Le journal La Criée et la création du GLH

 LA CRIÉE

Juin 1974 – Juin 1976

Et la création du GLH de Marseille

Si l’apparition du Groupe de Libération homosexuelle ce Marseille en mars 1976 prend sa source dans un mouvement national de mobilisation des homosexuel-les, il mérite aussi d’être rapproché d’un contexte, le développement des mobilisations à Marseille, en lien bien sûr avec les mobilisations nationales.

Mai 1968 n’est pas loin. L’effervescence des années 1970 est grande. Avortement, écologie, sexualité, prisons, soldats, école, université, religion, tout est remis en cause.

Le président Giscard d’Estaing a été élu en 1974, Jacques Chirac est premier ministre, le ministre de l’Intérieur est Michel Poniatowski, Jean Lecanuet est Garde des Sceaux, Paul Dijoud est secrétaire d’Etat auprès du ministre du travail en charge des travailleurs immigrés, René Haby est ministre de l’Education nationale, Simone Veil ministre de la santé, Françoise Giroud secrétaire d’Etat chargé de la condition féminine.

  • Le 5 juillet 1974 l’âge de la majorité civile est abaissé de 21 à 18 ans
  • La loi Veil sur le droit à l’avortement est votée le 17 janvier 1975

A Marseille le carcan est solide. Le symptôme en est le système Defferre. Gaston Defferre est maire, il est aussi secrétaire de la fédération SFIO des Bouches du Rhône, contrôle peu ou prou le département grâce à un affidé, dirige le Provençal et Le Soir, et bientôt trouve le moyen de tenir un peu la bride du Méridional-la-France, son pouvoir s’étant sur les syndicats, Force Ouvrière est un syndicat loyal au maire, sur plusieurs fédérations d’éducations populaires, dont Léo Lagrange, qui contrôle des centres sociaux, et sur les CIQ (comités d’intérêt de Quartier). Ses adjoints sont à des postes stratégiques, au port de Marseille, à l’Assistance Publique et ailleurs.

Des oppositions se manifestent mais elles sont vite contrôlées et vampirisées. Les colères se portent pour l’essentiel contre le gouvernement, mais peu à peu le système Defferre se trouve égratigné.

Une certaine jeunesse étouffe mais ses moyens sont limités. C’est dans ce contexte que naît La Criée, elle apparaît peu à peu comme un lieu de respiration et de résistance.

Les fondateurs de la Criée sont Bernard Soulier et Jean-Paul Riton (Raoul). D’autres ont une place importante les dessinateurs Dagro et Filipandré. Sophie Genet s’occupe de l’impression du journal (elle est l’épouse de Bernard Genet, animateur des Amis de la Terre). Des collaborateurs apparaissent de façon visible comme Maurice Suissa-Villameriel en charge des finances ou Tony Versini qui reçoit chez lui (5 rue Aldebert) l’équipe de rédaction pendant plusieurs mois mais ils restent largement invisibles, sous forme de pseudonymes pendant longtemps, et de viennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure de l’envol du journal. Aux premiers temps le contact est la librairie Lire, 16 rue Sainte, 13001. Puis le journal trouvera ses locaux aux allées Léon Gambetta.

Très vite, le journal est le porte-voix de nombreux mouvements : les comités MLAC, anti-racistes, de soutien, d’action et de lutte, les sections syndicales et groupes d’ouvriers, les non-violents, le Planning familial, les comités Chili, les Amis de la Terre, les défenseurs de l’énergie solaire, le comité Larzac, etc.

Le journal Le Méridional-la France cible continuellement ces mouvements, qui lui rendent bien.

Le petit journal La Criée est un point d’appui et une caisse de résonnance pour ces mouvements. Il est peu à peu un lien entre eux, un lieu de dialogue, voire de convergence. A sa façon La Criée contribue à la construction d’une coordination entre ces comités et ces groupes.

Des rencontres de lecteurs sont organisés dans divers lieux, comme au CS Granados, Roy d’Espagne (en février 1975), à la salle Saint-Georges et dans d’autres centres sociaux.

Des liens s’établissent tout naturellement avec des journaux nationaux de contestation comme Politique Hebdo ou la Gueule Ouverte

Fête de la Criée 26-27 juin 1976

Ici apparaissent pour l’essentiel les titres des articles de la Criée

Les mobilisations de femmes précèdent les mobilisations homosexuelles et contribue à les accélérer

Les questions des femmes prennent de l’ampleur à travers les questions pratiques, la question du viol du couple de Morgiou, les revendications des femmes chefs de famille, les femmes divorcées qui doivent travailler pour s’occuper des enfants, ou encore la grève du centre de tri postal où les femmes sont en majorité, le MLF s’organise, le CODIF met en place l’information des femmes, le mouvement Jeunes Femmes se développe.  L’avortement est un point central, de l’avortement à l’étranger est d’un coût élevé, les permanences de MLAC et les avortements clandestins se multiplient. Il y a 800 000 avortements par an en France, 24 000 se font dans les hôpitaux, « que deviennent les autres ? », la loi sur l’avortement qui tarde à s’appliquer, le planning familial sur tous les fronts. Beaucoup de choses tourne autour des droits des femmes ; La Confédération syndicale des familles ; les assises régionales de la prostitution 11 décembre 1975 (elles réclament de ne plus être pénalisées) ; la grève des travailleuses familiales

Mobilisation du MLAC à la fac St Charles et à Aix suite à l’inculpation de 6 militantes ayant participé à un avortement sur une mineure, les parents de la mineure ont porté plainte

Candidature MLAC aux cantonales à Aix, mars 1976

Dans la foulée des mobilisations des femmes, la revendication des libertés y compris sexuelles prend de plus en plus de place

Il y a ceux qui disent Nous voulons fumer du hasch en paix

La question des prostituées du centre-ville et « l’Etat proxénète »

Misère sexuelle, viol, films pornos : femmes en lutte et pétroleuses

Le Dr Elise Salem est mise en cause pour avoir prescrit des hormones femelles à un mineur travesti, il se prostitue depuis l’âge de 12 ans, il a 17 ans, la mère a porté plainte ; le Dr Salem suit 12 travestis sur les 85 officiellement recensés par la DDASS (interview par Claude Sigala) ; tandis que les travestis sont réprimés, frappés et même mutilés (jambes fracturées pour l’un d’eux av du Prado)

Conférence sur l’éducation sexuelle permanente ; débat sur la vasectomie (Libre pensée)

Les luttes de désir : ton désir, il faut l’exprimer, le gueuler, le faire comprendre ; référence aux docteurs F Guattari, R. Gentis, J. Carpentier

1ère réunion sur la sexualité avril 1976 ouvert aux hétéros, aux homos er aux pédérastes

Les Mirabelles et leur spectacle Fauves (février 1975) : Alice au pays des merveilles, témoignage d’amour pour les Mirabelles et fraternités pour leurs chairs meurtries ; Berceuses d’orages au Toursky (janvier 1976)

Congrès d’Arcadie à l’Alhambra le 22 novembre 1975, 200 personnes, sortir de la clandestinité

Sexualité et société conférence-débat « Anna et les loups » organisé par le Cretoaz (novembre 1975)

Groupe de libération homosexuel d’Aix (écrire à Michel Deligny) décembre 1975 ; se réunit tous les jeudis 18-19h fac de lettres (mars avril 1976)

Fondation d’un Groupe de Libération Homosexuelle à Marseille mars 1976 « lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs : pour rompre l’isolement, pour combattre honte et angoisse, riposter à la répression, pour mener la lutte contre l’oppression (brimades, mépris), pour affirmer ouvertement ce que nous sommes et vivre tels, pour dès aujourd’hui commencer à refaire la société contre celle-ci et réinventer aussi la vie, contre les tabous, les normes, à notre façon, réfléchir aux actions à faire ensemble, pour regrouper plus d’homosexuels et nous faire connaître publiquement comme groupe

Les mobilisations des femmes comme les mobilisations homosexuelles prennent naissance dans le contexte social porteur de l’après-Mai 68 : le journal La Criée caisse de résonnance

  

LE CONTEXTE SOCIAL

 Les mobilisations ouvrières trouvent vite un écho dans ce petit journal. Il donne de la voix aux grèves : Hexa-Limbourg à St Henri, Coder dans la vallée de l’Huveaune, Prior, Unipol, France Aliments, Zenith, Salador, le restaurant l’Entrecôte, Griffet (en lutte de 1974 à 1976, 400 chômeurs), l’usine Buda à Toulon, Babcock à Vitrolles, Naphtachimie (chantage au lockout) sur l’étang de Berre, la chaudronnerie SPECI, Sescosem, Codec (libre-service de Mazargues), Manufrance (Les Milles), Salcatra-Levivier (Peyrolles), Shell-Chimie, grève à Apt-Union, SNIAS (Marignane), la grève du métro à Marseille, Pompes funèbres, pompes à fric, la crise dans les relations avec Maurice Génoyer (Phocéenne de métallurgie et journaux Provence-Magazine et Objectif Sud) ; « Accidents du travail, responsabilité du patron » ; Le patron de la Sescosem organise des contre-visites médicales

C’est une grande période de déclin de l’industrie marseillaise liée au déclin de l’empire colonial, 20 entreprises sont concernées de 1965 à 1974 par les licenciements, les absorptions et les fermetures,

Et les autres mobilisations syndicales : sur les licenciements à FR3, Contre-image de la recherche ; les licenciés du Méridional La France écrivent une lettre ouverte à Henri Krasucki (CGT), les revendications des marins-pêcheurs, Les viticulteurs face à la rapacité des grands groupes négociants en vin ; mobilisation ouvrière chez Margnat Village à Châteauneuf les Martigues ; Conflit à l’IRFA (institut régional de formation des adultes) qui licencie 27 personnes

Le milieu sanitaire et social mobilisé :  Les conditions de vie des enfants et des malades psychiatriques soulèvent les critiques ; les employés des établissements de l’enfance inadaptée ne supportent plus leurs conditions de travail, à la CASMP (Centre d’action Médico-Sociale Précoce), au CREAI (Centres Régional d’études d’actions et d’informations, dont la présidente est l’ancienne Ministre MRP, Germaine Poinso-Chapuis)) et aux Saints-Anges à Sainte Anne ; Henri Mandrile, directeur adjoint de l’institut de formation des éducateurs spécialisés licencié par le CREAI ; l’association Terre des hommes veut venir au secours de l’enfance meurtrie, un dossier sur la psychiatrie dans la région (Edouard-Toulouse à Marseille, Montperrin à Aix, Montfavet près d’Avignon et Pierrefeu près de Toulon) est établi avec les électrochocs et les humiliations ; fermeture du foyer de filles des Buissonnets pour cause de pédagogie non autoritaire (Claude Sigala) ; réponse de Régis Warnery ; débat avec le comité de lutte des éducateurs licenciés salle St Georges 18 mars 1976 ; mobilisation-coordination pour plusieurs sur l’éducation, meeting Education-Répression ; comité d’action des Buissonnets, affaire Espelidou, affaire de Nantes, affaire de Digne ; Normalisation à Léo Lagrange : le directeur du CS Les Aygalades licencié ; la mobilisation du centre social des Flamants ; Grève à l’Adapei du pays d’Apt

L’Ecole et le milieu étudiant : ls problèmes de l’école, avec la construction des écoles, le malaise des enfants et des enseignants ; Telle école, telle société ; l’école de nos rêves est possible ; L’Ecole émancipée ; les mobilisations étudiantes « nous ne voulons pas être les OS de l’an 2000 » ; les étudiants contre l’entrée du patronat dans la faculté (réforme Soisson) ; Fac de droit en lutte, sciences éco en grève

L’urbanisme et le logement prend de plus en plus de place, car il concentre les questions de logement, d’espaces de vie, de condition de vie des immigrés et de logement, ainsi les titres « Bâtir pour le fric à Marseille », « La Casbah » pour le quartier porte d’Aix, « L’urbanisme tentaculaire », et les thèmes, Malmousque menacé par la Légion, la destruction du quartier Ste Barbe, l’édification du Centre directionnel, le parking du cours d’Estienne d’Orves et sa destruction, la ZAC de la Valentine, les terrains vagues autour des cités HLM, la Zac de la Soude, la Logirem de débarrasse de ses locataires, Defferre interdit le métro aux handicapés dit le comité pour l’accessibilité du métro ; à Aix la place des Cardeurs transformée en champ de bagnoles, locataires victimes d’arnaque à Aix

Le racisme et les travailleurs immigrés : les travailleurs immigrés se heurtent à des règlementations rigoureuses, en particulier pour les cartes de travail : les Turcs chez Bernard, les Marocains chez Gregori) et les Tunisiens chez Blindex ; les programmes de logement pour les immigrés financés par les immigrés (le FAS, le Fonds d’Action Sociale qui est alimenté par le différentiel du régime social entre la France et le pays d’origine) ; la question des immigrés est toujours présente, à propos du logement des immigrés, avec la mobilisation dans les foyers Sonacotra, avec le racisme qui se développe, les marchands de sommeil, le comité des locataires de Bassens, les luttes pour le logement en Italie ; le Méridional-la-France – avec Gabriel Domenech – surfe sur cette vague, avec les meurtres racistes (Ladj Lounès, Laïd Moussa, Sahal Bel Abbes) et exploite la mort de la petite Marie Dolores à St Chamas en condamnant avec l’heure Christian Renucci ; la librairie Lire est victime d’un attentat qui fait 30 millions F de dégâts, un appel à contribution est lancé (Marseille, attention, fascisme !) ; expulsion d’immigrés : ça continue

Les thèmes écologiques deviennent de plus en plus mobilisateurs : écologie et croissance urbaine, la mort des platanes, le mercure et les pollutions dans le golfe de Fos, les pollutions dont diverses, les égouts, le ruisseau des Aygalades ; énergie solaire – géothermique – énergie nucléaire ; construisez votre chauffe-eau solaire ; les bergers de Mai 68 ; Cortiou, chronique des rats d’égout (Amis de la Terre mobilisés) ; Val de Durance : aménager et coloniser, Vaumeilh ; constitution de l’UDVN (union départementale pour la sauvegarde de la nature et de l’environnement) 04 ; Amis de la Terre contre les centrales nucléaires ; les « requins » s’attaquent au Bec de l’Aigle (à La Ciotat), organisation d’une journée de sauvegarde du site ; exploitation de la forêt guyanaise ; agriculture bio, boycotter les additifs alimentaires ; les Amis de la terre : contre la pollution électrique (l’électronucléaire en France) ; le Larzac est toujours mobilisateur, avec la marche silencieuse le 15 mars 1975 ; groupe d’action non violent : cesser d’être complice ; au Larzac, rencontre liberté Pentecôte juin 1976 ; à Aix sauver la vallée de la Torse ; la supériorité des produits de l’agro-biologie, s’alimenter sans poison c’est possible ; un réseau d’agro-biologistes sur toute la région ; occupation sans limite du site de Malville (surgénérateur Super Phénix) à partir du 3 juillet 1976, soutenue par les Amis de la Terre

Le développement industriel de Fos rassemble tous ces thèmes : l’histoire de l’implantation de la Solmer, les conditions de logement, pollution, les « parias de la croissance »

Le chômage et l’emploi : l’ANPE (Agence nationale pour l’Emploi) et la FPA (formation pour adultes) où se développent des mobilisations de salariés, cristallisent bien des questions : à quoi sert l’agence pour l’emploi ? la question du sous-emploi féminin, le travail temporaire sous-emploi déguisé à Fos

Les magistrats et les avocats lèvent la tête : le Syndicat de la Magistrature prend naissance il refuse une application inégalitaire de la loi ; la prison clandestine à Arenc est dénoncé par le Syndicat des Avocats de France ; les magistrats se mettent en grève pour défendre le juge Etienne Ceccaldi qui a mis en cause des escrocs internationaux

Les prisonniers : la défense des prisonniers politiques ; la défense du détenu Roland Agret ; Agret en grève de la fail en mars-avril 1976 ; le Comité d’action des prisonniers dénonce un « patient » totalement dénudé qui à coup de matraque, est conduit jusqu’au QHS (quartier de haute sécurité) dans une cellule spéciale, 4 murs dégueulasses, au sol de la paille ; à Rognes, scandale à l’Etape qui accueille d’anciens détenus

Le procès des soldats, l’appel des cents circule dans les casernes, des comités de soldats se créent ; Comité de lutte des objecteurs de conscience ; Soldat sous l’uniforme tu restes un travailleur : les SUV (soldats unis vaincront) ; Meeting du collectif marseillais pour la libération des soldats et militants emprisonnés (en présence de Daniel Guérin) 22 janvier 1976 ; 1 200 objecteurs de conscience inculpés ; Comité objection de conscience Aix ; soutien à Jean-Louis Scotto en procès le 8 avril 1976

Les questions culturelles mobilisent : la librairie Lire, le vide culturel à Marseille, le cirque Blaguebolle et le théâtre de l’Olivier à la Plaine samedi matin, le festival Mai au Mini, le théâtre occitan, tribune occitane, le théâtre Sylvain à l’abandon, « Que faire de la Vieille Charité ? », Grain de Sel veut préparer une structure permanente de contreculture ; à Aix en Provence, les cinémas le 16/35 en difficulté financière et l’Arsenal sont cités comme des cinémas libres, vie culturelle dans la rue, théâtre de l’Olivier

Le soutien aux soulèvements politiques à l’étranger, avec le Chili, les comités de soutien aux réfugiés ou de l’autre côté le maire de Salon, Jean Francou, qui, revenu du Chili accable le gouvernement Allende dans le Méridional ; le comité contre la répression au Maroc tient ses permanences à la Cimade ; Comité pour les prisonniers politiques d’Uruguay ; les oranges Outspan, « le sang de l’Afrique du Sud » ; marche de solidarité avec les peuples d’Espagne (à l’heure où des généraux veulent rétablir le régime franquiste) ; répression au Maroc ; le comité Chili de défense des prisonniers politiques au Chili

Il y a aussi : Lanza del Vasto, les élections cantonales de mars 1976 avec leur poussée de la gauche et les remous autour des prochaines élections municipales de juin 1976, le projet de restaurant populaire dans les quartiers nord ou encore les amis de Jean Bilski du groupe autonome anarchiste de Toulon, qui s’est suicidé après avoir assassiné son patron le 14 mai 1976.