âge adulte venant nous étions chacun sur notre planète

Il y a de quoi s’interroger, comment un frère et une sœur aussi proches – un an de différence -, peuvent-ils être aussi éloignés l’un de l’autre ? Bien sûr, nous sommes depuis longtemps très dissemblables, elle était le garçon manqué, souvent mis en avant pour son audace et son énergie, j’étais enfant plus effacé et moins énergique, adolescente elle était la sportive, plus proche de François-Régis, amoureuse du ski et de la natation, j’étais moins actif, petit chanteur (de Provence), plus rêveur sans doute, elle lisait des livres, je lisais des bandes dessinées , plus âgée elle courait les soirées et François-Régis était fier de l’avoir avec lui, de danser sans relâche, elle a recherché tôt la compagnie des chevaliers servants, elle était apprécié, j’étais prêt à faire la fête et parfois endiablé, mais pas toujours dans le même cercle, même si dans nombre de soirées nous avons eu des amies et amis communs, j’étais un peu scoute ( la troupe scoute des Petits Chanteurs) , elle était guide (puis guide aînée) ; et puis nos chemins se sont séparés, je suis parti à Paris, je l’ai beaucoup moins vue, sauf lorsque je l’ai vue à la Cité Universitaire de retour des USA, dans les bras d’Hervé qui était allé la chercher ; tout cela fait-il une dissociation entre elle et moi ? je n’y ai jamais vu qu’une différence naturelle, chacun son chemin, chacun ses choix

Odile a adopté tour à tour avec son père et avec François-Régis une attitude d’accusatrice ; insultant Xavier avec une violence terrible, y compris sur son lit de mort…, pour de supposées attirances adultères vis-à-vis de sa nièce Chantal Voisin ; accusant son frère d’attitudes pédophiles vis-à-vis de sa fille Marina lorsqu’il la transportait sur sa moto, jusqu’à dénoncer cette pédophilie supposée auprès de ses beaux-parents le jour de son mariage… Odile s’est enfermée dans un système d’accusation violent, un système dans lequel son marie, Hervé, a une part essentielle, mais elle, sans doute inspirée par une force supérieure, elle s’est érigée en dénonciatrice très sûre d’elle-même (et quelque peu hystérique), au point  de ne pas faire de quartier dans ses accusations

J’étais moi-même particulièrement exposé à son regard à partir du moment où elle avait découvert en 1979, avec l’aide d’Hervé, que je m’étais « engagé » dans un parcours d’homosexualité ; mais ayant choisi clairement cette orientation homosexuelle, sans me cacher, ni elle ni son mari n’étaient en situation de faire de la dénonciation souterraine, et n’ayant aucun de sujet de conflit avec moi qui était parti vivre complètement en dehors de son champ d’observation et de contrôle ; ils se sont au cours de tout une première phase employés à tenter de déstabiliser Xavier sur cette question de l’engagement de leur fils, sur lequel il savait bien peu de choses, et Xavier a comme à son habitude laisser s’exprimer les malveillances sans les reprendre à son compte, ni les diffuser à son tour ; ils se sont employés parallèlement à répandre l’information auprès d’amis et de cousins, par exemple auprès des Valdelièvre, proches amis de Xavier, très sensibilisés à cette question du fait de leurs propres principes moraux et de la proximité de leur maison avec un lieu de drague homosexuel nocturne, celui du Parc Borély ; comme je fréquentais pas tout ce milieu, un peu ancien pour moi, et travaillais dans un domaine qui leur était inconnu, ils n’avaient que bien peu de prises sur moi pour essayer de m’atteindre et de me déstabiliser ; pour autant, mes désirs de prendre ou reprendre des contacts à tel ou tel moment avec ces amis des parents, se trouveront de façon un peu inexplicablement compliqué et difficiles, sans que j’en comprenne toujours les raisons… le travail de sape avait peu ou prou fonctionné

Deux événements ont cependant constitué des points d’accroches, inespérés pour eux car ils pouvaient leur permettre de m’accuser plus directement, tout en étant redoutés par eux car ils concernaient leurs fils, et pouvaient ainsi déclencher leur hargne et donner libre cours à leurs fantasmes haineux ; un jour en balade avec Odile et ses enfants dans les années 1980 dans les bois au-dessus du Casset, j’ai pris Benoît en photo, alors passionné de photo je prenais volontiers des photos, j’ai eu le malheur de faire un tirage papier de la diapo que je trouvais la meilleure, on le voyait en sous-bois avec la chemise défaite, des rayons de soleil éclairant partiellement son corps ; Odile recevant cette photo a été choquée ; bien naïf, je n’avais pas imaginé les ravages qu’avaient fait chez elle les informations qu’elle avait reçues sur mon homosexualité, ni les projections qu’une telle photo pouvait entrainer dans son âme de mère ; je n’ai jamais su les sermons qu’elle a fait à son fils ni les propos indignés ou furieux qu’elle et Hervé ont du tenir, mais le fantasme et la méfiance ont du faire leur chemin ; et lorsqu’en 1990, j’ai proposé à Damien  – qui m’avait fait promettre de l’emmener lors d’un de mes voyages, nombreux à l’époque – de partir au Sahara avec tout un groupe parfaitement hétérosexuel avec lequel j’avais l’habitude d’aller au désert, j’ai été dument chapitré par Hervé juste avant le voyage, il me menaçait pour le cas où quelque chose d’inconvenant se passait entre Damien et moi, déjà un peu mal à l’aise d’avoir à tenir mon engagement vis-à-vis de Damien, je me suis trouvé tétanisé à son égard, au point de ne quasiment pas lui adresser la parole tout au long du voyage au Sahara, heureusement qu’il y avait quelques jeunes et qu’il a pu tout à fait se passer de  ma compagnie ; mais il est vraisemblable que ce voyage est resté dans l’esprit d’Odile et Hervé comme une insupportable incartade de ma part à l’égard de leur fils aîné, âgé de 17 ans… ; en 2013 Damien a près de 40 ans, il est célibataire, le bruit qu’il serait, à cause de moi, homosexuel traine encore (Odile en a entretenu sa belle-sœur Sabine), comme si l’homosexualité se transmettait, comme s’il n’était pas homme à choisir lui-même sa vie… comme si la bêtise régnait en maître dans l’incapacité de comprendre ce qu’est l’homosexualité

Xavier, François-Régis, Christian… des dépravés, sans morale, et de surcroît destructeurs d’enfants !

La paille et la poutre ; arrivé à 65 ans Odile se trouve « coincée », elle a tant et tant accusé les autres de ne pas être fidèles à leur conjoint, de ne pas répondre à cet idéal que lui a imposé sa religion et sa foi (nous ne sommes qu’une seule chair pour l’éternité), qu’elle est contrainte de devenir une « sainte » rivée à son mari, au risque de se renier aux yeux de tous ceux qu’elle a condamnés, et surtout à ses propres yeux ; elle ne peut que prier car le diable s’est peu à peu introduit dans son couple

L’étonnant parallélisme entre la façon d’être de Sylvie Andrieux (née en 1961, députée, conseillère régionale jugée en 2013-2014 pour détournement d’argent public) et Odile (née 24 ans plus tôt), visage fort séduisant, bien habillées, bronzées, actives, énergiques, capables de s’imposer avec force, sûres d’elles, mais aussi méprisantes, sans complexes, leurs choix sont les bons, personne ne peut les faire dévier de leurs objectifs, peu intelligentes, bornées, sans pitié, maniant volontiers les cris, les insultes et les menaces, et lorsqu’elles sont acculées elles sont encore déterminées à défendre des positions indéfendables, laissant la place à un visage dur et impassible, une froideur incompréhensible, un soin à afficher leur force de caractère, il ne sera pas dit que j’aurai craqué d’autant que j’avais raison, et tout qui cache mal un désarroi intérieur profond

 

Le regard d’Odile et Hervé sur moi

Hervé est de longue date très sévère à mon égard, il soupçonne, il fouille ; lorsqu’il voit des photos du voyage en mobylette dans le massif central où je suis en short dans une barque du gouffre de Padirac à côté des 2 garçons avec lesquels je suis parti l’année de mon bac, il tique, lorsque 5 ans plus tard il me voit apparaitre dans le grand escalier de l’Armande alors qu’un ami, étudiant comme moi à Paris, est là aussi – nous révisons notre préparation à l’ENA – il se retient à peine de faire une remarque,  il se permet plus tard de faire des remarques dans la salon en présence de papa sur ses visites goguenardes dans un bar d’homosexuels, c’est une période où je vis un peu seul – et plutôt triste d’être bloqué chez mes parents – à l’Armande, dans l’attente de trouver un job, et aussi de savoir  où j’en suis personnellement, puis il cache ostensiblement sa braguette avec la main d’une façon  un peu provocatrice ; son idée est faite, il me cible

Je suis dans le domaine de la supposition, mais à la longue, comment ne pas s’interroger ? Il n’y a a priori pas de lien entre les griefs à l’égard d’une famille ou d’une belle famille avec laquelle on est en procès, pourtant il m’est difficile de ne pas trouver dans leur attitude à mon égard, un ostracisme particulier ; il est vrai que chacun en prend pour son grade, hormis François-Régis et Xavier, dans leur regard il n’y a en a pas un pour rattraper l’autre, Chantal et Geneviève sont considérées comme endoctrinées, incapables de prendre le recul nécessaire qu’ils attendaient de la part de religieuses, Hélène n’a pas d’autonomie personnelle, Roselyne ni Michel ni Louis ne sont récupérables ; et Christian dans tout cela, c’est un pervers, il n’y a rien à faire avec lui… ; on pourrait imaginer qu’une fois le procès passé, il soit temps de retisser les liens, mais rien de tous ces a priori sur les personnes, ne permet de passer outre, de nouer un langage, de faire revivre tout ce qui n’a pas pu être ou se construire

Sur moi, tout se passe « comme si », autant ou plus que sur François-Régis (et pour Xavier ?), il y avait le sceau de l’infamie en 1979 il a osé se commettre avec l’homosexualité, Paris-Match en a attesté ; à partir de là, je tente de recomposer tout ce qui chez eux, tout ce qui, dans leur esprit, peut me classer comme irrécupérable, lorsque j’ai reçu mes frères et sœurs et leurs enfants à la fin des années 1980 au 52 rue d’Aix, pour les accueillir et renouer les contacts, Hervé s’est comporté comme un véritable « fouille-merde » cherchant partout ce qui pouvait corrompre leurs enfants dans mon appartement, il a fini par découvrir une carte postale publicitaire pour une bière où l’on voyait 2 garçons trinquant ensemble ; par la suite il n’ont pas eu grand-chose pour se mettre sous la dent, mais tout ce qui venait  de moi était suspect (cf. ce que je dis plus haut à propose de Benoît et de Damien), ils ont dû voir des articles sur moi (cérémonies de la déportation et Gay Pride à partir de 1995, par exemple), de petits indices, pour eux heureusement que j’étais loin d’eux, sans doute ;  et quand ces conflits familiaux ont éclaté, ma parole pour se parler, trouver des modalités de conciliation, n’ont trouvé aucun écho chez Odile – trop influencée par son homme ou trop dégoûtée de me parler ? – ; pourquoi l’expert que nous avions trouvé lors de la vente aux enchères lors de la vente – enfin définitive – de l’Armande en 2004, Me Fleck, et l’avocat que nous avions choisi, par l’intermédiaire de Me Fleck, ont-ils tout de suite été sa cible ? Christian les avait choisi, ils étaient sûrement méprisables, en tout cas – et je ne l’ai su que beaucoup plus tard – ils ont été amenés à signer une lettre commune pour la remettre vertement  à sa place ;  au sortir de la messe des obsèques de Mme de Bez au Sacré-Cœur à la fin des années 2000, elle tente de venir me parler, mais cela jure tellement avec toutes les difficultés judiciaires qu’elle nous fait, avec son mari qu’elle suit de façon aveugle, que je ne suis pas capable de voir s’il y a de la sincérité de sa part ; et quand  en février  2013, elle me voit, en train de déjeuner non loin d’elle, dans un restaurant du port (le Collins, où je vais fréquemment), nous sommes à deux mois d’un jugement d’appel extrêmement désagréable pour nous, elle est encore dans une attitude désincarnée de ce réel-là, et lorsqu’elle se lève pour venir m’embrasser déclarant à sa voisine de table « c’est mon frère de sang », je vis cela comme un baiser de Judas,  inconsciente du péril qu’elle nous fait vivre (« elle » demande au  juge de condamner chacun de ses frères et sœurs à lui payer  30 000 €   !), mais je suis en droit de me demander avec le recul, compte tenu de son dégoût permanent à l’égard de son frère homosexuel, s’il n’ y a pas là un geste perfide, laissant croire à un faux et préfigurant une fausse réconciliation

Odile était forte, mais elle a un puissant besoin de s’appuyer sur plus fort qu’elle ; c’était au début une alliance idéale, mais peu à peu elle a comme abdiqué face à celui qui a envahi son espace, lui laissant la portion congrue ; ce sont ses affaires, c’est son patrimoine qui est en jeu, mais il est intelligent, déterminé, il a sûrement ses raisons, il gagnera, et de toute façon je n’ai pas de marge face à lui tellement il est puissant, énergique et menaçant, il m’a tellement reproché de n’être pas intelligente, et de n’avoir rien compris ; et vis-à-vis de Christian ? nous sommes sur la même longueur d’onde, c’est un pervers, et puis… c’est grâce à lui qu’ils gagnent ! (pense-t-elle sans doute)

Le long parcours judiciaire qu’Hervé et Odile ont imposé aux frères et sœurs d’Odile (de 1991 à 2014) a montré l’importance qu’Hervé accorde aux indices et aux informations de toutes sortes susceptibles de discréditer ses adversaires, et vraisemblablement la photo « anodine » de Benoit adolescent que j’ai faite dans les années 1980 doit figurer en bonne place dans les rayonnages parmi les preuves susceptibles d’alimenter si nécessaire un procès en sorcellerie…

Porté à sa façon par la question sexuelle, Hervé est à la fois très attiré par l’autre sexe et très rapidement normatif à l’égard des questions sexuelles, comme bien des maris il est très jaloux de son épouse, et comme tous les pères il est très attentif à la préservation de ses enfants vis-à-vis de tous les dangers auxquels ils peuvent être exposés ; mais il va bien vite au-delà, pour voir des perversions partout ou voir des vautours partout, et ses proches sont peu à peu susceptibles d’entrer dans ce tourbillon paranoïaque, dès qu’il est en conflit avec tel ou tel il ne craint pas de distiller le poison du soupçon, ne craignant aucun amalgame, il accuse sans preuve et sans savoir, ou plutôt il fantasme sur une information infime pour poser son microscope et agrandir exagérément l’image chaque fois que ça peut lui être utile ; il a manié son microscope vis-à-vis de son beau-père, Xavier, et de son beau-frère , François-Régis, s’appuyant sur des informations très ténues, il l’a manié fort savamment avec moi chaque fois qu’il a pu malgré le peu d’éléments qu’il avait là aussi, compte tenu de la distance que j’ai toujours entretenue avec lui

L’ingérence dans la vie des autres ne gêne pas Hervé, oubliant sans doute le principe selon lequel la liberté de chacun s’arrête au moment où elle empiète sur la vie d’autrui ; il ne craint pas d’évoquer l’homosexualité de Christian en divers lieux, devant son beau-père, Xavier, qu’il prend de court dans le salon de l’Armande, en présence qui plus est, des parents Valdelièvre, avec sa mère, Mme Rousseau, ou encore devant des amis et cousins (il s’applique ainsi à cisailler la réputation de son beau-frère à un moment cette liberté est encore peu admise), mais il ne craindra pas non plus de critiquer sa sœur qui vit en concubinage sans se marier et sans baptiser ses enfants (il se propose même de réparer cette hérésie un jour à l’insu de leurs parents) ; peut-être trouve-t-il dans ces incursions au cœur de la vie des autres, un moyen de faire valoir sa vertu auprès de ses interlocuteurs

Le fait que je sois parrain du dernier enfant des Valdelièvre n’est pas simple à régler pour moi ; j’étais bien jeune lors de cette naissance, 14 ans, et je me suis posé mille questions par la suite sur mon rôle de parrain ; et à partir du moment où mon image était « sabotée » vis-à-vis de ses parents la question était réglée ; j’ai eu le sentiment d’avoir abandonné un rôle, mais en même temps je n’en avais guère envie et je n’aurais pas trop su comment m’en sortir

Il faut protéger les enfants de l’influence pernicieuse de Christian, j’aurais peu l’occasion de voir leurs enfants d’abord parce que je vis autre chose, je suis ailleurs et j’ai peu de plaisir à me retrouver dans des fêtes familiales qui ne sont que religieuses ou presque, elles commencent toujours à l’église, mais aussi parce que je sais que je ne suis pas nécessairement le bienvenu, chacun suit sa route, au bout du compte je connais peu et mal leurs enfants.

Hervé, Odile aussi, traque Christian, dès qu’il peut s’agir de ses enfants. Une fois (redite !) dans un sous-bois du Monêtier lors d’une promenade de famille à laquelle participait Odile, Christian a pris en photo Benoit, chemise ouverte, inondé de rayons de soleil, lorsque Odile voit la photo que Christian a plaisir à lui offrir, elle est outrée, regardant tour à tour son fils et son frère pour tenter d’analyser ce qui s’était passé. Benoit interloqué répond « quoi ? », sans qu’Odile ne tente d’expliquer sa « surprise ». Un autre fois, Christian de retour d’Italie explique comment on peut reconnaître l’origine des voitures à partir des plaques d’immatriculation, il a le malheur de citer comme exemple la ville de Padoue (« PD »), Benoît aussitôt ricane et Hervé est furieux. Christian voulait un peu parler de l’Italie qu’il apprécie mais le début du dialogue a tourné court. Un jour Damien a fait promettre à Christian (par écrit) de l’emmener lors d’un de ses voyages, Hervé est outré. Et lorsque Christian tentera (habilement) d’insérer Damien dans un voyage de groupe dans le désert Algérien (pour une semaine entre Noël et jour de l’an), Hervé est furieux, il avertit Christian vertement « s’il arrive quelque chose tu en pairera les conséquences, etc. », si bien que tout le séjour se passe sans que Christian, tétanisé, ne fasse le moindre effort pour parler avec Damien qui fréquente un jeune de son âge et d’autres personnes. Et il se tourne vers son fils Damien : « Si tu es homo, je te tue ! » terrible propos rapporté par Geneviève.

En 2017 et 2018, Benoît, régisseur apprécié des Docks des Sud, est sollicité pour faire la régie de la gay Pride de Marseille, par son président, Eric Séroul, c’est une surprise pour Christian qui a en tête les propos menaçant d’Hervé à son frère Damien 20 ans plus tôt et qui reçoit à espace régulier des injures de la part d’Odile avec ses allusions volontiers blessantes. Benoit est clair dans sa tête, il croit utile de préciser à Christian lors de la Pride du 7 juillet 2018 « je suis là à titre professionnel » et fait son travail avec beaucoup de professionnalisme (et il prend un coup de coude dans la poitrine lorsque des militants radicaux s’interposent) (Eric Séroul écrit quelques jours après : « Il a beaucoup donné parce qu’il aime notre communauté, et bien évidemment, il ne comprend pas cette violence »). Benoît est à mille lieux des préjugés de ses parents…

En juillet 2018, Christian envoie un mail à Odile pour lui reprocher de harceler Geneviève à l’heure de sa plus grande faiblesse, elle est atteinte d’un cancer grave, puis novembre 2017 on ne peut plus lui faire de chimio, la situation est désespérée (sans doute pense-telle que l’heure est venue pour elle d’avouer sa faute d’avoir encaissé le chèque de 100 000 francs remis par son père, apparemment Hervé qui l’a laissée de côté pendant toute la période des procès ne lui a jamais expliqué que des comptes ont été rendus et les dépenses justifiées…). Odile juge la réponse tordue et fait allusion à ses mœurs (dans son mail du 22 juillet 2018 à Christian elle se permet d’écrire : « Pour un homo il est normal de faire les choses par derrière. »)…

 

Odile octobre 2020 :

Curieusement, elle qui vient d’attraper la Covid-19 – un Covid bénin apparemment puisqu’elle n’a été que 3 jours en hôpital – n’en a pas profité pour faire un retour en arrière sur sa propre vie, mais plutôt sur la vie de son frère Christian ; elle l’accable par WhatsApp interposé :

« Christian de Leusse ??? Stérile !!!!… Christian il est temps !!!!! 2 kikettes ne peuvent marcher ensemble et ne donneront rien !!!! que du vent… et rien derrière « elles ». Vent qui passe, futilité, mensonge, perversion. Christian continues-tu à soutenir les manipulateurs de fœtus humains de 3 mois de vie qui servent à fabriquer des vaccins… ! Si la quiquette des hommes les démange, coupez-là. Je suis le reflet de tous les gens qui se disent qu’une quiquette ne doit pas perturber l’individu ni le monde. A te regarder tu es le reflet du mensonge… Fais tes petites affaires dans ton coin et arrête de mentir et de Te Mentir, décadent que tu es. Il est grand temps petit Gay que j’aime moi ta sœur bien aimée. Odile. Ne joue plus !!!!! Rémy non plus !!!! Homme et Femme, il les créa c’est-à-dire qu’en l’Adam, Dieu avait mis le féminin et le masculin que nous soyons sexués mâle ou femelle. Christian arrête de tout confondre et de mélanger. Tu auras des comptes à rendre. … Je ne peux me taire !!! Odile ta sœur qui a le souci de son frère chéri… Prie Dieu de te venir en aide, il fait des merveilles pour ceux qui l’implorent. Les ouvriers de la dernière heure. Criez vers moi mes enfants et vous serez sauvés ! … L’homme et la femme sont face à face, l’homme et l’homme se fuient. »

Elle poursuit, s’appuyant sur quelque lecture d’érudit :

« Les discours que tu appelles Homophobie datent de la fondation du monde et du projet d’Amour de Dieu créateur de tout souffle et de tout mouvement de tout être sur l’homme et la femme. Ce n’est qu’un constat non un jugement. Sans principe mâle, sans principe femelle, il n’y aurait aucune vie sur terre. Ni animale, ni végétale, ni humaine. Nous n’emmènerons aucune idée au ciel mais que la vie… L’idéologie reste sur terre… »

 

L’inattendu de Damien :

Le 4 août 2018 au soir, Damien vient manger à la Ciotat. C’est là que je découvre combien le fait d’être accueillant et réceptif à l’égard de mes neveux est essentiel, dans un contexte où ils ont été contraints et négligés par leurs parents. J’ai eu le contact avec deux enfants de Louis, Jean-Loup qui a répondu à un mail, Sylvain aussi, même si c’était pour répondre à un questionnement banal sur leurs années de scoutismes, leurs projets professionnels ou leurs vacances, sans s’attarder sur les préventions de Marielle. Quelques jours après que Benoît se soit comporté avec décontraction avec moi. Ce soir là c’est Damien qui longuement se livre. Pour lui c’est différent, le dialogue est ancien même si on ne se voit pas, et il connaît bien Rémy qui a préparé un super repas, et les vins, le besoin de se détendre un soir d’août jouent leurs rôles. Il a fini par donner sa réponse à l’invitation à 17h, alors que l’invitation courrait depuis une semaine et que bien des invitations depuis janvier 2018 (afin de lui remettre le livre sur la Famille de Leusse) sont restées sans réponse. On se demandait s’il était trop mal dans sa peau pour sortir de sa tanière, il prétexte la médiocrité de la réception téléphonique et internet à la Gardy…

Il a 45 ans il éprouve depuis plusieurs mois le besoin de faire le point sur lui-même (à quoi sert sa vie ? où va-t-il ?). Il a fait mille choses, il a une énergie formidable depuis tant d’année (voyages, sport, montée en grade militaire de réserve, il est capitaine, il enseigne à l’EMD même si on ne le paie pas depuis 2 ans), des filles lui courent après (la dernière colle un peu trop) mais cela ne le motive pas. Il voit comment évoluent ses parents. Mais lui ?

Il se livre : depuis que j’ai eu les oreillons vers l’âge de 14 ans, je suis impuissant, je ne produis pas de sperme. Ma mère ne l’a pas su, quand je lui en ai parlé, elle s’est souvenu que j’avais eu les oreillons… J’ai pleuré alors, lorsque j’ai compris que je ne pourrai pas avoir d’enfant. C’est l’un des grands drames de sa vie, il pense à cela sans arrêt, il se dépense sans compter de façon altruiste (pour son corps, pour ses hommes qu’il traite avec bienveillance, pour ses neveux et nièces, pour ses élèves de l’EMD), il ne lui importe pas de gagner sa vie ou de mieux vivre (ailleurs qu’à La Gardy, dans une chambre), il est aimé et apprécié (et sa sœur Marina me disait combien elle sentait de réserve d’amour chez ce frère aîné qui se révèlerait un jour). Il est disponible, il ne demande pas grand-chose en échange de ses services. Son filleul, Sylvain, prévoit à 27 ans de s’acheter un appartement, et lui qui en a 45 n’a aucun bien immobilier, et sa voiture est en bout de course.

Plus sérieux, il a fini par se l’avouer et par découvrir avec plus de clarté qu’il est homosexuel. Mais il se sent un homosexuel particulier, son désir d’une vraie relation amoureuse, un désir inavouable (et très compliqué à vivre pour lui), d’autant qu’il ne veut vivre une relation sexuelle que si elle est accompagnée d’un vrai sentiment (d’« amour » pour le partenaire). Il est, même pour Rémy et moi, dans une « demande » impossible ou au moins très difficile à satisfaire. Son idéalisme est à cent lieues de sa satisfaction sexuelle. Avec le temps, il a compris qu’il a ce désir, parce qu’il a vécu quand il était jeune une relation physique à Paris avec un garçon qu’il avait rencontré auparavant en Nouvelle Calédonie dont il a gardé un bon souvenir et parce que aucune relation hétérosexuelle ne l’a attiré ni satisfait.

Je lui demande si l’oukase de son père a retardé son éveil, il répond que oui, certes, le contexte d’interdit venant de sa mère, de son père, de son oncle de Lander, etc. n’ont pas facilité les choses pour qu’il s’avoue ces choses à lui-même. Mais pendant toutes ces années, avant l’âge de 42 ans, ces questions ne se posaient pas. Tout se passe comme si son drame précédent, son impuissance, a occulté cette question de l’éveil de son désir.

Quand il a eu 14 ans, il a passé une nuit à Gardanne, Cyril est venu près de lui et l’a masturbé, il n’a pas réalisé tout de suite ce que faisait son cousin. C’était une période où il fantasmait beaucoup sur Cyril mais sans aller jusqu’à le désirer. Il en a conçu un désagrément mais sans plus. Il n’a jamais eu de jeu homosexuel en dehors de cela. Il est « entré en frigidité » (comme on entre dans les ordres) en quelque sorte.

Damien est tout « courbaturé » de complexes, sans qu’on sache si ce sont de vrais complexes ou des excuses qu’il donne à sa difficulté d’être : je ne suis pas beau, je suis chauve, j’ai grossi (mes vêtements ne me vont plus). Il pourrait ajouter je n’ai pas d’appartement, ni de voiture correcte, qui pourrait me désirer. Il ne « sait » pas qu’il est beau, plein d’énergie et de disponibilité pour les autres, bienveillant et attentionné, sportif, musclé et intelligent, et que ses complexes lui pourrissent la vie.

Il fallait un oncle bienveillant et attentif, qui plus est vivant en couple, pour qu’il soit à l’aise pour dire tout cela : « Si quelqu’un de sait ce sera par ta bouche ». Il n’imagine aucune bienveillance de sa mère ou de son père (de tel ou tel de ses frères et sœurs, peut-être…)

En février 2019, il a un début de barbe qui pousse, « je veux voir comment est ma barbe » dit-il, avouant que c’est la 1ère fois que sa barbe pousse vraiment, sinon il ne se rase qu’une fois par semaine

 

De loin en loin nous nous appelons. Il sait qu’il faut qu’il creuse les questions qui le taraudent. Mais il n’a jamais le temps, il ne sait pas comment prendre les choses.

Je le mets en contact en 2020 avec un vieil ami, psychiatre pour enfant. Quelqu’un de très bienveillant qui a son tour lui propose de rencontrer une psychanalyste. Mais les choses ne se déroule pas comme il le souhaite. Les rendez-vous sont très espacés, et prétextes multiples aidant (crevaison, suroccupation et contraintes liées au covid) ils sont encore plus espacés… Ces rendez-vous ne le motivent pas « Elle me fait parler, elle ne me propose rien ». En avril 2021 il rappelle cet ami qui l’a orienté la première fois et celui-ci l’envoie chez un psychiatre après qu’il lui ai dit qu’il était davantage atteint de « troubles neuro-cognitifs que psychologiques ». Le chemin est décidément long et difficile pour Damien.

 

Le 20 août 2021, tout est changé, Damien vient à La Ciotat plus à l’aise. Il a enfin eu l’occasion de se révéler et de de se trouver dans une relation avec un homme, il avait eu jusque-là des petites aventures hétérosexuelles sans plaisir, sans avenir, il finit par se livrer, après avoir longuement parlé de sa famille et de notre famille, il a plaisir à parler clair, il a rencontré un homme. Ça s’est passé il y a 10 jours, lors d’une escapade dans le Ventoux, avec un retour sous la pluie Il est plus âgé que lui, il a 61 ans, c’est un jeune retraité, professeur d’Anglais, il est séparé, deux filles déjà grandes. Ils ont dormi dans un même lieu et assez simplement ils ont fini par dormir ensemble. C’est le début possible d’une relation, ils sont l’un et l’autre « accrochés ». L’avenir est à construire mais c’est un événement extraordinaire qui sort Damien de sa solitude et de son mal-être. Il est heureux, pour une fois quelqu’un le reconnaît et le désire, le destin cruel qui lui faisait peur se dissipe. Il est protestant mais ce n’est pas la question, des discussions sur de nombreux sujets sont possibles, ils ont des points communs, c’est une ouverture bienvenue.

 

 

L’inattendu de Benoît

A l’inverse, Benoît fait sa vie. Il se détache très vite de ses parents pour vivre avec son amante Céline Kassapian. Il demande à son grand-père de le laisser habiter l’ancien appartement du jardinier, en étage au-dessus du jardin potager.

Mes relations sont distantes, voire difficiles avec lui. Nous avons, tout deux en mémoire les conflits liés à la succession à la mort de Xavier, mon père, son grand-père, en 2001, lorsque Hervé est monté sur ses grands chevaux pour exiger toutes sortes de droits, à la place de son épouse – qui selon lui ne se défendait pas assez – et pour ses enfants. Hervé a été violent, Benoît appelé en soutien, prenait sa défense et n’a pas craint d’être violent à son tour.

Dans les années 2000-2010, il devient régisseur des spectacles des Docks des Sud. Et chose inattendue, en 2017 et en 2018 il est sollicité par Eric Séroul, l’organisateur des Gay Pride, pour être régisseur du défilé de la Gay Pride et des fêtes nocturnes organisées à cette occasion. En 2018 je l’entrevoie en début de la marche de la Gay Pride, je le guettais un peu mais c’est lui qui me voit en premier, il m’a reconnu immédiatement (près de 20 ans plus tard, nous avons tous les deux changé !), je lui parle de prendre un café, je n’ose pas lui demander davantage (ne sachant pas où en est son état d’esprit à son égard). La marche d’approche est lente, il a sans doute entendu ses frères et sœurs lui parler de moi, je les avais en effet vu les uns et les autres à diverses occasions, il avait sans doute vu tel ou tels des textes que je diffusais à tous les neveux et nièces, nous finissons par manger ensemble, nous ne parlons de rien qui fâche et surtout pas des affaires de famille. Il a vu que je fais partie des personnes citées dans le livre Marseille 1968, il me parle de ses centres d’intérêt. Nous n’allons pas beaucoup plus loin, mais curieusement c’est la Gay Pride qui nous a permis de nous retrouver. Et je découvre l’abime qu’il y a entre lui et sa mère, son ouverture d’esprit et sa liberté d’être, à l’heure où il vit avec une autre femme (et aura bientôt un petit garçon, Marin).

 

 

Autre cas particulier, le regard de Louis et Marielle sur moi

Révélé à l’occasion du mariage de Guillaume le 1er octobre 2016, auquel je n’ai pas été invité, avec la personne à laquelle je suis pacsée depuis 1999. Je m’étais permis de faire un courrier à tous les enfants de Louis et Marielle, les jugeant assez grands désormais et aptes à se faire une idée par eux-mêmes. Mais la réaction en retour est fulgurante, Pauline, la fille aînée, se faisant clairement l’interprète de sa mère. Mes mails à Marielle et Louis après ces messages de Pauline du 26 octobre, 8 novembre, 2 et 5décembre 2016, sont restés sans réponse.

 

——–De : Pauline de Leusse [mailto:pauline.deleusse@gmail.comEnvoyé : mercredi 26 octobre 2016 18:26  À : chdeleusse@yahoo.fr  Cc : Guillaume de Leusse; Sylvain de Leusse; Jean-Loup de Leusse; Gabriel de Leusse; Sixtine de leusse Objet : Re: Lettre à mes neveux et nièces  Bonjour Christian,  C’est avec un grand intérêt que nous avons lu ton mail et ta lettre en pièce jointe. Guillaume et Cécile sont très touchés par tes mots d’introduction à leur sujet, ils sont toujours en voyage de noces aux Philippines. En revanche, nous ne comprenons pas pourquoi tu reviens, encore, sur le sujet de ton invitation. Oui tu as été invité mais seul, ce qui tu reproches beaucoup aux parents par l’intermédiaire des enfants. Comme ton courrier s’adresse à nous, je vais te dire ce que nous en pensons une bonne fois pour toute.  Ce sujet a été la série de l’été par toi, tes frères et sœurs… En effet, tu es homosexuel, mais saches que tu pouvais être bi, trans, cela ne changerait rien. Depuis toujours il y a eu des homosexuels, tu nous fais un topo sur les homosexuels de la famille et des amis oui est alors.   Même au temps des Rois il y en avait déjà, ils avaient tous leurs « mignons ». Du côté de la famille de maman il y en a aussi….  Nous sommes une génération ou la société est devenue beaucoup plus libre, elle a même beaucoup évolué, les mœurs aussi. Nous côtoyons tous au quotidien, par nos relations et notre travail des homosexuels. Cela est-il un problème ? Non aucun !!!!!  Des histoires, des soirées avec des homosexuels nous pouvons tous t’en raconter et je peux même t’en présenter.  Tu sais que nous avons participé à la manifestation contre le PACS en 1999, et je te dis aussi, que nous avons participer aux manifestations sous le quinquennat de notre cher président François Hollande, de la Manif pour Tous !! Et oui comme quoi nos idées n’ont pas changé, même si la société nous le demande. Cela veut-il dire que nous ne respectons pas l’être humain en face de nous, sommes-nous tous homophobes comme les médias s’obstinent à nous traiter. Je vais te citer Saint Augustin, j’aime beaucoup ce qu’il dit : « A force de tout voir on finit par tout supporter… A force de tout supporter on finit par tout tolérer… A force de tout tolérer on finit par tout accepter… A force de tout accepter on finit par tout approuver  » C’est exactement ce que la société d’aujourd’hui essaie de faire. Nous devons tout accepter !  Si nous ne rentrons pas dans ce diktat, cette pensée unique, alors nous sommes les méchants, on se fait traiter de tous les noms d’oiseaux. Alors oui nous n’avons pas les mêmes mœurs que toi. Mais pouvons-nous être libre de faire comme nous l’entendons ?  Pourquoi est-ce à nous de nous adapter ? Nous devons respecter tes choix, ce qui est le cas, jamais, nous nous sommes mêlés de ta vie, de tes invitations, mais respectes-tu ce que nous pensons, le choix de vie que nous voulons, notre pensée qui est différente, respecteras-tu l’éducation que nous donnerons à nos enfants si nous en avons ? Tu nous reproches de ne pas inviter ton compagnon (Noël, Mariage ou autre…) mais toi, une seule fois, nous as-tu invités ? JAMAIS. Ton pacs aurait pu être l’occasion d’une fête familiale, tu nous parles souvent de la famille, mais non, même pas. Tu as fait ça dans ton coin. Après libre à nous de venir ou pas. Nous ne connaissons pas ton compagnon, sauf dans des vagues souvenirs d’enfance du temps de l’Armande, pour les ainés. Mais tu n’as jamais fait en sorte de nous le présenter.   Juste de nous l’imposer ! Sixtine ne doit même pas le connaitre.  A nous de nous adapter mais pas à toi, si nous comprenons bien. Nous avons le droit aux jérémiades des uns et des autres (LEUSSE) à chaque fois que nous (papa + maman et/ou les enfants) agissons, si ce n’est pas dans le sens du vent, que vous avez choisi (tes frères et sœurs sans notre père).  Nous avons même droit à des grandes leçons de morales, (série de l’été 2016 ton invitation au mariage de G&C), et évidement nous sommes toujours les méchants. Depuis les histoires de famille (Rousseau and co), Papa est toujours le méchant, celui qui ne comprend pas, qui ne s’adapte pas.  Tu me diras les chiens ne font pas des chats !  Ton histoire, ta vie, c’est ton choix.  Notre histoire, nos vies c’est notre choix aussi. Nous sommes dans un pays libre ou chacun peut s’exprimer, vivre et faire de son futur ce que nous voulons, mais ne l’imposons pas à l’autre, merci de le respecter.  Très sincèrement cher Oncle Christian à bientôt ! Tes nièces et tes neveux

—— De : pauline.deleusse@gmail.com [mailto:pauline.deleusse@gmail.com]  Envoyé : mardi 8 novembre 2016 21:46 À : chdeleusse@yahoo.fr
Objet : Re: Ton mail du 26 octobre Christian, je vais revenir sur cette phrase :
Pauline, on ne s’est pas vu beaucoup, je le regrette, et le peu que je t’ai vu, je l’ai bien compris tu n’as pas supporté que je te parle de ce cousin Frédéric.
C’est bien vrai on ne s’est pas beaucoup vu, tu es à Paris tu m’invites pour un déjeuner.
J’étais contente, je me suis dis ca fait longtemps.
Et la, le déjeuner à tourner à un sujet de conversation, Fréderic!
Tu sais j’ai bien compris le msg, accepter l’homosexualité des autres, et même dans la famille.
Je te confirme que j’étais très déçue de ce déjeuner, aucune question sur moi, sur mon boulot….pour une personne, en plus un oncle que je n’ai pas vu depuis longtemps j’étais fort déçue. En fait je trouve ça super égoïste, on parle que de ce que tu es, ce que tu défends, de toi en fait.
Tu veux que l’on se mette à ta place, mais tu te mets à nos places ?!
La vie est dure je te confirme. Ce n’est pas pour ça que je me plains toute la journée.
Toi ce qui est bien c’est que tu parles avec tes frères et sœurs qui viennent plaider ta cause,
J’aime bien toujours que dans un sens.
Moi aussi j’ai des problèmes, moi aussi on accepte pas toujours ce que je fais….
Toi tu as le temps d’écrire des mails et tu aimes écrire.
Je déteste écrire, je suis nulle en français, maintenant si tu me réponds, je te répondrai!
Mais vraiment je trouve ca pitoyable, la série de l’été continue….

—–De : Pauline de Leusse [mailto:pauline.deleusse@gmail.com] Envoyé : vendredi 2 décembre 2016 10:08 À : chdeleusse@yahoo.fr Objet : Ta lettre à maman Bonjour Christian,  Tu vois tu continues à te plaindre à faire des courriers toujours sur TON cas !!! Après Guillaume, papa, nous les enfants maintenant c’est maman…. Nous sommes toujours dans la série de l’été épisode 5….je pense. C’est moi qui ai écrit mon mail avec Saint Augustin, les chiens les chats, les noms d’oiseaux…. Avec mes frères et ma sœur.   Comment veux-tu que nous dialoguions avec toi ? Toi tu veux avoir raison. Tu ne cherches pas à comprendre les autres. Mais vraiment dans cette famille j’ai du mal à vous comprendre. Heureusement que du côté de maman les homosexuels ne réagissent pas comme toi !  J’attends avec impatience les mails de tes sœurs et de ton frère François-Régis pour plaider ta cause. Et dire oooh le pauvre, mais faut être ouvert…. Les Jérémiades des Leusse, en quelque sorte…. Pauline

——De : pauline.deleusse@gmail.com [mailto:pauline.deleusse@gmail.com] Envoyé : lundi 5 décembre 2016 12:16  À : chdeleusse@yahoo.fr Objet : Re: Ta lettre à maman Tu t’adresses à chaque personne de la famille depuis l’épisode 1 de ta série! Je suis bête et je ne comprends rien ! Les gays je ne pige pas !!! Mais ouvre les yeux sur la société d’aujourd’hui. A la place tu parles que de toi. Et tu nous prends pour des arriérés, qui restes dans leur bulle. Et toi tu te mélanges, tu es en contact avec des hétéros ?  tu ne fais pas la moral avec tes grands discours? Ta lettre, grande leçon de moral à maman.  Tu es le chef d’établissement peut-être ?!! Non mais faut atterrir !

 

Le 20 mars 2017, j’envoie un mail à Marielle, copie à Louis (à noter que mes sœurs et mon Frère François-Régis, m’apporteront rapidement leur soutien) :

Marielle bonjour,

L’épisode mariage étant passé, je crois utile de revenir sur messages que tu m’as fait envoyer, à travers ce que j’appellerais une « analyse de texte ».

Je crois que nous avons tous intérêt à ne pas nous tromper de débat

« Ta vie c’est ton choix » : comme je l’ai dit et redit, ma vie n’est pas mon choix, si j’avais eu à choisir je n’aurais pas choisi cela, j’en ai suffisamment souffert pendant mes jeunes années, tout aurait été plus simple pour moi, je croix que tu commets là une erreur majeure de penser cela

« Les homosexuels du côté de maman ne réagissent pas comme toi » : je sais bien cela, des quantités d’homosexuel-les préfèrent s’éclipser, c’est encore bien trop difficile d’obtenir une place ; si j’ai fait ce travail de recherche sur les amis, oncles et cousins – que j’ai connus – c’est pour lever le voile, et que l’on arrête de dire « il y en a toujours eu, il y en a partout » sans les reconnaitre et sans jamais les nommer (comme les handicapés, les divorcés, les vieilles tantes célibataires qu’on efface des généalogies) ; ce pourrait être l’occasion de leur donner enfin une place, y compris dans ta famille

« A force de tout accepter on finit par tout approuver » : il n’y a rien à approuver, rien à tolérer, il y a simplement à côtoyer, à donner à chacun sa place, là où il est, là où elle est, nous sommes divers, et chacun d’entre nous doit apprendre à faire avec ses limites et ses handicaps, puis à découvrir qu’il a aussi des atouts et des forces ; nous sommes tous égaux face à cela et face à la vie ; et nous avons tous un apprentissage à faire pour admettre cette diversité

« Nous n’avons pas les mêmes mœurs que toi » : diable ! pour ce qui me concerne j’ai les mêmes mœurs que tout le monde, quelle est cette étiquette de « mœurs » qu’on pourrait m’accoler ?  si l’on s’engage dans une police des mœurs, il faudrait passer en revue tous les gens qui nous entourent, il n’y en aurait sans doute pas beaucoup qui s’en sortiraient indemnes

« Nos idées n’ont pas changé même si la société nous le demande » : là je ne vois pas très bien le rapport avec moi car je ne suis pas « la société », et nous ne parlons pas d’idées, nous parlons simplement d’accueil d’un proche et de relations normales à l’intérieur d’une famille

« Nous devons accepter tes choix » : il n’y a aucun devoir, il y a simplement une convivialité très habituelle dans les cercles familiaux ; il n’y a rien à accepter, il y a simplement à coexister

« Respecteras-tu l’éducation que nous donnerons à nos enfants ? » : aucun reproche ne peut m’être fait à ma connaissance quant à l’éducation de tes enfants, je n’ai jamais interféré, et en l’occurrence je ne me suis permis d’envoyer un mail à tes enfants sur ce sujet que parce qu’ils étaient désormais adultes et en capacité de se prononcer par eux-mêmes

« Tu n’as jamais fait en sorte de nous présenter ton ami » : je n’aurais sans doute pas pu venir à l’improviste avec lui chez vous ; une invitation de votre part était nécessaire, Louis m’a dit de venir quand je voulais, il ne m’a jamais dit « viens avec ton ami quand tu veux » ; fallait-il que je vous invite tous à La Ciotat dans cette petite maison ? (Rémy n’était pas trop favorable à ce que j’invite dans cette maison non équipée pour inviter) ; dois-je considérer que tu me fais là une proposition de venir te présenter Rémy ?

« Ton pacs aurait pu être l’occasion d’une fête familiale » : le pacs est passé, je n’ai pas considéré que cela méritait un événement « familial » ; peut-être un jour y aura-t-il un mariage, je comprends là qu’il faudrait peut-être que j’en profite pour faire un événement familial, mais je crains que l’embrouillamini que nous venons de vivre n’obscurcisse cette perspective

« Je n’ouvrirais par les yeux sur la société d’aujourd’hui » : il me parait difficile de me reprocher de ne pas avoir les yeux ouverts sur la société d’aujourd’hui, je tâche de les garder grand ouvert ce me semble

« Nous n’agissons pas dans le sens que tes frères et sœurs vous avez choisi » : il y a une telle diversité dans la famille qu’il serait bien difficile de détecter un sens qui aurait été choisi collectivement, chacun va dans son sens, chacun fait sa vie, et je suis bien sûr que parmi tes enfants il y a bien des profils et des façons de vivre sa vie ; cette phrase ne me paraît pas très adaptée à nous réalités

« Les jérémiades des Leusse » : le fait que j’ai parlé de moi est-il une « jérémiade » ? je n’ai pas eu une attitude plaintive, au contraire j’ai parlé clairement comme je m’efforce de la faire en général, il me semble que le mot jérémiade est un peu une façon de me déconsidérer qui ne fait pas trop avancer le dialogue entre nous

 

Curieusement, les plus durs à l’égard de l’homosexualité semblent être les plus mal à l’aise avec cela, si j’en juge avec le comportement de mon frère François-Régis, qui est un « pur » hétérosexuel. Un jour il se trouve à Chamonix, il cherche une chambre, avec beaucoup de candeur il demande au barman assez fort pour qu’on l’entende qu’il ne sait pas encore où dormir, un homme se présente à lui et l’invite à venir chez lui. Au moment de dormir il est sollicité, il répond calmement qu’i n’est pas intéressé ; il n’avait pas vu une seule seconde que c’était un homosexuel qui l’avait invité. Plus tard, il me félicitera d’avoir parlé clairement, dans le film les Invisibles, en employant le mot « bander » pour parler de moi.

Marielle fait un barrage sévère contre les mauvaises influences que Christian pourrait avoir sur ses enfants ; « tu viens quand tu veux dit Louis, il y a la piscine », mais Marielle n’invite pas à diner ce beau-frère dangereux, les risques sont trop nombreux, même s’ils ne sont pas explicités, de toute façon les principes de l’Eglise ne sont pas respectés ; et les enfants sont grands, il ne saurait être question que je vienne avec Rémy, mauvais exemple encore, l’admettre homosexuel c’est déjà beaucoup, mais qu’il cache son ami (elle ne veut pas le connaître) ; le conflit à propos du mariage de Guillaume se prolonge lorsque Chantal suggère en novembre 2017 que Christian viennent avec Rémy chez Louis et Marielle le 7 janvier 2018, lors de son passage

Un repas a lieu le 6 janvier 2018 à Gardanne, Louis et Marielle sont là, ainsi qu’Hélène, Geneviève et Chantal ; on parle de la retraite de Louis, de leurs enfants (de Guillaume et de Gabriel en particulier), du déménagement de Guillaume et Cécile dans un appartement qu’ils viennent d’acheter, des enfants de François-Régis, d’amis, des travaux que j’entreprends avec Rémy à La Ciotat et de cousins, de ND de Vie qui va connaitre son « assemblée générale » en 2018 ; comme si de rien n’était en quelque sorte ; et même Marielle ajoute : « Tu viens diner demain soir ? il y aura Guillaume, Cécile et Joseph », j’avais en effet indiqué que j’étais près à venir, mais que Rémy ne pourrait pas être là (ce qui a du les rassurer), mais c’était avant que je sache que Louis et Marielle viendraient à Gardanne jour

Je tente de caractériser les homophobes de ma famille proche ; Hervé : « beauf » (celui de Reiser), rigolard, balourd et méprisant (l’homosexualité pour lui une perversion et un danger) ; Marielle : doctrinaire, idéologue et militante (sa réaction au quart de tour au message que j’ai fait à ses enfants manifeste en effet une singulière préparation à la contre-attaque, aiguisée aux argumentaires de la Manif Pour Tous) ; Odile (dans les Angélus et le simplisme qui range les autres dans le bien ou le mal) ; Hélène, Geneviève, François-Régis et Roselyne : partagés entre principes moralisateurs et tolérance ; Michel à l’inverse est candide, il n’a jamais entendu dire que l’homosexualité pouvait être un mal (sa surdité l’a préservé des discours moralisateurs)

 

Le traquenard du 19 août 2021

Un événement extraordinaire se produit, Chantal a organisé une rencontre des frères et sœurs chez Louis, profitant de son passage à NDV pour les fêtes de l’Assomption ; ainsi se retrouvent outre Chantal et Louis, Hélène et Cyril, Roselyne, Christian et Rémy. Mais tout se déroule autrement que je l’avais souhaité. Marielle n’est pas là, elle est comme de coutume en août, en vacances dans son territoire de Lozère, l’idée de permettre enfin une rencontre entre Rémy-Christian et Marielle, envisagée à l’origine est envolée. Louis, comme de coutume n’a pas effectué d’invitation formelle, il a seulement concédé à Roselyne de permettre à Rémy d’y participer, entre aumône et acceptation. Hélène n’étant pas capable de se déplacer seule, Cyril l’a accompagné, il s’est bien habillé pour l’occasion. Les uns et les autres ont apporté des contributions pour le repas, Louis s’est contenté de préparer une salade verte. Il organise la table, et dans sa tendance monsieur le comte il organise les débats. Il ne manifeste pas d’écoute à l’égard de ce que chacun devient ou est devenu, il n’a pas vu ou accueilli plusieurs d’entre eux depuis longtemps. Hélène est heureuse d’être enfin reçue à sa table, et sans doute Cyril plus encore. Chantal est reçue de loin en loin, son statut de « religieuse » lui permet d’avoir sa place à la table de Marielle. Roselyne le voit souvent, ainsi que toute sa famille, et particulièrement en ce mois d’août où elle effectue son déménagement (de l’Armandière à La Rouvière), ce qui lui donne un statut d’intermédiaire entre les uns et les autres. La présence de Christian, exceptionnelle, et celle de Rémy, plus encore, ne mérite pas de question, ni d’attention particulière. Il est vrai qu’il est constant dans la famille de se parler comme si on s’était séparé la veille, les années et les soubresauts divers n’ont pas de raison d’être évoqués, sauf lorsqu’il s’agissait de réagir ensemble sur les problèmes de succession, mais par chance Odile ayant signé devant notaire en juillet ce problème est éclusé. Louis ne pose de question à personne sur sa vie ou ses éventuels problèmes, il ne parle pas non plus de lui et de sa retraite, ni de sa famille, il mène la conversation sur les sujets qui lui sont chers. Le covid prend une place importante, il ne parle pas du fait qu’il a eu le covid et qu’il est peut-être en partie immunisé, il est contre le vaccin qui selon lui provoque des maladies voire la mort. Il n’a pas évolué là-dessus depuis le début de la pandémie (il considérait alors qu’on laissait mourir les vieux et défendait le Pr Raoult) et depuis le lancement du vaccin. Il trouve en face de lui un interlocuteur en or en la personne de son neveu Cyril qui vient d’écrire un livre de plus de 1 000 pages pour démolir le mythe du covid et attaquer le Big Pharma, le covid a selon lui été créé de toutes pièces par les grands groupes pharmaceutiques. La connivence s’étant établie avec Cyril sur ce sujet, plusieurs autres sujets vont dérouler presque naturellement. Les Rencontres de Chiré auxquelles va se rendre à nouveau Cyril, la Vendée et les catholiques traditionnels conviennent bien à Louis, la critique du pape François qui vient de considérer que le vaccin est « un acte d’amour » leur convient aussi, pour Louis ce pape est trop à gauche, pour Cyril c’est depuis 200 ans que l’Eglise est dans l’erreur. De façon plus surprenante les attentats du Bataclan en 2015 viennent sur la table pour dire que les militaires étaient informés avant et prêts à intervenir mais n’ont as été sollicités. Puis vient la question de l’avortement, malthusianisme savant pour Cyril qui évoque la figure d’un proche de Malthus qui voulait éliminer physiquement les gens, idéologie de l’élimination qui pour Louis rejoint celle des morts par le covid ou par le vaccin. Par un raccourci peu prévisible, arrive alors la question des juifs, provoqué par Roselyne. Celle-ci n’est pas vaccinée, elle disait avoir une phobie du vaccin, elle intervient en disant d’abord qu’elle n’est ni pour ni contre, puis s’engouffre dans la brèche pour dire sa défiance à l’égard du vaccin et répond à Rémy qui lui objecte les dangers du covid et les chiffres, que ce sont les médias qui nous trompent (dans sa façon de s’exprimer, on n’est pas loin des « merdia » dont parle Cyril, cela laisse interrogatif car il y a bien des médias qui l’informe elle aussi…). Roselyne parle alors de ses problèmes de voisinage à l’Armandière, elle est très remontée contre son voisin Azibert qui vient de s’installer et qui se comporte comme un malotru – c’est un nouvel Hervé Rousseau, dit-elle – mais elle dérape il est juif et d’ailleurs il est protégé par une mafia juive qui est susceptible d’intervenir pour que le syndic ne sanctionne pas ses entorses au règlement de copropriété. Elle vient de lancer la boulette qui fait les délices de Cyril qui est sur le thème « ce sont les juifs qui mènent le monde » et de Louis qui parle de Rothschild et compagnie qui tiennent la France. Pour lui, les sous-entendus (Simone Veil et l’avortement, Emmanuel Macron et Rothschild vont de soi. Puis il reprend sans difficulté le sous-entendu suprême du moment, le « qui ? » manié dans des manifestations antivax, il faut dire que c’est un général qui s’est permis de prononcer cette interrogation dénonciatrice des juifs, de même que c’est un général qui a dit que les militaires étaient prêts et qu’on ne leur a pas donné la main. La présence de deux homosexuels a évité que la question de l’homosexualité ne vienne sur le tapis, mais les boulets ne sont pas passés bien loin… Hélène et Chantal ont écouté sans rien dire, admiratives ou innocentes, elles n’ont pas vu de mal dans tout cela. Chantal insistera auprès de Christian pour lui dire que ce qui compte c’est qu’il « y a une joie profonde fraternelle à retrouver ses frères et sœurs avec qui on a poussé dans la maison paternelle ».

 

Les parallèles entre Marielle, ma belle-sœur, et Odile, ma sœur

Elles ne supporteraient pas un tel rapprochement, elles ne se considèrent pas, elles ne s’aiment pas ; mais elles ont tant de points commun, une religion rigoureuse, Marielle formée près d’un milieu gardois où tant de combats ont opposé catholiques et protestants, les catholiques devaient porter haut leurs tradition et leur foi, Odile dont le pacte avec la religion, la Sainte-Vierge en particulier à la mort de son premier enfant, la petite Marie-Victoire, « l’ange », décédée d’un cancer si rapidement, elle sont toutes les deux  pratiquantes, ferventes des lieux d’apparition et des processions ; elles ont toutes les deux donné à leurs enfants une éducation religieuse (écoles privées, scoutisme, sacrements) er tenté de leur transmettre le principe de la virginité avant le mariage, elles ont tenté de les réprimander lorsque les principes de la morale religieuse n’étaient pas respectés

  • Elles ont eu beaucoup d’enfants, comme le leur imposent leurs traditions familiales et l’enseignement de la Bible ; elles sont des femmes « à la maison », elles ont trop à faire avec leurs enfants, leur mari gagne les revenus du couple, elles ont vite laissé tomber l’idée d’un emploi, cela n’a jamais été admis, ce serait quelque peu porter atteinte à l’honneur du mari ; cela ne les empêchent pas de passer le temps nécessaire avec leurs enfants et cela leur permet une importante vie sociale, caritative et religieuse, elles cultivent le cercle des amis et organisent les tablées ; elles entretiendront et développeront bientôt leurs réseaux de sociabilité avec les réseaux sociaux (Facebook, etc.)
  • Elles sont des combattantes de la religions, des prosélytes, Odile avec sa Communauté du Cœur de Jésus, Marielle avec ses cercles favoris de sociabilité, comme leurs proches s’étaient mobilisés contre la pilule et l’avortement dans les années 1970, elles se mobilisent tout au début des années 1980 pour la défense des écoles libres, à la fin des années 1990 contre le pacs, au début des années 2010 contre le mariage « des homosexuels », puis à la fin des années 2010 contre la PMA pour toutes les femmes, et contre la GPA ; elles défendent bec et ongle les allocations familiales, elles choisissent – comme leurs proches – les immigrés chrétiens au détriment des émigrés musulmans, etc.
  • Le mariage est pour la vie, Odile théorise cela en référence à la Bible (« Nous ne sommes qu’une seule chair ») ; rien ne peut nous faire dévier de cette évidence ordinaire, le principe de l’indissolubilité. (François-Régis à sa façon tire les conclusions de ce sacrement, on est divorcé devant la loi mais on est toujours marié devant Dieu, Roselyne s’est entortillée autour de ce principe chrétien, mariée au civil puis contrainte au mariage religieux par son père, puis… , Hélène qui s’est trouvé devant un homme divorcé au mariage non consommé – plutôt théoriquement que pratiquement puisque son homme s’est simplement trouvé devant une 1ère épouse qui ne voulait pas d’enfant – s’est condamnée elle-même à ne plus se présenter à la table de communion tant que ce mariage précédent ne serait pas rompu). Odile et Marielle sont l’une et l’autre attachées à se conformer à l’image transmise par leurs parents, des couples fidèles jusqu’au bout quelles que soient les vicissitudes
  • L’une et l’autre ont en quelque sorte interdit la fréquentation par leurs enfants de leur vilain oncle homosexuel, la méfiance ; il n’était pas question de l’inviter pendant toutes ces années d’éducation et de formation de ces enfants et de ses adolescents
  • Puis l’une et l’autre n’ont eu aucune envie de faire la connaissance de l’ami homosexuel que Christian s’était trouvé ; à partir du moment où une relation se formalise, on entre pour elle dans quelque chose d’encore plus étranger puisque si « le pape » (Dieu plus encore) bannit l’homosexualité, il exclut plus encore la vie dans le péché que représente la cohabitation entre deux personnes de même sexe ; les message d’« accueil », de « tolérance », etc. éventuellement émis par le pape lui-même ne font rien à l’affaire ; la règle est divine elle ne souffre pas de calcul ou de concession
  • Elles prennent avec elles toutes les règles intolérantes – des générations qui les ont précédées – qui leur font admettre difficilement les divorcés (et plus encore s’ils sont remariés), les « avortées », les autres religions, les francs-maçons, etc. etc.

 

Une morale construite à l’envers 

 

Vraies et fausses « obscénités »

Les hiérarchies mal établies de l’obscénité 

  • Les séparés et divorcés bannis des relations familiales (Josette de Reure, les frères de Reure)
  • Les divorcés « bannis » par l’Eglise de la table de communion (Hélène)
  • Les homosexuels enjoints de se faire oublier (Louis de Leusse, Philippe-Jean Vennin, Frédéric de Leusse, Christian) : Marie-Aimée Bayle épouse, divorcée, de François-Régis écrira à Christian le 12 janvier 2014 : « Je vis dans un milieu catholique où l’Amour du Christ est plus fort que tout même de nos faiblesses. Le Christ nous a définitivement sauvés du péché mais mystère, le péché est encore là. Il me semble cependant important que les enfants puissent être matures pour comprendre les situations comme celle de vivre, avec des personnes de même sexe. Cela n’était pas le cas quand j’en avais discuté avec eux ? François a donc forcé les choses et je le comprends car tu es son frère et qu’il t’aime beaucoup. Je le regrette. » Comme souvent, les enfants sont un prétexte à l’intolérance, une intolérance très élaborée, par une Eglise qui a construit au fil des siècles une doctrine stigmatisante et culpabilisatrice parlant de « faiblesse », voire de « péché »
  • Hervé Rousseau complètement incapable de « gérer » la question de l’homosexualité. Par un fait surprenant la question de l’homosexualité semble être devenue l’une de ses références, « son » critère d’évaluation des personnes, il se rend dans des night-clubs spécialisés pour voir et dénoncer, il juge Xavier en tentant d’évaluer son ouverture sur cette question, il me dénonce auprès des Valdelièvre, amis proches de Xavier, après avoir vu ma photo, volée en 1979 par Paris-Match. Il en fait un critère d’évaluation pour ses enfants, il va un jour jusqu’à menacer son fils Damien d’un « Si tu es homo je te tue ! »
  • Les suicides inavoués de Françoise Génin-de Reure, de Guy de Reure ; celui de Frédéric de Leusse aussi, doublement caché derrière les tabous de l’homosexualité et du suicide

     Viols d’Hélène, viol de Cyril

  • Les viols inavouables d’Hélène de Leusse adulte, dans les hôpitaux psychiatriques (comme à Edouard-Toulouse où Christian va la voir un jour et la découvre en chemise de nuit dans les salles communes), elle est une proie facile, tellement convaincue qu’elle est peu de choses, qu’elle est investie par le diable, etc. ; elle avouera que sa relation avec Michel Leysin a commencé par un viol, il l’a prise de force, il a pu après jouer de la menace, « alors, tu serais un prostituée, tu pourrais passer dans le lit de quelqu’un d’autre ? »
  • Le viol de son fils Cyril Leysin enfant de 8 ans, l’année de sa 1ère communion en 1982, par un adulte (prêtre, catéchiste, ancien séminariste, le flou restera longtemps) lié à la paroisse de Gardanne, de 30 à 40 ans ; il expliquera avoir été violé par cet homme lors d’une balade à deux dans le massif de la Sainte-Victoire, avec l’accord d’Hélène ; avec une violence insensée, ce prêtre lui a pénétré par l’anus, en pratiquant une strangulation pour retenir et le contraindre, il l’a menacé de « tuer ses parents » s’il disait quelque chose, terrorisé il ne leur en a pas parlé de crainte que compte tenu de sa détermination à son égard, il ne soit capable de mettre sa menace à exécution ; il  n’en parlera jamais avant l’âge adulte, et même beaucoup plus tard, 1982-2014, 32 ans de distance, Cyril aura déjà 40 ans ; Hélène qui n’a rien vu et rien compris, a voulu le contraindre malgré son refus et ses pleurs à retourner dans une sortie collective, avec cet homme ; des années plus tard donc il cherchera à le retrouver, en portant plainte à la gendarmerie ; une enquête rapide a été menée, mais ni sa mère ni lui ne se souviennent du nom de l’homme, le curé puis le diocèse seront incapables de mettre la main sur une information fiable ; selon Cyril, il est mis en avant que sa mère est « folle » ce qui rendrait son témoignage moins crédible ; on lui suggèrera de trouver une photo, Odile et Hervé se mettront en tête de chercher parmi les photos de 1ère communion, malheureusement ces photos sont un coffre placé en garde-meuble, dissimulé derrière plusieurs m3 de meubles, elles resteront inaccessibles et la prescription trentenaire est déjà ; en mars 2016,  lorsque des prêtres du diocèse de Lyon seront mis en cause, sans se rendre compte du caractère indécent de son geste, elle appellera à signer une pétition destinée à prendre la défense de Mgr Barbarin, très critiqué pour avoir simplement changé d’affectation un prêtre mis en cause, sa pétition plaidera la prescription et la défense de ce cardinal irréprochable… ; en avril 2016 après que Cyril m’ait, à ma demande, informé personnellement de ces faits – jusque-là il avait parlé de viol devant d’autres personnes, sans que je puisse mesurer l’ampleur de ce qui s’était passé – j’ai résolu d’appeler l’archevêché d’Aix-en-Provence pour les informer et voir leur réaction, Mgr Dufour juge nécessaire de me rappeler, mais, sans doute rassuré par la prescription et l’anonymat, il ne parle que d’écoute (considérant sans doute déjà que de m’avoir écouté était important et je comprends implicitement qu’il est prêt à écouter Cyril, puis il fera dire par sa secrétaire que si Cyril veut le rencontrer, il est prêt à le recevoir à tout moment) ; Cyril finira par se souvenir qu’il animait la JOC et faisait du théâtre, et qu’il s’appelait Pierre…
  • Lorsque la CIASE (commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise) est mise en place en 2019-2021, elle se préoccupe des abus commis depuis 1950, soit 70 ans, la question du viol subi par Cyril reprend inévitablement le dessus ; Hélène envoie un courrier à cette commission, Cyril refuse de le faire, il n’y croit pas trop et « c’était il y a 40 ans » ; les conclusions de cette commission sont atterrantes (elle recense entre 2 900 et 3 200 agresseurs depuis 1950, 216 000 personnes aujourd’hui majeures auraient été agressées par un prêtre ou un religieux alors qu’elles étaient mineures)

 

La foi évite de chercher à savoir

  • La croyance aux miracles est continuelle, et indéracinable, même si le Dr Mangiapan ami de Xavier, expert à Lourdes pendant de nombreuses années n’a pu attester qu’un miracle ; la science ne compte guère, la foi dans la possible existence de miracles non répertoriés est immense ; et l’existence d’un miracle reconnu par l’Eglise (c’est celle-là qui compte en l’occurrence) a permis la béatification du père Maie-Eugène
  • Les apparitions depuis le XIXème siècle en particulier ont été nombreuses, il n’est pas question de les analyser ou de les contester, elles sont une réalité pour ceux qui y croient et il n’est pas question de ne pas y croire
  • Les lieux de pèlerinage sont grâce à ces lieux d’apparition, plus nombreux encore, et autant de stations lors des différents voyages
  • Les « fornications » et les « dépravations » largement énumérées parmi les gens d’Eglise (même à haut niveau), au cours des années 2000-2010, sont terribles, mais elles ne sont en rien en capacité d’ébranler la foi dans l’Eglise et la confiance en Dieu, la différence est établie entre les dimensions humaine et divine de l’Eglise ; si elles ébranlent gravement la confiance dans les partis politiques, elles ne peuvent ébranler le soutien à l’Eglise
  • En février 2018, un article du journal Libération analyse les apparitions de Medjugordjé au regard du contexte militaire et historique dans lequel elle se sont passées (la Croatie catholique fer de lance face à la Bosnie-Herzégovine musulmane), et souligne les réserves de l’Eglise face à ces événements ; sans avoir lu l’article, les réactions tombent en rafale un samedi à Gardanne, Hélène « ça tombe bien, merci, j’ai vu le film l’Apparition » (qui vient de sortir sur les écrans), Roselyne lisant les 3 premières lignes « quoi l’Eglise ne reconnaîtrait pas ces apparitions, c’est faux le Pape François les a reconnues » (le pape ne les a pas reconnues, le rapport d’un cardinal a émis des réserves), Geneviève ne dit mot (plusieurs de ses proches sont revenues de là-bas, elles sont toutes convaincues), Cyril « de toutes façons, le journal libération est la propriété du sioniste Patrick Drahi »…

 

Les épisodes familiaux inavoués

Geneviève «  mise à l’épreuve » dans ses 1ères années à l’Institut NDV, à partir de 1958 ; lui faisant connaître mon engagement homosexuel à la fin des années 1970, je lui demande si de son côté elle n’a pas connu ces choses-là, à un moment où je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y aurait une telle dichotomie entre ceux qui connaissent ce problème et les autres ; elle se sent obligée de me parler en vérité et me fait promettre de ne jamais en parler, elle a vécu un attachement trop fort à l’une de ses amies de l’Institut, et qu’elle a été remise à sa place sérieusement

Louis de Leusse, marquis (Louis VII), dernier de la lignée des Louis. C’est son neveu François qui devient marquis après lui. Il est « banni » ou en tout cas oublié, en témoigne l’état de sa tombe à Saint-Hilaire sous Charlieu en 2010, comparé aux nombreuses tombes Leusse de Colombier-Saugnieu. Il est marié, sans enfant, pour sacrifier aux règles immémoriales et à ce qu’exige la dignité de marquis des Leusse. Mais il est surtout attiré par les hommes plus que par les dames. Il est membre du Jockey Club club sélect s’il en est puisqu’il n’a pas plus de 1000 membres, uniquement masculins, fondé en 1834 sur l’activité d’élevage et de courses de chevaux, « lieu d’un autre siècle avec valets de pieds en gants blancs et habit à queue-de-pie, reposant par son homogénéité, source de confiance qui existe entre ses membres (selon les sociologues Pinçon-Charlot) » ; un jour – selon ce que rapporte Marc à Christian au début des années1970 lors de ses études parisiennes – Louis de Leusse a été pris la main dans le sac (à 65 ou 70 ans), il avait amené un jeune homme dans une chambre du Jockey Club dont il était membre. Pris sur le fait (de quoi exactement ?), il a été prié de quitter le Club, et sans doute exclu du Club par la suite. Mais les dimensions prises par l’événement ont été considérables. C’est la réputation des Leusse qui était en jeu. Pierre de Leusse, ambassadeur de France, président de l’ORTF, alerté rapidement a eu le pouvoir d’obtenir le black-out sur l’événement de la part de la presse. Toute la famille Leusse parisienne s’est solidarisée. Il fallait non seulement faire disparaître de la mémoire cette histoire, mais surtout, le marquis était désormais mis au ban de la famille.

Il était déjà peu ou prou écarté du château de son père Louis, à Gourdans, dont son frère Jean était héritier. Il ne sera plus question d’évoquer son nom.

Il faut dire que dans le château de Saint-Hilaire, qui appartenait à la famille de son épouse Gillette de Noury, il avait un peu aggravé son cas en disposant dans le parc des statues quelques peu « ambiguës » de satyres et d’Adonis, visibles depuis ses fenêtres.

Christian se souviendra que lors de ses obsèques, où bien peu de Leusse étaient présents, Gillette avait longuement expliqué à Claude les avanies auxquelles son mari l’avait exposée, les couleuvres qu’elle avait dû avaler en restant souvent seule et abandonnée. Lorsque dans les années 2000, j’aurais l’occasion de revoir le château, je verrai des morceaux de statues au sol, je verrai aussi la tombe de Louis et de Gillette dans un grand état d’abandon. Le contraste est alors saisissant avec les tombes des Leusse à Colombier-Saugnieu, rassemblées et bien entretenues. Comme si la mort de Louis était aussi son bannissement.

Xavier, peu informé ou plutôt indulgent (il avait connu Louis enfant, chez son oncle Louis – Louis VI, du même prénom donc – qui avait à plusieurs égards remplacé son propre père), avait, ainsi que sa sœur Solange, continué à garder des relations normales avec son cousin Louis qu’il avait beaucoup fréquenté enfant.

 

Le fils de Marc de Leusse : Frédéric, jumeau de Lionel, tous deux sont nés en août 1971, a découvert assez jeune son homosexualité, il avait dit à son frère que son goût était plutôt porté vers les garçons, à un âge plus avancé il ne s’est pas senti à l’aise dans sa famille ; lorsqu’il a 17 ans, avec son frère jumeau Lionel et sa sœur Manuela, leurs parents sont malades, ils doivent quitter le foyer ; son père Marc est très tolérant, mais il est de plus en plus affaibli, Blandine recevait  les amis de Frédéric, mais dès lors Frédéric manque d’une écoute nécessaire ; il a été alors hébergé dans la famille de son ami Jérôme à Limoges, ils ont grandi ensemble dans cette famille de médecins (père patron du CHU, spécialiste de médecine légale, la mère médecin aussi, vice-présidente de l’Oréal, puis de Glaxo-Welcome), au début des années 1990, vers l’âge de 20-22 ans Frédéric s’est suicidé dans leur appartement de Paris qu’il occupait seul, Jérôme qui est alors en séjour à Londres, est revenu précipitamment, et les parents sont venus très vite de Limoges ; informée, la « famille » de Frédéric est venue prendre le corps et a organisé les obsèques, Jérôme et ses parents sont restés en arrière dans l’église, un moment particulièrement pénible pour eux ; à vrai dire la famille de Frédéric se limite alors à peu de choses, Marc est décédé depuis 2 ans, Blandine est très malade, c’est à son frère Lionel que revient la responsabilité d’organiser les obsèques ; Lionel expliquera s’être senti en porte-à-faux quand la famille de Jérôme a annoncé ce décès et les obsèques de sa propre initiative dans le Figaro, après tout selon lui  Frédéric est son frère et cette famille ne l’a hébergé que 2 ou 3 ans, il devait prendre cette responsabilité d’organiser cette cérémonie et d’assurer sa mise en terre dans le tombeau de son père Marc ; pour autant que je puisse en juger, plusieurs choses semblent s’être liguées contre Frédéric : son père est mort, or il était le seul qui pouvait le comprendre et l’aider, sa mère est peu tolérante, elle avait malencontreusement « raconté » à sa propre mère ce « malheur » qui lui arrivait, et cette grand-mère (née Odette Hay des Nétumières, mariée à Raoul de Mougins-Roquefort), plus intolérante encore (« pas de ça chez moi » ou « je savais qu’il fallait se méfier des Leusse » sans doute instruite par les échos qu’elles avait reçus du côté du marquis de Louis de Leusse), cette Odette a du répandre son venin, dès la mort de Marc, Pierre s’est senti investi pour aider à l’avenir professionnel des enfants et sa rigidité morale a dû jouer un rôle important, Frédéric n’avait plus aucun allié dans son cercle familial ; cadre de haut niveau chez Paribas, en charge des grandes fortunes, marqué par l’« affaire » Louis de Leusse qui a « stigmatisé » toute la famille,  Pierre est devenu président national des anciens élèves des Jésuites et maire de Langourla, en Bretagne ; il est pour la rigueur morale ; il a été fier et heureux que son fils Kostia soit ordonné prêtre, jésuite (dans le cadre de la compagnie de Jésus), la cérémonie a été célébrée à Marseille, à Saint-Victor, le 23 mars 2013 ; Kostia qui n’avait que 22 ans lors des événements dramatiques concernant son oncle Marc et son cousin Frédéric, n’a pas pu suivre tout ce qui s’était passé, il parle de cirrhose du foie pour le décès de Marc, il explique le silence sur la mort de Frédéric par le double tabou, de l’homosexualité et du suicide, encore très vivace au début des années 1990, davantage encore dans un milieu aussi rigide pour lequel la morale et la religion joue un rôle majeur pourrait-on ajouter ; le mal-être de Marc dans sa famille (le livre qu’il a écrit sur sa famille en dissimulant les noms en témoigne, ainsi que la vente du château familial d’Hurigny qu’il a obtenu), le souvenir du sévère jésuite Hubert de Leusse, des oncles ambassadeurs et des avanies liées au marquis Louis de Leusse – lui aussi rayé de la famille et oublié -, il n’est pas question pour Pierre en particulier – qui tient aussi à son image de responsable de haut niveau dans l’association des anciens élèves des jésuites –  de déroger aux règles de la morale et de l’honneur de la famille.

Il faudra que j’attende janvier 2016 pour avoir un message de Lionel, fils de Marc, marié avec une femme qu’il adore, et de beaux enfants, il se confie à moi à propos de son frère Frédéric, enfin. Il m’écrit : « Au fait es-tu toujours engagé dans ta belle action pour le respect et la tolérance ? Je ne sais pas si tu l’as su à l’époque mais nous avons perdu Frédi, mon frère jumeau, qui ne croyait pas à un monde très accueillant, même dans les années 1990. Il m’avait dit à 15 ans que lui, il ne se marierait pas avec une femme.  Je l’ai entendu me confier pendant des années qu’il ne se sentait pas « come tout le monde ». Il était brillant pourtant. Mais il a mis fin à ses jours quelques années après la mort de Marc. Quel dommage, quel poids de préjugés pesait encore pour qu’il ne se sente pas libre à ce point. Ce que tu as fait est bien. Les relais permettront un jour que des malheurs semblables n’arrivent plus. Que 2016 permette cette prise de conscience. Bien amicalement. Lionel ». Un tel message et inespéré pour moi qui ne savais pas par quel bout prendre cette histoire, avec son frère jumeau, vraisemblablement son frère très aimé. Il fallait peut-être que l’eau passe sous les ponts pour que Lionel en parle sereinement. Il fallait aussi que j’ai assez de tact pour reprendre contact avec Lionel au moment opportun, le moment de lui présenter mes vœux. Quelques 25 ans plus tard.  Lionel complètera après que j’ai eu l’occasion de le rencontrer en mars 2016 à Paris : « Michel Leyat (ami de Frédéric) est resté un ami et il était présent à mon mariage à La Réunion, en compagnie de Blandine (mère de Frédéric) dont il connaissait le caractère, parfois les emportements excessifs et blessants, mais aussi le cœur… Manuela et moi avions été cherché Frédi à Limoges chez Jérôme et ses parents Piva Jacquemin, après une première tentative de suicide. Nous étions très circonspects sur leur influence, d’une part car le premier ami de Jérôme, Fabrice Benichou (que je connaissais et appréciais) s’était suicidé, d’autre part parce que nous trouvions leur emprise excessive. Manuela cependant a gardé toute sa compréhension et compassion pour Jérôme lui-même. Je suis quant à moi plus réservé. De plus en plus, je trouve que ce qui a nui à Frédi c’est le tiraillement entre une réelle ouverture à la vie, aussi riche et façonnée de désirs qu’on peut le souhaiter, bref une personnalité, celle de Marc en fut un temps un bel exemple vivant, et l’image surannée, exigeante et toute d’interdits que nous nous imposions depuis des générations et qu’il s’imposait à lui-même. Or ses amis médecins (Piva Jacquemin) lui ressassaient d’autres exigences de réussite louables mais certainement tout aussi incompatibles à assumer pour Jérôme et lui. Il me semblait que Frédi allait chez eux de Charibde en Scylla. »

En présence de Rémy, je revois Lionel le 2 janvier 2018 ; il insiste sur le contexte qui a prévalu au choc qu’a vécu son frère ; la première alerte est venue à l’époque où son arrière-grand-mère maternelle, la Vendéenne Hay des Nétumières cherchait un mari, le prétendant était le marquis Louis de Leusse, surnommé Bout-Bibi, lorsqu’elle a eu vent de ses penchants homosexuels dans les années 1920, elle a été ahurie et horrifiée, aussi sera-t-elle très rebutée quand elle apprendra que sa petite-fille Blandine prétendra se marier avec un de ces de Leusse, de triste réputation pour elle (Marc de Leusse) ; d’autant qu’un scandale a révélé au grand jour l’homosexualité de ce Bout-Bibi vers 1968 ; la découverte de l’homosexualité de Frédéric est alors insupportable, d’autant que Pierre son oncle direct, frère de Marc (malheureusement récemment décédé), réagit lui aussi très mal, il se considère comme un père de substitution, il a perçu directement le scandale qu’a évité son oncle ambassadeur Pierre de Leusse et il est prêt à tout pour être à la hauteur du nom de sa famille ; Rémy qui est présent parle d’homophobie, incompréhensible dans les années 1990 et d’une réaction clanique, Lionel est ébranlé, et est très mal à l’aise qu’on puisse comparer des réactions de protection son milieu aristocratique avec d’autres types de clans (royaumes africains, milieu musulmans ou juif) ; Lionel dira aussi que s’il fait du cheval, ça a été ne thérapie pour lui à la suite du suicide de son frère

 

Philippe-Jean Vennin (né en 1938, 8 ans de plus que moi), fils de Germaine de Leusse, est élève des frères maristes, il vit jusqu’à l’âge de 30 ans en n’étant pas conscient de son homosexualité, il sentait bien qu’il n’était pas attiré par les filles, mais il n’est pas particulièrement tiraillé par cette question ; il a donc fait ses études d’ingénieur agronome à l’école nationale de Grignon sans trop s’inquiéter sur lui-même ; puis un jour il a une relation avec une fille, et découvre presque simultanément un bar fréquenté par les homosexuels  et sent qu’il est davantage attiré par celui-ci ; il en parle à un prêtre dominicain, plutôt libéral qui lui recommande simplement de respecter les personnes ; sa plus grande difficulté a été de dire à sa mère – qui vit depuis longtemps séparé de son mari – qu’il est homosexuel, mais elle n’en a pas fait un problème ; il fréquente les bars gay de la rue Sainte-Anne, et lorsqu’il va travailler en Californie les plages naturistes de San Diego, se sont les années 1980 celles qui voient le sida prendre un envol terrifiant, il n’a sans doute pas une vie homosexuelle très délurée, il a pourtant une véritable crainte lorsqu’il se rend à son premier test de dépistage ; grâce à une vie homosexuelle sage et discrète, il peut rester un cousin rangé et discret, pratiquant religieux, hors de toute vie associative (il ne connait pas Arcadie) ou revendicative (pacs et mariage ne seront pas dans son champ de vision) ; bénéficiant d’un patrimoine immobilier et préoccupé par la nécessité de maintenir les liens familiaux, il organise annuellement un rassemblement des cousins, en particulier dans son petit « hôtel » du Trocadéro

La sœur d’Henry de Lander : Myriam de Lander habite Carry-le Rouet avec son amie, Marie Christine, historienne, au Parc naturel régional du Luberon, Myriam est médecin psychiatre. Un jour je les avais rencontrées lors d’une réunion de l’Autre cercle, aux Deux G je crois, à laquelle j’avais été invité à parler de l’histoire du mouvement homosexuel à Marseille. J’avais été très heureux de découvrir cette sœur d’Henry, lui aussi strict dans sa vie personnelle (membre de l’académie d’Aix-en-Provence) et à l’égard de ses enfants, et elle ayant su conquérir sa liberté. J’aurai l’occasion de reparler avec elle en juillet 2015 alors qu’elle envisagera de venir habiter la Ciotat pour leur retraite.

Les convenances imposées (Marc de Leusse)

Contraception, avortements condamnés

–    Un contexte de contrainte et de morale

En périphérie de la famille

Les enseignantes du cours savent peut-être que leur aumônier, curé de la Valentine, dans les années 1980, est en même temps aumônier à David et Jonathan (association d’homosexuels chrétiens) ; peut-être a-t-il été affecté à cette tâche par l’évêque en connaissance de cause…

Michel, mon frère sourd-muet, n’a pas de préjugé sur le plan de l’homosexualité, il découvre vite que deux des proches d’Alain, son ami le plus proche, sont homosexuels, un frère et un oncle ; en 1982, il est l’objet d’avances homosexuelles lors d’un voyage à Alger

 

A l’inverse les obscénités tolérées

  • La décomposition de la loi et des mœurs, la disparition de la capacité de discerner les limites de l’acceptable n’est-il pas bien plus grave, ne mérite-t-il pas beaucoup plus d’attention que la question des choix et modes de vie de chacun ? Lorsque la vulgarité et à la médiocrité prennent le dessus ne s’approche-t-on pas des véritables obscénités ?
  • La violence et le venin de la calomnie au service de son intérêt propre (Hervé Rousseau), les insultes et les menaces malheureusement rendues par mes frères à Hervé ; on s’est habitué très vite à la malséance, à la perte de toute civilité dans le cadre des procès à n’en plus finir sur les questions liées à la succession, il est un moment où la violence s’installe presque naturellement, sans plus de retenue, malgré l’éducation, théoriquement policée, reçue : il devient presque naturel de répondre à la violence par la violence
  • Le discours de la morale affiché comme un dictat, une règle absolue pour les autres qui ne supporte pas de pardon (comme celui d’Odile à l’égard de son père)
  • On vit à côté des « règles », mais malgré soi, contraint et forcé, et cela n’est en rien – ou en tout cas fort peu – une éducation à la tolérance, à l’ouverture d’esprit, il faut se tenir à des règles qui ne favorisent pas ce qu’on vit, au prétexte qu’on l’a subi ; comme s’il fallait « imposer » au peuple autre chose, une vision de la société qu’on souhaite, plutôt que celle qu’on vit et que les gens vivent ; contraception, avortement, divorce, etc. ne sont que des pis-aller, non recommandables aux autres ; à terme cela conduit quelque peu à un double discours, pratiqué avec une étonnante facilité : « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais »
  • La dimension ravageuse de l’incapacité de distinguer homosexualité et pédophilie ; l’éducation reçue, les amalgames de l’Eglise ou des politiques, l’incapacité de chercher et de comprendre entretient l’incapacité d’observer, d’examiner avec attention les réalités
  • La dimension « sacrée » du célibat des prêtres et l’assurance de leur vraie chasteté rend difficile leur mise en cause, il y a quelques « brebis galeuses » mais ils sont a priori hors de soupçons
  • Dans beaucoup de milieux, il faut taire les écarts des prêtres pour ne pas nuire à la réputation de l’Eglise
  • En revanche le pouvoir tout puissant des parents sur leurs enfants est normal, puisque ce sont « leurs » enfants, ils ont tous les droits de dire ce qui est bon pour leur éducation et de sévir
  • Les mères célibataires et les « enfants du péché » (pris en charge à sa façon par l’Eglise, pendant des décennies)
  • Le (terrible) rejet des immigrés au cours des années de guerre en Syrie e d’exode (années 2010), l’absence totale de compassion

 

Tabous, bons et mauvais exemples

 

L’expérience d’une vie, c’est tant et tant de choses tues, de violences rencontrées et consenties, des perles aussi au milieu de ces contraintes.

Le caché : Christian se souvient d’avoir été rabroué par sa sœur Odile vers l’âge de 20 ans parce qu’il avait évoqué devant une de ses amies le fait que cette famille, comme les autres sans doute, dissimulait tant de choses liées à la morale (divorce, adultères, etc. dont on ne parle pas)

 

  • « Aristocrates » : faux ou vrais ; « 25ème quartier de noblesse permettant de devenir chevalier de Malte » dit Xavier ; bourgeois et parvenus ; les rallyes
  • « Aristocrates » et roturier : mésalliances (Odile, Hélène, Roselyne)
  • Alliance avec un/e juif/ve (Leusse)
  • Les couples cités en exemple (Nicole et Jean de Reure) et le Ra et la Rate, Bruno et Marie-Véra, François et Clem, Raymond et Mélita
  • Divorce, on ne divorce pas (Josette), et d’ailleurs une femme ne peut pas divorcer, elle est trop dépendante pour cela
  • La femme n’a pas besoin de faire n’a pas besoin de faire d’études, son mari s’occupera de ses besoins
  • Séparation (parents de Philippe-Jean)
  • Droit d’épouser un divorcé : autorisation auprès du Vatican ?
  • Refus d’accès à la communion
  • Epouser un/e cousin/e : autorisation auprès du Vatican ? pas vraiment un tabou (chez Reure mais aussi chez Leusse)
  • Mariage pour la vie
  • Mésentente du couple (Xavier & Claude)
  • Enfances négligées, ballotées, bafouées
  • Pouvoir des grands sur les petits : l’autorité peut décider, choisir et sanctionner même en toute injustice, les plus grands ont raison ils prennent le relais des parents
  • Vie sexuelle prématurée (filles qui n’ont pas respecté les codes)
  • Enfant né avant le mariage (le mariage obligé)
  • Enfant adopté (Perrone)
  • Enfant né hors mariage (Yvonne)
  • Résignation face au malheur : malédiction sanction (Gérard fils de Yvonne)
  • Sexualité adolescente : mauvaises pensées, « pureté », masturbation, etc. (le rôle des éducateurs extérieurs, l’immixtion dans la vie de l’ado)
  • Sexualité adulte : fréquentation de prostituée, etc. (Le Guépard)
  • Adultère (le démon de midi Ratyé)
  • Contraception : contraire à la nature
  • Avortement (l’interdit, le non-dit) : Roselyne a qui j’ai offert la biographie de Simone Veil me dit, après lecture, j’ai lu le livre mais j’ai sauté les pages dans lesquelles elle parle de don combat pour l’avortement… ; et lorsqu’elle apprend que sa nièce Marina s’est déjà fait avorter 2 fois, elle reste silencieuse
  • Célibat (Solange, de Reure)
  • Les amis célibataires dont on sait si peu de choses : Bruno de Roux (91 ans, décédé en 2015), Philippe Bonnasse ( ?)
  • Veuvage contraint (Mithé)
  • Prêtre « défroqué »
  • Livres à l’index
  • Dénonciations intrafamiliales : fille qui s’insurge contre son père et l’accuse (Odile), le justicier (Hervé)
  • Pouvoir de l’homme sur sa femme : gendre qui affirme son droit sur la fille et sur la famille de la fille (Hervé)
  • Inféodation idéologique de la femme à l’égard de l’homme (« nous ne sommes qu’une seule chair »)
  • Homosexualité : le non-dit (Louis de Leusse, Alain Blachère)
  • Les problèmes psychiatriques : dépression (Yvonne, Hélène, Hubert « c’est un atavisme familial ! »)
  • Culpabilisation du sommeil
  • Immense image du père et de la mère pour l’enfant
  • « Si monsieur veut bien se donner la peine » formules désuètes
  • La déférence que l’on doit aux gens bien nés
  • Interdits et tabous ont autant de place que l’instruction et l’éducation, et souvent tiennent lieu d’instruction et d’éducation
  • Les convenances et la politesse
  • La vieille fille « doit » se consacrer à sa mère (Solange, Mithé dans une moindre mesure)
  • Hervé fils d’une Pelle des Forges, il relève le gant
  • Veuvage : deuil « obligé », délai de viduité
  • Obligé de se marier avec celle qu’il a engrossée (FR)
  • Echapper aux contraintes sociales et familiales : partir pour vivre avec celle qu’on aime loin de la famille, partir aux colonies, à l’armée, en religion (combien de métiers « héroïques choisis en « compensation »), voire abandonner et vivre dans la nature, parfois partir pour échapper au père et ses contraintes, parfois éclater psychologiquement et entrer en dépression, banal mais loin de tout, se choisir un mari une femme comme acte de révolte
  • Années des 20-30 ans, celles de choix difficiles, entre morale sociale et familiale, et désirs, choix de vie, profession, le temps des heurts parfois terribles entre père et fils, morale et choix personnels, mais tous les âges qui suivent ont leurs tournants difficiles : le couple qui craque, la vengeance vis-à-vis du père qui ne s’est pas exprimée, le sentiment de la vie ratée à cause de la morale, les libertés prises avec cette morale, la double vie, celle qui est présentée aux enfants qui « n’ont pas à savoir »
  • La morale est pour les enfants d’abord, après chacun fait ce qu’il veut ou ce qu’il peut
  • Quand la vie est plus avancée encore sentiment d’avoir plus ou moins gâché sa vie, à force de respecter les convenances (Didy)
  • Les affres de la rencontre, entre la morale et ses interdits et la vie, ses désirs et leur impossible assouvissement, ou plutôt les désirs vécus (mal) dans la culpabilité
  • Les problèmes de la santé et de la vie personnelle (Solange et son psoriasis)
  • La mise sous tutelle est-elle morale ?
  • Ce qui compte c’est que tu bénéficies de bonnes études (avec encadrement, morale, etc.), pour le reste c’est-à-dire ton avenir « tu verras bien », pour le reste c’est-à-dire mon comportement « c’est mon choix »

La soumission (fréquente ?) de la femme, de l’enfant, parfois de l’homme, à son bourreau

Abstinence sexuelle

Devoir d’Etat (Xavier, Hubert)

Le blocage psychoaffectif transformé en morale (étayé par la phrase du Christ : noli me tangere)

Pas de « couple illégitime »

Pas d’enfant naturel ou adultérin

Les effondrements successifs : Xavier en venant à Marseille quitte son monde, Claude est déracinée

Ce qui est subit : ces enfants qui choisissent des vies compliquées et peu gratifiantes et des conjoints qui ne sont pas à la hauteur de ce qui était idéalisé, là où tant de ses semblables ont su construire une ambiance de famille, la réussite professionnelle (ah ces diplômés de l’X ou de Centrale qui sont nos amis, nos cousins !), et choisir le nom

Une de ses filles le broie en l’insultant, lui qui avait espéré un temps la sainteté ou au moins, le travail bien fait

L’honorabilité de celui qui est hors des clous peut être mise en cause (Christian s’est certes détaché de beaucoup de cousins, famille, amis, mais en même temps beaucoup de préventions à son égard se sont propagées)

Et en même temps l’évolution d’une génération à l’autre : adultère, veuve, célibat ; avortement, mariage civil, homosexualité ; concubinage

Les contraintes familiales, liées à l’entreprise familiale : les claques sonnantes aux enfants, l’entreprise ou le domaine à l’aîné (les autres n’ont que des compensations) ou à celui qui reprend « l’œuvre » familiale, celui qui divorce est « in-pardonné », rien pour lui ou pour elle, les enfants passeront avant (dans ces domaines, la bourgeoisie reprendra les traditions aristocratiques)

La civilité consiste à savoir « se tenir », puis se tenir « avec distinction », mais la difficulté est là de savoir a priori jusqu’où va la tenue pour chaque famille (lorsque vous êtes invité par exemple)

Les « mauvais » mariages, réaction sévère des parents quand l’un des enfants est mal marié (ex. chez les Blachère à l’égard de leur fils aîné Christian)

La bonne société parle avec condescendance, ou du bout des lèvres, de certaines choses : il est défroqué

Le suicide de tante Françoise Génin et de Guy de Reure soigneusement occultés

Le cercle étroit des de Leusse, il est facile de faire le tour de ces cousins (les autres qui ne portent pas le nom sont un peu oubliés), une coterie s’est construite autour de ses légendes (ceux qui ont illustré ce nom dans le temps ancien, le Louis guillotiné, le ou les marquis, les ambassadeurs, les prêtres, la généalogie, les alliances et parentés illustres), il faut être à la hauteur de cette élite, tout descendant se doit de l’honorer ; celui qui le déshonore est immanquablement condamné puis – à sa mort – oublié (le marquis Louis l’a vécu – vif puis mort – à ses dépens) ; et la sanction a pour vocation de faire exemple (les propos de Lionel sur son père et le comportement de la belle-famille de son père sont édifiants à ce propos) ; le silence à mon égard (glacial, de la part de certains) est éloquent

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Distinction, foi et intelligence

 

Distinction et élitisme (aristocratie) : endogamie

Fils de, fille de, critère d’élection du cercle des amis, critère de choix des relations plutôt qu’exigence de vie exemplaire. L’exemple devient exigence à l’égard des autres plutôt qu’exigence pour soi-même.

La démocratie bien comprise n’a de sens que si elle préserve les cercles de pouvoirs.

Il nous faut préserver le cercle familial vis-à-vis des contaminations extérieures, celles de la sécurité la plus élémentaire (résidence gardiennée et/ou protégée), celles de la préservation du milieu social et du rang social (les enfants doivent pouvoir choisir leur conjoint dans un milieu « choisi ») ou celles des mauvaises influences.

 

 

Foi et religion (Jean-Paul II) : contre la contraception, l’IVG et les homosexuels (a fortiori de leur mariage !)

La religion fondement d’une foi laisse la place à une religion référence, marqueur des frontières sociales, de l’acceptable et de l’inacceptable.

La foi ne guide pas l’analyse et les choix, la hiérarchie religieuse réfléchit pour moi. Je me conforme à ses choix.

 

Le philosophe Jacob Rogozinski analyse dans le Monde le 13 avril 2014 : « La porosité qui s’est manifestée entre le FN et la droite catholique au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy marqué par la crise économique, s’est manifestée aussi au sein de la droite catholique entre les « ultras » du Printemps français et les « modérés de la Manif pour tous. Les cibles sont nombreuses (pour les « Français de souche », la menace de déclassement sociale, la crainte des musulmans et des roms, pour les autres en particulier les jeunes issus de l’immigration, les juifs et l’homosexuel). Au-delà, entretenue par la stigmatisation d’une pseudo-théorie du genre, le spectre du complot reprend une vigueur insoupçonnée stigmatisant un ennemi invisible (des lesbiennes juives américaines aux infiltrés au sommet de l’Eglise et/ou de l’Etat) qu’il faut traquer et exterminer par tous les moyens. De plus, la déstabilisation supposée des identités et des places attribuées traditionnellement au statut social, aux classes et aux sexes ou aux « genres » suscite des crispations réactives, une défense angoissée des identités qui paraissent menacées. Pour certains, le pouvoir légal se réduirait à une simple apparence dissimulant un véritable pouvoir. Et les réseaux sociaux font que plus les moyens de communication se développent, plus l’exigence de transparence s’accroit, face à l’irréductible opacité du pouvoir. A l’extrême, le mythe du complot impose une vision illusoire d’un « système » homogène où les partis de droite et de gauche, les médias, les syndicats et les intellectuels conspirent tous ensemble au service d’un lobby occulte. »

 

Intelligence et raison (bêtise) : le modèle de l’autodidacte

Les terribles limites qu’imposent l’insuffisance du savoir et des connaissances à la compréhension des choses et du monde.

Il n’est pas nécessaire de savoir et d’apprendre, il n’est qu’utile de raisonner vite et de se forger une philosophie de vie, la plus simple possible

On peut vivre autodidacte, d’ailleurs ceux qui ont des diplômes ne sont pas meilleurs. Mais ceux qui font ce choix ne se rendent pas compte qu’apprendre par soi-même est sans doute plus exigeant qu’apprendre en étant « encadré » et stimulé par une promotion de camarades d’apprentissage soutenu et d’études.

Cette « idéologie » du « on est capable de se débrouiller soi-même, sans avoir besoin de passer de diplôme » véhicule toute une série des risques :

La difficulté de prendre du recul, l’impossibilité d’utiliser les outils intellectuels nécessaires mais non appris (de la psychologie, de la sociologie, de l’économie, de l’histoire des idées, de l’histoire, de la science politique ou autre), pour analyser les événements et leurs contextes, pour rationnaliser plutôt que réagir à l’affectif

L’impression que les autres utilisent leur savoir et leur « intelligence » pour prendre le dessus sur ceux qui ont fait moins d’études, ou sont susceptibles de le faire, ce qui développe une certaine méfiance vis à vis des autres ; chacun choisit ses lectures, certaines spécialisées, auto-éducation dans des domaines d’intérêt personnel (avec capacité de rivaliser dans ces domaines-là avec des spécialistes), d’autre générales ou superficielles permettant de briller dans les conversations

La construction d’un système intellectuel (idéologique, moral, religieux) conférant un sentiment de comprendre les gens, les choses et le monde à partir de quelques critères simples permettant de délimiter rapidement le camp du danger (et de ce qui est dangereux) et le camp aimable (et de ce qui procure le bien-être), dans une sorte de paranoïa

La crainte du déclassement, la faiblesse des armes pour éviter le déclassement social ou la mise en minorité vis-à-vis des autres, conduit à se méfier de ce qui menace, qui menace le statut, les biens, les droits, les valeurs ; le choix est alors celui du repli sur un milieu protecteur

Le piétisme qui donne à la prière un rôle miraculeux (prier pour Christian pour qu’il ne soit plus homosexuel, prier pour Odile et Hervé), la prière prier est censée être aussi efficace que l’argumentation juridique bien construite (prier pour la paix entre les frères et sœurs), prier la Sainte-Vierge ou tel ou tel saint ; et croire aux miracles bien sûr

A l’inverse, la croyance au diable est fortement enracinée, Hélène est persuadée pendant longtemps qu’elle est maudite, que sa folie est l’œuvre du diable ou que le diable l’habite, elle se culpabilise des malheurs, sa maladie est en quelque sorte sa punition, la folie est encore œuvre du diable (comme au XVIIème siècle), elle n’est là que parce que le péché a été commis (comme le disait Mgr de Belsunce pour punir Marseille) ; Odile finira par considéré que son couple est habité par le diable lorsque trop de difficultés s’accumuleront sur sa tête, pourtant largement créées par son mari et approuvées par elle pendant plus de 20 ans (1991-2014)

Dans le parcours judiciaire dans lequel les enfants ont dû d’engager, la rationalité de l’argumentation, la construction de conclusions à vocation juridique, laisse la place à des arguments brouillons, non hiérarchisés, mêlant les réactions affectives et les accusations blessantes, chacun fait des calculs fantasques d’indemnisations à réclamer pour impressionner, la joute oratoire est celle de l’invective, elle s’adresse à l’adversaire, elle ne parvient pas à construire un argumentaire saisissable pour un médiateur, un avocat ou un juge

En mars 2014, l’écrivain Jean-Claude Guillebaud caractérise en quelques mots ce qu’il appelle « l’air du temps », il est marqué par « les condamnations, les sentences et les imprécations, le jugement ex-abrupto et la condamnation lapidaire, les valeurs qui jugent, l’incantation convenue et pleurnicharde à propos des valeurs perdues, la rage, l’agressivité, la boursouflure du ton, la suffisance des points de vue »

 

Une morale religieuse construite à l’envers

Une Eglise qui depuis le XIXème siècle, a été incapable de reprendre en main sa réflexion sur le sexe et la morale ; tout change mais elle s’arc-boute sur la morale traditionnelle, tout évolue en matière de mœurs, mais il faut tenir et continuer à proclamer l’idéal, dans un domaine où il est particulièrement difficile à tenir car autant d’individus autant de vies, d’inclinations et de désirs, seuls les prêtres apparemment ont une vie, un projet, une volonté et un désir, ils se considèrent (et sont considérés) à ce titre comme les meilleurs éducateurs ; au XXème siècle, lorsque les mœurs se libèreront davantage encore, non seulement ils arriveront difficilement à tenir cette ligne, il viendra un temps où ils seront de moins en moins nombreux, de plus en plus décalés par rapport à la population en particulier sur ces questions de morale, et parfois ils seront tellement en porte-à-faux avec leur enseignement qu’ils trébucheront lamentablement , emportés par leurs propres désirs, en particulier sur les questions de pédophilie

D’un côté, bannissement de : suicide, avortement, contraception, préservatifs, homosexualité, relations sexuelles hors mariage, etc.

De l’autre, tolérance de nombre de massacres perpétrés par les Croisés ou les colonisateurs catholiques, de jugements expéditifs perpétrés par l’Eglise contre les hérésies (cf .l’Inquisition ou St Dominique face aux Cathares), discrimination dans les persécutions (les catholiques du Viet Nam, de la Chine, du Liban, etc. plutôt que les autres peuples et religions), tolérance à l’égard des institutions éducatives catholiques et des prêtres accusés de pédophilie (protection et défense des hiérarchies religieuses, et du Pape au nom de son caractère sacré, face à toutes stigmatisations et accusations, et au nom des actes de repentances effectués par les derniers Papes, Benoît XVI et François)

La croyance dans le diable, étonnamment répandue, est au bout du compte tortueuse ; la notion de « diable » permet de construire tout et n’importe quoi, de lui imputer des choses inattendues, les choses du sexe ont une place de choix dans les tentations qu’il provoque, sexe tourné vers soi, démon de midi, attirances pour quelqu’un, la variété est grande ; mais cette fixation sur le sexe permet étonnamment de faire l’impasse sur bien des comportements individuels, et sur tant d’injustices insupportables ; le culte de la culpabilité individuelle rend aveugle à l’égard de bien des agissements sociaux et politiques qui s’expriment de façon odieuse

La « censure » familiale et religieuse fait disparaître des personnes qui ne sont pas ou plus aux normes ; les jésuites refont l’histoire pour faire disparaître de leurs fichiers prêtres défroqués, prêtres mariés (je ne suis pas arrivé à retrouver dans leur annuaire le père Jean-Marie Charon qui s’est marié), enseignants laïcs qui ont fauté (de la même façon M. Rieunier, professeur de sport, n’est plus mentionné) sans qu’on puisse savoir la faute (éventuelle) commise, les congrégations ne mentionnent plus celles et ceux qui ont été réduits à l’état laïc ou qui ont quitté la communauté ; du côté des familles, nombreux sont ceux qui ne sont plus mentionnés, ou le moins possible

Une morale tout court (enrobée de religieux) construite dans la cécité (ou le refus de voir, d’analyser et de comprendre), vis-à-vis de l’avortement et de l’homosexualité ; il y avait déjà le refus de la pilule contraceptive (horreur de 1967), il y a surtout le refus de voir les nombreux dangers encourus par les femmes dans des avortements clandestins ou des avortements à l’étranger (horreur de 1975), il y a encore le refus du PACS (horreur de 1999) et plus encore du mariage et de l’adoption y compris pour les homosexuels (horreur de 2013) ; on se contente des informations reçues grâce à ses propres réseaux qui décrivent amplement combien tout cela est dangereux pour les femmes et pour les enfants, l’information n’est pas éclairée, diversifiée, elle est à sens unique (et elle permet quand on lit la vie de Simone Veil d’éviter les pages sur sa bataille pour l’avortement) ; on sait déjà, on n’a pas besoin d’écouter les femmes meurtries, on n’a pas besoin d’écouter notre frère Christian (il ne nous fera pas changer d’avis sur la question du mariage et de l’adoption, on sait déjà !)

Une morale tout court construite sur la crédulité, l’Eglise nous a enseigné cette crédulité qu’on appelle « la foi » et nous permet de ressentir comme vraies bien des choses que le commun des mortels ne peut comprendre, ce sont les lieux d’apparition (Lourdes et Fatima, mais aussi Medjugorjé, la Salette, Le Laus, Cotignac, etc.), les saints et les bienheureux (le curé d’Ars, Marthe Robin qui a eu les stigmates, le Padre Pio, Don Bosco, le Père Marie Eugène qui a fondé ND de Vie, etc.), si l’Eglise ne reconnait pas tel ou tel miracle ou tel ou tel saint ce n’est pas la question, ce sont des histoires édifiantes qui donnent du bonheur, et puis « ce qui compte c’est de prier » ; mais cette diffusion de la croyance entraine bien des crédulités dans bien des domaines, la science n’explique pas tout et de toute façon tout ce qu’elle essaie d’expliquer laisse beaucoup d’inexplicable, ainsi les croyances de toutes sortes ont de beaux jours devant elles ; nous ne sommes pas très loin des croyances du Dr Joyeux :

24 mai 2018 : comparution du Dr Henri Joyeux devant la chambre disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins, celui-ci accumule les critiques, il est dans le collimateur de la Miviludes (vigilance contre les dérives sectaires) en s’opposant à la dictature vaccinale, en lançant une pétition sur la pénurie de vaccins, avec son goût pour l’ésotérisme et sa prétention à proposer des régimes alimentaires et une santé naturelle, mais aussi à inculquer les valeurs traditionnelles dans les écoles libres, contre la pilule, la masturbation, l’IVG, le sexe précoce et l’homosexualité (« L’homosexualité ne correspond pas à des relations sexuelles ! Mais à des relations qui mettent en contact le sexe masculin et la fin du tube digestif du partenaire… ce sont des carences affectives du cœur, du sentiment, du corps dont on peut progressivement s’éloigner si on les analyse bien ») ; il est un fervent animateur du mouvement Laissez les Vivre contre l’avortement, il a été à la tête de l’association des Familles de France de 2001- 2015 et fait partie des cercles traditionalistes Saint Paul

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Une sociabilité difficile :

Un monde sépare la psychologie des hétérosexuels et des homosexuels ; les contextes homosociaux (internats, scoutisme, armée, congrégations religieuses, prison, etc.) sont vécus tout à fait différemment, les premiers le vivent comme des étapes fortes de leur formation (ou de réformation), avec un investissement affectif limité, leur but est d’en sortir, les autres le vivent comme une période forte en elle-même, un temps de construction relationnelle, de relation et de recherche affective, une période de (ré)formation certes, mais aussi d’investissement de soi-même, avec espoir d’en profiter pour construire une relation, d’être reconnu, aimé, voire désiré ; tant et si bien que des malentendus importants peuvent se développer

 

L’affirmation assurée du pouvoir parental

« Le rôle des parents est inaliénable, ce sont eux les premiers éducateurs, les éducateurs naturels. » dit Renaud de Beauminy (père de 6 enfants, directeur d’agence bancaire, animateur de l’Institut pour l’Education dans la Famille) dans une conférence à l’Opus Dei (Centre de Castelvieil à Marseille, 19 octobre 2010) ; la confiance en la capacité des parents à être les mieux placés pour guider leurs enfants peut les amener à outrepasser leurs droits

L’autonomie des enfants, de leurs choix, de leurs désirs, de leur liberté, risque d’être entraver ; leur droit de choisir leur avenir est d’autant plus entravée que bien des choses sont ignorée, ce qui conduit à affirmer : « On peut opter librement pour des aliénations de la volonté propre : on s’asservit à des phénomènes de mode ou à une pensée dominante » Pierre Sauleau (directeur du collège Hautefeuille à Courbevoie) dans une conférence à l’Opus Dei (Centre de Castelvieil à Marseille, 24 janvier 2011) sans tenir compte du risque répandu de confondre « phénomène de mode » et ignorance

 

Une éducation qui ne fait pas de l’enfant un sujet

Trop de préoccupations cernent les parents, plus encore quand il y a beaucoup d’enfants ; il faut faire face, et le mieux possible

La formation que les parents ont reçue n’est pas celle de la communication avec les enfants, ils sont souvent démunis face à eux ; la solution retenue est d’éduquer par l’exemple

Cette éducation par défaut ne valorise pas l’enfant et, ce faisant, ne l’aide pas à grandir ; laissé à lui-même, il tangue sans arriver à se situer lui-même, sans savoir qu’il « vaut la peine », il ne sait pas toujours où il est, il ne sait pas s’il sera capable de « continuer » ; ma nièce Marina dira un jour à sa mère, ma sœur Odile, « vous ne m’avez jamais dit que j’étais jolie », elle avait un énorme besoin d’être rassurée sur elle-même, comme bien d’autre avant elle et après elle, elle manifestait là sa soif d’être reconnue lorsqu’elle avait 13-14 ans, cette soif était plus grande encore vis-à-vis de son père ; les pères sont plus souvent les plus grands absents

A l’égard des filles, les parents craignent trop qu’elles prennent prétexte de leur sûreté de soi pour vagabonder, à l’égard des filles comme des garçons il n’est qu’une chose qui compte c’est de progresser dans la vie, pour les garçons de travailler pour se faire une situation, de ne pas prendre le risque de s’égarer dans des questions affectives, à quoi s’ajoute dans les familles moralisatrices les risques sexuels (de la masturbation à la « mise en cloque » d’une fille) et pour les filles l’objectif de faire un bon mariage polarise toutes les attentions, le devoir moral et social passe avant tout ; un rapport de l’Unicef de septembre 2014 soulignera qu’en famille 23% des 15 ans et plus disent ne pas se sentir valorisés par leur père et 11% par leur mère, ajoutant que « l’école ne joue pas son rôle de reconnaissance et de protection pour un grand nombre d’enfants »

L’absence d’estime de soi peut devenir dramatique pour certains, elle n’aide pas à affronter les difficultés

A l’inverse, cette absence de regard attentif sur l’enfant de la part des parents les rend peu aptes à saisir sa réalité, ses évolutions, ses « changements » d’orientation, et à les accepter

Dans les années 1980, témoignera une ancienne élève de l’école tenu par les dominicaines du Saint-Esprit à Saint-Cloud, les enseignantes « avaient coupé au cutter les pages sur la sexualité dans les manuels de sciences nat’».

 

L’ignorance

L’ignorance grave de ce qu’est l’homosexualité, la méconnaissance

L’erreur fondamentale

L’incapacité de comprendre

L’aveuglement dû à une morale obtuse

L’inintelligence

L’odieux de l’accusation

 

La méfiance à l’égard des homosexuels

Dans le meilleur des cas, les homosexuels sont accueillis, reçus, soit au nom de la tolérance concernant le mode de vie de chacun, soit au nom – plus affirmé – du droit de chacun à vivre sa vie.

Mais la crainte de la « contamination » est toujours – un peu ou beaucoup – là. Et il est mieux que les enfants soient tenus à l’écart.

Au-delà, c’est une crainte diffuse, mal expliquée, mal assimilée qu’homosexualité et pédophilie aient partie liée. Rare sont les parents qui mettent sur le même pied le risque qu’un hétérosexuel ordinaire – même proche de la famille – soit autant un « danger » qu’un homosexuel ordinaire.

J’étais pourtant déjà largement à l’écart, par ma propre volonté, ayant davantage de lieux de vie et de relations hors du milieu familial élargi ; je croyais dès lors que cette mise à l’écart émanait de ma propre volonté ; mais à y regarder de plus près lorsque, plus âgé, les occasions de rencontrer mes proches se sont faites plus nombreuses, j’ai été peu à peu soit davantage attentif, soit plus conscient de l’existence d’une sorte de cordon sanitaire ou au moins d’un certain nombre de principes qui structuraient mes proches et leur regard sur moi ; je n’ai pas été présent pendant de nombreuses années, c’était en quelque sorte bienvenu, car je ne les avais pas poussés à organiser des « parades » ; un indice repérable réside dans le fait qu’on ne fait pas appel à Christian pour être parrain d’un enfant, ce serait sans doute mal venu (dangereux ?), il est vrai que je ne me caractérise pas par ma foi et ma piété, ce n’est pas très indiqué pour accompagner la croissance d’un enfant ; cela me fait inévitablement penser qu’un homosexuel pieux – discret et repentant peut-être aussi – aurait davantage de chance que moi, à tout le moins il faudrait que je sois davantage présent pour inspirer confiance ; être un  homosexuel davantage contrôlable ? ou au contraire un homosexuel qu’on ne voit pas trop ?

Désormais, les familles les plus ouvertes mettent en garde leurs enfants « votre corps vous appartient », « attention à vous préserver vis-à-vis des grands, vis-à-vis des autres » ; si les cas de pédophilie ont bien naturellement alarmé les parents, il y a comme une impression que la présence d’homosexuels, davantage visibles, serait plus risquée que l’entourage hétérosexuel si largement dominant, et vis-à-vis duquel, finalement, on était bien peu méfiant…

 

Une morale tiraillée entre la foi et la chair

Il y a le discours religieux plus ou moins menaçant

Et il y a l’espace parfois immensément béant entre le discours et la réalité

Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) est empreinte, dans certains de ses écrits, d’un mysticisme affolant, elle en vient à vivre une parade amoureuse éloquente de réalisme qui a toujours posé pleins de questions : « Je voyais près de moi un ange dans sa forme corporelle. Il était petit, très beau, le visage empourpré. Je voyais dans ses mains un long dard en or et je cru voir une flamme à l’extrémité du fer. Il semblait l’enfoncer à plusieurs reprises dans mon cœur, jusqu’aux entrailles qu’il m’arrachait, me laissant toute embrasée d’un grand amour de Dieu. La douleur était si vive que je gémissais, et si excessive la suavité de cette douleur qu’on ne peut désirer qu’elle cesse et que l’âme ne se contente plus qu’en Dieu. ça n’est pas une douleur corporelle, mais spirituelle. Pourtant le corps ne manque pas d’y participer. C’est entre l’âme et Dieu un duo de galanteries, si suave que je supplie Dieu d’en donner un avant-goût à ceux qui penseraient que je mens » ; elle vit au temps de l’Inquisition, les bûchers sont avides de brûler les possédés du démon, son rôle de supérieure de couvent la préserve, elle consacrera les quinze dernières années de sa vie à ouvrir des couvents du Carmel réformé à travers la Castille et l’Andalousie

Jean Delumeau, prêtre, jésuite, a approfondi le cheminement historique du péché (dans Le Péché et la peur, la culpabilisation en Occident 1983 et dans Rassurer et protéger, le sentiment de grâce en Occident 1989) : Le judéo-christianisme place la Faute, et la Faute originelle préhistorique à chacun, au centre de sa théologie. Le XIIIème siècle ouvre une époque primordiale : c’est à ce moment-là que l’idée de péché se répand dans tout l’occident chrétien. 1215 est une date importante, le 4ème concile du Latran fait obligation à tous les fidèles de se confesser au moins une fois pas avant Pâques. La faute, son aveu et son pardon « s’institutionnalisent », ce qui donnera lieu à une littérature considérable puisque confesseurs et fidèles ont eu besoin de références pour étudier les cas de conscience. Ce qu’on appellera la casuistique. L’obligation de confession a, donc, induit une réflexion intense sur le péché, qui durera près de six siècles. Saint Augustin (354-430) est en matière de péché, le maître de l’Occident chrétien. Il a donné la définition la plus juste : « Le péché est toute action, parole ou convoitise contre la loi éternelle ». Mais au XIIIème siècle, saint Thomas d’Aquin intervient dans la discussion de manière décisive. Il approfondit la distinction entre péchés véniels et péchés mortels. Il sera un remarquable clarificateur pour des prêtres qui se voyaient confier la mission de christianiser massivement les populations. La diffusion de l’idée de péché s’opère par la prédication. Au début du XIIIème siècle naissent les deux ordres de prédicateurs, les Franciscains et les Dominicains, qui évangélisent les campagnes et surtout les villes. Tout un discours sur le péché, à l’origine monastique, s’est ainsi diffusé par ondes concentriques, jusqu’à atteindre, au XVIIème siècle, l’ensemble de la population. Cette « pastorale du péché » est inséparable d’un discours sur l’enfer et le purgatoire. Les prêtres utilisaient abondamment et de manière menaçante la formule « beaucoup d’appelés et peu d’élus ». C’est la dérive « sur-culpabilisatrice » du Moyen Age. L’une des œuvres majeures de cette période, la « Divine Comédie » de Dante, est un immense poème sur le péché, ses punitions, et la récompense de la vertu. Aux XVème et XVIème siècles, la problématique du péché est devenue tellement courante que même les pouvoirs séculiers l’utilisent pour expliquer une épidémie ou le déclenchement d’une guerre. La liste des sept péchés capitaux a été élaborée progressivement élaborée au cours des siècles. Evagre le Pontique, un moine du IVème siècle, dresse le premier une liste de huit « esprits de malice » qui distingue « vaine gloire » et « orgueil ». Au VIIème siècle, Saint Grégoire le Grand introduit le péché d’« envie » (la jalousie), puis saint Jean Climaque établit pour la première fois un « septenaire ». Enfin au XIIIème siècle, saint Thomas recense les sept péchés capitaux en des termes assez proches de ceux que nous connaissons aujourd’hui. L’orgueil a toujours été le péché suprême dans la théologie judéo-chrétienne. Saint Thomas considère la luxure comme le moindre des péchés capitaux. Au XVème siècle, la cupidité est la cible privilégiée des prêcheurs alors que se développe l’usure, avec le commerce et les affaires.  Il faudra attendre le rigorisme des XVIème et XVIIème siècles pour que les péchés sexuels et la luxure soient dénoncés avec vigueur. Au XIXème siècle, le sentiment de culpabilité se développe chez les clercs comme chez les fidèles, avec le sentiment de culpabilité, la conviction qu’il faut avouer et racheter ses fautes. Ainsi un bouleversement culturel se produit dans tout l’Occident chrétien du fait que cette sommation à l’examen de conscience et à la confession invite à la connaissance de soi-même, entraînant une pratique de l’introspection qu’aucune civilisation n’avait poussée à ce degré.

Au XVIème siècle, la théologie protestante a poussé très loin la condamnation de l’homme pécheur, si pour l’Eglise catholique l’homme ne perdait jamais entièrement sa liberté, pour les protestants, il est depuis la faute originelle, incapable par lui-même de la moindre bonne action, la confession a dès lors été abandonnée. En réaction, lors du concile de Trente en 1542 avec le Pape Paul III, l’Eglise a insisté plus que jamais sur l’importance de la confession individuelle, la nécessité de l’aveu qui soulage. Les Jésuites, à partir de 1540, interviennent alors avec la casuistique qui penche du côté de la bienveillance, il faut faciliter l’aveu en mettant l’accent sur le pardon. Pour Ignace de Loyola le sens du péché pouvait être inhibant, il parlé de la « maladie du scrupule ». Au XVIIème siècle, les Jansénistes ont réagi interprétant saint Augustin de manière très restrictive et les rigoristes ont fini par l’emporter sur la tendance laxiste incarnée par les Jésuites. La philosophie des Lumières au XVIIIème avec Diderot en particulier, a réagi par un discours de révolte contre cette représentation de Dieu.

Le théologien André Paul, enseignant à l’Institut catholique de Paris, a publié « Eros enchainé » en 2014 et « La famille chrétienne n’existe pas » en 2015 ; il observe l’attitude de l’Eglise face au sexe, au mariage et à la pédophilie, il voit se constituer depuis Platon, Philon et Clément d’Alexandrie une sexualité focalisée sur la délégitimation du plaisir quel que soit l’évolution des mœurs ou l’élargissement des frontières de la famille ; Platon classait l’éros parmi les « désirs nécessaires » qu’il faut réguler et maîtriser, Philon d’Alexandrie (-20 av.JC.-45 après JC), philosophe juif de langue et de culture grecques, considère qu’il faut éradiquer et proscrire « la source de tous les fléaux », le désir, « initiateur du mal », Clément d’Alexandrie (150-215), platonicien comme Philon, se fait théoricien du procréationnisme, pour lui l’homme et la femme ne devraient s’unir que pour procréer, et converti au christianisme il construit le 1er code chrétien de la sexualité selon lequel tout rapport sexuel en dehors de la période féconde de la femme outrage la nature et un homme qui jouit hors de cette période est dans le péché ou qui procure du plaisir à sa femme la trompe (il la traite comme une prostituée), Saint-Augustin (354-430) est le chantre de la nature viciée, pour lui-même un couple marié par l’Eglise n’est sauvé que par la grâce su Saint-Sacrement, le mariage est une impasse si la grâce ne se substitue pas au plaisir, la grâce doit être le substitut total de l’éros, le péché de chair est le péché par excellence,  Saint-François de Salles (1567-1622) dans l’Introduction  la vie dévote en 1608, trouve chez Pline l’Ancien l’image des amours des éléphants qui ne s’unissent qu’un fois tous les deux ans, en 1930 Pie XI parle de l’« union chaste », il stigmatise les couples qui « vicient l’acte de nature » par une « criminelle licence », Pie XII dans les années 1950 envisage qu’il puisse y avoir un rapport charnel lorsque la femme est hors période de procréation, mais il ajoute qu’il est immoral  d’« empêcher la procréation d’une nouvelle existence », ni pour Paul VI dans Humanae Vitae en 1968, ni pour ses successeurs il n’est question de l’amour charnel et la contraception est strictement condamnée ; après la guerre de 1939-1945 les prêtres étaient formés afin de distinguer dans leur système d’éducation l’orthos eros, l’amour correct entre adulte et adolescent et la philia, une amitié ou paternité affectueuse, dans laquelle l’adolescent est aimé mais pas désiré, le désir n’est pas envisagé, mais il note qu’à force de refouler le péché, celui-ci revient en force dans des circonstances non maîtrisées ; il n’y a pas non plus d’éducation sexuelle en direction de l’adolescent, il y a seulement  régler des problèmes de pureté (d’onanisme en fait) ; il se souvient d’un enseignant sulpicien qui disait de se méfier des femmes « mais le Seigneur dans sa grande miséricorde nous a donné une grande compensation, qui est l’affection des jeunes gens », et l’abbé Louis Tronson (1622-1700) 3ème supérieur général de la Cie de Saint-Sulpice, avait été l’auteur d’un manuel du séminariste qui stipulait qu’i faut éviter la femme, pire que le démon

Michel Foucault, dans une interview de juillet 1978, fait remonter au XVIème siècle la crispation de l’Eglise sur la question de la relation à son propre corps : « c’est à partir de l’interdit de la masturbation que  s’instaure le rapport contraignant à la sexualité, l’adolescent vit son corps et son plaisir sous le signe de l’interdiction dans la mesure où se trouve interdit ce plaisir immédiat de son corps et cette fabrication de plaisir de son propre corps qu’est la masturbation… c’est l’interdit majeur, c’est en même temps ce à partir de quoi on a historiquement constitué un savoir proprement dit de la sexualité… Avec la grande réforme de la pédagogie, on voit apparaître au XVIème siècle la colonisation de l’enfance ou plutôt le découpage de l’enfance comme catégorie chronologique, spéciale dans la vie des individus, ainsi que les manuels de confession ou les traités de direction de conscience… la 1ère question est « Est-ce qu’il ne t’arrive pas de pratiquer sur toi-même des attouchements ? », de telle sorte que c’est le rapport de soi à soi qui prime, non pas la connaissance des relations entre sexes, mais la connaissance de l’intimité du sexe lui-même  dans sa genèse, dans ses 1ers mouvements, dans ses 1ères impressions, et dans ce rapport de soi à soi… C’est là que va naître, à la charnière de la confession chrétienne et de la médecine, la notion même de sexualité. La sexualité va remplacer la concupiscence. La concupiscence était le désir d’un rapport. La sexualité, c’est quelque chose qu’on a à l’intérieur de soi, une espèce de dynamique, de mouvement, de perpétuelle pulsion qui s’oriente vers un 1er plaisir qui est le plaisir du corps propre. Donc la masturbation se situe à une position stratégique très importante en Occident puisque c’est donc la forme 1ère de l’interdit et historiquement la forme 1ère de problématisation de la sexualité. Chez les protestants comme chez les catholiques au XVIème-XVIIème la masturbation est le problème essentiel, et va donner lieu au  XVIIIème à la campagne contre la masturbation des enfants et ce fameux mythe qui se formule avec fracas à la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème qui nous dit que l’espèce humaine risque de dépérir si se répand cette maladie toute nouvelle qu’est la masturbation, comme s’il s’agissait d’une épidémie récente que les générations antérieures n’avaient jamais connue… on a prétendu que c’était la masturbation qui était nouvelle, alors que c’était le problème qui était nouveau… tous les jeux de surveillance, d’inquiétude et d’angoisse qu’il pouvait y avoir entre les enfants et les parents a commencé à tourner autour de ces plaisirs solitaires, autour de cette volupté de soi-même à soi-même »

L’écrivain allemand Herman Hesse (1877-1962) d’un milieu protestant rigoureux note dans sa biographie Demian, paru en 1919 : « Comme la plupart des parents, les miens ne m’aidèrent en rien, lors du réveil de ces instincts que l’on taisait obstinément. Ils appuyèrent seulement avec une patience infinie, mes efforts désespérés pour nier la réalité et continuer à vivre une existence d’enfant qui devenait toujours plus irréelle et mensongère. »

Les internats religieux ont illustré et construit ces tensions, les uns en tenant tant bien que mal les deux bouts de la chaine, les autres en approfondissant la potentialité sanctificatrice de la conversion de la libido (comme l’ont fait les jésuites)

En témoignent : Octave Mirbeau  (1848-1917, collège des jésuites de Vannes) dans Sébastien Roch (1890) ; Robert Musil (1880-1942) dans Les désarrois de l’élève Törless en 1906 décrit le tourment de Törless confronté à la nudité d’un camarade d’internat autrichien, il est saisi d’un peu de tentation (« ce qui dans ces écoles n’avait rien d’exceptionnel » écrit Musil) et bientôt de bien des remords (« Il semblait vouloir enfoncer son pied dans le sol et se recroqueviller pour se soustraire à cette honte torturante ») ; E. Estaunié (1862-1942, jésuites de Dôle et de Dijon) dans l’Empreinte ; Henri  de Montherlant (1895-1972, collège séculier de Ste Croix de Neuilly) dans La ville dont le prince est un enfant (1951) ; Roger Peyrefitte (1907-2000, collège des jésuites de Sarlat, puis lazaristes en Dordogne) dans Les amitiés particulières (1944) ; au collège fréquenté par Montherlant était prôné la prise en charge, évidemment en principe exemplaire, d’un petit par un grand, coutume aristocratique encouragée dans les collèges masculins huppés anglais ou japonais, ou dans la bonne société grecque antique ; alors que chez les jésuites ces amitiés particulières étaient proscrites et pourchassées « mais avec une telle ardeur que cela indique sans doute une certaine fréquence objective » écrit un ancien novice des jésuites, Francis de Buretel de Chassey (oncle d’Eric de Chassey, directeur un temps de la Villa Médicis, à Rome) que je rencontre en 2014 poursuit : « Dans ces sociétés masculines très fermées qu’étaient les internats d’alors, mélangeant des adultes mûrs mais d’autres forts jeunes (les régents) avec des garçons à tous les âges de la puberté, cette relation spirituelle avait des probabilités de tourner de fait plus souvent qu’on aurait voulu ou avoué à une relation sensuelle ou proprement sexuelle, et donc finalement parfois à la séduction ou au viol d’un plus faible par un plus fort », il parle encore de la « formidable ascension cathartique » officiellement recherchée « sacré saut impossible à franchir nous semble-t-il, entre le sensible palpitant de la chair et l’abstraite froideur des idées pures. Mais après tout on peut peut-être se dire qu’il s’agit d’une énorme sublimation d’énergie libidinale qui ne paraît pas loin de l’objectif pédagogique officiel recherché par les jésuites, orientant et guidant cette énergie vers les sommets de vie intellectuelle et spirituelle par leur direction collective et en particulier individuelle sur ces deux plans. A condition bien sûr qu’on supprime le point de départ brut, qu’on se contente d’une séduction effective pour le beau et le vrai et que tout au terme cela soit orienté AMDG (ad majorem dei gloriam). Mais périlleuse ascension cathartique aussi car, on l’a vu dans les romans largement autobiographiques analysés ci-dessus, au lieu d’élever son disciple le maître risque toujours de le précipiter avec lui dans les délices et/ou les terreurs de la chair. A vrai dire il fait le chemin inverse, inculquant l’amour des belles idées bien formulées pour arriver à étreindre le beau corps. », Francis de Chassey me dira combien il a été verrouillé affectivement pendant des années par cette morale castratrice

Toute l’œuvre de François Mauriac (1885-1970, marianistes de Caudéran) exprime à un haut niveau cette tension entre la foi et la chair : « Moi non plus, je ne prie plus ; mon mysticisme m’apparaît comme une forme de ma misère ? J’ai honte de prier comme de crier. J’englobe tout cela dans un dégoût sans nom que j’ai de moi-même. Et je continue de vivre à contre-courant » écrit-il en 1924 ; et plus tard ce qui le fascine et le terrifie à la fois c’est le sort de beaucoup d’hommes qui une fois la jeunesse dépassée « se retrouvent avec le même cœur, la même avidité, sans qu’il leur reste aucun espoir de rassasiement », il écrit encore « Mais il est là tout de même, ce jeune cœur, tapi dans l’homme de 50 ans… C’est l’homme mûr, l’homme déclinant, le vieillard qui dissimulent dans leur chair une jeune bête insatiable »

Roger Martin du Gard évoque dans le Cahier gris, 1er volume des Thibault, l’amitié « chaste mais excessive » de deux adolescents

Le futur résistant, secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier évoque le pensionnat des Dominicains de la fin des années 20 entre tourments de la sexualité et rigueurs de la morale catholique, les bons pères parlent pudiquement  des « égarements coupables » ; devant la tentation Cordier préfère se faire renvoyer du collège Saint-Elme plutôt que de succomber ; il est bouleverser à 13 ans par le Cahier gris de Roger Martin du Gard, puis il lit L’immoraliste de Gide et Mort à crédit de Céline, tandis que son confesseur lui recommande Les Confessions de Saint-Augustin ou L’Imitation de Jésus-Christ afin de contrecarrer l’influence pernicieuse des écrivains contemporains ; dans son livre Les Feux de Saint-Elme en 2014, il racontera son adolescence entre 1934 (il a alors 14 ans) et 1936, tiraillée entre ses désirs et les oukases de son beau-père (braqué contre le livre de Gide L’Immoraliste) et de son confesseur au collège dominicain de Saint-Elme, son internat près d’Arcachon : « Cette question qui nous troublait tous, était débattue en classe d’Instruction religieuse. L’interrogation apeurée étant : à quel moment était-il trop tard pour se repentir et quels mots devait-on prononcer (même en pensée) afin d’échapper à la damnation ? » à quoi le saint homme répondait : « Afin d’être sûr d’échapper au châtiment, il vaut mieux ne pas le mériter. Accomplissez vos devoirs religieux, faites de bonnes confessions, des communions dévotes, et dormez en paix », aussi : « Comme je me l’étais promis, j’avouais tout, sauf les lieux et s noms, comme il était d’usage dans les confessions. », mais avant de lui donner l’absolution « J’en fus surpris. A la fin du Confiteor, le confesseur nous faisait invariablement la morale avant de fixer notre pénitence. Pourquoi n’avait-il fait aucun commentaire ? » et lorsqu’il reverra le confesseur le lendemain, celui-ci lui livrera une réflexion complexe et terrible « Cette nuit, j’ai prié pour vous afin de remercier Dieu de vous avoir protégé de sa Providence. En dépit de vos égarements coupables, il a évité l’irréparable : il a écarté la Femme de vos tentations… Bienheureuse faute qui vous a permis de connaître le repentir salvateur » voici « la nature de votre faute : sous le mot amour, vous confondez l’Eros et l’Agapè… Considérez où vous a conduit ce désordre… Heureusement, votre Ange gardien ne vous a pas abandonné et a brisé cette chaine fatale !… à partir d’aujourd’hui, vous êtes responsable de la pureté de l’âme (de votre ami). Malheur à vous si vous deveniez son corrupteur !… Méditez les Evangiles… chaque jour, vous en choisirez un verset, que vous viendrez, à cette heure-ci, me commenter durant un mois, pendant la récréation. » ; il reverra à Pâques 1936, le garçon désiré depuis 8 ans et s’abimera dans le remord « Huit jours de liberté et la présence de David avaient suffi à tout détruire. J’étais vraiment abject, esclave de ses obsessions… J’avais trahi mes fermes propos, la parole du Christ et la confiance de l’aumônier », et lors de sa confession suivante, Daniel subira les foudres de son confesseur : « Si par malheur vous arriviez à vos foins, et si vous entrainez dans le péché mortel cet enfant, je suis au regret de vous dire que je vous refuserai les sacrements et cesserai d’être votre directeur de conscience », et lorsque ce sera David qui lui déclarera sa flamme, il sera bloqué par sa promesse à Dieu et par son orgueil, celui de sa capacité à respecter sa promesse à l’égard de David, mais, mentant à David, il chutera bien vite avec des garçons moins aimés, et David finissant par s’offrir à lui dans les douches, Daniel dira : « Je suffoquais de joie devant cette vision… mais le masque sévère de l’aumônier se superposé brusquement à son visage radieux. Je me redressai d’un coup » et quelques jours plus tard : « Ma décision est prise. Je voulais quitter Saint-Elme à tout pris. C’était un bagne érotique dont je voulais m’évader. La provocation de David, tant désirée, me rapprochait de l’Enfer… Maintenant que David s’était déclaré, la chute était inévitable… J’ignorais ce que l’aumônier aurait dû me conseiller, mais j’étais sûr de son erreur… je n’avais plus de raison de me confesser, jamais je ne retournerai le voir. »

En 1951 parait La Ville dont le Prince est un enfant d’Henry de Montherlant ; cette ville est le collège religieux que Montherlant chantait dans sa première œuvre, La Relève du matin, et qui lui inspirera encore, en 1969 Les Garçons, c’est en ce lieu que se situe le drame de deux enfants et d’un prêtre attirés les uns vers les autres par des sentiments puissants où il entre de l’amitié, de la tendresse, de la charité, du désir, drame intérieur et sobre que domine la figure inquiétante de l’abbé de Pradts, prêtre incroyant que sa passion des enfants égare jusqu’à le conduire au seuil de la révolte

René Girard (1923-2004) dans Mensonges romantiques et vérités romanesques (1961) pour qui tout désir est l’imitation du désir d’un autre, loin d’être autonome (c’est l’illusion romantique), notre désir est toujours suscité par le désir qu’un autre – le modèle – a d’un objet quelconque ; il y parle dans ce livre de 2 amants fortement rivaux entre eux, un grand élève et un Père, pour capter l’esprit et les beaux yeux d’un même plus jeune éphèbe aussi beau qu’intelligent et de bonne famille

Jean Guitton, philosophe catholique (1901-1999) l’a exprimé en une formule : « Ce qu’il y a de dramatique dans la nature humaine, c’est que l’homme est à la fois un esprit incarné et une chair exaltée »

Mais les milieux catholiques confinés ne sont pas seuls concernés, ainsi en Tchécoslovaquie au début du XXème siècle Franz Kafka (1883-1923), écrivain juif torturé qui se sentait « sale », son biographe Saul Friedländer (né à Prague en 1932) décrira en 2014 sa honte concrète, chevillée à un corps qui le dégoutait, sa culpabilité provenant de « tentations sexuelles imaginées », poète de cette honte, il s’adonnait dans l’écriture de ce qu’il appelait des « étreintes louches », « les tourments de Kafka faisaient corps avec sa création » ; Max Brod l’exécuteur testamentaire de Kafka expurgera du Journal de Kafka sa partie honteuse afin que n’y subsiste plus aucune tâche, la critique érudite de Kafka considérera longtemps les tourments de Kafka comme une question d’ordre religieux ou métaphysique, alors qu’il vivait dans la honte de son corps et de sa condition, il fréquentait les boites de nuits de Prague avec son ami Max Brod et souffrait de toutes sortes d’obsessions (sentiment d’infériorité, autodestruction, humiliation, sexualité), en fait bon nombre de ses fantasmes révèlent une homosexualité non assumée

Xavier de Leusse, mon père, élevé en internat au collège des jésuites de Mongré de 11 à 16 ans (1917-1924), vit à un niveau très élevé cette contradiction dans ses années d’adolescent et de jeune adulte, il écrit à 20-21 ans : « Qu’ils sont hauts ces sommets et éperdu je songe si même j’ai du mérite ou si en moi ceux auxquels je pense ne sont pas effrayés par mon esprit mystique et loin, demandant à la vie qu’un plaisir superficiel instinctif et sans fond. Qui connait l’amour sublimité sans limite ! Les grands amours sont blâmés car leur liberté effraie le commun et la morale intervient. », ou encore quelques mois plus tard : « Le monde à lui seul est souvent une cause de luttes morales continuelles car que de fois, il essaie de nous charmer par ses divertissements attrayants et enjôleurs. » … « Quand nous tomberons, montrons lui notre âme affligée, et que montent de notre cœur un élan d’abandon et d’amour ; c’est bien le cas de lui redire que notre âme très attristée est heureuse de Lui appartenir toute entière et de posséder le gage exquis de la foi. » … « Dieu a mis sur la terre des créatures et des choses qui offrent des tentations multiples aux hommes. Il leur dit : Priez et veillez, vous êtes faibles de corps, mais vous avez un esprit qui se reposant en moi-même ne peut rien craindre du monde et de ses vanités » ; comme le Törless de Robert Musil, Xavier se reprochera sa vie durant, les quelques écarts qu’il aura commis à l’égard cette haute morale à laquelle il aspirait, le regard inquisiteur de Dieu – à travers les sulpiciens et les jansénistes du XVIIème siècle, les prédicateurs du XIXème à travers sa mère, les jésuites du début du XXème siècle à Mongré – sera toujours là, l’incitant au rachat de ses « fautes », à la pénitence et au scapulaire

Adolescent, Christian reçoit un petit livre « Qui nous dira la vérité ? » écrit par un père jésuite, Clément Pereira, imprimé en Belgique en 1957, sans doute distribué par le collège, ensemble de conseils (sur toi et… ta mère, ton père, ton corps, les jeunes filles) suivis des prières ad hoc, suite de recommandations édifiantes et complètement décalées

Arrivé à l’âge adulte, et sur le tard, il y a bien quelques regrets pour de beaux moments vécus, et à jamais échappés ; il y a, plus encore, des « interdits » cachés, enfouis, oubliés, interdits commis qui doivent être oubliés, afin de devenir comme il fallait, avec femme et enfants, fidélité – nécessaire et coûte que coûte- à sa femme, obscurcissement total à l’égard des enfants qui ne doivent ni connaître, ni imaginer les écarts commis par leurs parents qu’ils aient été enfants, adolescents ou adultes ; « le passé est mort. A quoi bon s’intéresser à ce qui n’existe plus ? » répond à Daniel Cordier l’amour resté platonique de son enfance – nonagénaire – que Cordier aurait tant aimer vivre, et qu’il a tant cherché à retrouver, même 70 ans plus tard

Tous ceux qui sont en situation d’autorité à l’égard d’adolescents sont exposés et ce n’est pas pour rien que la loi est beaucoup plus attentive aux fonctions éducatives ; ils sont exposés parce que les adolescents peuvent faire des fixations affectives sur eux, ils sont exposés à leurs propres désirs, à leurs propres déséquilibres, etc. mais la situation de prêtres célibataires les mets dans une situation particulière, liée à leurs propres manques, leurs propres frustrations, leurs propres désirs, dans un contexte où seules leur propre volonté, leur énergie, leur foi, sont susceptibles de contrebalancer leurs désirs, amplifiés par leur isolement et leur solitude ; lorsqu’ils ne peuvent plus résister, ils se tournent vers les plus faibles (c’est peut-être ce qui les amène à se tourner vers de plus jeunes sans être nécessairement pédophiles), ils se tournent vers le moins risqué (c’est peut-être ce qui les amène se tourner vers des garçons car c’est moins risqué, en termes de risques de grossesse par exemple, sans qu’ils soient nécessairement homosexuels)

Marc de Leusse, mon cousin parisien à peine plus âgé que moi, évoque des pères du collège Stanislas, tenu par les jésuites : « Le père A. était directeur des sports. Il s’intéressait davantage à la résistance des élastiques de mon short qu’aux performances spirituelles sur les trampolines de la foi. Des parents surpris de mutations dans nos comportements sexuels et intrigués de la corrélation entre les heures de retour à la maison et l’attention portée à nos chairs tendres s’ouvrirent de leurs inquiétudes auprès des révérends. Ces affaires à peine enterrées refleurissaient. La sexualité était gay gay gay avant la lettre même si le septième ciel précocement découvert par les chérubins se couvrait de nuages et paraissait éloigné du firmament auquel rêvaient leurs mamans » ou encore : « L’énoncé complaisant que nous faisions de nos turpitudes jetait les pourfendeurs de Satan dans les affres de leurs propres descentes aux enfers. Ils y prenaient même un plaisir extrême… Paresse, orgueil, gourmandise ne faisaient plus recette, il était indispensable de s’étendre longuement et mollement sur le divan des sentiments impurs et de la luxure.  Un sourire illuminait alors le visage de l’ascète pas très dans son assiette. »

Du côté des filles, peu de choses filtrent, pourtant Pascal Bruckner (né en 1948), dans Un bon fils, parle en 2014 de sa mère : « A Notre-Dame de Sion, les jeunes filles n’étaient autorisées à prendre des bains qu’en chemise de nuit. Le souci d’hygiène comptait moins que la peur de la nudité : chaque élève se voyait inculquer par les sœurs le dégoût de son anatomie. Son vocabulaire sur la gent féminine variait entre « dinde », « roulure » et « toupie ». Toutes voulaient « mettre le grappin » sur les hommes : ce lexique de la piraterie résumait pour elle les relations entre les sexes. Il n’y avait autour des hommes célibataires qu’intrigantes et vamps soucieuses de les arraisonner. Elle avait tué en elle toute féminité. »

Marie-Christine Reggio se souvient dans les années 1950-1960 à St-Joseph de Cluny, tenu par les sœurs de Ste Thérèse d’Avila, l’éducation est stricte : « Quand vous voyez un garçon, faites le signe de la croix et regardez par terre » ; Claude Hawecker, mariée à un Maitrepierre (allié aux Damance, des amis appréciés de mes parents) se souviendra d’une consigne donnée au cours ND de France à Marseille, dans les années 1960 : « Ne regardez jamais les garçons au-dessous de la ceinture »

Annie Ernaux qui revient sur sa 1ère nuit avec un homme, au cours de l’été 1958, dans son livre Mémoire de fille, en 2016, se souvient de sa mère lorsqu’elle lit La bâtarde de Violette Leduc : « J’ai pensé qu’il y avait beaucoup de ma mère dans la sienne : toutes les deux disaient qu’il fallait se tenir à l’écart des garçons comme du diable. »

En mars 2016, lorsqu’éclate un cas de pédophilie dans le diocèse de Lyon, le psychiatre Jean-Paul Mialet évoque cet abbé qui lui avait envoyé un terrible coup de pied parce qu’il avait osé, lors de la récréation, évoquer les charmes de la prof d’anglais, cet abbé quelques années plus tard a été inculpé de pédophilie. Il ne peut s’empêcher de souligner combien la sexualité des prêtres est « mise au placard et bien verrouillée : on ne désire pas, on agit… Ainsi fait-on l’économie d’une trop pesante culpabilité. » Or « La sexualité adulte nécessite une intégration qui donne aux appétits érotiques leur place en fonction d’un choix assumé et réajusté en permanence selon l’histoire, l’expérience personnelle et les doutes de sa conscience. Longtemps, cette juste place accordée à la sexualité, l’Eglise catholique s’en est montrée incapable. L’est-elle davantage aujourd’hui ? … De nombreux catholiques préfèrent encore aujourd’hui traiter les problèmes que posent la sexualité et ses désirs pressants en les niant ou les taisant… L’Eglise, embarrassée par la sexualité, a longtemps préféré omettre le sujet. » Or la « volonté d’aller au-delà d’une relation incarnée et de s’absorber tout entier dans une relation absolue doit être conçue comme une tension positive vers un au-delà et non comme un dédain du corps. »

La parution du livre Sodoma de Frédéric Martel en février 2019, révélant le poids de l’homosexualité dans l’Eglise, et en particulier au Vatican, est une révélation à plusieurs niveaux et un choc ; révélation de l’hypocrisie sur tant d’hommes d’Eglise qui professent une chose et font le contraire, révélation sur un silence absurde sur une question qui au bout du compte est centrale et essentielle mais n’est jamais dite, révélation sur l’incapacité d’en parler et de dire simplement et clairement en la nommant (et non pas par des périphrases absurdes) que c’est l’une des tentations principales au sujet de laquelle les hommes d’Eglise comme tous les hommes passent leur temps à se battre la coulpe, révélation sur le fait que toute la morale de l’Eglise à travers les siècles est fondée sur ces questions sexuelles et en particulier sur cette question centrale de l’homosexualité – le célibat étant une question centrale et si compliquée pour les prêtres -, révélation sur la naïveté des clercs sur les questions sexuelles et leur méconnaissance des désirs ordinaires alors qu’ils passent leur temps à guider et conseiller des hommes et des femmes qui leur racontent leur sexualité en confession, révélation sur les formateurs des prêtres qui eux-mêmes sont bien démunis pour guider les séminaristes, révélations sur les sublimations tordues et extravagantes dans lesquelles vivent les prélats homophiles, ceux qui sacrifient leurs vies dans l’ascèse et en conçoivent une rigidité morale faite de terreur à l’égard des fidèles (divorcés remariés, adolescents et jeunes gens travaillés par leurs désirs sexuels hors mariage, préservatifs, avortement, etc.), ceux qui dans la honte ou sans vergogne se livrent à leurs désirs homosexuels et qui en toute hypocrisie tiennent en public des discours contre l’homosexualité, car selon eux (sans qu’ils le disent) cette question et d’ordre privé et la laisser se répandre librement détruiraient la société, révélation sur les théories et théologies tortueuses – et personnelles – qui distinguent célibat et chasteté, interdit du mariage et autorisation de la pratique homosexuelle, révélation aussi de la misère sexuelle dans laquelle se trouvent ces hommes célibataires, l’engagement au célibat, à l’ascétisme et à la « pureté » par le biais du vœux de chasteté ne fait rien à l’affaire, ils sont vulnérables (dès le début ou après un temps ?) comme les autres hommes certes (mais les autres ne mettent pas nécessairement à avant un statut d’homme consacré à Dieu), etc. etc.

Ainsi les communautés d’hommes sont intensément traversées par la question homosexuelle mais s’en cachent, préférant ferrailler sur le mariage, le couple chrétien, la famille et les enfants, la retenue avant le mariage et avant l’acte sexuel, mettre en avant « la » femme et toutes ses vertus, etc. et donnent à leurs relations humaines bien des colorations affectives, non conscientes et plus ou moins contrôlées, avec des consignes sévères à des hommes qu’ils désirent pour cacher leur attraction ou au contraire douces et protectrices pour s’attacher leurs services. Les règles de la vie collective sont ainsi sous-tendues par des inclinations incompréhensibles pour ceux qui ne peuvent les analyser.

Dès lors les communautés de femmes mériteraient d’être analysées elles aussi, dans leurs rapports hiérarchiques et leurs rapports de pouvoir, les désirs qui les traversent, les méconnaissances concernant la vie affective, et les méconnaissances concernant les hommes qui n’ont pas leur place et sont tenus à l’écart.

Et dans le cas le plus extrême, lorsqu’une religieuse est « engrossée » par un prêtre (par force, par ruse ou par désir commun), c’est l’inculture qui domine, tant du côté des prêtres qui n’avaient rien prévus, que du côté des religieuses qui n’ont jamais imaginé que l’une des leurs pourrait commettre l’abominable péché. Les uns et les autres alors la conduise à la solution la plus réprouvée par tous et la plus absurde, l’avortement.

 

Une accumulation de préceptes et de consignes 

Comme par un fait exprès, les préceptes concernent particulièrement les questions de sexualité. Je suis, à mon corps défendant, écrasé par les principes moraux.

La défiance à l’égard de la sexualité construite par la théologie qui s’affine et se précise à la fin du XXème siècle dans une condamnation de l’homosexualité

(Voir Michel Foucault : les Stoïciens avant les Chrétiens)

 

Vitalité de Michel Foucault Le Monde.fr | 07.05.2014 Par Elisabeth Roudinesco

Trente ans après sa mort, Michel Foucault (1926-1984) est célébré dans le monde entier. Auteur d’un enseignement très riche, qui porte autant sur la critique des normes et des institutions que sur l’histoire des prisons, de la médecine, de la folie ou de la sexualité, ce philosophe-historien plaît aux libéraux, aux sociaux-démocrates, aux érudits et aux rebelles de tous bords. Les uns et les autres voient en lui, tour à tour, un ardent défenseur de l’invention de soi, un généreux réformiste, un somptueux commentateur des textes de l’antiquité greco-latine et, enfin, un brillant militant de la cause des minorités. En bref, l’œuvre foucaldienne est plus que jamais à l’ordre du jour, comme en témoigne la publication du cours délivré au Collège de France entre janvier et avril 1981, sur la subjectivité et la liberté.

Lire l’entretien avec le médiéviste Blaise Dufal, enseignant à l’université d’Aix-Marseille, coauteur d’Une histoire au présent. Les historiens et Michel Foucault« Les historiens français ont un rapport très complexe, et complexé, à l’œuvre de Foucault »

En 1980, Foucault éprouve un plaisir extrême à enseigner aux Etats-Unis, et notamment à l’université de Berkeley sur la Côte ouest, où des étudiants de plus en plus nombreux viennent l’écouter. Il découvre alors que l’homosexualité peut être vécue comme une création ou un « souci de soi », et non pas comme la révélation d’un désir honteux. Personne ne sait encore qu’une nouvelle peste va bientôt se déclarer : l’épidémie du sida.

Et c’est dans ce contexte de grand bonheur que Foucault transforme son approche de l’histoire de la sexualité. Tout a commencé en 1976 avec la publication d’un ouvrage portant sur le XIXe siècle, La Volonté de savoir (Gallimard), auquel il veut donner une suite afin de mettre au jour une «archéologie de la psychanalyse», centrée sur l’étude des hystériques, des pervers, des populations et des races.

FACE-À-FACE AVEC LA MORALE CHRÉTIENNE

Cependant, en 1979, il a renoncé à passer du XIXau XXe siècle pour effectuer un retour aux «techniques» chrétiennes de la pénitence, de l’aveu et du sacrifice, dont il fait remonter l’origine à la conversion de Tertullien, introducteur, à la fin du IIe siècle, du dogme trinitaire (Du gouvernement des vivants, EHESS/Gallimard/Seuil, 2012). C’est de cette époque que découlait, selon lui, l’idée de contraindre les sujets à dire le vrai sur leurs états d’âme, modèle dont hérita la psychanalyse. A la suite de ce face-à-face avec la morale chrétienne, Foucault décide de tisser un lien entre ces « techniques » chrétiennes et celles de l’époque païenne tardive.

D’où l’élaboration du cours aujourd’hui publié, Subjectivité et vérité – parfaitement édité, annoté et présenté par Alessandro Fontana (1939-2013) et Frédéric Gros. Foucault commente les textes des auteurs grecs et latins contemporains de la longue époque troublée de la fin de l’Empire romain (IIe-IIIe siècle) : Artemidore de Daldis, déchiffreur de rêves sexuels, Antipater de Tarse et ­Musonius Rufus, philosophes stoïciens, Hieroclès d’Alexandrie, néoplatonicien, et bien d’autres encore.

Lire aussi : La pensée de Foucault mise à l’épreuve

Plutôt que de les citer chronologiquement, il compare leurs écrits pour montrer comment se développent, avant le passage au christianisme, de nouvelles formes de rapport à soi et aux autres. Et il en déduit qu’il faut sortir d’un lieu commun consistant à attribuer au paganisme une morale tolérante auquel le christianisme aurait mis fin.

Loin d’opposer paganisme et christianisme, il soutient donc que les stoïciens des deux premiers siècles de notre ère inventèrent une éthique sexuelle fondée sur la nécessité d’accomplir des actes de plaisir et de jouissance – les aphrodisia – dont les violences et les excès, émanant d’une mécanique naturelle, devaient être maîtrisés sous peine d’entraîner le sujet vers sa destruction.

Mais encore fallait-il distinguer la « bonne sexualité » de la mauvaise, afin d’établir une hiérarchie des plaisirs. Et Foucault de démontrer que celle-ci résidait pour les stoïciens dans la valorisation du mariage monogame, regardé comme un art de vivre supérieur à tous les autres. A cet égard, l’acte sexuel entre conjoints mariés occupait la place la plus élevée dans la hiérarchie des valeurs : il renforçait la prospérité du foyer et assurait la survie de la cité. L’homme libre et adulte incarnait un principe actif et, à ce ­titre, il pouvait fort bien, même marié, entretenir des relations avec un esclave mâle, mais jamais avec une femme mariée, propriété d’un autre homme.

UN CONTRÔLE PARFAIT DU DÉSIR

Dans cette perspective, les actes sexuels étaient savamment codifiés et Foucault les analyse avec brio à partir du grand texte ­d’Artémidore, l’Oneirokritès, celui-là même que Freud affectionnait au point de le relire sans cesse. Artemidore considérait que chaque espèce animale n’avait qu’un seul mode de « conjonction » : les femelles du cheval, de la chèvre et du bœuf sont couvertes par l’arrière, disait-il, tandis que les vipères, les colombes et les belettes font l’amour avec la bouche. Les femelles du poisson recueillent le sperme répandu dans l’eau par les mâles. Quant aux humains, eux aussi soumis à l’ordre naturel du monde, ils obéissent à un principe intangible : l’homme recouvre la femme afin qu’elle lui donne plus de plaisir et moins de peine. L’inceste avec la mère est proscrit comme funeste, les rapports buccaux sont les pires, car ils interdisent le baiser et le partage d’un repas.

Par ailleurs, Artémidore définissait cinq catégories d’actes contre nature : les rapports sexuels avec les animaux, les cadavres, les dieux, soi-même et deux femmes.

Ainsi les Pères de l’Eglise héritèrent-ils, selon Foucault, de ce stoïcisme romain qu’ils adaptèrent ensuite à une nouvelle spiritualité marquée par un contrôle parfait du désir et des émois intimes, véritable confiscation de la sexualité au profit exclusif d’un modèle matrimonial érigé en norme.

Les textes choisis par Foucault sont d’une incroyable drôlerie et il les commente avec un humour ravageur, comme s’il découvrait en eux, trois ans avant sa mort, la genèse d’une « verbalisation de l’intime », propre à ce christianisme primitif dont il fera le sujet de son dernier livre, toujours en attente de publication mais déjà fameux : Les Aveux de la chair.

Ce cours est traversé par la joie de découvrir une «autre histoire de la sexualité», bien antérieure à celle du XIXe siècle; Foucault raconte avec délice les différentes variantes de la fable de l’accouplement des éléphants, reprise en boucle du IIe au XVIIe siècle, autant par les stoïciens que par les chrétiens et les dévots qui en firent un «blason de la bonne sexualité conjugale», applicable à l’espèce humaine : «L’éléphant, disait François de Sales, ne change jamais de femelle et aime tendrement celle qu’il a choisie, avec laquelle il ne parie que de trois ans en trois ans, et cela pour cinq jours seulement et si secrètement que jamais il n’est vu en cet acte. Le sixième jour, il va droit à la rivière, en laquelle il se lave entièrement le corps, sans vouloir retourner au troupeau avant qu’il ne soit purifié.»

Voilà donc de belles et honnêtes bêtes qui ne connaissent ni l’adultère ni la jalousie envers un rival et qui ne touchent plus leur conjointe une fois qu’elle a été fécondée. Ainsi pourraient se conduire les humains s’ils acceptaient de prendre pour modèle de vertu et de courage la merveilleuse vie sexuelle des éléphants. Véritable antidote au discours de la sexologie qui prétend mesurer les performances du sexe à l’aune de la longueur du pénis et de la largeur du vagin, ce cours délivre sa leçon avec une jubilation contagieuse et se lit comme une fable de La Fontaine. Foucault, décidément, n’a pas fini de nous surprendre.

Subjectivité et vérité. Cours au Collège de France (1980-1981), de Michel Foucault, édition établie, sous la direction de François Ewald et Alessandro Fontana, par Frédéric Gros, EHESS/Gallimard/Seuil, « Hautes études », 336 p., 26 €.

 

La bible, le Christ

 

La Rome christianisée

IVème siècle : l’Empire romain adopte le christianisme comme religion officielle, l’homosexualité passive est alors clairement un objet de réprobation pour le droit romain

390 : à Rome, le code Théodosien qui concerne les questions politiques, économiques, sociales et religieuses (rassemblant les constitutions générales de Constantin 1er) est promulgué par l’empereur d’Orient Théodose II réprime l’homosexualité passive et les personnes efféminées les condamnant la peine capitale ou à la mutilation

Vème-VIème siècle : L’empereur Justinien (483-565) décide que tout acte homosexuel même actif est interdit car dans tous les cas il offense le Seigneur, les hommes seront condamnés à la mort pour infanda libido (innommable libido)

 

Saint-Augustin et les pères de l’Eglise dont Saint-Grégoire de Tours

Xème-XVème siècles : en Occident, l’expansion chrétienne veut limiter et exterminer les semeurs de troubles impurs, les victimes sont les hérétiques, les juifs, les lepreux et les homosexuels ; en Espagne la sodomie est punie par la castration et la lapidation, en France par le bûcher, en Angleterre les coupables sont enterrés vivants

Saint-Augustin a « bâti » le christianisme occidental aux IVème – Vème siècles tel qu’il s’est maintenu aux XVIème – XVIIème siècles, organisant les règles de vie, les vertus théologales et les vertus morales, qui découlent des vertus cardinales (force, tempérance, justice, prudence), et dont le socle commun est l’amour

Les 7 péchés capitaux (rappelés sur les murs de la prison des Baumettes) fixés par Grégoire le Grand (540-604) ont du sens pour lui : Orgueil (vaine gloire), Envie, Colère, Tristesse, Avarice, Gourmandise, Luxure ; La référence aux 3 vertus théologales (Foi, espérance, charité) et aux 4 vertus cardinales (Prudence, justice, fermeté, tempérance) définies par Grégoire le Grand

Les tympans des églises au Moyen Age ont exposé avec constance et simplisme ces préceptes, les damnés (couples adultères, avare, voleur, paresseux, gourmand) connaissent les affres du châtiment. Chacun pouvant être battu, mordu, écorché, rôti à la broche, dévoré, pendu par le cou ou les pieds, jeté ans le chaudron sur le feu.

Saint Jean Chrysostome (344-349) définit le mystère conjugal : « Quand le mari et la femme s’unissent dans le mariage, ils ne forment pas une image de quelque chose de terrestre, mais Dieu lui-même. Au cœur du mystère trinitaire »

 

Christian Bruschi :

Mon propos portera sur la question suivante : à quel moment s’est produit la rupture dans l’attitude de la société occidentale face à la sexualité ? Pour essayer de mieux saisir le pourquoi et le comment de cette rupture, j’ai voulu porter un regard plus précis sur l’homosexualité. Parce qu’en définitive, celle-ci est admise dans l’antiquité, nous le savons bien, dans des conditions d’ailleurs différentes dans l’antiquité grecque et romaine, où ce ne sont pas nécessairement le même type d’homosexualité. Mais nous sommes persuadés qu’au début de l’Empire, l’homosexualité masculine, au moins, est tout à fait tolérée, tout à fait admise à Rome. Et nous sommes aussi persuadés, à partir de textes sûrs, qu’au VIème siècle (et là nous allons peut-être avoir un débat chronologique) Justinien, dont nous avons au moins trois textes, un de 533 dans les Institutes, puis deux lois de 538 et 544, l’Empire byzantin donc punit effectivement de mort l’homosexualité. L’homosexualité tout cour, il ne s’agit pas de l’homosexualité en direction des jeunes garçons ou d’une homosexualité avec violence, l’homosexualité en tant que telle est punie de mort.

Donc de ce point de vue-là, s’est produit, en quelques siècles, un changement considérable d’attitude qui se traduit sur le plan juridique, mais qui traduit incontestablement un changement de mentalité. Un livre récent dont la traduction en français est paru il y a trois ans, ‘Christianisme, tolérance sociale et homosexualité » de John Boswell. Ce livre est très intéressant, il pose beaucoup de problèmes, il n’apporte pas toujours toutes les réponses, je le critiquerais sur les sources. Boswell a privilégié certaines sources, il en a oublié d’autres non négligeables, notamment ce texte absolument admirable de Salvien de Marseille – autant lui rendre hommage puisque nous sommes dans cette ville – qui dans « Le gouvernement de Dieu » développe sur plusieurs pages sa critique de l’homosexualité. Ce que j’en ai retenu, c’est que cette critique de l’homosexualité est différente d’autres écrivains ou auteurs chrétiens. Il n’y a pas, au IVème et Vème siècle, de doctrine chrétienne homogène sur l’homosexualité. Et il y a bien une critique généralisée, mais il n’y a pas de doctrine homogène. Cela pose des questions.

Peut-on dire, comme l’a dit Léon-Robert Ménager, que le christianisme a joué un rôle décisif dans ce changement d’attitude, si l’on prend toujours homosexualité comme révélateur d’une attitude générale par rapport aux sexualités ?

Si on privilégie le IVème siècle, siècle de l’Empire chrétien, bien évidemment on est obligé de dire que le christianisme a joué un rôle essentiel. Le passage des premières mesures de Constantin aux premières mesures de Théodose de la fin du IVème siècle, prouve parfaitement que l’Eglise a donné le dernier coup d’accélérateur, le coup décisif dans le changement de mentalité, changement d’attitude du pouvoir avec tout un arsenal répressif qui va finir sans doute par se traduire par un changement de mentalité. Il faut là faire une distinction entre ce qui est juridique et ce qui est mentalité. Si en revanche, on privilégie une autre périodisation, et si on fait remonter le changement au même siècle, alors que le christianisme n’est pas encore triomphant, bien évidemment on va être obligé de désigner, peut-être, d’autres responsables et on va voir que le christianisme a vraisemblablement encouragé un processus qui avait commencé avant lui.

Je pose la question, c’est assez important, par rapport au débat que nous avons ce matin. Il n’y a pas de doctrine homogène du refus de l’homosexualité au IVème et au Vème siècle, cela ne viendra que plus tard. Certes, on cite les textes du Lévitique concernant l’homosexualité qui punit de mort l’homosexualité. Il y en a deux dans le Lévitique, et ils sont sans nuance. On cite le texte de l’apôtre Paul « l’Epître aux Corinthiens » dans laquelle il évoque l’homosexualité. C’est intéressant parce que c’est un texte très riche qui évoque sur un plan total d’égalité l’homosexualité masculine et féminine, alors que l’homosexualité féminine disparaît dans les textes aux IVème et Vème siècle. Et d’autre part, il fait de l’homosexualité la conséquence du paganisme, du refus de croire au seul et vrai Dieu, c’est en quelque sorte une punition de Dieu, alors qu’au IVème et Vème siècle, on va un peu changer d’attitude et considérer que le désastre qui s’abat sur l’Occident romain est la sanction de la débauche notamment la sanction des perversions sexuelles et de l’homosexualité. Donc, on ne va pas hésiter à manipuler, voire à tronquer le texte de Paul, pour justifier des positions en fait très différentes.

Maintenant, si je me réfère à trois écrivains chrétiens dont deux sont des piliers : Augustin, Chrisostome et Salvien, on s’aperçoit que tous les trois condamnent en terme assez vigoureux l’homosexualité masculine. Mais ils le font sur des bases véritablement différentes. Quand Augustin parle de l’homosexualité, il la condamne parce qu’elle est contre nature (contra natura).

Mais la nature dont il est question chez Augustin, c’est la société ou la compagnie qui unit l’homme à Dieu, et le fait d’avoir un comportement homosexuel rompt cette nature qui fait que l’homme peut se rapprocher de Dieu. Ce n’est pas la nature de l’homme d’un côté, de la femme de l’autre, c’est en fait cette nature qui est particulière à l’homme créé à l’image de Dieu. Une perversion sexuelle, à la limite n’importe laquelle, nuit à cette société de l’homme et de Dieu, et fait que l’homme est en rupture avec Dieu.

Quand Jean Chrisostome, lui, parle longuement de l’homosexualité, il nous dit d’abord qu’elle est un phénomène extrêmement répandu chez les chrétiens. Cela est intéressant, et Salvien va nous dire exactement la même chose. Au IVème et au Vème siècle, l’homosexualité n’a pas du tout disparu de la mentalité courante et les chrétiens eux-mêmes continuent à la pratiquer. De ce point de vue, Chrisostome a une position tout à fait différente quand il parle de l’homosexualité comme étant contre nature. Ce qu’il vise c’est la nature de l’homme et la nature de la femme, et le passage de l’une à l’autre, c’est cela qui est contre nature. C’est donc tout à fait différent de la démarche d’Augustin.

Et quand Salvien intervient, il fait totalement abstraction du concept contre nature, il n’en parle plus. Pour lui, simplement c’est une dégénérescence de la nature de chacun. C’est tout à fait différent. Il a comme référentiel le fait que chacun a sa nature, en la poussant en avant, il la fait en quelque sorte dégénérer sans que pour autant, ce soit contre nature. Vous le voyez, d’un simple point de vue des fondements de la condamnation de l’homosexualité, j’estime qu’au IVème – Vème siècle, il n’y a pas de doctrine homogène.

Si on rapporte ces attitudes au mouvement juridique, législatif sur le problème, il y a cette interdiction générale punie de mort sous Justinien, mais auparavant, il faut constater que les premières mentions de condamnation de l’homosexualité datent en fait du IIIème siècle et non pas du IVème siècle. Quand Paul, non plus l’apôtre cette fois mais le juriste, nous dit que celui qui a entraîné le jeune garçon dans la débauche doit être puni de mort, il vise une homosexualité précise qui est celle qui concerne le rapport entre les adultes et les adolescents. C’est au début du IIIème siècle que, Paul dit encore que celui qui a été homosexuel passif n’a plus le droit de représenter un individu dans le domaine judiciaire parce qu’il est assimilé à une femme.

C’est encore au début du IIIème siècle que cela se produit, ce n’est pas négligeable. Quand Paul dit que l’homosexuel passif doit être privé, dans les héritages, de la moitié des biens qu’il aurait dû recevoir si il n’avait pas été homosexuel passif, cela se produit encore au début du IIIème siècle. Il y a un texte dont nous n’avons malheureusement pas le contenu exact, dont il est fait mention dans « L’histoire d’Auguste ». C’est, à mon avis, un texte-clef. Il nous dit : Alexandre Sévère aurait voulu interdire toute prostitution masculine, homosexuelle ; il n’a pas pu le faire parce qu’il a considéré, somme toute, que s’il le faisait, il transformait un vice public en un vice privé et que les hommes ont généralement plus d’ardeur pour ce qui est interdit que pour ce qui ne l’est pas. Texte très intéressant. Et il ajoute que Philippe l’Arabe, successeur d’Alexandre Sévère a interdit en définitive la prostitution masculine, au milieu du IIème siècle (il est dénommé l’Arabe non pour son origine mais du fait qu’il avait mené une campagne militaire en Arabie).

De ce point de vue-là, nous pouvons voir que ce IIIème siècle sur lequel nous sommes quand même assez mal renseignés et qui reste un siècle obscur, ce même siècle me semble, d’un point de vue juridique, assez riche déjà en limitations concernant l’homosexualité. C’est vrai que le IVème siècle apporte un certain nombre de compléments non négligeables, notamment la loi de 342 de Constantin sur l’interdiction du « mariage homosexuel » mais c’est quand même le mariage homosexuel qui est interdit, ce n’est pas l’homosexualité ? Ou la loi Théodore 390 qui punit des flammes l’homosexualité, mais uniquement à Rome et pas dans le reste de l’Empire. Et uniquement ceux qui se sont livrés à la prostitution masculine. Dans une certaine mesure ce n’est jamais qu’un remake de la loi de Philippe l’Arabe, évidemment accentué, accusé.

Ce texte est quand même intéressant parce qu’on le retrouve dans le recueil de textes mosaïco-romain qui est un essai d’établir un certain nombre de correspondances entre le droit mosaïque et le droit romain, il est en bonne place. Ce qui prouve qu’à ce moment-là, au moment où l’Empire devient chrétien, on essaie d’établir un certain nombre de correspondances entre le Lévitique et le droit romain, c’est une démarche qui n’est pas inintéressante et qui concerne directement la sexualité.

Je crois que l’on doit essayer de se livrer à des explications sur ce phénomène tout à fait extraordinaire de changement d’attitude par rapport aux sexualités. L’homosexualité n’est qu’un révélateur c’est toute l’attitude par rapport aux sexualités qui va se modifier.

Les choses ne sont pas simples. Quand on prend, par exemple, la question de la virginité, le judaïsme dans lequel, pourtant, se fonde le christianisme, n’a aucun développement sur ce problème, tandis que les religions païennes ont un développement sur la virginité, les vestales par exemple. Et l’on va voir que le christianisme va exalter la virginité, donc vous le voyez, les choses ne sont pas nécessairement simples. C’est ce que je voulais dire là-dessus. Il y a peut-être trois pistes d’explications qui sont encore, à mon avis, ma] déblayées.

Le Pr. Ménager a parlé du passage de la confession publique à la confession privée. Il faudrait sans doute relier à tout ce qui a été l’évolution de la juridiction de l’évêque ou des anciens « épiscopalis » comment s’est fait le passage d’un rôle de juge à un rôle de confesseur. Tout se noue un peu dans cette période beaucoup d’évolutions se produisent.

De façon générale, on assiste entre le IVème et le Vème siècle à l’apparition d’une nouvelle ligne de démarcation entre espace public et espace privé. Et on renvoie systématiquement ce qui est sexuel dans l’espace privé. Cela va durer pendant quinze ou seize siècles ; c’est à peine si aujourd’hui, et encore timidement on est en train d’en sortir. Le texte de Salvien là-dessus est très significatif mais de façon plus générale il y a la Constitution de 326 de Constantin sur l’adultère, où il revient sur la loi d’Auguste qui en faisait une infraction dont la poursuite était publique.

Constantin dit : il faut qu’elle reste uniquement dans la sphère familiale, c’est à dire qu’en définitive, ne pourront diligenter de poursuite concernant l’adultère que ceux qui appartiennent à la famille de celui qui en a été victime, lui-même et ses proches uniquement. C’est très significatif, de ce point de vue-là, on peut dire que c’est un texte beaucoup moins sévère que le texte d’Auguste qui permettait à chacun de poursuivre la femme adultère. Mais justement, ce qui est important et très révélateur, c’est que ce texte fait passer ce qui était à l’époque considéré comme une infraction sexuelle – ce qu’elle a été jusqu’en 1975 – de l’espace public à l’espace privé.

Et c’est exactement la même problématique que nous trouvions dans Lamprius, dans « L’histoire d’Auguste » concernant la prostitution masculine. Va-t-on devoir passer de ce qui est public à ce qui est privé ? Philippe l’Arabe le fait et l’Empire chrétien va amplifier le mouvement ? C’est une toute autre conception de l’Agora ou du Forum qui est en train de se dessiner à ce moment, et qui change fondamentalement le comportement à l’égard de la sexualité.

Deuxième piste, on ne peut pas dissocier les attitudes par rapport aux sexualités des contextes historiques généraux. La crise que connaît l’occident romain dès le IIIème siècle, et qui va continuer jusqu’au Vème siècle, bien évidemment explique très largement ce changement d’attitude par rapport aux sexualités. Dans un monde qui s’écroule, on a besoin de points de repère, on le voit bien aujourd’hui, de lignes de démarcation qui soient relativement fixes, qui soient les plus fixes possibles. Parce que, comme tout s’écroule, y compris le pouvoir politique qui est beaucoup moins sûr de lui qu’on ne l’était précédemment, il faut trouver d’autres points de repère. Là, je crois que c’est très clair dans les Pères de l’Eglise, la démarcation entre les sexes devient fondamentale (ce qu’elle n’était pas, en définitive, dans l’antiquité grecque et dans l’antiquité romaine) parce que cela permet à chacun normalement, tout compte fait c’est comme cela que c’est conçu de disposer de points de repère nécessaires.

Enfin, la troisième piste, c’est le rapport au corps, c’est une vieille idée que j’ai. On peut faire une comparaison entre l’attitude vis-à-vis de l’exercice sportif au IVème siècle, et l’attitude par rapport au corps. Nous touchons quelque chose qui est très semblable dans les deux domaines. En effet, quand on lit Zozime, cet historien byzantin extrêmement tardif – il écrit à la fin du Vème siècle – mais qui est resté païen, il arrive à faire une histoire admirable où il explique que tout ce qui a été décadence et qu’il vient de vivre, c’est uniquement la faute du christianisme, de Constantin…

C’est un texte très puissant et en plus très précieux du point de vue d’un certain nombre de détails historiques qu’il nous donne. Pour lui, c’est simple c’est parce que Constantin n’a pas organisé les jeux séculaires que l’Empire romain s’est effondrent, il développe en quoi le changement du rapport au corps sous l’angle de l’exercice sportif, de l’émulation sportive, est une explication de la chute de l’Empire. Vraisemblablement, nous avons une même cause qui pourrait expliquer deux changements d’attitude dans des domaines différents : l’exercice sportif qu’on va retrouver après au Moyen Age, de façon tout à fait différente sous l’angle de la chevalerie.

Il y a là un changement profond qui s’est produit entre les deux, et aussi sous l’angle de la sexualité. Je crois que si nous sommes tous persuadés que cette période du IIIème au Vème siècle est une période décisive, nous sommes encore à l’orée de nos interrogations et encore plus à l’orée des réponses que nous pouvons apporter aux interrogations. Le Christianisme a incontestablement joué un rôle ; a-t-il été réellement le fond qui a expliqué le changement ? Pour le moment, mais je peux me tromper, j’aurais plutôt tendance à dire qu’il a plus joué le rôle de forme que de fond.

 

L’Imitation de Jésus-Christ

(Conférence faite par Christian en 1989)

« L’Imitation de Jésus Christ » est un document du XVème siècle, attribué à un moine qui s’appelait Gerson, qui nous est venu jusqu’à ce jour transmis par toutes les générations de catholiques fervents qui ont souhaité s’inspirer des meilleures réflexions sur comment devenir un bon catholique. Ce texte nous est parvenu à travers de traductions diverses (Merlo Hortius, Gonnelieu, Lamennais au XIXème siècle aidé du moine Monteau, puis Mgr Darbois puis enfin le R.P. Billet). Et c’est cette traduction-là, qui date de 1922, que j’ai découverte, et je voudrais vous en dire quelques mots. C’est le « code des âmes mystiques, compagnon assidu des ascètes les plus rigides », du moins c’est décrit comme tel par le Père Billet. Et je l’interprète comme un exercice spirituel destiné aux moines essentiellement mais aussi éventuellement aux laïcs. Et bien des laïcs qui voulaient à leur tour se sanctifier se sont tournés à leur tour vers cet ouvrage. Et je me demande si certains mouvements comme l’Opus Deï aujourd’hui ou une série de groupes religieux qui se caractérisent par un retour à la tradition, ne sont pas assidus de ce genre de textes édifiant. C’est un document qui tourne en fait essentiellement autour de la chair et de l’amour, mais avec un passage de l’un à l’autre qui est bien souvent difficile à faire. Et je voudrais dans un premier temps parler des mots qu’on y trouve. Il y a quatre niveaux :

  1. Les maux de la chair et du désir : la chair, le charnel, l’obscénité, la tentation, la turpitude, le désir, le désordre, la concupiscence, la possession, l’esclavage des sens, les passions, la volupté, l’amour charnel, le charme du plaisir trouble, les affections déréglées, les désirs déréglés, la curiosité, la vanité, le vice, la nature perverse, la nature corrompue, la pensée coupable. Autant de choses qui sont évidemment condamnées. On assiste au péché suprême, celui de la chair.

Quelques citations sur ces mots-là : « Dès que l’homme se livre à un désir déréglé, aussitôt il se sent troublé. Celui dont l’âme est encore faible, quelque peu charnelle et inclinée vers les biens sensibles a beaucoup de peine à s’arracher entièrement aux désirs terrestres. Il en coûte plus à l’homme de céder à ses passions que de les vaincre. Résiste donc, ô mon âme, à tes passions, même aux plus petites. Je réprimerai donc courageusement jusqu’à mes plus petites passions« .  Autres citations : « Loin de toi, le trouble à cause des tentations Seigneur », demandait à Jésus Ste Catherine de Sienne, « où donc étiez-vous lorsque pareilles obscénités traversaient mon esprit, l’antique ennemi te suggère mille pensées mauvaises pour te causer de l’ennui et du dégoût pour te détourner de la prière et des saintes lectures. Rejette sur lui les pensées mauvaises et les turpitudes qu’il te suggère, dis-lui : arrière, esprit impur ; rougis, misérable, il faut que tu sois bien immonde pour me tenir pareil langage. Retire-toi de moi, séducteur infâme, tu n’auras en moi aucune part. Jésus sera en effet à côté de moi comme un formidable guerrier et tu demeureras confondu« .

  1. Il y a pourtant du positif. On loue l’amitié noble, les affections humaines, l’amitié tendre même, l’affection, l’amitié chère, le meilleur ami, mais c’est presque aussitôt avec une mise en garde vis-à-vis de ceux qui sont chers ici-bas. « Méfiez-vous des affections humaines, jeunes gens, femmes ou étrangers (le mot étranger est cité une seule fois). Gardez-vous du commerce avec les hommes ». C’est le deuxième niveau, celui où on a quand même l’impression que des amitiés ou des affections sont acceptables.

3, Mais c’est presque aussitôt pour arriver au troisième niveau, le passage nécessaire à la souffrance, l’humiliation, la mortification, la consolation, la privation, la douleur, et surtout refuser toute affection humaine. Il faut s’humilier, mépriser les choses d’ici-bas, obéir, briser sa volonté pour aimer en souffrant, souffrir en aimant. Quelques citations et plus particulièrement une qui recouvre à la fois les différents niveaux : « Le glorieux martyr Saint Laurent triompha du siècle lorsqu’il méprisa tout ce que le monde offrait de délectable et qu’il souffrit en paix pour l’amour de Jésus-Christ, d’être séparé même du souverain prêtre de Dieu, Saint Sixte, qu’il aimait tendrement. L’amour s’éleva donc au-dessus de l’amour de sa créature et aux consolations humaines il préféra le bon plaisir de Dieu. Apprenez de lui, quittez, pour l’amour de Dieu, un ami nécessaire et bien cher, et ne vous laissez pas abattre si votre ami vous abandonne. Ne devons-nous pas un jour nous séparer tous ? »… « Travaux, douleurs, tentation, persécutions, angoisses, privations, maladies, injures, contradiction, reproches, humiliations, affronts, corrections, mépris : tu dois supporter tout de bon coeur et pour l’amour de Dieu ».

Une citation qui va encore plus loin dans le propos : « Je suis à votre école, et c’est la verge de vôtre correction qui m’instruira. Oui, père bien-aimé, me voici dans vos mains, sous la verge de votre correction. Je m’abandonne à votre correction, moi et tout ce qui est à moi : il vaut mieux être châtié en ce monde qu’en l’autre. Vous connaissez ce qui est utile à mon progrès et vous savez combien la tribulation sert à consumer la rouille des vices. Disposez donc de moi selon Votre bon plaisir : Il m’est cher ! »

4, L’amour avec les accents le plus tendres. De ce fait, le quatrième niveau arrive à une certaine ambiguïté ; on parle des plaisirs vrais, des tendres affections, de l’intime confidence avec le Christ, du désir de la jouissance, de la correction divine. « Votre bon plaisir m’est cher ». « Suivre nu Jésus-Christ nu, seul, objet du désir, amour de prédilection, intime amitié avec Jésus, familiarité avec Jésus, à Jésus, les plus tendres affections de mon coeur, dilate-moi dans l’amour, se liquéfier dans l’amour, qui aime Jésus, jouit, amour sans borne, jubilation de l’amour, abondance de ses suavités ».

Mais pour atteindre la sainteté, il faut franchir des étapes rigoureuses. C’est le modèle sur lequel des générations ont vécu. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? On ne peut juger trop vite des textes religieux. Comme tous textes religieux, celui-ci a été lu de plusieurs façons par les fidèles, chacun ayant sa lecture propre. Cependant on peut poser quelques questions :

  1. Le mépris du sexe et de la chair n’est-il pas quelque part indélébile dans la mentalité catholique ? N’introduit-il pas un dangereux mépris du corps ? N’est-il pas une incitation à la sublimation, au mysticisme, N’amène-t-il pas à une confusion entre mortification et amour ? Un obstacle est mis à l’amour et à l’amitié au nom d’un amour idéal, mais cela ne devient-il pas une mise en garde contre la chair et au bout du compte, contre l’amour ?
  2. En même temps il y a un étonnant appel à l’amour, et à l’amitié amoureuse, à tel point que l’on ne voit plus toujours clair, d’autant que la mortification demandée est terrible et que l’on préférera peut-être l’éviter, et passer tout aussitôt des amours condamnées à cet amour-là, rempli de jouissances, avec tout ce qu’il y a d’ambiguïté et de contradiction dans le langage, et plus encore peut-être dans le vécu.
  3. Chair, mortification et amour ne s’entremêlent-ils pas alors de façon dangereuse et délicieuse ?
  4. Le langage, lui, est toujours voilé pour parler des choses terrestres. Il semble qu’il soit dangereux de parler de ce dont il faut justement se garder. On arrive alors à une certaine apogée du double langage et de la double ou triple lecture.

Ce langage, tellement impudique, tellement poétique pour parler de l’amour et des délices tant recherchés, n’est-il pas une fantastique moulinette dans laquelle les cerveaux de tant de fidèles ont été pétris, lavés et parfois broyés ?

La morale côtoyant à ce point la séduction, pouvait-on être chrétien sans névrose ? Aujourd’hui l’éducation sexuelle, le vécu individuel de la sexualité sortent-ils indemnes de ce double mouvement contradictoire ?

 

Xavier et sa mère

 

Les papes et leurs zélateurs 

1748-1804 : l’Eglise condamne les textes de Voltaire à 31 reprises ; l’ensemble de ses œuvres – opera omnia – sont condamnées en 1753, Zadig est mis sur le même plan que les auteurs protestants ou hérétiques ; les lecteurs catholiques sont invités à remettre les livres en leur possession, aux autorités ecclésiastiques sous peine d’excommunication

1758 : Benoit XIV publie l’Index Librorum prohibitorum

Parution en 1904 du livre de l’abbé Bethléem Romans à lire et romans à proscrire qui comptera 140 000 exemplaires vendus, en 1932, dans l’objectif de  proposer aux catholiques un guide moins rétrograde que l’Index romain ; il sera accompagné en 1908 d’une revue Romans-revue qui déconseillera la lecture du nouveau Petit Larousse (à cause des pages roses) et vitupèrera contre Le Tour de la France par deux enfants (parce que Dieu est trop absent), ou encore Zola et George Sand, et recommandant René Bazin et des écrivains catholiques mineurs ; rebaptisée Revue des lectures à partir de 1925, la publication sera appréhendée par les éditeurs ; l’Index romain est réactivé par l’abbé Bethléem au cours des années 1930 ; celui-ci a été reçu par le pape Pie X en audience privée en 1912, il écrit : « Nos analyses ont pour but d’éclairer et de pousser à l’action les vrais catholiques, c’est-à-dire les catholiques apôtres, les militants » se rendait dans les halls de gare (de décembre 1926 à mars 1927) pour lacérer des livres et dénoncer les Messageries Hachette coupables de diffuser 25 périodiques obscènes

1905 : parution du traité De la répression des outrages à la morale publique d’Albert Eyquem, il réclame une aggravation des lois de 1881, 1882 et 1898 codifiant ‘l’outrage aux bonnes mœurs », fustige les livres « décadents » et « la mollesse e la société française efféminée » qui « a facilité l’éclosion de cette presse dépravante, dégradante, indigne d’un grand pays » que « les mœurs dépravées ont toléré sans rougir »

En 1920,  parution de L’Indiscipline des mœurs de Paul Bureau, avec les ligues de moralité (Ligue pour la Vie, Ligue de la régénération humaine créée en 1896, Ligue d’éducation morale , Ligue de la licence des rues, Ligue pour le relèvement de la morale publique) il s’inquiète de la banalisation des contraceptifs et des « avorteuses » ; la Ligue d’éducation morale souhaite « organiser dans les lycées et les grandes écoles des associations de jeunes gens qui s’engageraient à respecter la règle de pureté et se prépareraient à mieux remplir leur devoir familial »

En 1929, le Pape Pie XI dans son encyclique Divini illius Magistri, s’inscrit en faux contre « tout naturalisme pédagogique qui exclut ou tend à amoindrir l’action surnaturelle du christianisme dans la formation de la jeunesse, erronée toute méthode d’éducation fondée en tout ou en partie sur la négation ou l’oubli du péché originel ou du rôle de la grâce, pour s’appuyer sur les seules forces de la nature… Il est un autre genre de naturalisme souverainement périlleux qui de notre temps envahit le champ de l’éducation en cette matière extrêmement délicate qu’est la pureté des mœurs. Très répandue est l’erreur de ceux qui, avec des rétentions dangereuses et une manière choquante de s’exprimer, se font les promoteurs de ce qu’ils appellent l’éducation sexuelle. Ils se figurent faussement pouvoir prémunir la jeunesse contre les péchés des sens uniquement par des moyens naturels tels que cette initiation préventive donnée à tous indistinctement et même publiquement ou, ce qui est pire encore, cette manière d’exposer les jeunes gens aux occasions afin, dit-on, de la familiariser avec elles et de les endurcir contre leurs dangers. »

En 1951, Pie XII dans son discours aux pères de famille, stigmatise livres qui prétendent donner un enseignement sur les questions de sexualité, « cette propagande qui exagère outre mesure, l’importance et la portée de l’acte sexuel dans la vie. Accordons que ces auteurs, du point de vue purement théoriques, maintiennent encore les limités de la morale catholique ; il n’en est pas moins vrai que leur façon d’exposer la vie sexuelle est de nature à lui donner, dans l’esprit du lecteur moyen et dans son jugement pratique, le sens et a valeur d’une fin en soi. Elle fait perdre de vue la vraie fin primordiale du mariage, qui est la procréation et l’éducation de l’enfant, et le grave devoir des époux vis-à-vis de cette fin, que les écrits dont nous parlons laissent par trop dans l’ombre. Cette littérature atteste que dans l’éducation morale ni l’initiation ni l’instruction ne présente de soi aucun avantage, qu’elle est au contraire gravement malsaine et préjudiciable, si elle n’est fortement liée à une constante discipline à une vigoureuse maîtrise de soi-même, surtout à l’usage des forces surnaturelles de la prière et des sacrements. » ; et dans son discours aux sages-femmes : « Faites de votre mieux pour empêcher la diffusion d’une littérature qui se croit obligée de décrire dans tous ses détails l’intimité de la vie conjugale, sous prétexte qu’il faut instruire, diriger et rassurer. Pour tranquilliser les consciences timorées des époux suffisent bien en général, avec le bon sens, l’instinct de la nature et une brève instruction sur les claires et simples maximes de la loi morale chrétienne. Si dans certaines circonstances spéciales une fiancée ou une épouse avaient besoin de plus amples éclaircissements sur quelques points particuliers, il vous appartiendrait de leur donner, avec délicatesse, une explication conforme à la loi naturelle et à une saine conscience chrétienne. »

Au début des années 1960, la Déclaration de l’assemblée des cardinaux et archevêques de France précise à propos de l’information sexuelle : « La hiérarchie a depuis longtemps dénoncé l’erreur psychologique et les dangers moraux d’une initiation collective et brutale. Elle a toujours enseigné que cette initiation devait se faire progressivement, de personne à personne, en pleine clarté, dans un climat de pureté, de loyauté, d’extrême délicatesse jusque dans le choix des termes eux-mêmes. », elle fait appel à la responsabilité des parents, ils ne peuvent se dérober, en s’abstenant « à l’heure où leurs enfants attendent d’eux, aux diverses étapes de la croissance, les explications légitimes »

Le pape Benoît XVI définit au début de son pontificat en 1978 une théologie du corps sexué : « La théologie du corps qui, depuis le début, est lié à la création de l’homme à l’image de Dieu, devient aussi d’une certaine manière théologie du sexe ou plutôt théologie de la masculinité et de la féminité »

 

En 1988, Daniel-Ange, pseudonyme de M. de Maupeou, animateur du mouvement charismatique Jeunesse-Lumière, écrit deux livres « Ton corps fait pour l’amour » et « Ton corps fait pour la vie » ; la préface du Pr de médecine Henry Joyeux est édifiante « En faisant croire seulement au dpj (désir, plaisir, jouir), notre société a semé le SIDA », Daniel-Ange dans a même veine dresse une attaque en règle de la contraception, l’avortement et les manipulations génétiques et magnifie la naissance « éclosion de la vie : explosion d’une galaxie » pour fixer un cadre, avant de développer la conception classique pour l’Eglise de l’amour idéal dans un chapitre de 4 pages sur 250 intitulé « Ton corps est éternel comme l’amour », exprimant ainsi une grande difficulté à parler vraiment du corps, comme s’il était urgent de le contourner, de parler d’autre chose : « Que le Corps de Jésus soit toujours vivant, cela veut dire : mon corps est éternel !… L’âme et le corps que je suis ne pourront connaître le bonheur qu’ensemble, à jamais… Les corps ne peuvent s’unir que dans l’amour…C’est par l’Eucharistie que je reçois dans mon corps la semence de ma gloire », il poursuit dans l’acte de foi « c’est une impossibilité d’ordre biologique qu’un corps qui a reçu le Corps ressuscité de Dieu puisse mourir à jamais », comme s’il était mal séant de parler du corps, et plus encore de la sexualité ; celle-ci ne fait l’objet que d’une note de bas de page, destinée à la dévalorisée « la sexualité est une fuite en avant, devant la mort inéluctable : à tout prix survivre dans un autre moi ! Jouissance indéfiniment renouvelée, elle est mirage d’infini, mime d’éternité »

En 1989, le père André Manaranche, jésuite que j’ai connu, ne consacre que 10 pages au corps dans son livre de 290 pages « Questions de jeunes », il contourne avec une étonnante aisance la question du corps et de ses tiraillements : « En l’absence de donation mutuelle, la relation sexuelle n’est qu’un frottement charnel à la surface de la peau et du consentement », les exigences du corps, de son propre corps, le désir du corps de l’autre n’a toujours pas sa place, qui plus est, il n’a toujours pas sa place hors du mariage et la continence reste la règle à l’heure où le mariage, comme la vocation, se fait moins fréquent : « Que tu entres dans le mariage ou dans le célibat consacré, tu t’engages à une manière concrète de vivre ou d’aimer qui ne se déroulera pas seulement dans ton esprit », pour éviter de s’aventurer sur un sujet glissant, et difficile, pour un prêtre plus encore, le basculement se fait vite vers l’exaltation et la sublimation : « Plus tu communieras avec foi, ami, et mieux tu comprendras, la grandeur du corps, sa merveilleuse dignité. Non, ce n’est as un objet manipulable : c’est la personne dans son aspect concret, c’est ‘toi’ vibrant et aimant »

La doctrine catholique en arrive à être complètement décalée. Elle ne parle pas aux gens de ce qu’ils vivent, elle essaie désespérément de les faire penser à autre chose : bien sûr vous avez un corps, mais de grâce oubliez-le ! et défendez les valeurs chrétiennes ajoutent les plus combattants

 

D’autres enseignements chrétiens :

Parmi les églises chrétiennes, les Témoins de Jéhovah (« Votre Jeunesse », 1976) font-ils partie des plus rigoureux ? Pour eux, les pratiques courantes, le vol, le mensonge, la masturbation, ne sont pas pour autant convenables, selon eux l’apôtre Paul aux Colossiens en disant « faites donc mourir les membres de votre corps » disait « n’excitez pas les membres de votre corps », d’autant qu’il précisait « la fornication, l’impureté, l’appétit sexuel, le désir mauvais et la convoitise », aux Ephésiens il stigmatise ceux qui « se sont livrés à l’inconduite, pour pratiquer avec avidité toutes sortes d’impureté », et ils précisent pour coller aux propos de St Paul que « la masturbation est un acte de convoitise et d’avidité, celui qui se masturbe désire se procurer quelque chose auquel il n’a pas droit, car Dieu a prévu que seules les personnes mariées goûtent au plaisir sexuel » ; puis ils font le lien entre masturbation et homosexualité : « En fait, la masturbation peut être le premier pas qui conduit à l’homosexualité. En effet, ne se contentant plus de se livrer seul à la masturbation, des jeunes ont cherché un partenaire » d’autant que « Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, on ne naît pas homosexuel, on le devient », or selon eux la parole de Dieu est très claire à ce sujet « ceux qui se rendent coupables d’adultère ou de perversions homosexuelles ne possèderont le royaume de Dieu » (St Paul aux Corinthiens) ; suivent de nombreuses recommandations pour « Dominer ses Passions » (choix des lectures, exercice physique, prière, partager la chambre avec un membre de la famille, vêtement pas trop serrés, hygiène intime, nourriture équilibrée)

Les catholiques sont beaucoup moins directs, ils savent combien les propos trop explicites sont aussi des « incitateurs », ils savent depuis la nuit des temps éviter ce qui peut être à double tranchant, facteur d’éveil sexuel plutôt que de contention et de sublimation.

L’enseignement terrorisant de l’Eglise

Nombre d’homosexuels qui ont grandi dans le giron de familles catholiques, de paroisses et d’écoles dites libres sont enserrés dans un vocabulaire paralysant. L’idée même de l’homosexualité les tétanise.  Les mots du Catéchisme de l’Eglise catholique « objectivement désordonné » et « condition homosexuelle » leur courent sans cesse dans la tête. Plus ils se veulent « catholiques » plus ils sont « déchirés » à l’intérieur d’eux-mêmes. Les propos que relate le Pèlerin du 15 septembre 2016 en témoignent : personnalité niée, tiraillements intérieurs, peur, se cacher, honte, dégoût de soi-même, me couper de mes émotions, cœur asséché, solitude dévastatrice, solitude, clandestinité, changer d’orientation sexuelle, souffrance, culpabilité, tendances égoïstes et narcissiques, prier pour être libéré, douleur intérieure et familiale, pas de descendance, tristesse, angoisse, choisir la mort, dépression, guérison, fécondité…

Le langage pervertit les esprits au point de paralyser les personnes. Ce langage est incapable de libérer. Il est incapable d’apprendre à s’accepter tel qu’on est, à m’aimer tel que je suis. L’« amour » est un absolu défini à l’avance, ceux qui « savent » croient possible d’asséner leur savoir et de condamner. Il y a de l’« accueil » de la part de tel ou tel, heureusement, mais cela a-t-il un sens là où tout devrait être accueil et acceptation de la diversité humaine ? Tout « leur » a appris à se refermer sur eux-mêmes, à se protéger, à se rassurer avec Dieu et son Eglise, avec ses paroisses et ses familles à la généalogie « propre », « ils » n’ont pas beaucoup appris à ouvrir les yeux sur les mille réalités du monde, moins encore cette réalité proche, qui peut toucher leurs familles et leurs amis. Cette réalité qui a été occultée pendant tant de générations, au plus profond du déni, de l’occultation et de l’aveuglement.

Le Pape François s’exprime à ce propos le 27 juin 2016, il affirme « Les homosexuels ne sont pas discriminés », son affirmation est bien rapide, s’il dit que l’ensemble de la société ne les discrimine pas il se trompe, s’il veut dire que l’Eglise ne les discrimine pas il se trompe aussi ; il ajoute « Ils doivent être respectés, ils doivent être accompagnés pastoralement », qu’il dise qu’ils doivent être « respectés » c’est une belle évolution de l’Eglise, mais s’ils doivent être accompagnés pastoralement c’est qu’il ne parle que de ceux qui sont restés dans l’Eglise catholique, ne néglige-t-il pas ceux que l’attitude de l’Eglise a fait fuir au cours des 40 dernières années en particulier (depuis les années ont du s’occuper seuls de se faire admettre et respecter par la société, sans que l’Eglise ne fasse rien pour eux) ? Il n’y a pas là de discours de l’Eglise, d’exhortation au monde (comme les papes savent les faire), pour que les homosexuels soient reconnus et acceptés dans l’ensemble de la vie sociale ; il ajoute : « Le problème c’est une personne qui a cette condition, qui a une bonne volonté et qui cherche Dieu. Qui sommes-nous pour la juger ? ». La question qui se pose là aussi, c’est que des conditions sont mises, il faut « manifester une bonne volonté », il faut aussi « chercher Dieu », outre qu’une latitude semble être donnée (aux fidèles ? aux prêtres ?) pour juger la bonne volonté et la recherche sincère de Dieu, il apparaît que tous ceux qui ne sont pas dans ce cheminement de foi, c’est-à-dire tous les homosexuels ordinaires qui ont déjà tant de difficultés à s’assumer eux-mêmes et à se faire reconnaitre autour d’eux, sont de fait exclus de son propos. Sans parler des homosexuels qui appartiennent à d’autres religions. Ces propos semblent essentiellement s’adresser aux prêtres qui peuvent en déduire que l’homosexuel qui « cherche Dieu » (et se tient « sans scandale » au cœur de la communauté des chrétien) mérite l’attention.

Reconnaissons qu’il va plus loin quand il dit : « Je pense que l’Eglise doit présenter ses excuses aux personnes gays qu’elle a offensées comme l’a dite récemment le cardinal Marx …L’Eglise doit présenter ses excuses… car l’Eglise est saint et les pécheurs c’est nous ! Nous les chrétiens devront présenter nos excuses de ne pas avoir accompagné tant de déchirures, tant de familles… Je me souviens de la culture de Buenos Aires quand j’étais enfant, la culture catholique fermée, j’en viens… ». Des excuses plus larges sont là, mais il faudra encore d’autres avancées afin que les propos soient compris, en que tant et tant de mentalités « catholiques » évoluent.

 

Des prêtres bien démunis face à leurs désirs

– Le père Defossa, professeur d’histoire et géographie chez les jésuites, est attiré par les jeunes qu’il rencontre, comme le rapporte Alain Montguers, ami de François-Régis, qui l’a eu comme père spirituel chez les jésuite, et le rencontrait souvent pour entretien et confession, Defossa lui a un jour touché la cuisse et passé sa main sous son short jusqu’au slip ; les relations entre Defossa et Alain Montguers se sont détériorées quand devenu étudiant celui-ci a été appelé à diriger un camp scout dont Defossa était aumônier ; Defossa aimait bien François-Régis, il viendra à l’Armande rencontrer ses parents, mais François qui se tenait à distance car il ne supportait pas son odeur de tabac, était sans doute moins joli que Montguers ; le père Defossa habitait dans une maison à l’écart du bâtiment du grand collège, sans doute les autres jésuites le tenaient-il à distance

– Des prêtres qui pensent qu’il est de leur rôle d’apprendre aux jeunes comment on fait des enfants (comme le père de Mauroy l’a fait avec François-Régis), de les alerter sur ce qu’est « la pureté » comme certains prêtres (dont le jeune père Perroy qui s’essaye à la confession – un peu trop poussée – des adolescents) l’ont fait avec Christian

– Les mêmes prêtres font réfléchir les jeunes sur ce que c’est que l’amitié ou l’amour ; ainsi le questionnaire sur lequel travaille un groupe de parole des Routiers de François-Régis vers 1966 (« Que mettez-vous sous ce mot « amour » amitié-camaraderie-tendresse-charité de Dieu-prise en charge de la vie d’un autre-amour de l’homme et de la femme ? » « La pureté est-elle composante de l’amour vrai ? ») et, bien sûr, l’alerte sur le dévoiement que serait l’homosexualité n’est pas loin (« Y-a-t-il des faux amours ? des amours encore infantiles ? L’amour vrai n’est-il pas le propre d’un être adulte, majeur ? A quels signes se reconnaitre capable d’un amour vrai ? »)

– En 2016, comme par « enchantement », un ensemble de témoignages viennent dévoiler des huis clos jusque-là bien cachés, en France aussi il y a eu de nombreuses violences exercées par des prêtres à l’égard d’enfants ou d’adolescents ; par une terrible coïncidence, c’est le moment où j’apprends que mon neveu  Cyril a été lui aussi victime d’un viol ; 30 ans, 40 ans  et parfois plus se sont écoulés pour que ces hommes, ou ces femmes, finissent par crier leur colère et demander la reconnaissance de leurs humiliation de la part d’une Eglise, un peu déstabilisée par un tel déferlement ; tout commence par l’affaire du père Bernard Preynat, prêtre du diocèse de Lyon, que le cardinal Barbarin n’a pas sanctionné à sa juste mesure, l’affaire remonte au temps du cardinal Decourtray et de Mgr Billé, mais il s’avère que ce prêtre est toujours en fonction dans une paroisse ; après avoir découvert que d’autres que lui avaient été victimes l’un des plaignants crée l’association La Parole libérée qui dès lors attirent d’autres témoignages à travers la France (60 adhérents et 40 victimes enregistrées en l’espace de 15 jours en mars 2016) ; on apprend que 5 prêtres soupçonnés ou condamnés sont désormais connus dans le diocèse de Lyon, que 60 hommes se sont fait connaitre comme ayant été abusés par le père Preynat ( l’un d’entre eux raconte : « Ma mère est allée voir Preynat, qui l’a convaincue de me laisser aux scouts. Preynat c’était Dieu. Et Dieu ne dit pas de mensonge. On croit le prêtre plus que l’enfant. ») ; Pierre, 59 ans raconte l’agression sexuelle qu’il a vécu à l’âge de 12 ans, en 1968, au collège du Sacré-Cœur d’Yssingeaux, dans la Haute Loire, Mme B. raconte « l’événement » de 1979-1980 au catéchisme de la Trinité à Lyon que lui a fait vivre le père Guy Gérentet de Saluneaux (condamné en février 2016 à l’âge de 61 ans pour agressions sexuelles sur 8 jeunes filles), un ancien prêtre de Narbonne, victime d’un religieux en 1966, lorsqu’il avait 11 ans, au petit séminaire de Toulouse, le religieux à la retraite ne sera jamais inquiété, ou encore une femme de 36 ans devenue « la proie » d’une religieuse dans une communauté religieuse de Rouen en 2002  alors qu’elle avait 22 ans

– En février 2019, le cardinal Barbarin est en procès pour n’avoir pas dessaisi le père Preynat et traité avec légèreté son comportement, le pape François réduit à l’état de laïc un cardinal archevêque américain (Mgr MacGarrick, plus de 80 ans), un film (de François Ozon) sort sur l’affaire Barbarin-Preynat, un livre (de Frédéric Martel) sort sur l’homosexualité au Vatican, et le pape ouvre une conférence internationale interne à l’Eglise sur la question de la pédophilie, cela fait beaucoup, car tout se cumule, au bout de longues périodes d’indécisions et d’attentes ; bien des débats se développent sur les raisons de cette situation, l’Eglise ne s’est pas elle-même engouffrée dans toutes ces impasses, par manque de lucidité

– L’une de ces impasses ne réside-t-elle pas dans l’abime qui s’est créé, entre des hommes cde 35-40 ans, célibataires, dans la force de l’âge, de leur nature et de leur désirs, dans un contexte d’évolutions considérable des mœurs et des libertés, des comportements et des lois (de la contraception au mariage pour tous, c’est-à-dire des années 1970 aux années 2010) confrontés – depuis toujours, mais dans d’autres contextes – à des garçons – ou à des filles –  idéalistes, confiants, disponibles, plein de testostérone (pour les garçons au moins), plein de désirs et désirables ; l’Eglise a été incapable de réfléchir à ce nouveau contexte, bien davantage préoccupée par d’autres sujets (manque de vocation, désertion des paroisses, etc.), or ces contextes de cohabitation-coexistence entre adultes et adolescnts sont de véritables bombes psychoaffectives pour des adultes qui ne sont pas formés ; elle en subit les dégâts avec violence

 

La doctrine qui se construit face à la montée de l’homosexualité

Le philosophe, maître en théologie, François de Muizon (homonyme de celui que j’ai connu), s’applique à contredire la nouvelle « idéologie » en 2010 : « Le recul du sens de l’identité sexuée (être homme ou femme) est indéniablement lié à une valorisation outrancière de l’orientation du désir sexuel (désir hétérosexuel ou désir homosexuel). L’identité de la personne est alors confondue avec le désir et notamment le désir sexuel dans sa dimension pulsionnelle, subjective aléatoire. Cette différence d’orientation du désir sexuel mise en avant a pour effet de masquer et de dévaloriser la seule véritable différence qui concerne l’identité sexuée, être homme ou être femme. L’identité sexuée fondamentale ne saurait se réduire à la simple et fluctuante orientation d’un désir. Les adjectifs « homosexuel » et « hétérosexuel » ne sont pas des substantifs. Ils ne concernent pas l’identité de la personne. Seul le fait d’être un homme ou une femme concerne l’identité de la personne. Dans les débats actuels, derrière les bons sentiments et l’argument politiquement très correct de la lutte contre les discriminations, il faut lire en réalité le symptôme d’une dangereuse indifférence à la différence ». Et « le concept étrange d’homoparentalité a été inventé pour faire exister dans le langage ce qui n’existe pas dans la réalité. Il laisse supposer qu’une filiation est possible et humainement structurante en dehors de la différence des sexes » … « Dans la rencontre et l’heureuse relation entre les sexes, le génie féminin et le génie masculin apparaissent et se révèlent en quelque sorte l’un face à l’autre, l’un par la grâce de l’autre » … « Nous n’avons pas le choix »… « Seule l’union d’un homme et d’une femme peut légitimement constituer un couple »

 

Les terribles révélations sur les comportements de prêtres et de dignitaires religieux

Ils ont la charge d’éduquer l’adolescent, de l’aider à s’assumer personnellement et intimement, ils font tout le contraire en s’octroyant un « droit de cuissage ».

Non seulement ils manquent à leur engagement de célibat et de chasteté, ils manquent aussi à leur rôle d’éducateurs, et ils se tournent vers leur propre plaisir en abusant de leur fonction d’autorité ; mais ils n’ont pas – ou  jamais – été formés à considérer que la sexualité du jeune homme est un élément de sa formation, ils ne savent pas que devenir bon en français, en maths ou en sport est aussi important que son évolution psychologique et sexuelle, et que pour beaucoup de ces jeunes, celle-ci est encore plus nécessaire, car elle est la condition de son équilibre psychologique et affectif ; et surtout ils n’ont jamais appris que l’homosexualité était tout aussi importante que l’hétérosexualité dans la conquête de cet équilibre affectif, leur homosexualité est un trou noir, aussi croient-ils qu’ils peuvent – sans dommage – l’imposer à d’autres ; peut-être ne s’agit-il pas pour eux d’homosexualité (« l’abomination » de la Bible), tout au plus de pulsions, si naturelles chez l’adolescent et pour cela si désirables, passagères et pardonnable (en confession) chez le prêtre qu’ils sont…

 

Vanté par Jean-Paul II le mouvement du Renouveau charismatique vit quelques soubresauts, en particulier la Communauté des Béatitudes dans les années 1990-2010. Le mouvement s’inscrit peu ou prou dans un mouvement  qui n’a rien à voir avec l’Eglise catholique (l’après mai 1968, le mouvement hippie ou encore l’étonnante dynamique des mouvements évangélistes), faire souffler un vent nouveau celui de l’exaltation, du chant et de la danse dans l’église, celui de la pentecôte (le Saint-Esprit, le don de guérison et le don de la parole en toutes les langues, la glossolalie), celui de l’affirmation de sa foi et du prosélytisme, tout cela s’inscrit dans le grand mouvement d’affirmation souhaité par Jean-Paul II à travers les JMJ (Journées mondiales de la jeunesse). Prêtres et laïcs sont souvent mis au même niveau, car les uns et les autres peuvent avoir des charismes, restent à les reconnaitre et les mettre en avant.

En 2002, la communauté des Béatitudes obtient le statut de droit pontifical ; elle est en 2011, reconnue par la Vatican. Mais au prix d’un contournement des excès commis par ses animateurs. Le renouveau important qu’incarne ce mouvement pour l’Eglise, les efforts qui sont fait pour le remettre en ordre, permettent de passer l’éponge sur ces excès. De 1977 à 2007, le frère Pierre-Etienne, très proche du supérieur Ephraïm (Gérard Croissant), sera mis en cause pour sa pédophilie pratiquée sur 35 enfants, en 35 ans, le scandale rejaillira sur l’abbaye de Bonnecombe, dans l’Aveyron, lieu de rassemblement communautaire. Le procès se tiendra en novembre 2011 avec 9 victimes partie civile seulement, pour cause de prescription.

Révoqué par l’évêque d’Albi en 2008, Ephraïm s’est enfui en 2007 au Rwanda à Kigali où il poursuit ses sessions de guérison. Réfugié dans les Landes en 2011, il dira : « J’ai changé l’ambiance des catholiques français ».  Il est lui-même mis en cause dans des relations illicites entretenues avec des religieuses. En 2011, il y a 150 prêtres et 400 religieuses et frères affiliés à cette communauté.

 

Les révélations sur des affaires de pédophilie se développeront en 2015-2016, elles concernent des années anciennes, souvent prescrites

A  Lyon, le 20 mars 2016, Bertrand Virieux, cardiologue de 44 ans, ancien scout de la troupe Saint-Luc du quartier huppé de Sainte-Foy-lès-Lyon, qui a fait l’objet d’abus sexuels du père Bernard Preynat, parle de 59 victimes déclarées du père Bernard Preynat dont 15 ont porté plainte ; il fait état du diabolique enchainement  du silence pour une victime face à une institution telle que l’Eglise, et, après avoir déclenché un fort mouvement avec l’association La parole libérée, ses parents le supplient de ne pas aller plus loin, à l’heure où les fidèles lyonnais font corps derrière leur cardinal-archevêque ; de son côté, alors que Mgr Lalanne, évêque de Pontoise, défend à Lourdes, lors de l’assemblée des évêques, l’imprescriptibilité de la faute morale qu’est la pédophilie, le cardinal Barbarin est contraint d’organiser sa défense, il confie ses intérêts au cabinet Vea Solis de Guillaume Didier ; Mgr Barbarin déclare : « Jamais, jamais, jamais je n’ai couvert le moindre acte de pédophilie » et précise qu’en 2006 un prêtre  a été condamné par la justice, une autre affaire a débouché sur un non-lieu, dans les 2 cas il ne leur a pas « redonné de ministère » ; le 23 mars Mgr Barbarin « demande pardon personnellement pour les dommages qu’ils (les prêtres mis en cause) ont causés en abusant sexuellement des enfants »

Le père Preynat, prêtre dynamique, aumônier au cours des années 1970-1980, du collège La Favorite dans la banlieue chic de Lyon, dynamique animateur pendant 20 ans du groupe scout de la paroisse (le groupe Saint-Luc), avec des camps en Corse, au Portugal, en Irlande, invité à déjeuner dans les familles en week-end, subitement muté en 1991. Des enfants se souviennent de ses mains glissées dans les shorts ou dans les duvets la nuit, accompagnées de « Tu es mon préféré, c’est notre secret ». Le père Preynat qui a reconnu de nombreuses agressions sexuelles, dit avoir informé ses supérieurs de son penchant sexuel dès ses années de séminaire, ses années de colonies de vacances à 16-17 ans les lui avaient révélé, il a suivi une psychothérapie en 1967-1968 ; ordonné prêtre en 1971, sa troupe scoute regroupe jusqu’à 400 enfants, il est très apprécié ; Bertrand Virieux dit avoir été appelé une dizaine de fois sur 6 mois, Pierre-Emmanuel, 36 ans, évoque une quinzaine d’épisodes lorsqu’il avait 11 ans, en 1991, Alexandre parle  de ses attouchements répétés de 9 à 11 ans, les parents de François réagissent en lui disant qu’il ne retournera plus chez les scouts et se font menaçant auprès de l’archevêque, Mgr Decourtray, en 1991, il est prié de partir dans la semaine ; jusqu’au 31 août 2015 il a animé la vie de 3 paroisses Neulise, Cours-la-Ville et Coteau. En août 2014, Alexandre accepte de rencontrer le père Preynat en présence d’une médiatrice, Régine M., l’entretien dure une heure et se conclue par un « Notre Père » en se tenant par la main, sans aucune demande de pardon ; sur l’insistance d’Alexandre, le cardinal Barbarin interdit à l’abbé tout exercice pastoral et tout contact avec les mineurs à compter du 31 août 2015.

 

En mars-avril 2016, comme par « enchantement », un ensemble de témoignages viennent dévoiler des huis clos jusque-là bien cachés, en France aussi il y a eu de nombreuses violences exercées par des prêtres à l’égard d’enfants ou d’adolescents ; 30 ans, 40 ans  et parfois plus se sont écoulés pour que ces hommes, ou ces femmes, finissent par crier leur colère et demander la reconnaissance de leur humiliation de la part d’une Eglise, un peu déstabilisée par un tel déferlement ; tout a commencé par l’affaire du père Bernard Preynat, prêtre du diocèse de Lyon, que le cardinal Barbarin n’a pas sanctionné à sa juste mesure, l’affaire remonte au temps du cardinal Decourtray et de Mgr Billé, mais il s’avère que ce prêtre est toujours en fonction dans une paroisse ; après avoir découvert que d’autres que lui avaient été victimes l’un des plaignants crée l’association La Parole libérée qui dès lors attirent d’autres témoignages à travers la France (60 adhérents et 40 victimes enregistrées en l’espace de 15 jours en mars 2016) ; on apprend que 5 prêtres soupçonnés ou condamnés sont désormais connus dans le diocèse de Lyon, que 60 personnes se sont fait connaitre comme ayant été abusés par le père Preynat ( l’un d’entre eux raconte : « Ma mère est allée voir Preynat, qui l’a convaincue de me laisser aux scouts. Preynat c’était Dieu. Et Dieu ne dit pas de mensonge. On croit le prêtre plus que l’enfant. ») ; Pierre, 59 ans raconte l’agression sexuelle qu’il a vécu à l’âge de 12 ans, en 1968, au collège du Sacré-Cœur d’Yssingeaux, dans la Haute Loire ; un ancien prêtre de Narbonne, victime d’un religieux en 1966, lorsqu’il avait 11 ans, au petit séminaire de Toulouse, le religieux à la retraite ne sera jamais inquiété ; ou encore une femme de 36 ans devenue « la proie » d’une religieuse dans une communauté religieuse de Rouen en 2002  alors qu’elle avait 22 ans ; Pierre, un haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, explique avoir été victime d’un prêtre, l’abbé Jérôme, du diocèse de Lyon dans sa jeunesse, à 16 ans, puis à 19 ans, lors d’un pèlerinage à Lourdes, la plainte déposée en 2009 a été classée sans suite, l’évêque indique que le prêtre vient d’être suspendu « jusqu’à ce que justice se fasse »…

 

A Chalon-sur-Saône, 27 avril 2016, ouverture du procès d’un ancien religieux de la communauté de Saint-Jean (les « petits gris »), Régis Peillon, frère Jean-François-Régis, 57 ans, accusé d’avoir agressé un mineur et un majeur de 46 ans, l’un au prieuré de Murat dans le Cantal en 2009, l’autre à Rimont en Saône-et-Loire en 2014 derrière les murs du siège de la communauté ; en 1991, les pères Marie-Dominique Philippe et Philippe Marie, cofondateurs de Saint-Jean,  avaient persuadé Régis Peillon que ses difficultés disparaîtraient  « ce qui comptait c’était mon désir de consécration à Dieu », il a vécu depuis 25 ans de vie monastique dramatique et de problèmes psychologiques; en 2007 à l’hostellerie d’Abidjan, il agresse plusieurs adolescents et jeunes adultes ivoiriens, en 2008 un jeune adulte, puis un mineur racontent les propositions faites à de jeunes adolescents sous prétexte de vérifier le développement de leurs organes sexuels, en 2009 il est exfiltré et renvoyé à Rimont ; cette affaire fait suite à 4 condamnations au cours des 4 dernières années, le 15 février 2012 à Angoulême le frère Luigi de Gonzagua, mexicain de 42 ans pour agression sexuelle d’un adolescent, rejugé le 12 novembre 2012 à Mâcon pour agression sexuelle d’un lycéen à Cluny en mai 2011 ; l’aumônier Jean-Dominique Lefèvre, 66 ans, a été reconnu coupable d’agressions sexuelles commises entre 1991 et 1999 contre 5 victimes en France et en Roumanie  par le tribunal du Puy-en-Velay en mai 2015, sa dernière victime a été une fillette de 6 ans, confiée au religieux par sa grand-mère ; en juin 2012 un frère qui devait être jugé aux Assises pour acte pédophile s’est suicidé dans le diocèse d’Orléans ;  le fondateur de la communauté en 1975, Marie-Dominique Philippe, décédé en 2006, s’appuyait sur son enseignement d’ « amour d’amitié » pour contourner le vœu de chasteté, et l’Avref (association d’aide aux victimes de mouvements religieux en Europe et familles) a publié en mai 2015 un rapport accablant sur ce concept ambivalent qui justifie en quelque sorte « tout type de relation physique quel que soit l’âge ou le sexe du partenaire considéré », en avril 2013 le chapitre général  a reconnu « des manquements à la chasteté » sous couvert de justifications doctrinales ; à l’été 2015 le Vatican a nommé un commissaire pontifical, Mgr Blondel, chargé d’enquêter sur le fonctionnement de la communauté.

La mise à disposition d’un système d’écoute par La Parole libérée, relayé par l’hebdomadaire catholique de gauche Golias et le journal internet Médiapart font remonter à la surface d’anciennes affaires :

– Mgr Tony Anatrella, prêtre, conseiller (consulteur) au Vatican pour la famille et pour la pastorale de santé, psychanalyste, 75 ans, enseignant au collège des Bernardins et au Centre Sèvres (des jésuites) à Paris ; les 1ers documents le concernant remontent à 2001 à l’archevêché de Paris ;  sur la recommandation d’un prêtre Fabien – 40 ans, il vit en Rhône-Alpes -, s’est rendu à son cabinet en juin 1997, été son patient pendant 14 ans, jusqu’en 2011, il a passé , il a vécu d’étrange thérapie faite de touchers à travers les habitats ou sur la eau et de masturbations, il en est ressorti brisé par des gestes impossibles à oublier, thérapie marquée entre 2010 et 2011 par 6 ou 7 séances spéciales, non payantes ; en 2006-2007, 3 jeunes adultes ont signalé avoir subi des abus sexuels dans ce genre de thérapies, un seul porte plainte mais l’affaire est classée en septembre  2007, les faits sont prescrits ou les victimes considérées comme « consentantes » : parmi eux Eric, ancien séminariste à qui Anatrella promettait de le libérer de son homosexualité, au bout de 4 ans en 1993 Eric a quitté Paris, il se plaint par courrier auprès de Mgr Lustiger, celui-ci le reçoit mais ne donne aucune suite à cette rencontre  ; le 25 septembre 2007, le juge ecclésiastique de Paris a répondu à une victime qu’il n’y avait « pas lieu d’ouvrir une procédure canonique » ; en 2016, deux autres victimes, anciens élèves du lycée Arago à Paris, ont témoigné  sur France 3, et un prêtre dominicain de Fribourg affirme être en contact avec une victime de Tony Anatrella ; en 1988 Mgr Anatrella a publié Adolescences, et progressivement adopte une ligne très conservatrice (sur l’avortement, le préservatif ou le sida), il publie Non à la société dépressive en 1993 (dans lequel il considère que la nazisme, le marxisme et le fascisme sont des idéologies de nature homosexuelle), en 2005 il inspire l’instruction du Saint-Siège interdisant l’accès à l’ordination des prêtres homosexuels (il écrit le 25 novembre 2005 dans l’Osservatore Romano que l’homosexualité est « comme un inachèvement et une immaturité foncière de la sexualité humaine »)

-Le père Dominique Spina a été condamné en 2005 à 4 ans de prison pour viol d’un lycéen de 16 ans à Pau, en 1994-1995 (devenu professeur d’histoire et géographie, celui-ci a 39 ans en 2016) ; après un séjour dans le diocèse de Bayonne, maintenu sous « surveillance » jusqu’en 2009, puis en charge de 7 paroisses du diocèse de Toulouse (c’est encore le cas en 2016)

-L’abbé Philippe P. de la Fraternité sacerdotale Saint- Pie X a agressé sexuellement Simon, 12 ans, le 20 juillet 1989 lors d’un jeu de nuit en camp scout en Vendée en l’encerclant de ses bras de façon intrusive, nouvelle agression après plusieurs tentatives violentes, après le catéchisme, sous sa tante ou dans sa voiture; Simon a saisi la justice, en vain, et témoigné dans le Livre noir de la Fraternité sacerdotale Sain-Pie X, édité par l’Avref (aide aux victimes de mouvements religieux en Europe et à leurs familles) ; le père P. restera en charge d’une troupe scoute à Conflans-Sainte-Honorine jusqu’en 2002 ; en 2009 Mgr Fellay, supérieur de la Fraternité,  évoque un éventuel suivi psychiatrique, Simon qui juge cela insuffisant porte plainte auprès de la Congrégation pour la doctrine de la Foi – dont dépend la Fraternité – au Vatican, un procès canonique a lieu en 2010 dirigé par Mgr Fellay, il est condamné, mais en appel aucune punition n’est prononcée, celui-ci quitte la Fraternité en 2014 ; d’autres victimes se sont manifestées mais Mgr Mazzotti, chargé d’affaire à la nonciature apostolique de France fait savoir qu’elle n’a « nullement l’intention d’intervenir » ; à l’église de l’Immaculée conception de Lyon, paroisse à tendance royaliste, un prêtre a été jugé pour corruption de mineur de 15 ans avant d’être blanchi en juillet 2015 (le prêtre ayant parlé d’acte sexuel consenti avec un jeune homme dont il ignorait l’âge), son remplaçant le père B. (bien connu dans la sphère royaliste, célébrant tous les 21 janvier la messe en l’honneur de Louis XVI, avec l’Action française) a été lui aussi inquiété, suspendu par Mgr Barbarin, soupçonné de pédophilie après des révélations du Figaro, Pierre – victime du père B. lorsqu’il avait 16 ans – a porté plainte contre Mgr Barbarin en 2009 ; des femmes sont aussi les proies de prêtres de cette Fraternité : en 2014 l’abbé Christophe Roisnel est mis en examen pour « viols, torture et actes de barbarie », la justice le suspecte d’avoir violé 3 enseignantes en 2010-2011 au sein de l’école ND de la Sablonnière (Yvelines) sont il était directeur, et Mme B. raconte « l’événement » de 1979-1980 au catéchisme de la Trinité à Lyon que lui a fait vivre le père Guy Gérentet de Saluneaux (condamné en février 2016 à l’âge de 61 ans pour agressions sexuelles sur 8 jeunes filles en 1989 et 2000), toutefois il officie pendant 30 ans (1970-2001) à la paroisse de la Sainte Trinité sans être inquiété

-le père Marcial Maciel, fondateur de la congrégation des Légionnaires du Christ, au Mexique, mort en 2006, accusé publiquement de pédophilie par des séminaristes ; la congrégation a connu de nombreux cas d’abus sexuels et de dérives sectaires, les abus sexuels ont été reconnus par les Légionnaires du Christ eux-mêmes dans un communiqué en 2010 ; Xavier Léger a témoigné dans Moi, ancien légionnaire du Christ en 2013

 

Aymeri Suarez-Pazos, président de l’Avref, ancien de l’Opus Dei, fustige ces « sociétés fermées qui se croient au-dessus des autres et qui prétendent sauver l’Eglise », il ajoute « concernant les abus sexuels, il y a des communautés où c’est structurel comme Saint-Jean ou les Légionnaires du Christ, si le fondateur est déviant et commet des abus sur ces fidèles, il y a souvent reproduction dans la communauté »

 

Quelle éducation ?

A partir de l’expérience vécue, mais aussi de toutes les méthodes éducatives repérables, des plus contraintes au plus laxistes, il ne peut être question de faire une proposition sur ce qui devrait être en matière d’éducation, surtout vis-à-vis de sujets aussi intimes que l’apprentissage de soi, de sa sexualité, de la découverte des désirs, de l’affectivité, d’autant que chaque parent est marqué par sa propre histoire, chaque enfant  est un cas particulier, et le dialogue entre l’un et l’autre est marqué par tant et tant de variations, il ne peut être question que de souligner des excès, des erreurs

Ce qui est sûr c’est que les homosexuels sont très souvent marqués par bien des erreurs éducatives, avec des parents qui sont très souvent à côté de ce qu’ils devraient être, et au fur et à mesure de l’avancement de la société et de ses mœurs, ces manquements de la part des parents sont de moins en moins acceptés et acceptables

Mais parler des erreurs commises à l’égard des adolescents découvrant leur homosexualité ouvre un immense champs de réflexion concernant les erreurs commises de façons plus générales, pour l’ensemble des adolescents ; le fait que ces erreurs se commettent de générations en générations en dit long sur l’intolérance qui se véhicule depuis longtemps, sur la valorisation de la virilité et de la masculinité, sur l’empire que prennent depuis si longtemps les parents sur leur droit à une descendance, à la perpétuation du nom, sur toutes leurs exigences à l’égard des normes, non pas celles liées à la discipline ou aux valeurs sociales et civiques, mais les normes qui concernent la vie intime, celles qui établissent leur emprise sur le vécu de chacun, sur la vie conjugale, celles qui contrôlent les relations affectives, et sur la vie familiale, celles qui régentent les conditions de la conception et de l’éducation

Le rôle de l’école est devenu important ; pendant des générations le rôle de l’école sur les questions de sexualité était négligé, et en même temps tout le monde s’accordait pour dire qu’il était essentiel, tout ce que les parents ne disaient pas ou ne savaient pas dire, les enfants l’apprenait peu ou prou à ou par leurs camarades de classes (voire l’école de la rue), leurs instituteurs, voire leur camarades de régiments, laissant ainsi les filles de côté, censées être informées par leurs mères, souvent bien mal renseignées elles-mêmes et démunies face à cette dimension « pédagogique » embarrassante, il y avait donc d’un côté les écoles privées marquées par les méthodes liées à l’internat et de l’autre l’école publique ; au cours des années 1970, devant les défaillances des familles, la question de l’implication de l’école dans l’éducation sexuelle s’est posée, le ministre démocrate-chrétien Joseph Fontanet a diffusé en 1973 une circulaire opérant un clivage entre information sexuelle obligatoire pour tous (centrée sur la reproduction) et éducation sexuelle, facultative et soumise à l’accord des parents, mais l’école publique comme l’école privée ne s’est engagée que lentement dans cette direction, faute de toute formation pour des enseignants, tout aussi embarrassés que les parents ; 40 ans plus tard cette éducation sexuelle a peu à  peu pris son essor, c’est ce qui a conduit le ministère à mettre en place dans le primaire les ABC de l’égalité qui ont été expérimentés dans 10 académies et proposés dans 275 écoles publiques à la rentrée 2013, mais aucun établissement catholique n’a été intéressé, ainsi 8 300 établissements sous contrat, en 2013, accueillant 2 millions d’enfants ne sont pas concernés par ces ABC de l’égalité ; l’école privée sûre de ses bonnes méthodes pédagogiques se bloque face à cette évolution, elle ne conçoit pas qu’on sous-entende que les parents de ces milieux ne sont pas meilleurs pour aborder ces sujets avec leurs enfants, elle ne souhaite pas que leurs enseignants puissent avoir un rôle là-dessus tout en comptant que ces mêmes enseignants les forment à une bonne morale, au bout du compte le principe est de n’y pas regarder de trop près, une bonne école, de bons enseignants, un bon milieu social et cela fera l’affaire, et à l’heure où internet joue un rôle majeur, l’école privée pense qu’elle fait au mieux ; le retour en arrière sur les éducations sexuelles, qui se sont produites malgré tout dans ces établissements n’est pas à l’ordre du jour, ni les expériences rapportées par les écrivains, ni le vécu des parents, encore moins les excès très nombreux abondamment rapportés par la presse dans de nombreux internats catholiques des pays occidentaux   ce sont des écarts malheureux et marginaux, en quelque sorte ici les choses sont sous contrôle et toutes ces expériences plus ou moins bonnes vécues par les uns et les autres sont des étapes normales d’initiation  à la vie, les écarts graves doivent être tus pour l’essentiel et cacher aussi longtemps qu’il est possible aux journalistes trop curieux (que ce soit les actes malheureux commis lors de bizutages, le viol du jeune fils de Villers par son frère plus âgé ou les scandales dans les institutions religieuses)

Mon père Xavier de Leusse parle de séjour de 4 années (de 1917 à 1921) au collège de Mongré, à Villefranche-sur -Saône, où il arrive, très vulnérable et naïf, exposé à la moquerie, après des années d’instruction solitaire auprès d’un précepteur « ce collège de Jésuites réputé dans l’aristocratie pour la qualité de ses éducateurs et la discipline qui y règne () enfant sans malice, ayant vécu sans petits camarades, je me sens perdu au milieu d’une bande de gamins de 10 à 12 ans dont certains sont d’une méchanceté maladive. 80 gosses en 3ème division. 2 ou 3 me prennent comme tête de turc et ne manquent pas l’occasion de me faire souffrir. Je suis sans défense et le surveillant trop jeune pour être psychologue n’y voit que du feu. » ; ce n’est pas l’heure d’une éducation sexuelle, mais c’est le temps d’un traumatisme peu propice à son épanouissement ; il en tirera l’enseignement que comme l’a fait sa mère avec lui, il peut se défaire du poids de l’éducation de ses enfants et faire toute confiance aux enseignants des écoles privées : « Et pour l’éducation de nos enfants, je les ai confiés à des professeurs de bonnes écoles libres : cela m’a suffi !… Les enfants sont en classe chez les Jésuites ou Mélizan et au Cours Notre-Dame de France. »

Après, se pose la question de quel établissement privé choisir, à Marseille le choix est plus limité dans les années 1980 qu’à Lyon dans les années 1910-1920 (où les frères et sœurs de Xavier sont répartis entre les Maristes, les Lazaristes, les Dames du Sacré-Cœur), Hervé Rousseau, mon beau-frère, qui a fait ses études chez Mélizan (école fondée par un laïc aidé de son fils du clergé séculier), préfère mettre ses fils chez Mélizan parce que dit-il – prenant sans doute argument de ce qu’il sait de moi – « les jésuites fabriquent des homosexuels » ; en tout cas ce que je pourrai vérifier c’est que les Jésuites, l’Institution Mélizan – tout comme les établissements publics d’ailleurs – ont tous, indistinctement, fournis leurs lots d’homosexuels…

  • L’éducateur, célibataire de surcroît, qui souhaite être au plus près des préoccupations de ses élèves, dans son souci d’aide à leur structuration morale se trouve face à un dilemme. Ce dilemme a été fort bien illustré – pour moi – par les textes littéraires sur lesquels s’attardaient le père Reiner, notre professeur de français en 3ème chez les Jésuites. Il lui fallait être au plus près du programme sans doute, il poursuivait l’enseignement des classiques, et il nous faisait surtout découvrir Sartre et Camus, mais aussi Gide (la Porte étroite), Mauriac (Thérèse Desqueyroux), Montherlant (La Ville dont le prince est un enfant, la Reine morte), leurs questionnements étaient « modernes », mais ils étaient inévitablement sulfureux. Le père Reiner n’était pas dans l’ambigüité, mais il était inévitablement dépassé par son sujet, entre péchés et passions, désirs, amours et amitiés. Malgré lui, il instillait les pistes, les voix, les choix qu’il tentait de contenir. Peut-être était-il lui-même dans la sublimation permanente ?

 

La question de l’épanouissement personnel de ceux qui choisissent la crispation à l’égard de l’homosexualité

  • De fait en édifiant un mur à l’égard de tout ce qui peu de près ou de loin évoquer l’interdit de l’homosexualité, nombre de ceux qui éprouvent des sentiments à l’égard de personnes du même sexe à un moment ou un autre, se construisent une carapace ; s’ils souffrent parfois de cette contrainte-là, ils la contournent avec courage, car en général ils s’en étaient déjà données d’autres, en particulier celle ne « ne pas convoiter » la femme – ou l’homme – d’autrui (comme dit l’Evangile), la fidélité dans le mariage est une barrière morale, elle s’est ajoutée parfois à la contrainte du mariage (il ne fallait pas rester célibataire, il fallait consacrer par le mariage une grossesse, etc.), la contrainte de n’accepter aucune inclination homosexuelle, n’en est qu’une de plus

Au-delà se pose pourtant la question de l’épanouissement personnel, la question de l’expression de ses désirs, la question du bonheur de vivre qu’on exprime et qu’on manifeste devant les autres ; une vie de contraintes permanentes n’est pas le meilleur chemin pour trouver son équilibre, dans sa vie personnelle et dans sa vie relationnelle

Et la sensibilité artistique, esthétique, est aussi très dépendante de l’ouverture qu’on manifeste à l’égard des agréments de la vie ; la sensibilité, la compréhension sensible des gens et des choses, voire l’intelligence, subissent les conséquences de cette amputation que construisent les contraintes morales et sociales qu’une personne s’est données

  • Ttt

 

Du côté des hétérosexuels

Il y a tous ceux qui vivent l’émergence de leurs pulsions sexuelles, quitte à les vivre de façon homosexuelle à l’âge de l’adolescence, comme le raconte Pascal Bruckner, dans Un bon fils, en 2014, il a 15 ans c’est autour de 1963, au collège de jésuites de Lyon : « Un continent s’ouvre devant moins. Je me rabats sur mes camarades, faute de mieux, et nous développons un érotisme de puceaux fait de branlettes réciproques qui n’engagent à rien mais procurent un soulagement provisoire. Nous nous saisissons mécaniquement, sans fioritures ni chichi, n’importe où, à l’étude, au réfectoire et même à la sacristie ; la semence jaillit très vite et nous nous rhabillons. Certains vont un peu plus loin et offrent l’asile de leurs bouches à nos jeunes ardeurs. Nous les méprisons mais nous avons recours à leurs services dans la plus grande discrétion. Un grand de terminale appelait cela « l’hostie spermatique » et le terme, sacrilège, nous fascine. Des millions d’adolescents, aujourd’hui encore, entrent dans la carrière amoureuse par ce biais et l’effacent ensuite de leur mémoire. A cet âge, il convient de se dévergonder à outrance et par tous les moyens : la pulsion l’remporte sur l’objet, la libido est un fleuve en crue. »

Celui qui s’attarde est déjà là, il est aussi objet de mépris ; Daniel Cordier raconte au même moment son regret infini de ces moments de désirs et de plaisirs, avant-guerre, avec celui qui était son ami le plus proche, et qu’il regrettera toujours ; et moi j’avais cru aussi dans les mêmes années que Bruckner découvrir les voix de mon bonheur dans ce que je prenais au sérieux, mais que les autres prenaient à la légère

 

Parent et homosexuel

La valeur suprême accordée au mariage s’accompagne de l’autre valeur suprême celle de la parentalité ; d’une certaine façon, seuls les couples mariés (hétérosexuels, cela va de soi) méritent d’avoir des enfants, le sacrement du mariage les aidera à être de bons parents

Je constate que la meilleure insertion des homosexuels dans la vie sociale a développé de façon considérablement le nombre de parents homosexuels parmi ceux que je connais ; dans les années 1980, parmi mes proches, homosexuels, Jacques Fortin qui avait un enfant presque adolescent, Sylvie Gaume avait un petit garçon, c’était les seuls cas que je connaissais, 30 ans plus tard ils sont nombreux à avoir des enfants ou à en vouloir, et ce ne sont plus des enfants d’une 1ère union hétérosexuelle, ce sont des enfants désirés par des couples homosexuels

Je crois que si je n’avais pas vécu toutes ces contorsions avant de pouvoir simplement assumer mon homosexualité, je me serais moi aussi, tout naturellement posé la question d’avoir moi aussi des enfants ; peut-être cela m’aurait permis de couper court à bien des sous-entendus désagréables, peut-être aurais-je pu aussi délivrer un autre « message » celui concernant la capacité des homosexuels d’éduquer des enfants de façon générale, mais surtout pouvoir me placer simplement comme un chainon familial ; mais pour cela il aurait fallu non seulement que je sois simplement accepté, mais surtout que j’ai ce projet de fonder une famille ; au lieu de cela j’ai consacré mon temps, et beaucoup de ma vie, à soutenir un combat qui permettent à tous ceux qui le souhaitaient de vivre libre, et, éventuellement, d’avoir des enfants…

 

Et ma sexualité dans tout ça ?

Une adolescence laborieuse, sexualité sublimée, sexualité autocentrée, impossible à épanouir car non partagée, non partageable

Quelques expériences « merveilleuses » et « interdites », ils s’appelaient … c’était…

Rencontre des corps, enfin, toucher un corps, partager une jouissance ; échange des masturbations surtout

Une sexualité débridée pendant une période (saunas, rencontres du GLH, pluri-partenariat dans une occasion…)

Pas d’attirance pour une sexualité « compliquée », non initié ? blocages divers ?

Je ne suis pas attiré par « la pénétration », je n’aime pas particulièrement être pénétré, une fois j’ai vécu à Paris, au retour d’un voyage à Londres avec des amis marseillais au début des années 1980, une belle rencontre avec un joli garçon qui m’avait tapé dans l’œil dans une boite une semaine auparavant, Pablo Rouy a été assez sympa pour nous hébergé, ce garçon adepte de la pénétration m’a fait connaître de beaux moments de jouissances d’un côté que je ne connaissais pas… mais je n’en ai pas tiré la leçon d’un désir de recommencer. Je n’ai pas non plus conçu de désir particulier de pénétrer quelqu’un. Le seul vrai souvenir que j’en ai, c’était au Cameroun en 1977 sans doute, où un garçon d’hôtel s’est offert à moi jambes écartées, allongé sur le dos, me présentant de façon explicite son choix et sa demande. Mal m’en a pris j’ai attrapé cette fois une blennorragie, et le médecin français que j’ai rencontré le lendemain n’a rien détecté d’autre que la nécessité de me circoncire, heureusement je revenais quelques jours plus tard sur le continent, j’ai pu y être soigné. Vraisemblablement mon blocage – s’il y en a un – à l’égard de la pénétration a dû être très vite alimenté par l’irruption du sida dans la vie homosexuelle.

Il est vrai que le sida a été globalement pour moi un facteur important de ralentissement sexuel ; au fond, j’ai vécu de 1978 à 1984 une vie sexuelle intense, après les choses ont changé, le temps des précautions et des préalables est arrivé pour moi comme pour bien d’autres d’ailleurs ; et le préalable du préservatif n’ayant jamais été ma tasse de thé, mon appétence pour des relations amoureuses plutôt chastes n’a fait que se renforcer

Ainsi, j’en suis resté au simple et déjà merveilleux, désir de caresser, toucher, embrasser, dormir côte à côte, corps contre corps.

Globalement une sexualité réduite, bien des exemples de sexualités diverses et débridées, compliquées (produits, positions, multipartenaires, fréquence) me seront connues par hasard de lectures ou de témoignages ; je ne suis pas dans la nostalgie de cela

Entrée en « religion » dans une relation spécifique avec Rémy, fin de mavie sexuelle assez rapidement

Pourtant toujours un éveil à l’émotion, à la beauté, une disponibilité à l’occasion qui peut se présenter (piscine)

Parfois une tentation de forcer le destin, avec une fille quand je me prétends hétérosexuel, pour essayer de la rencontrer, et quand je serai homosexuel assumé pour obtenir une faveur sexuelle (avec un amant), pour solliciter un garçon que j’ai tout d’un coup idéalisé et sur lequel j’ai jeté mon dévolu (fiasco)

L’âge n’est pas le temps de la nostalgie sexuelle, il n’est pas non plus celui de la résignation, il est plutôt une libération, satisfaction d’être enfin libéré de ce terrible désir sexuel qui aura tenaillé une bonne partie de ma vie

 

Mes trois maturations successives :

Elles ont chacune demandé du temps

M’admettre à mes yeux comme homosexuel : c’est le long combat que j’ai décrit

M’admettre désormais avec un autre homme : mes années d’apprentissage de la cohabitation avec un autre seront surtout des années d’échecs successifs, de tâtonnements, de mal être ; ma solitude si longtemps pratiquée, ma liberté si chèrement acquise… ; l’impossibilité de trouver un garçon avec lequel je m’entende au moins un peu, et puis où sont les garçons pour lequel j’ai suffisamment de désir et avec lesquels j’ai suffisamment de points commun ;  ces garçons que je présente à d’autres (hétérosexuels) et que ces autres imaginent (déjà) comme mon copain !; les années d’errances courent de la date de mon acceptation comme homosexuel à mon « engagement » pour une vie de couple, soit une quinzaine d’années

M’admettre comme « vivant » avec « ce » garçon-là, le hasard a créé la rencontre, mais la rencontre est comme d’autres rencontres, d’autres hasard sont possibles, pourquoi le balancier devrait-il s’arrêter là plutôt qu’ailleurs ? ; et ce Rémy, c’est tant et tant de choses différentes de ce que je suis ou de ce que j’aimerais, il y a sa « captation », son choix vis-à-vis de moi, certes, mais je mettrai longtemps à entrer dans le jeu, pourquoi lui ? et s’il n’est pas content, me reproche ceci ou cela, il peut sans problème aller voir ailleurs !

 

Grandes déceptions et grands bonheurs :

Une vie est tissée de bonheurs et de déceptions. C’est peut-être parce que je ne veux pas terminer par une note pessimiste que je mets en parallèle les bonheurs, mais c’est vrai qu’il me faut plus d’effort pour retrouver les bonheurs que les déceptions…

Les déceptions, c’est l’enfance au bout du compte pas très épanouie, heureuse sans doute, mais pas une enfance feu d’artifice qui m’aurait ouvert à toutes les potentialités de la vie, une enfance bien tenue, trop tenue ; ce sont les si nombreuses années perdues à ne pas se connaître, à se chercher, mal vivre, à ne pas vivre les petits et grands bonheurs des rencontres affectives et sensuelles, la découverte de ses désirs et en même temps de cette intelligence di cœur qui aide à mieux comprendre les autres, garçons ou filles, à mieux lire des textes, grands classiques, romans, parce qu’ils pouvaient parler à mon cœur en même temps qu’à mon esprit, ils auraient pu m’aider à mieux comprendre la société en me rendant mieux instruit et plus cultivé,  le manque de culture me semble étroitement lié au manque de vie affective ; ce sont les années perdues dans le mal-être dans un premier temps, puis dans une recherche éperdue et impossible ( ?) de rencontres, sans doute pas autant que tant et tant d’homosexuels qui prolongent cette quête au point de perdre leurs années dans les bars et la drague, mais quand même beaucoup de temps et d’énergie perdue ; lorsque le temps est venu de me stabiliser un peu c’était largement pour vivre un célibat difficile, les années de quête avaient abouti à  des séjours plus ou moins longs avec des amants, qui répondaient plus ou moins à mes attentes, certes des rencontres m’ont davantage marqué que d’autres ou plus longtemps que d’autres – et parmi celle-ci la première d’entre elles, avec André Jacquemart, comme souvent pour la première rencontre, surtout quand elle a été belle -, mais avec le recul je ne peux pas dire que j’ai gardé le souvenir impérissable ni le regret éternel de tel ou tel ; puis ma vie avec Rémy, à partir de l’âge de 45 ans environ (l’âge de mariage que m’avait prédit la radiesthésiste de ma mère Mlle Decours !) n’a pas été l’aventure et le bonheur que tant d’autres attendent de leur rencontre amoureuse, elle a plutôt été un choix rationnel, celle d’une cohabitation décidée et choisie à deux, un mariage de raison comme on disait autrefois ; la raison, la raison, toujours la raison, ma vie n’est pas une grande explosion affective, poétique, sensuelle, voyageuse, amoureuse de la nature et du sport, ma vie est un peu malgré moi, mais sans doute avec mon consentement une vie de calme et de raison ; je ne suis pas sujet au spleen, celui que j’ai ressenti souvent pendant mon adolescence, je ne vis pas avec le regret qui tenaille le corps, celui qui donne en permanence le sentiment d’une vie ratée, heureusement, mais de loin en loin le regret de ne pas mieux accueillir les autres, de ne pas mieux aimer tant et tant des bonheurs et des joies de la vie (nature, pays, spectacles, etc.), me reprend

Qui dans ma famille a vécu une belle histoire d’amour ? Qui a connu de vraies jouissances amoureuses ? Ni ma mère ni mes sœurs, hormis Odile sans doute et peut-être mon frère Louis, en tout cas aucun de mes autres frères ; chacun, hormis mes deux sœurs religieuses, a connu des moments qui laissent quelques nostalgies, qui donnent un peu de rêve et d’attirance pour les belles histoires, qui donne quelque capacité à écouter et à voir les désirs et les passions des jeunes générations.

Et pour ce qui me concerne je n’ai pas connu beaucoup de beaux moments de jouissance, en commençant tard, trop tard, je me suis déjà amputé de tant d’années de découvertes et de désirs possibles, de beaux moments et de belles expériences, de ces riches moments d’initiation et de ces beaux moments de construction

Difficile d’énumérer les bonheurs, il y en a eu beaucoup (belles histoires d’amitié, engagements multiples, magnifiques voyages, etc.) ; je pense au total qu’il faudrait plutôt parler de la chance que j’ai eu ; après le dur passage à vide entre 25 et 30 ans, je me suis reconstruit et j’ai eu la chance exceptionnelle que cela reste une « reconstruction » pour la vie, certes il y a eu des moments difficiles (une solitude qui a duré longtemps, des épreuves pénibles, familiales, sociales ou associatives), mais je n’ai pas connu de dépression, j’ai gardé toute ma vie de l’énergie et la confiance dans la vie, sans avoir ces terribles moments de doute qu’ont vécu certains de mes proches, anciens ou actuels, avec le sentiment d’être abandonné de Dieu en s’abimant dans la prière ; sans doute ai-je hérité cela de ma mère, toujours présente, toujours confiante, malgré une adversité qu’elle a dû vivre toute sa vie ; j’avais suffisamment d’autres préoccupations pour me sortir de moi-même de passes difficiles ; j’ai pu garder longtemps en tête les objectifs de ma vie, et rester sur mes choix d’origine, sans dévier beaucoup de ma route ; quand je vois tant et tant d’amis ou de proches qui sont décédés prématurément (du sida pendant longtemps et de bien d’autres maladies à des âges plus avancés), tombés malades, cassés par la vie et les épreuves, finalement c’est une chance d’avoir vécu ce que j’ai vécu (je dit cela à 76 ans, il faut encore voir la suite…) ; j’ai vécu 2 cancers, l’un pas trop éprouvant (du testicule), l’autre très éprouvant (du psoas), mais puis-je m’en plaindre quand dans tant de pays les services de santé sont défaillants alors que j’ai été si bien suivi ; souvent je me dis « j’ai de la chance, la vie est belle »

 

Frigide et réfrigérant

Au total je suis largement resté seul au cours de cette vie

Peu porté sur l’appétence sexuelle, même si inévitablement il m’a fallu me décider et « me » choisir, j’ai été confronté avec force à mes désirs, au cours de l’adolescence (ces années de castration forcée et choisie à la fois), puis à partir du moment où j’ai choisi de vivre mon homosexualité, à des années – un temps frénétiques – de rencontres de partenaires et de recherche de « celui » qui me conviendrait ; tout au cours de ma vie j’en rencontrerai beaucoup qui auront une vie bien plus débridée que moi ; il est vrai que ceux qui ont une vie sexuelle moins dense s’expriment peu et que j’aurai donc parfois une impression déformée. Les années sida ont fait tomber tant d’amis et de proches, je ne les voyais plus, tout simplement, et sans crier gare, ils étaient partis ; je les ai d’autant moins vus que lorsqu’ils étaient malades, ils se cachaient, chez eux ou déjà hospitalisés ; mon manque de vie affective, la faiblesse de mon entourage amical, m’avait rendu sans doute peu attentifs à ces amis qui n’étaient pas assez des « amis » pour que je sois attentif à eux et à leur évolution.

Quelque fois j’ai été exposé à des extravagances sexuelles, dans une sexualité de groupe, cela aurait du me séduire, répondre à certains de mes fantasmes ;c’est le contraire qui s’est passé, j’ai perdu tout désir dans ces occasions-là, quand je voyais la concurrence sexuelle à laquelle j’étais exposé (les plus désirables étaient pris d’assaut, je n’avais guère envie d’entrer en concurrence avec d’autres, je ne faisais pas partie ni des désirables, ni des solliciteurs effrénés), je battais en retraite et comme souvent mon raisonnement prenais le dessus sur mon corps, je me résignais, je m’expliquais à moi-même que ce désir-là n’étais pas le mien, etc.

Et sur le tard, je l’ai dit, j’ai été tôt heureux d’être libéré de cette libido envahissante

Réfrigérant, oui je crois que toute ma vie j’ai été peu ou prou réfrigérant ; rigide sans doute, n’exprimant pas mes désirs, incapable de les exprimer, ne désirant pas, etc. Bien peu de gens ont eu envie de venir à ma rencontre. Je me suis constamment barricadé, renforçant ainsi ma solitude. Pendant longtemps j’ai eu besoin pour garder ma dignité, plus exactement refuser qu’on puisse imaginer que j’étais « comme ça », faire face à ceux qui auraient pu croire que ; est-ce que c’est cela qui m’a joué un mauvais tour ? sans doute ; mais le fait que mon coming out fait, je n’ai pas su changer d’attitude, le fait est que j’ai passé mon temps à être dans la double face (sinon dans la double vie), la face gay celle qui me met à l’aise dans le milieu que je connais, et la face « straight » celle que je dois tenir ailleurs (dans la vie professionnelle, dans la vie sociale, en famille, etc.). Mais même dans la vie gay, j’ai été piégé par cette attitude réfrigérante, or c’est là que ma solitude était le plus pesante, je n’ai pas eu beaucoup d’amis, quasiment pas d’amis proches, de confidents et je n’ai pas su solliciter des amants, plus grave encore je n’ai guère susciter le désir des autres, me plaignant intérieurement d’avoir à « chercher » l’autre, il est vrai que certain de ceux qui m’ont sollicité ont subis de ma part quelques rebuffades, il est vrai aussi que l’âge avançant j’étais en quelque sorte soumis aux mêmes « peines » que les autres, le désir se portant d’abord sur les plus jeunes.

Peu porté vers la rigolade, mais aussi vers l’humour – quoique amateur de jeux de mots – nécessitant une certaine finesse et craignant l’ironie, il est vrai que je suis loin d’être quelqu’un d’amusant, encore moins de divertissant, sans être pisse-vinaigre, je ne suis pas quelqu’un qu’on a plaisir à inviter.

 

Incapacité de vivre sa vie librement, calmement

Education castratrice, attitude réfrigérante, timidité et accumulation des rencontres manquées, retenue continuelle, crainte d’être taxé de ceci ou de cela, blocage lié à mon homosexualité, etc. etc. tant et tant de choses qui peuvent expliquer non pas un mal-être mais un manque d’ouverture et de simplicité dans le contact.

Le fait est que je n’aurais pas su conquérir par moi-même le feeling, le sens du contact, l’ouverture nécessaire, la liberté, de parler, de converser, de m’approcher des autres, de me lier à eux simplement. Je n’aurais pas su dire mon désir non plus, ou plus exactement m’ouvrir à d’éventuelles relations humaines, voire affectives, voire sexuelles. Répondre au regard de l’autre, au sourire de l’autre.

Evidemment cette difficulté est là et me cloue un peu au sol lorsque cela concerne le regard ou le sourire d’un garçon.

Mes relations avec les femmes sont à la fois plus distantes et plus simples – selon les cas – par le fait que le désir ne risque pas de s’intercaler.

Ma construction affective a été une construction de protection.

Il est vrai que pour un homosexuel, il fallait tant et tant de garanties pour être sûr que l’autre était lui aussi homosexuel, afin d’éviter toute rebuffade macho (méprisante, ou peut-être violente) et plus dangereusement toute menace ou agression (les agressions était fréquentes sur les lieux de drague), tout chantage, tout chapardage d’affaires personnelles dans des lieux improbables, sans compter le danger lié au fait d’inviter quelqu’un chez soi (un ami Marc Dubin de Grandmaison s’est fait voler sa chevalière, un autre Jean-Robert Piquet s’est fait assassiné, mais ce sont 2 cas parmi tant d’autres)

Certes je suis marqué par cela, et j’ai appris comme tant d’autres à être sur mes gardes. Mais cela est loin d’expliquer ma construction psychologique.

A vrai dire je me suis gardé et protégé toute ma vie, au point de n’avoir jamais marqué beaucoup d’empathie à l’égard des gens, et souvent d’avoir marqué de la distance. C’était le cas quand jeune homme – j’avais 18 ans, sans doute, vers 1964 – j’encadrais avec Renaud Mouillac, des jeunes scouts (des rangers on disait depuis peu de temps, avec des chemises bleu foncé, pour les distinguer des plus grands les pionniers avec leurs chemises rouges), j’ai marqué d’une dure rebuffade l’attention qu’un ranger me portais. Il est vrai qu’il y avait là un autre élément qui pointait, celui d’un refus violent de l’éventuelle dimension homosexuelle de cette « attention ». Mais c’était aussi le cas, lorsque président du centre social Belsunce vers 2000 – j’avais plus de 50 ans – je parlais aux adhérentes et mères des enfants du centre aéré avec distance (un peu comme un homme politique qui dit son attention et fait des promesses) sans m’impliquer et sans chercher à comprendre vraiment leurs difficultés.

En cette fin dans années 2010 où j’écris cela, le catalogue est long de mes manques d’attention, d’ouverture et d’empathie. Je n’ai pas conquis de capacité à m’intéresser aux SDF et aux immigrés, même si parfois je donne une pièce, je n’engage pas le dialogue, je ne cherche pas à en savoir un peu plus, un peu rebuté à l’idée que ça pourrait me mener un peu plus loin. Je redoute – comme tant d’autre – de prendre un autostoppeur. Dans ces cas, je n’ai même pas ou plus, l’intérêt que pas mal d’homosexuels que je connais, qui poussés par leur désir, chercherait à enter en contact.

Dans tous les cas qui me sont familiers, je suis bon en empathie du discours, mais je ne vais pas beaucoup au-delà.

Aujourd’hui beaucoup de situations sont nouvelles, portées par les précarités, l’évolutions des modes de vie. L’homosexualité que j’ai connue est battue en brèche, ce n’est plus le combat politique pour les droits (de 1982, 1999 et 2013), les femmes et les hommes (lesbiennes et gays), c’est bien d’autres choses, la réalité est beaucoup plus complexe et les genres sont très divers. Et je ne suis pas « formé » pour l’appréhender, il n’y a pas de « formation » pour cela, il y a seulement – et surtout – une sensibilité à avoir, une sensibilité que je n’ai -dramatiquement – pas. Lorsqu’aux UEEH des années 2006-2007 sont apparus les transsexuel-les, puis les intersexes, j’ai su faire preuve de curiosité et d’attention, c’était des catégories nouvelles que je pouvais intégrer dans mon logiciel, je pouvais même les inciter à prendre leur place, leur expliquant combien je voyais un parallélisme entre leur combat et celui que les homosexuel-les avait du mené avant eux-elles. Et pour moi leur combat était bienvenu car il permettait aux gays et aux lesbiennes de sortit de leur affrontement mortifère. Mais lorsqu’en 2008-2009 une rupture s’est faite entre les homosexuel-les traditionnel-les et les nouveaux-lles arrivé-es, je me suis trouvé complètement marginalisé, incapable de comprendre cette poussée fondamentale. Il est vrai que l’UEEH s’est à partir de ce moment-là, marginalisée car cette rupture de front commun entre les anciens et les modernes, les a considérablement affaiblies. Mais là où je me suis, plus encore, trompé c’est que ce courant auquel ils-elles participaient était un symptôme important, porteur d’avenir. Et je ne le voyais pas. Ma cécité était culturelle (au sens où j’appartenais à une autre culture), mais elle était aussi liée à mon manque de sensibilité. Pour ne pas dire d’intelligence et c’est là qu’on voit que l’intelligence est d’abord compréhension du réel, attention aux personnes, ouverture à l’évolution sociale ; mon intelligence construite dans et par le rationnel me rend incapable de percevoir des choses sensibles.

Plus largement mon manque de feeling me rend peu accessible à bien des expressions d’affection, à la musique, à la poésie, à l’art et à bien d’autres choses, et d’abord accessible à mon propre désir.

 

Pas de grandes affections

Pas d’amis (plutôt la solitude)

Les principes politiques avant les sentiments

Si je reviens loin en arrière, à Mai 68, j’ai bien vu alors la liberté hétérosexuelle, mais cette recherche de la liberté amoureuse était celle des hétérosexuels et ne m’interrogeait pas assez profondément pour que j’arrive à me dire qu’elle pourrait me concernait (aucune homosexualité n’était visible qui aurait pu me toucher et, vraisemblablement, si elle avait été visible, je l’aurais repoussée avec force)

 

Aujourd’hui (grâce au fait que suis resté en contact des nouvelles générations, cela est au moins à mettre à mon crédit…), je suis entouré de trans, transgenres ou pas, en tout cas de nombreux-ses jeunes qui se veulent en dehors de toute binarité, la question n’est pas de savoir si on est fille ou garçon, si on est homosexuel ou pas (il est vrai que lorsqu’on a changé de sexe, qu’on aspire  en changer ou qu’on ne veut pas avoir de sexe défini, la question d’être ou de ne pas être homosexuel n’a plus guère de sens). Par exemple lors de la rencontre d’avril 2018 organisée par Mémoire des sexualités, les archives du mouvement homosexuel que j’ai collectées depuis 40 ans ont suscité chez eux-elles un grand intérêt. C’est à cette occasion qu’Adel(e) m’a demandé clairement d’arrêter de le considérer comme un homme.

Cette difficulté de comprendre cette question est pour moi révélatrice d’incapacités bien plus larges de comprendre beaucoup de gens, de situations et de choses de la vie. J’ai été formaté, et surtout je me suis surtout peu à peu formaté pour ne pas tout voir et tout accueillir.

Je croyais qu’en franchissant la barrière de mon blocage à l’égard de mon homosexualité à plus de 30 ans, j’avais fait l’essentiel, mais ce n’était que peu de choses puisqu’à partir de là je m’étais constitué un nouveau corset (réclamé selon moi par ma vie professionnelle et par mon idée de mon standing social), un corset qui m’a empêché de vivre pleinement cette homosexualité.

J’entre alors dans « l’uchronie » c’est-à-dire la recherche et l’approfondissement de ce qu’aurait pu être ma vie si j’avais plus librement vécu mon homosexualité, et plus encore si je l’avais vécue dès mon adolescence.

 

Peut-être m’a-t-il manqué un ou des engagements amoureux ? il est vrai que même là je ne voulais pas perdre pied, est-ce parce que m’accrochais aux branches pour éviter de me laisser aller ? je crois plutôt que c’était un effet de l’âge, plus jeune j’aurais connu de fortes histoires d’amour, susceptible de me chavirer, plus âgé je savais davantage ce que je voulais ou plus exactement je n’étais plus capable de lâcher prise. Cela m’a protégé de divers risques (drogues ? je ne crois pas trop, sida ? sans doute) mais cela m’a fait moins « vivre » que d’autres, moins connaître d’apothéoses et de jouissances.

 

Allons vers l’uchronie, les années qui auraient pu m’aider à naître normalement à mes désirs, ce sont celles de mon éveil sexuel. Evidemment j’en aurai entendu des vertes et des pas mûres, j’aurais entendu d’autres remarques que celles de Pïalet qui n’avait pas supporté nos jeux de touche-pipi sous la tente, mes amis de Muizon, Hardouin, Barkhausen m’auraient regardé comme un vilain canard (et peut-être laissé tomber), les pères Charon et Chomienne m’auraient grondé, peut-être aurais trouvé de nouveau amis dans ce contexte contrôlé et répressif, sans rien savoir mais en voyant mon évolution vestimentaire ou comportementale mes parents et frères et sœurs se seraient questionné. J’aurais sans doute fait – comme je l’ai fait – Sciences Po car c’était un bon moyen de quitter Marseille et ma famille, mais surtout j’aurais vécu tout autrement mes années d’étudiant, me découvrant plus vite, cherchant des lieux et des personnes correspondants à mes désirs, découvrant ma vie et ma voie. Mes années d’études auraient été toutes autres, sans nécessairement changer de parcours, sans nécessairement manquer d’assiduité à mes études, car j’aurais bien vu qu’il me fallait construire mon autonomie. J’aurais surtout construit mon autonomie et mieux (plus tôt ?) choisi mon avenir, grâce à des rencontres et des lectures qui m’auraient aidé à me connaître plus tôt et plus vite.

Mai 68 m’aurait happé, non pas superficiellement mais en profondeur, pas nécessairement politiquement mais affectivement, et tant de choses se seraient passées différemment. J’aurais été adulte plus vite, au lieu de rester un peu infantile et naïf. Mieux encore je n’aurai pas vieilli prématurément comme cela s’est passé quand je suis revenu à Marseille entre 1973 et 1978 (entre 27 et 32 ans, comme ceux qu’on appellera les « Tanguy », restant dans le giron de leurs parents). Bref, j’imagine que je serai devenu plus vite adulte, car plus sûr de moi, et mieux « construit ».

J’aurais découvert bien d’autres lieux que le Rocambole qui m’avait enchanté, vécu bien d’autres rencontres que celle avec le Réunionnais en Grèce, fait beaucoup d’autres voyages que celui de l’été égyptien de 1994, serré dans mes bras bien d’autres garçons que Claudio au Camping gay de 1979 et les autres jolis garçons qui m’ont fait craquer à Marseille dans les années 1980, je me serais laissé aller au Tchad en 1972-1973 lorsque des garçons me sollicitaient ouvertement.

Je suis resté bien sage au regard de ce que j’aurais pu et dû être.

 

 

Légendes et sainteté, croyances et foi

 

Pèlerinage à Notre-Dame de Grâces de Cotignac 

 

Ma sœur Odile a organisé des pèlerinages des mères de famille à Cotignac, dans le haut Var. Ma sœur Hélène s’y est rendue avec elle à une occasion, elles ont dormi sur la route à la belle étoile dans une propriété d’amis. Les mères de famille invoquent la Vierge pour leur donner un enfant et pour que les enfantements se passent bien. Des ex-voto en nombre témoignent de leur reconnaissance.

De la chapelle ND de Grâces, elles ont marché jusqu’au monastère des bénédictines de Saint-Joseph du Bessillon. Ma belle sœur Marielle est allée avec Odile une autre fois faire ce pèlerinage. C’était dans les années 1970-1980.

Il vaut la peine de s’attarder sur les raisons de ce pèlerinage. Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII a invoqué la Vierge de Cotignac afin que son mari lui donne un enfant. Le cardinal Richelieu n’avait de cesse d’inciter Louis XIII à honorer son épouse, ce ne fut pas chose aisée. Louis XIII n’aimait fréquenter que des hommes. Sous prétexte de manque de preuves concrètes, les historiens disserteront sans cesse sur les affinités électives de ce roi, prétextant bien des difficultés émotionnelles, liée à la mort de son père lorsqu’il avait 9 ans ou d’autres raisons. Mais l’attachement fort et continu de Louis XIII à Charles de Luynes, à Baradat, à Claude de Saint-Simon, puis au marquis de Saint-Mars, ainsi que son refus tout aussi continuel de fréquenter des femmes, à commencer par son épouse, nous apprennent tout autre chose.

Anne d’Autriche est revenue à Cotignac, avec le jeune Louis XIV, pour remercier la Vierge de lui avoir donné cet enfant, après 23 ans de mariage.

Louis XIII avait fini par craquer non pas par amour ou par désir, mais par contrainte, en 1637. Il fallait donner un roi à la France.

L’homosexualité de Louis XIII est évidente, mais il n’est pas question de le reconnaître, au mieux on reconnaît sa bisexualité.

Dès lors ce pèlerinage à ND de Grâces, ne lasse pas d’interroger. Il peut être analysé de plusieurs façons. De la plus simple, la Vierge priée par Louis XIII et ses proches a exaucé leur vœu, à la plus héroïque Louis XIII quoiqu’homosexuel a su dominer ses penchants, et en ce cas les homosexuels à sa suite doivent rentrer dans le rang pour « donner un roi à la France », quoi qu’il en coûte. Mais il y a d’autres interprétations possibles. Il y a l’imposture, trois siècles et demi plus tard on veut à toute force nier la question homosexuelle au point de nier l’homosexualité d’un roi. Ou pire encore on fait aux homosexuels un affront en les réduisant à une quantité négligeable, comme s’ils n’avaient pas à exister.

Ainsi un tel pèlerinage peut être interprété comme un piétinement du droit des homosexuels aujourd’hui.

 

 

Isabelle la Catholique destitue son frère en 1474

 

Le 11 décembre 1474, mort d’Henri IV de Castille (1475-1474), marié avec Blanche de Navarre, il est incapable d’accomplir son devoir conjugal

Au bout de 13 ans le mariage est annulé et la virginité tenace de la reine est mise sur le compte de maléfices ; Henri préfère la compagnie de jeunes Maures, venus du Maroc et de Grenade

On le marie une seconde fois avec Jeanne du Portugal, mais il est épris de Beltran de la Cueva et Jeanne est également sensible aux charmes de ce jeune homme grâce à quoi la reine accouche d’une infante

Isabelle empoisonne son frère Henri, dénonce l’infante comme bâtarde et monte sur le trône, Isabelle la Catholique fera brûler un grand nombre d’homosexuels en souvenir de son frère

 

 

Mes lamentations

 

Du côté d’Odile et d’Hervé, impossible d’y compter, trop de conflits familiaux nous séparent, à cela s’ajoute une bonne dose de mauvaise foi (on t’a toujours accueilli -sous-entendu quand ça allait à peu près bien entre nous – dit Odile).

 

La question se pose du côté de Louis et Marielle.

Avec l’incompréhensible absence de dialogue, de rencontre, d’échange

Qui transforme le tonton Christian en un inconnu, en un zombie, qui a ses « idées » pour éviter de dire son mode de vie intoléré dans notre milieu voire dangereux pour nos enfants

 

Marielle toujours très hostile à l’idée de l’homosexualité, ce qui rend impossible d’accueillir un beau-frère avec son conjoint.

Je peux la questionner sur ses enfants bien sûr, sur ce qu’ils deviennent. Mais s’il n’y a aucun retour sur « Et toi que deviens-tu ? » et encore moins sur « Que devenez-vous ? », quel échange est possible ?

Il y a bien eu des invitations à des baptêmes, des confirmations, des fiançailles ou des mariages. La « routine » de la vie traditionnelle et vertueuse, mais jamais des invitations pour deux personnes. Et encore moins des « Comment s’appelle-t-il ton ami pour que je puisse écrire son nom ? »

 

Louis qui s’écrase devant l’autorité de son épouse qui à la maison mène la danse. Louis qui n’a pas d’idée bien arrêtée là-dessus, qui surtout n’a pas de dialogue avec ses frères et sœurs et ne se pose pas trop de questions hors de son champ professionnel et familial.

Le « Tu peux venir quand tu veux » n’est pas « vous pouvez-venir quand vous voulez » il n’est pas non plus « Viens tel jour pour parler, pour manger », il est moins encore « Venez tel jour pour parler, pour manger »

Il a un tempérament très fermé, bien peu expansif, apparemment sûr de son point de vue et en même temps peu sûr de lui-même face à la puissance d’affirmation de son épouse.

Comme Geneviève entrée en religion, la coupure avec sa famille est nette. Il a une nouvelle famille. Mais Geneviève sur le tard, lors de la maladie se sa mère, et des nombreux problèmes de succession, a repris contact avec ses frères et sœurs, ce que Louis n’a pas jugé nécessaire de faire lorsque retraité, il a été davantage disponible.

 

Impossible de me montrer tel que je suis fasse aux enfants, on veut bien entendre parler de moi, de loin en loin, voire me rencontrer, mais amputé. Il y a quelque chose qu’on ne veut pas voir et dont on ne veut pas entendre parler. Toujours avec le sourire, car il n’y a pas de problème.

 

Cruauté

Déni

Négation

Ostracisme

Mise à distance

 

Incommunication

J’aurais pu, j’aurais dû prendre l’initiative, appeler

Mais comment faire quand des oukases ont été posés

Quand tant d’années d’enfance et d’adolescence ont été perdues pour échanger, écouter, se faire entendre

Ce qui a été manqué, ce qui n’a pas eu lieu, a été perdu

J’aurais pu, j’aurais dû. Mais pourquoi étais-je seul à me poser cette question ?

Dans un « échange » à deux, n’y en a-t-il qu’un qui ait à s’interroger pour prendre l’initiative ?

 

Rites familiaux

Ascendance – descendance

Filiation

Cercle familial

Tradition

Eglise

Rites et célébration

Morale

Sureté de soi

Tant et tant de choses qui n’ont pas été transmises par les proches (chants, culture, histoire familiale)

 

Le terrible amalgame

Pédophilie et homosexualité ne sont pas, depuis la nuit des temps, distingués, si bien qu’un homosexuel est et restera toujours un danger pour les enfants ; savoir qu’il y a un homosexuel dans la famille attire la méfiance, d’autant que la question de l’inceste rôde puis longtemps et qui est mieux placé qu’un homosexuel pour commettre l’inceste ? Le prêtre comme l’oncle hétérosexuel ne sont pas considérés comme à « risques ». Si en plus, l’homosexuel se revendique comme tel, il est sans doute évident qu’il est « dangereux ». Cet amalgame est éprouvant pour l’homosexuel, mais il est surtout absurde. En l’occurrence, c’est pour moi des années de mise à l’écart, tant que les enfants ne sont pas « grands », et lorsqu’il y a derrière eux des petits, l’exclusion dure 20 ans et plus. Et l‘absence de communication avec les enfants est « mortelle » pour entamer une relation normale avec les jeunes hommes et les jeunes filles, neveux et nièces en l’occurrence, recoudre des contacts qui n’ont jamais pu commencer à se tisser est difficile, voire impossible. L’amalgame a produit l’isolement, il engendre l’incommunication et bien d’autres choses qui vont avec (l’imagination travaille dans les têtes).

 

Le vilain petit canard

Je suis un peu le cochon noir de la famille, le canard boiteux, l’infréquentable…

Odile a pas mal de raisons de me laisser de côté compte tenu des affaires de succession, mais elle y rajoute depuis bien longtemps son blocage à l’égard de mon inclination sexuelle ; elle est toujours en limite de me manifester son rejet pour mon mode de vie et son « amour », plutôt théorique, parce que je suis son frère. Les occasions de rencontre sont déjà extrêmement rares compte tenu de sa rancœur familiale, elles sont encore plus hypothéquées par ma vie qui lui reste en travers.

Marielle de son côté n’a pas de raison d’être gênée par des querelles de familles (sauf cas exceptionnel quand elle juge utile de serrer la vis à Louis sur des questions financières), mais elle marque une limite nette et claire sur l’idée de contacts avec moi car inévitablement se pose la question de la présence de Rémy. Il n’est donc pas question de m’inviter chez elle, pas question de voir ses enfants (de crainte de quoi ? il n’est pas question de l’expliciter), pas question me solliciter pour participer à quelques rencontre ou réunion que ce soit, ni pour des évènements familiaux ni pour autre chose, pas question de venir me/nous rendre visite à La Ciotat. Rien n’est acceptable sauf de m’envoyer de loin en loin des photos de famille. De ce fait, j’ai eu très peu de contacts avec ses enfants quand ils vivaient en familles, mais plus durement – les contacts n’ayant pratiquement jamais établis – très peu de choses ont permis que je rencontre tel ou tel de ses enfants, ni même que j’ai des échanges avec eux sur des sujets d’intérêt commun car je n’ai jamais eu l’occasion de découvrir ce que pourrait être ces intérêts communs. L’assurance de tel ou tel de mes biens chez Louis a conduit à garder un fil ténu, professionnel en l’occurrence, avec tel ou tel de ses fils. Avec Pauline des contacts électriques se sont créées incidemment. La mort de Geneviève a été une petite occasion de contact avec Marielle et tel ou tel de ses enfants. C’est pratiquement tout.

Et Louis n’a rien fait pour tisser les liens, il n’a pas été facile de le rencontrer pour parler de questions familiales, il n’a fait aucun effort pour créer des contacts avec moi. Mal à l’aise avec Rémy qu’il a vu une ou deux fois, intimidé peut-être, en tout cas pas demandeur de créer le moindre contact. Il n’a jamais considéré que son rôle pouvait être de me faire rencontrer ses enfants. était-il tétanisé par Marielle ? Interdit de franchir ce cap ou plus prosaïquement incapable de voir que cela pouvait être utile ? Il est permis de penser que lui-même a complètement intégré l’idée de me mettre à l’écart, sans trop chercher à s’expliquer, à argumenter. Un jour il a prétexté « Il – ou elle – n’est pas dans tes idées » sans que je puisse savoir si c’était une question d’idées politiques ou que tout simplement dans son esprit ma vie homosexuelle était une question d’idée. Sur le sujet de l’homosexualité il a l’air d’avoir une certaine tolérance, il ne m’a jamais manifesté de rejet franc. En revanche il a à faire à une Marielle qui a des idées bien arrêtées.

Marie-Aimée n’a pas été en reste. Lorsque ses enfants étaient petits il fallait les tenir à l’écart d’Hubert d’abord, considéré comme malade psychiatrique il pouvait être plus ou moins dangereux ou au moins sa compagnie pouvait être négative pour des petits enfants. Il fallait aussi tenir Christian à l’écart, nous étions les deux canards boiteux. Pour moi la signification était plus précise et plus confuse à la fois, influence négative, danger, ondes pernicieuses, risque de perversion ? Pendant de nombreuses années il ne fallait pas que je rencontre ses enfants ? François-Régis bien peu influent, toujours resté en contact avec moi, ne comprenait pas, il s’efforçait de raisonner son ex-épouse, j’étais indésirable. Pourtant une fois où Marie-Aimée n’était pas chez elle, Anne-Claire a été heureuse de préparer le repas et Irénée de mettre le couvert pour moi. Une autre fois c’est au restaurant que j’ai eu l’occasion de voir les enfants, avec François-Régis, Marie-Aimée arrivée en retard a été mise devant le fait accompli, Puis une ou deux autres fois nous nous sommes retrouvés au restaurant, les enfants et François-Régis. Le parcours a été long, puis Marie-Aimée s’y est faite, les enfants avaient grandi.

 

Sortir du piège

J’ai voulu trouver une échappatoire. Rester en contact avec mes neveux et nièces, leur faire comprendre que j’existai, que je n’étais pas le fantôme, le paria, qui ne servait à rien, vivait sa vie de son côté, sans qu’on ait à s’en soucier, sans qu’on ait à s’en inquiéter. J’ai jugé que le mieux n’était de m’insurger (ni de me plaindre, auprès de qui d’ailleurs ?). Mais de communiquer sur ce que je savais le mieux faire – tant j’avais travaillé dessus pour comprendre d’où je venais et pourquoi – sur la famille qui m’avait construit, sur cette généalogie de grands-parents, oncles et tantes qui les avaient, eux aussi construits. J’ai envoyé mensuellement à tous les petits-enfants ce Xavier et Claude, des textes sur cette large famille de Leusse et de Reure, je les ai aussi envoyés à mes frères et sœurs à tout hasard. J’ai espéré que cela susciterait ou resusciterai des échanges avec ces neveux et nièces.

Le résultat a été maigre, pratiquement pas de réponse et de réactions, ils et elles ont mille autres choses à faire, et les histoires de famille sont loin d’être leurs priorités. Mais il n’a pas été inexistant, les liens se sont maintenus avec Nicolas, Lionel et Cyril, des liens se sont peu à peu renoués avec les enfants d’Odile, et si les enfants de Louis se sont bien peu manifestés, excepté Guillaume qui a manifesté son intérêt pour certains textes, il me semble qu’ils me situent davantage, et autrement, de façon un peu plus directe qu’à travers le filtre de ce que disent de moi leurs parents (que disent-ils de moi d’ailleurs ? leur silence avec moi est-il aussi un silence sur moi ?)

 

Bons points et mauvais points

Difficile d’être objectif quand on veut attribuer bons ou mauvais points pour des gens de son entourage…

Geneviève avant même d’être à la retraite, plus encore après, a consacré son temps à sa mère atteinte d’Alzheimer puis à son père ; elle a arraché ce droit auprès de son institut religieux qui l’avait toujours tenue à l’écart de sa propre famille

Odile a refusé de signer la conclusion de la succession familiale, laissant à l’Etat des sommes importantes, représentant ce que chacun des enfants aurait dû recevoir, ce qui lui revient lui paraît dérisoire au regard du préjudice qu’elle a subi (mais sans égard pour les préjudices qu’elle a fait subir à ses frères et sœurs)

Louis, enfin disponible car à la retraite à partir de 2019, n’apparaît pas, ne se mobilise pas dans le cercle familial lorsque le temps vient de regarder de plus près la situation de ses frères et sœurs, et en particulier de François-Régis (il n’a pas l’esprit de famille dit François-Régis), et de renouer les relations avec eux

 

Pour ne pas parler que de moi…

L’abandon des personnes âgées

Tant et tant de personnes sont parquées en EHPAD ou quelque peu abandonnées. Leurs familles n’ont plus guère de temps, de moyens ou d’espace pour s’en occuper.

Il est frappant de voir que si la personne âgée est homosexuelle, elle intéresse encore moins. Quand les liens de proximité ne se sont pas tissés avec elle lorsqu’elle était active, il y a aucune raison qu’ils se tissent lors du grand âge, elle n’a pas été comprise auparavant, elle ne l’est pas davantage après. L’empathie n’était pas là, elle ne l’est pas davantage. Une personne âgée n’intéresse plus grand monde, encore moins si elle était hors norme et sans enfant.

 

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Qui peut imaginer que j’ai choisi d’être homosexuel ?

Christian mai 2021

 

Ici ou là, il se dit que c’est moi qui ai fait ce choix absurde d’être homosexuel.

Il n’est pas inutile de regarder cela de près.

Quelle idée saugrenue aurait pu me pousser vers ce choix si péjorativement représenté depuis si longtemps ?

 

Compte tenu de l’accueil qu’on fait aux homosexuels dans notre société et dans nos familles, ce serait une idée bien dangereuse et suicidaire que de choisir cela

Compte tenu des condamnations que de multiples autorités, religieuses et politiques, ont proclamé contre cela au cours de l’Histoire, il était et serait encore absurde de prendre le risque d’être à ce point à contre-courant.

Compte tenu des blocages que cela induit chez tant de parents, c’est pour un adolescent et même pour un adulte se mettre en situation de fragilité ou prendre le risque d’être mis à l’écart

 

Il y a tant d’autres sujets de préoccupation dans la vie, ce serait bien malvenu d’en ajouter de nouveaux avec une histoire d’inclination sexuelle hors norme.

D’autant que ni la famille, ni l’école, ni l’Eglise, ni les lieux d’activités sportives, ni les cercles d’amis, ni les lieux d’activités professionnelles, ni la société en général ne font de cadeaux en ce domaine.

 

Bref ce serait la pire des bêtises de faire ce choix, d’autant que cela supposerait de contrarier sa nature et de vivre très mal son équilibre personnel.

Un hétérosexuel qui cherche à être homosexuel, c’est peut-être bien un moment, pour le fun et pour le spectacle. Mais ça ne peut pas tenir bien longtemps.

 

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Malgré toutes ces malédictions, il s’est passé que malgré moi, l’homosexualité m’est tombée dessus.

Avec toutes ces malédictions j’aurais pu me suicider. J’aurais pu prier sans cesse pour tenter d’être autre chose que ce que je suis

Mais il s’est passé que malgré tout cela, malgré aussi tous mes efforts pour me conformer à l’ordre moral et à la norme sociale, je n’avais aucune capacité à être autre chose, à être quelqu’un d’autre qu’homosexuel.

J’ai analysé dans tous les sens mon origine familiale, ma généalogie pour comprendre d’où je venais, pour voir si tel ou tel élément de mon héritage génétique pouvait expliquer quelque chose.

J’avais tenté bien avant de savoir si Dieu – ou le diable – avaient programmé quelque chose pour moi, organisé ma vie d’une certaine façon, prédestiné mon évolution.

Rien n’y a fait, j’étais toujours homosexuel.

A partir de là il a bien fallu que je fasse avec.

Il fallait surtout que plutôt que de me considérer comme condamné à être homosexuel, je fasse avec, simplement. Et le plus simplement, et le plus heureusement possible.

Il est arrivé un moment où il n’était pas la peine de me cogner la tête contre les murs, de me couvrir de cendres et de me confesser 50 fois, d’écouter les remarques désagréables en me culpabilisant.

Il me fallait réapprendre à aimer la vie, autrement.

 

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Les hétérosexuels n’ont pas choisi de l’être. Ils ne se posent pas tant de questions.

Ils vivent leur vie tout simplement.

 

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çà et là certains esprits malavisés se sont aventurés à faire un lien automatique entre homosexualité et pédophilie. était-ce une raison pour se culpabiliser d’être homosexuel ?

Bien sûr que non. La pédophilie est d’abord beaucoup plus répandue chez des hétérosexuels. Tout simplement parce qu’il y a beaucoup plus d’hétérosexuels que d’homosexuels. Les multiples scandales qui ont été révélés, en particulier au cours des dernières décennies, en sont largement la preuve.

Et les comportements inacceptables de certains adultes, religieux ou non, à l’égard d’enfants dont ils avaient la charge, n’ont jamais conduit à déterminer l’orientation sexuelle de ces enfants.

 

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Pour ce qui me concerne, j’ai été atteint dans mon intimité lorsque j’étais adolescent, par un ou des prêtres qui utilisaient un temps de discussion préalable à la confession pour me pousser dans mes retranchements à propos de mes éventuelles mauvaises pensées ou mauvaises actions. On les qualifiait de « pères spirituels ». Je n’ai pas été victimes de leurs actes, mais je garde de cette période de mauvais souvenir sur la liberté qu’ils se donnaient, sous prétexte de confession, d’entrer dans l’intimité de l’adolescent candide que j’étais.

Ils ne m’ont pas fait homosexuel. Bien au contraire tout leur discours était pour nous détourner d’une éventuelle attirance pour l’homosexualité. En revanche, ils m’ont traumatisé pendant de nombreuses années, au point de me bloquer dans ma vie relationnelle et affective.

Ils m’ont désorienté, au risque de me déséquilibrer, plutôt que de m’aider simplement à trouver ma voie.

Mais rien ne sert de revenir en arrière. Ce qui compte c’est de vivre.

Christian de Leusse

 

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