Le long combat pour la reconnaissance de l’homosexualité

Le long combat pour la reconnaissance de l’homosexualité

(article proposé pour le site internet de Tousego en février 2010)

I- Au niveau mondial

Un vécu continue au plus profond des sociétés qui se heurte, toujours et partout, à la crispation morale

1- Une vieille histoire (de la Grèce antique aux sodomites)

La Grèce antique marque les esprits, entre mythes (Sappho, Lilith, ou l’armée des femmes) et réalités (la pédagogie grecque depuis le temps de Socrate, les relations entre hommes libres et le bannissement des relations avec les esclaves, les élégies et les poèmes des plus grands auteurs). Par sa liberté de mœurs, Rome prolonge peu ou prou cette licence, seuls les dieux ne peuvent être offensés.

Le raffinement des civilisations chinoises et arabes a permis de donner aune vrai place aux relations homosexuelles, mais si elles étaient dissimulées derrière toutes sorte de paravents, liés aux harems, aux eunuques et à la poésie. Les poèmes d’Abou Nawas ont eu une renommée continue en terre d’islam.

Les anthropologues ont montré que dans les sociétés dites primitives, les options en matière de sexualité étaient extrêmement diverses.

Face à l’empire romain et ses débauches, l’Eglise catholique des premiers temps a mis en place des règles pour moraliser des relations entre sexes, afin de dépouiller de toutes impuretés la relation à Dieu. Les règles les plus draconiennes ont été mises en place d’abord en direction des monastères, lieu de tentations et lieux d’excellence pour les hommes et pour les femmes qui ont choisis de donner toute leur vie. Ces règles ont été peu ou prou imposées aux prêtres d’abord, aux laïcs ensuite. Mais beaucoup plus lentement car la diffusion de la morale a eu fort à faire dans les campagnes paganisées, les paysans ayant leurs propres croyances.

Au Moyen-âge, l’Eglise sentant qu’elle pouvait de mieux en mieux « tenir » le peuple, a provoqué des procès retentissants destinés à organiser la menace sur les pratiques païennes, ne respectant pas la fidélité, le mariage, la seule relation conjugale acceptable.

La contrainte mise en place par l’Eglise a été peu à peu relayée et prise en charge par les autorités civiles. Et quelques procès retentissants ont marqué les limites de ce que la société était prête à accepter.

 

2- Europe et Amérique aux avant-postes au niveau des principes et des conquêtes difficiles

A la fin du XIXème siècle de nombreux intellectuels posent de diverses façons et avec leurs mots la question homosexuelle, ils parlent de l’inversion, des hermaphrodites, de l’unisexe, etc. et un jour en Hongrie apparaît le mot « homosexuel » qui mettra du temps à s’affirmer.

An Allemagne et en Angleterre contrairement à ce qui se passe en France, la loi réprime l’homosexualité, Oscar Wilde – jugé en 1895 – et les proches du Kayser font l’amère expérience de la répression ou de l’opprobre. Mais le désir, le choix sexuel des « invertis » est plus fort, et un considérable mouvement souterrain de fêtes, de cabaret, de drague dissimulée se développe.

A Berlin, Magnus Hirschfeld développe ses recherches avant la guerre de 14 et met en place après la guerre un centre de recherche et de documentation qui devient exceptionnel, dont le nazisme viendra à bout en 1933.

En France, la loi ne réprime pas théoriquement, mais le contrôle social reste fort.

Aux Etats-Unis, à partir des années 1890 le monde gay est en pleine effervescence à New-York et si la situation est différente selon les périodes et selon les Etats, ni la religion, ni la morale bourgeoise montante, ni la morale véhiculée par le militantisme prolétarien ne peuvent empêcher l’expression des désirs qui se manifestent partout.

Après la guerre de 1939-45, le maccarthysme d’un côté, les tabous de l’après-guerre et de la reconstruction de l’autre construisent peu à peu un glacis anti-homosexuel, les homosexuels se cachent davantage en même temps qu’ils commencent à s’organiser de façon souterraine.

Au cours des années 50 se créent en occident des mouvements qui prennent en charge la défense des droits des homosexuels : la Mattachine society aux USA, der Kreis en Suisse, le COC aux Pays-Bas, mais aussi en Grande Bretagne ou en France (avec Arcadie).

C’est aux USA qu’apparaît la conscience d’être une force, avec l’incroyable explosion de Stonewall à Greenwich Village, à New York, les 27 et 28 juin 1969, face à la routine policière du contrôle des homosexuels. Cette prise de conscience va prendre peu à peu d’autres formes ailleurs.

3- Un monde extrêmement hétéroclite

Le monde d’aujourd’hui est très divers, il ne se réduit pas à une fracture entre les pays occidentaux et les autres, ni non plus à l’emprise d’une religion.

L’une des constantes qui marquent les 20 dernières années sont celle des crispations nationales (face à l’occident trop libéral, pour la morale sociale ou pour faire pièce à l’essor religieux) dans lesquelles la sexualité prend tout d’un coup une place : la Tunisie, le Maroc, l’Iran, l’Egypte, le Cameroun, le Sénégal, et certains pays d’Amérique du sud sont engagées dans un processus de stigmatisation de l’homosexualité, alors même que ces pays n’avaient pratiquement pas accordé d’attention à cette question dans les années antérieures.

La régression est particulièrement grave dans les pays qui, ayant décidé de rompre tout contact avec l’extérieur, ne supportent pas le moindre jugement extérieur sur la situation des droits de l’homme dans leur pays (Malawi, Zimbabwe, Iran, voire la Chine).

Les ex-pays de l’Est sont dans une contradiction très forte entre leur attrait pour l’occident et leur incapacité à évoluer rapidement sur les questions liées aux droits de l’homme, ils sont marqués par la religion ou par un nationalisme mal placé (Russie, Pologne, Serbie).

L’Afrique du Sud qui nous avait surpris avec les déclarations très ouverte à l’égard des homosexuels de Nelson Mandela au sortir de sa prison, a été incapable d’aborder rationnellement les questions liées au SIDA.

Dans les pays d’Amérique Latine les situations sont variables, mais les retours de flamme peuvent être extrêmement douloureux (ex. au Brésil). La Thaïlande apparait dans ce contexte d’ensemble de façon très particulière du fait de sa tradition de grande liberté sexuelle.

Certains pays ont laissé se développer toutes une frange de transgenres (Iran, Inde, Turquie) mais dans ces pays là la crispation moderniste ou religieuse tend souvent à contraindre les transgenres au changement de sexe, voire à contraindre les homosexuels à choisir entre changer de sexe ou revenir dans la norme.

L’ILGA créée à la fin des années 70 – sous le nom d’International Gay Association puis d’International Gay & Lesbian Association – et Amnesty International, depuis les années 90, jouent un rôle majeur pour faire connaître les situations de répression, intervenir auprès des autorités dans les cas les plus graves, offrir une écoute, intervenir dans les instances internationales, voire soutenir les Gay Pride interdites.

II- Au niveau de la France

Une maturation longue avec de nombreux allers-retours

 1- De la conquête révolutionnaire du code civil aux lois de Vichy

Même si les loi anti-sodomie du Moyen-âge ne sont plus guère appliquée, la sodomie est souvent utilisée comme un argument supplémentaire pour justifier la peine de mort.

Le Code civil mis en place par la Révolution, en 1791 – confirmé par l’Empire en 1810 – ne sanctionne plus les relations entre deux hommes, une ère nouvelle apparaît. C’est une différence fondamentale avec ce qui se passe dans les autres pays. Mais si la menace pénale est moins grande, la loi maintient ce « droit » dans des limites très rigoureuses. Et la morale religieuse joue un rôle important, renforcée au cours du XIXème siècle par la morale véhiculée par la bourgeoise montante, puis peu à peu par la morale prolétarienne.

Les femmes sont rigoureusement cantonnées aux contraintes du couple et de la famille. Une loi de 1920 assimile la contraception à l’avortement et à partir de 1942, avec le Régime de Vichy, l’avortement devient un crime d’Etat.

Plusieurs écrivains profitent de cet espace pour exprimer leurs fantasmes et leurs passions, le plus souvent avec délicatesse (leurs écrits les plus crus ne seront pas diffusés), de Proust à Montherlant, en passant par Gide, Cocteau, Jouhandeau, Max Jacob et d’autres.

Mais les lois de Vichy apportent un sérieux coup d’arrêt à ce qui apparaît comme une montée de la dépravation, au nom de la re-moralisation, et au nom du retour à la famille et au repeuplement de la France.

Arcadie nait en 1954 sous la houlette d’André Baudry, le nom officiel de l’association est le Cespala (Club littéraire et scientifique des pays latins), Arcadie est le nom de la revue du mouvement homophile de France. Un vendredi par mois son président prononce le discours d’accueil en ouverture de la soirée. Arcadie organise de nombreux débat et publie de nombreux textes, littéraires, moraux, esthétiques ou philosophiques.

Les mouvements militants qui apparaitront pas la suite critiqueront, parfois sévèrement Arcadie, certains adhérents le quitteront pour entrer dans ces mouvements plus jeunes et moins consensuels, et certaines personnalités – comme Françoise d’Eaubonne, Geneviève Pastre et Daniel Guérin – choisiront de réveiller Arcadie en soutenant les nouveaux mouvements.

2- De 1968 à 1982

Les événements de mai 68 jouent un rôle de détonateur pour la conquête des libertés, y compris sexuelles. Les homosexuels sont encore trop écrasés par la contrainte morale et le regard social pour en profiter, l’Ecole des Beaux Arts à Paris est toutefois une extraordinaire enclave de liberté où s’écrivent et se disent les premières révoltes. En revanche, après la conquête du droit à la contraception en 1967, les femmes crient leur rage avec plus d’assurance, les premiers jalons du mouvement de libération des femmes sont posés contre l’oppression sociale, contre l’oppression machiste.

Et tandis que le mouvement des femmes prend de l’ampleur, en 1971 le FHAR (front homosexuel d’action révolutionnaire) apparaît à Paris et dans quelques villes de province (dont Montpellier, Lyon, etc.). Il s’arrête en 1974. C’est un mouvement marqué par la révolte et la provocation, qui touche ceux qui se sentent une fibre homosexuelle mais n’arrive pas à les mobiliser, la pression sociale est trop forte encore.

Les très nombreux mouvements politiques qui se développent au cours des années 70, à la suite de mai 68 (trotskystes, maoïstes, PSU, régionalistes, féministes, etc.) jouent un rôle majeur pour débrider les esprit dans toutes les questions de société. Mais une tension se fait jour peu à peu entre l’idéologie moralisante que véhiculent ces mouvements et la soif de liberté individuelle, la priorité est toujours ailleurs : pour les uns la cause révolutionnaire ne souffre pas d’être perturbée par des considérations secondaires, pour d’autres la vie privée n’a pas sa place dans les combats sociaux. A titre d’exemple, en 1970 certains gauchistes n’hésitent pas à traiter les féministes de « mal baisées ».

Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, à partir de 1974, desserre un peu l’étau de la morale qui enserre la société française en descendant l’âge de la majorité de 21 ans à 18 ans, en inscrivant dans la loi le droit à l’avortement. Mais cette ouverture est limitée et ne se fait pas simplement.

En particulier, le droit à l’avortement est conquis de haute lutte par les mouvements féministes, une extraordinaire mobilisation se fait à travers les avortements clandestins pour le droit des femmes à disposer de leur corps. 343 femmes illustres signent un manifeste pour déclarer qu’elles se sont faites avorté, tandis que le Pr Lejeune et le mouvement « Laissez les vivre » s’opposent frontalement à leurs revendications.

Le Mouvement de Libération des Femmes est dès lors traversé de nombreux mouvements plus ou moins radicaux où les lesbiennes trouvent un espace pour s’exprimer.

A la fin des années 70, une extraordinaire efflorescence de groupes d’homosexuels apparaît se manifeste en France. Ils prennent en général le nom de groupe de libération homosexuelle (GLH), à l’image de ce qui s’est fait à Paris dès le milieu des années 70 avec le premier GLH, qui s’est éclaté en plusieurs groupes à dimension plus ou moins politique (ex. le GLH Politique et Quotidien) ou plus ou moins localisé (les CHA, comités homosexuels d’arrondissement).

En juin 1977, se tient la toute 1ère Gay Pride française, à Paris, mais 6 mois plus tard le ministre de l’Intérieur fait interdire la presse gaie qui fleurit peu à peu (Gaie presse, In, Andros, Dialogues homophiles, etc.).

Une quinzaine de GLH apparaissent dans divers villes ; à l’initiative du groupe des homosexuels de Lyon, Interlopes, plus ancien que les autres et qui, de ce fait, réalise un peu la jonction entre le FHAR et les GLH, ils sont réunissent près de Lyon en novembre 1978.

Juste avant, au cours de l’été 1978, s’était tenu un séjour de vacances qui avait rassemblé des homosexuels venant de toute la France, sur un projet de journal.

C’est un peu le point de départ du mouvement homosexuel national.

Dans les mois qui suivent sont lancées plusieurs initiatives : en particulier l’Université d’été homosexuelle de Marseille, le Comité d’Urgence Anti-Répression Homosexuelle, le journal Gai Pied, la revue Masques.

En avril 1981, alors qu’environ 10 000 homosexuels manifestent à Paris, première manifestation d’une telle envergure, François Mitterrand candidat aux élections présidentielles déclare son accord pour que l’homosexualité ne soit plus un délit.

Suite à son élection, pour la 1ère fois on parlera d’un vote gay.

3- De 1982 à 2010

Dès 1981, Gaston Defferre, ministre de l‘intérieur, reçoit les représentants du CUARH et décide la limitation du fichage homosexuel et des contrôle d’identité sur les lieux de drague. Par la suite, plusieurs lois et décrets implicitement discriminatoires sont toilettés (comme par ex. la mention de « bons pères de familles » sur les baux).

En juillet1982 marque une étape importante avec l’abolition de la pénalisation les relations homosexuelles loi mise en place par le régime de Vichy (l’alinéa 2 de l’art 331 du code pénal).

Les années qui suivent sont marquées à la fois par :

  • le développement du mouvement homosexuel (les journaux militants comme Gai Pied, Lesbia, Homophonies se développent, les associations se diversifient : lesbiennes comme le MIEL, politiques comme Homosexualité et Socialisme, ou « provinciales » dans de nombreuses villes)
  • l’apparition du SIDA (48 cas recensés en déc. 1982) et la naissance des associations de mobilisation contre cette maladie (association AIDES créée en octobre 1984)
  • le développement du milieu commercial gay (saunas, boites de nuit, bars, restaurants), cette période commerciale est symbolisée par David Girard

 

Mais le mouvement militant homosexuel est peu à peu mis à mal par les divers coups de boutoir qui brise sa dynamique :

  • la liberté est acquise est-il besoin de militer davantage ?
  • le SIDA porte un coup très sévère à toute une couche des militants les plus actifs et nombre d’entre eux sont mis en porte-à-faux dans leur réclamation de liberté
  • l’essor des commerces gays leur paraît contredire plus ou moins radicalement leur démarche militante

 

La 2ème partie des années 80 est celle du reflux sévère : le SIDA devient de plus en plus envahissant (4 458 cas cumulés de SIDA recensés fin 1987 ; décès de nombreuses personnalités dont Michel Foucault, Rock Hudson, Thierry le Luron, Jean-Paul Aron, Guy Hocquenghem, puis au début des années 90 Hervé Guibert, Michaël Pollak, Cyril Collard ; création d’Act Up en juillet 1989 ; l’affaire du sang contaminé transfusé aux hémophile donne un tour encore plus dramatique à cette situation), les Gay Pride ont de plus en plus de mal à mobiliser, au point qu’il n’y a plus personne pour l’organiser à Paris comme dans d’autres villes…

 

Une association, les GPL (Gay pour les libertés) a bien lancé l’idée d’un « partenariat civil » à la fin des années 80, l’Assemblée nationale est saisie de propositions de loi sur le contrat d’union civile au début des années 90, mais le temps de la remobilisation militante n’est pas encore venu. C’est plutôt la Journée mondiale de lutte contre le SIDA qui rassemble dans le recueillement, tandis que AIDES regroupe quelques 3 600 bénévoles (regroupés en 31 comités régionaux présents dans 99 villes).

Pourtant l’espoir et la rage se conjuguent, et en juin 1994 près de 20 000 personnes participent aux 25 ans de la Gay Pride à Paris, et 60 000 lors de la Gay Pride de 1995.

En 1997, Didier Eribon organise au Centre Beaubourg le 1er colloque français sur les études Gaies et lesbiennes. Les Gay & lesbian studies se sont développées aux USA, la France est à la traine, ce colloque est l’occasion d’entendre des chercheurs américains et de voir apparaître les premiers chercheurs français.

En 1995, plusieurs maires acceptent de délivrer des certificats de vie commune, l’idée d’un contrat d’union accessible aux homosexuels est en marche.

Un comité pour le contrat d’union civile se met en ordre de marche au niveau national, animé en particulier par 2 anciens animateurs du CUARH (Jan-Paul Pouliquen et Gérard Bach), il fait un travail de sensibilisation auprès de la classe politique, auprès des mairies et auprès des homosexuels, l’association AIDES apporte son soutien au projet.

Il faut attendre le retour de la gauche au pouvoir pour obtenir le vote du PACS, en 1999.

 

Les années 2000 sont marquées la diffusion des trithérapies pour les malades du SIDA, ce qui permet, malgré les contraintes qu’elles imposent, un retour décisif des personnes atteintes à une vie presque normale. Les associations de prévention et de lutte contre le SIDA vont dès lors connaitre une démobilisation militante, en revanche une nouvelle vie associative se développe de façon importante dans de nombreux domaines : éducation, sensibilisation et lutte contre l’homophobie (comme SOS Homophobie, le Collectif contre l’homophobie ou le RAVAD), fédération associatives (Interpride, fédération des centres LGBT), sensibilisation sur les questions internationales (groupe LGBT d’Amnesty International), renaissance des universités d’été de Marseille, associations sportives et de loisirs (des Rando’s aux Front Runners, en passant par les nageurs et les voyageurs), associations communautaires (arabes, black ou asiatiques), nouvelles groupe de travail et associations politiques (comme les commissions mises en place chez les Verts ou au Parti communiste, ou comme Gay Lib ou Centre égaux), festivals de cinéma, débats sur les diverses thématiques touchant le milieu LGBT, rencontres avec les écrivains, batailles pour le droit des couples franco-étranger (ARDHIS), associations lesbiennes autonomes ou en liens avec les combats féministes, développement des mouvements transexuels, transgenres et intersexes… Et de nouveaux média apparaissent (Têtu, Pref, etc.) tandis que les sites internet et les lettres automatiques diffusées par internet se développent de façon considérables. 

III- A Marseille

Une construction à la fois pionnière et chaotique

 1- De1978 à1987

Avant 1978, un petit groupe se constitue autour du journal alternatif marseillais La Criée qui –jouant un peu le rôle de diffusion de l’information par petites annonces que joue au même moment Libération – favorise ce 1er regroupement. Il est le lieu où se forge l’idée du Groupe de Libération Homosexuelle comme il en existe à Paris.

A Aix-en-Provence, un groupe dont la démarche est à la jonction du FHAR et des GLH à contenu plus politique, s’est constitué, la Mouvance Folle Lesbienne. Il ouvre un local de convivialité en centre ville, l’Eventail, et présente des candidats aux élections municipales de 1977. Patrick Cardon est l’âme de ce mouvement.

Le GLH de Marseille fraîchement apparu (officiellement CORPS, club ouvert de recherche sur la sexualité) organise en 1978 le 1er festival de cinéma homosexuel, puis les 1ers débats avec Dominique Fernandez et Edmonde Charles-Roux, à l’été 1979, il organise la 1ère Université d’été homosexuelle qui est d’emblée un grand succès, les animateurs importants du mouvement homosexuel naissant viennent de toute la France.

Ils décident la création d’une coordination nationale dont le premier objectif est d’obtenir l’abolition de législation discriminatoire, l’article 331 du code pénal. Le Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CUARH) est fondé à Marseille, lors de ces UEH.

Le GLH est un ferment de vie associative important, il a un local, des activités diverses débats, repas au restaurant, fêtes, etc. Ce qui se passe à Marseille attire les médias : la télévision (Antenne 2) vient filmer le groupe et Paris-Match vient filmer le bal des UEH.

Cette dynamique du GLH de Marseille le conduit à reconduire les UEEH tous les 2 ans, en 1981, 1983, 1985 et 1987.

Toute l’équipe du GLH se consacre à la réussite de ces UEH qui se tiennent d’abord en centre ville, puis sur le site de Luminy, avec hébergement en chambres d’étudiants du CROUS pendant une semaine en juillet. Les activités, très variées, se partagent entre animations d’ateliers (danse, cinémas, massages, théâtre, spectacles…), séminaires et débats. Le souci de la mixité est constant, il ne parvient jamais pour autant à la parité.

La question du SIDA apparaît dans le cadre des UEH en 1985, avec la présentation de la création de AIDES.

En 1987, se tient la dernière UEH, le SIDA prend alors une place importante au niveau national et Marseille le GLH porteur de ces UEH va lui-même s’effondrer.

D’autres associations existent, une association de lesbiennes plutôt discrète, ou encore David et Jonathan soucieux de ne pas trop se montrer pour ne pas gêner parmi ses adhérents les homosexuels catholiques respectueux de la hiérarchie religieuse.

Depuis 1984-85, AIDES Provence, en revanche, regroupe de plus en plus de bénévoles, ils suivent une formation, ils visitent les malades, font de la prévention, et Thierry Gamby, médecin, leur président leur fait tous les vendredis soir une conférence d’information sur les aspects médicaux.

2- De1987 à 1994

Pour les homosexuels marseillais, ce sont les années terribles. Il y a bien sûr les lieux commerciaux (la Mare aux Diables, le Cancan) qui ont bénéficié des années d’effervescence, mais sont plutôt réfractaires à l’idée de mettre des préservatifs à disposition de leurs clients, leur 1er mouvement est de ne rien faire qui risque d’effarouché leur clientèle fidélisée depuis tant d’années.

Le GLH a disparu, il n’y a plus d’université d’été homosexuelle.

Tant bien que mal des anciens du GLH organisent des débats avec des personnalités (Henry Maurel animateur des Gay Pour les Libertés sur le projet de partenariat civil, le 1er adjoint de Robert Vigouroux, un membre du cabinet de JC Gaudin à la Région, un des leaders des Verts à Marseille, etc.).

L’association Mémoire des Sexualités choisit de construire une jonction entre des hétérosexuels et des homosexuels en organisant un colloque « Mémoires et sexualités » en 1989 et de nombreux débats publics (à la FNAC, au Musée d’Histoire, à la Faculté Puget) avec Alfred Spira, Willy Rosenbaum, Françoise Héritier-Augé, Michelle Perrot et d’autres personnalités.

Mais la polarisation principale se fait autour de AIDES Provence, le nombre de personnes atteintes du SIDA se fait de plus en plus grave et les bénévoles sont de plus en plus nombreux au fur et à mesure de l’extension de la maladie, les proches se sentent concernés, les visites aux malades, les actions de prévention, la mobilisation au niveau national auprès du gouvernement, de l’Agence Française de Lutte contre le SIDA, la formation des bénévoles, tout cela fait que AIDES Provence joue un rôle important. Alain Molla, avocat, a succédé à Thierry Gamby à la présidence du comité local.

Des comités se créent dans d’autres villes à Aix en Provence, à Nice, à Nîmes.

AIDES ne se veut pas communautaire, elle ne souhaite pas afficher une visibilité homosexuelle particulière, cela n’empêche pas qu’une prévention attentive aux homosexuels, dans leurs lieux de rencontre se mette en place. Mais cela ne satisfait pas un noyau de gay militants de la prévention qui veulent plus de visibilité en direction du public le plus concerné. Les uns choisissent de quitter AIDES pour créer SPGP (Santé et Plaisir Gay Provence) destiné à mêler prévention et rencontre homosexuelle, sur le modèle de ce qui se fait aux USA et à Paris, ils organisent des « jack off partys » (rencontres sexuelles dans lesquelles les participants s’engagent à ne prendre ou laisser prendre aucun risque à leurs partenaires).

D’autres obtiennent la création du groupe gay de AIDES.

3- De1994 à 2010

Au début des années 90, le contexte est un peu différent, les recherches thérapeutique sur le SIDA commencent à porter leurs fruits et le mouvement homosexuel recommence à exister.

A Marseille, plusieurs petites associations existent discrètement, d’autres apparaissent : David et Jonathan à contenu confessionnel est là depuis longtemps, le CEL (Centre Evolutif Lilith) regroupant des lesbiennes se crée, un petit noyau de juifs homosexuels apparaît avec Or Hadarom. Avec SPGP, le groupe Gay de AIDES et Mémoire des Sexualités, ils décident de se coordonner. Cela abouti à la création du Collectif Gay et Lesbien Marseille-Provence.

Les 3 G bar associatif tenu par des lesbiennes, installé rue St Pierre, récemment créé lui aussi, s’associent à leur démarche, ensemble ils organisent en juin 1993 une semaine d’animation dans le cadre de la Gay Pride dans le quartier du Cours Julien, des amis participent financièrement, des restaurants et des lieux de spectacle figurent au programme.

En 1994, le premier dépôt de gerbe est fait au monument de la Déportation, lors de la journée du Souvenir de la fin avril, et en juin, se tient le 1er défilé de la Gay Pride à Marseille, avec près de 1000 personnes. Un important pas en avant est franchi.

En 1995, le petit succès rencontré par les pionniers suscite des convoitises, à l’heure où change la couleur politique de la mairie. Les animateurs du mensuel gratuit Ibiza, dont fait partie Jean-Marc Astor, apparu depuis peu, très lié au milieu commercial dont il recherche les publicités bien au-delà de Marseille, s’intéressent de très près à ce qui s’organise, ils veulent y être associés.

Le conflit entre le milieu militant, très attentif à la participation des femmes à la Gay Pride, et ceux qu’ils qualifient de « commerciaux » est sévère. Très rapidement la Gay Pride est « récupérée » par Jean-Marc Astor, Eric Séroul et Patrick Rogel, animateurs de Ibiza, activement soutenus par Marc Billoud proche du nouveau maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin.

Désormais, et jusqu’en 2010, les Gay Pride sont pilotées par cette équipe, le départ du journal Ibiza, devenu IB puis Nous à Montpellier avec 2 des 3 animateurs, ne change pas l’attitude de JM Astor qui souhaite garder la maîtrise de l’association Lesbian & Gay Pride, suscitant ou soutenant des associations (Boucle Rouge, un Cercle différent, les Oubliés de la mémoire, ou encore Ado gay) susceptibles de donner une illusion de représentativité à son CA.

Les associations qui avaient créé le Collectif gay et lesbien poursuivront peu ou prou leurs activités par la création du 1er Centre gay et lesbien, rue Ferrari, puis par la création du Collectif Stonewall, mais elles ont bien du mal à poursuivre une action commune, d’autant qu’un autre centre associatif, promu par des personnes qui n’ont pas connu la phase précédente et soutenues par les animateurs de la Gay Pride, voit le jour, rue Colbert, le Chaperon rouge porté par l’AJGM (association pour la création d’un centre gay et lesbien).

Le rêve d’un Centre gay et lesbien, inspiré de Paris, est partagé par les uns et les autres, mais dans l’incapacité de travailler ensemble pour le réaliser.

Au cours de toutes ces années, à Aix en Provence, plusieurs les associations (Aides, étudiants gays, David et Jonathan, Autre cercle, etc.) travaillent ensemble pour organiser leur semaine d’animation du printemps, avec festival de cinéma, débats, manifestations publiques.

A Marseille, au cours des années 2000, des associations nouvelles prennent le flambeau militant : l’association Sans Contrefaçon qui regroupe les transidentitaires (transgenres et transsexuels), autour de Karine Espineira et Maud Yeuse, mobilisation nouvelle des trans en particulier contre la psychiatrisation forcée (mise en place par l’OMS dans les années 80), d’autres encore Marseille antisexiste, ECHO (Ensemble contre l’homophobie) autour de Louis Zollet à la suite de l’agression contre David Gros (sur un lieu de drague ouvert, en août 2004), la coordination LGBTQI autour de Halim Anou ou encore une association étudiante éphémère qui organise un kiss’in lors d’une journée contre l’homophobie.

Une librairie identitaire, les Mots pour le dire, et un festival de cinéma, le Festival Reflets, marquent de façon extrêmement positive la convivialité homosexuelle de ces années. Les 3 G sont alors le lieu de débats en particulier en direction des lesbiennes, à travers le « bistrot féministe ».

L’association Mémoire des sexualités s’efforce de donner la parole aux uns et aux autres dans le cadre des Salons de l’Homosocialité, au cours des années 2001 à 2005.

Des lieux commerciaux homosexuels nouveaux se sont ouverts à Marseille au cours de ces années, outre des restaurants (Casa no Name, le Bistrot Vénitien) et des bars (comme le MP ou l’Endroit), deux chefs d’entreprise sont apparus – Pascal Rivet (l’Entrepôt, la Piscine) et Christophe Lopez ( le Trash, le XY) – renouvelant de façon importante l’offre de lieux accessibles et revalorisant l’attractivité de la ville en ce domaine.

Ces années 2000-2010 ont été aussi les années de renouvellement des Universités d’été euroméditerranéennes des homosexualités, les UEEH ont été relancées en 1999 par des anciens du GLH, emmenés par Jacques Fortin, très vite relayés par un réseau de passionnés par cette semaine de rencontre, travail, réflexion et concertation à Marseille, dans les locaux de l’Ecole des Beaux arts de Luminy. Suivant les années, 300 à 500 personnes se sont retrouvées venant de tous les coins de France, avec plusieurs grandes caractéristiques : l’autogestion (tout le monde participe au projet commun et à sa gestion), la mixité (chaque année l’équipe d’animation développe tous les efforts possible pour que les femmes aient toute leur place et se sentent à l’aise), l’ouverture aux transidentités (de plus en plus nombreuses ont été les associations qui sont venues participer aux débats), l’accueil des démunis (un effort continu est fait pour rendre la semaine accessible aux personnes précarisées par une répartition plus juste des frais de participation) enfin par une ouverture aux LGBT des pays étrangers (ainsi une diversification étonnante des pays d’origines des participants aux UEEH s’est effectuée : Russie, Albanie, Serbie, Pologne, palestiniens d’Israël, Liban, Algérie, Maroc, Cameroun, etc. etc.). Parmi les initiatives qui sont sorties de ces UEEH, il faut noter la création de l’association LGBT Formation, grâce à la réalisation d’un petit film pédagogique à partir du coming out de 3 garçons et de 3 filles, qui a permis un important travail de sensibilisation auprès des animateurs de jeunes et enseignants dans le ressort du rectorat d’Aix-Marseille.

Christian de Leusse