Lionel : la galère et l’accueil

La galère et l’accueil

2020 Sur cette photo de 1981 j’ai un sourire éclatant !

Né en 1962, j’ai 19 ans, je pèse 48 kilos, je suis dans un jean taille 36, j’ai de superbes cheveux, on pourrait croire que je suis heureux, mais…

En fait la veille je suis rentré chez mes parents Témoins de Jéhovah à Saulxures-lès-Nancy en Meurthe et Moselle (54). J’avais un suçon dans le cou.

Ma mère m’a demandé si j’avais une copine.

J’ai eu le courage, malgré l’incroyable lavage de cerveaux que nous avions dans cette secte

de répondre que c’était une jolie trace laissée par un jeune garçon dont j’étais amoureux : Jacky

Ma mère m’a dit « tu changes ta sexualité ou tu quittes la maison »

Pour faire court je suis parti avec quelques affaires dans une valise, heureusement j’avais une voiture -Fiat 131-

L’association le Refuge n’existait pas, j’ai vécu des moments compliqués, (squat, etc.  je n’ai pas envie de développer) mais avec mon obstination j’ai réussi dans ma vie. Professionnellement et amoureusement avec mon mari Behn.

Cela s’est passé en 1980 et malheureusement en 2020 il y a toujours des parents qui rejettent leurs enfants pour le même motif

Je n’ai pas choisi ma sexualité je l’ai juste acceptée.

2023  Ma rencontre avec ma belle-famille s’est faite  le 24 décembre 1983
Arrive la fin de l’année, Behn appelle sa maman Annie en lui disant qu’il viendra pour Noël mais avec un ami.

Dans un premier temps elle lui répond qu’il faut qu’elle en parle à Heinz, son mari, car Noël reste une fête de famille et on ne peut pas inviter des inconnus.
Behn lui fait comprendre que si sa demande est refusée il ne viendra pas.
Finalement sa demande est acceptée.
Chez cette famille, la fête de Noël est de haute importance. Toute la famille est présente. Evelyne, la sœur de Behn, et André son mari on fait le voyage depuis la Drôme.
Je fais donc connaissance avec Annie, la maman, Heinz, le papa qui parle avec un fort accent allemand, Véronique, Serge, Pascal, Thomas, Sabine, Benoît, les frères et sœurs que je ne connaissais pas.

Je fais connaissance aussi avec les femmes et maris de ses frères et sœurs ainsi que des petits enfants, à l’époque ils sont 4.
La famille compte maintenant 14 petit-enfants et trois arrières petit-fils.
Nous avons déjà célébré plusieurs mariages.
Je remarque des tableaux accrochés au mur qui sont de toute beauté et peint avec beaucoup de finesse.

En fait le papa de Bernard, en retraite maintenant, a fait l’école des Beaux-Arts ; il est devenu un artiste réputé connu. Il expose en France, en Allemagne et même aux Etats-Unis.
Heinz est dans la cuisine, il prépare des cuisses de grenouilles.
Je discute avec ses frères et sœurs qui me demandent si notre colocation à Nancy se passe bien, ce à quoi je réponds oui.
Une belle grande table est dressée, avec des décorations de Noël, un sapin décoré avec des sujets en provenance d’Allemagne trône sur le côté de la pièce avec à ses pieds un grand nombre de cadeaux, il y a beaucoup de bruit de conversations.
Je me sens à l’aise j’ai affaire à des gens issus d’un milieu plus aisé que le mien mais simple à la fois. L’apéritif terminé, nous passons à table.
Je suis installé entre Behn et Martine la future femme de Serge, le frère aîné de la famille.
Elle discute avec moi, on parle de nos boulots.
La famille aime parler de souvenirs, je ne comprends pas tout, le père « Dubuc » la mère machin, et tu te rappelles de ci de ça, et quand Pascal a pris da DS de papa et l’a mise au fossé, etc.
Les plats passent, le repas est excellent, festif, le père de Behn fume de temps en temps, il met ses cendres dans un gros cendrier en forme de main retournée qui se trouve devant lui.
De temps en temps, il se gratte la tête en disant « et oui mon vieux aïe aïe aïe ». Annie rigole des paroles de Behn qui parle de ses bêtises quand il était petit : le vol du vélo, les gendarmes, le petit séminaire, la mise en peinture de la cheminée sur le toit avec Thomas.
Soudainement, André son beau-frère dit à son père : « Il aurait pu être acteur, il faire rire tout le monde »
Behn rebondit : « Papa à une époque je t’ai demandé de me payer les cours Florent à Paris, te souvient tu de ta réponse ? » « Heu non »
A ce moment précis plus personne ne parle la pièce est presque silencieuse, les regards sont tous tournés vers Behn.
« Tu m’as dit : non je ne suis pas d’accord pour que tu deviennes acteur tu finiras sur le trottoir sans boulot et tu deviendras surement PD ! »
A part moi, qui suis plus qu’embarrassé, personne ne devine où Behn veut en venir …
Ben voilà, j’ai un truc à te dire papa, je ne suis pas acteur, j’aurais pu l’être j’en suis sûr, mais par contre je suis pédé et Lionel c’est mon petit ami depuis le mois de mai.
Le silence se fait entendre dans la salle à manger mais pas pour longtemps.
Évelyne, sa sœur chez qui nous avons passé une semaine dans le Drôme en juin, se lève et dit avec un sourire éclatant : « Mais alors quand vous êtes venu chez moi je ne savais pas, vous n’avez pas pu dormir ensemble ça a dû être dur ? »
Behn répond du tac au tac « Ta cabane de jardin doit pouvoir te répondre ! »
Fou rire général, on me souhaite la bienvenue, les discussions reprennent leur cours mais cette fois les questions sont plus précises.
Vous vous êtes rencontrés quand, comment, et avant ? etc.…
Au moment de la distribution des cadeaux, Behn informe sa famille que c’est le jour de mon anniversaire, et oui je suis né un 24 décembre avec une quinzaine de jours d’avance, ce soir-là j’ai 21 ans.
Annie et Evelyne fouillent dans les placards et elles arrivent à mettre la main sur des anciennes bougies d’anniversaire. Elles sont plantées dans la bûche et je les souffle alors que les autres membres de la famille applaudissent.
Mes parents n’ont jamais fêté mon anniversaire c’était interdit chez les Témoins de Jéhovah !
Décidément, quel accueil ça me change !
Depuis cette date, tous les ans à Noël, Evelyne à toujours pensé à mon anniversaire, sur la liste de course elle inscrivait toujours « des bougies pour Lionel »
Une bouteille de champagne fut ouverte, j’ai vu Annie récupérer le bouchon et inscrire dessus au stylo « première visite de Lionel ». Elle rangea ce dernier dans un tiroir du buffet de la salle à manger qui en contenait déjà pas mal.
Annie et Heinz sont devenus mes parents adoptifs.
A ces sœurs parfois curieuses, Annie répondait c’est mon fils adoptif.
A la maison, dans notre entrée, nous avons un dessin de Heinz dans un cadre. C’est en fait une carte de vœux pour l’année 1989.
Sur le recto, il a dessiné un Père Noel, moi et Bernard avec un micro. Nous sommes plantés devant l’homme rouge et blanc qui déclare de façon solennelle : « Autant célébrer la cérémonie nuptiale toute suite ! »
A l’intérieur il a écrit : « Chers enfants, Excusez les plaisanteries du vieux Bostonnien, mais il vous souhaite avec Annie la réalisation de vos rêves les plus fous et une bonne année 1989 Heinz + Annie »
Annie est partie au ciel la première Heinz l’a rejoint au cours de l’été 2011.
Nos parents sont morts.
Nous avons retrouvé dans les affaires de Heinz, une photo de nous deux avec Thibaut, notre neveux, fils de Thomas et Valérie sa première femme. Le petit a visiblement moins d’un mois et nous le regardons avec beaucoup de tendresse.
Heinz a écrit : « Ils aiment les enfants mais ça va pas être facile pour eux »