La Provence 26 octobre 2017 : Mémoire des sexualités 40 ans de luttes dans 50 m2

La Provence 26 octobre 2017

Mémoire des sexualités 40 ans de luttes dans 55 m2

S’il y a bien, à Marseille, une figure référente du militantisme LGBT, c’est lui. Par son vécu tout d’abord, mais aussi son rôle de trait d’union souvent, au sein d’un milieu associatif parfois divisé. Christian de Leusse porte aujourd’hui la mémoire de 40 ans de luttes marseillaises et nationales. Mais surtout, le président de l’association Mémoire des sexualités a dédié l’appartement de 55 m2 qu’il possède près de la Porte d’Aix, au-dessus de sa propre habitation, à l’archivage le tout ce qu’il a pu collecter sur ce sujet depuis 1978.

Sur des étagères en bois, des centaines de dossiers, livres, cassettes VHS. Une pochette remplie d’affiches aux slogans de la Gay Pride ou de la prévention sida sur fond de couleurs arc-en-ciel.

Un fonds enrichi par des donations individuelles et associatives, qui comporte au total 50 mètres linéaires de documentation classée par année depuis 1978, des revues (Arcadie, Gai Pied, Muse, Têtu, Samouraï …) payantes et gratuites, plus de 1 500 livres, des photos et films. Sans oublier une part numérique importante depuis les années 2000. « Aujourd’hui, la question se pose d’organiser l’avenir de ce fonds documentaire, dont il faut poursuivre la numérisation. Aux archives départementales, ils ne prendraient pas mes livres. A l’Alcazar, ce serait que les livres et au MUCEM, le risque serait un enterrement de première classe. Il faudrait une valorisation d’ensemble et pouvoir le mettre à disposition de chercheurs et du public, comme aujourd’hui. Ici se trouve un panel très riche de réflexions, analyses, témoignages, vante cet ancien fonctionnaire du Conseil régional à la retraite depuis 5 ans. Il y a eu deux donateurs importants : Daniel Guérin, grand intellectuel libertaire qui m’a remis sa bibliothèque homosexuelle, et Pierre Seel, premier déporté homosexuel qui a eu le courage de se monter ».

« Le sida a fait exploser en vol les associations dès 1985. Les gens mourraient »

Et Christian de Leusse de revenir sur des moments clés de ce qu’il estime un « mouvement de libération progressif ». Partant du journal Arcadie, présent entre 1954 et 1984, « distribué clandestinement, porté par un réseau très peu visible mais qui a joué un rôle majeur face aux lois restrictives » pour terminer par le Pacs (1999) et le Mariage pour tous (2013). Il évoque aussi les groupes de luttes qui s’inscrivaient dans une volonté de sensibiliser et de sortir de l’anonymat. À Marseille, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) dans la foulée de 1968, les   Groupes de libération homo sexuelle (GLH) entre 1975 et 1987 et l’association Aides dès 1984 et l’arrivée du sida (Act up a été un mouvement principalement parisien ).

Préparer l’avenir

Avant 1982, beaucoup de publications homosexuelles ont été censurées par les autorités. Gai Pied a pu voir le jour en ouvrant ses pages d’emblée à de grands intellectuels tels que Sartre ou Foucault.

Mais dans les journaux c’était très rare qu’il y ait des articles sur le mouvement militant. Et il a fallu attendre le vote du Pacs pour que la presse locale daigne parle d’homosexualité » Entre 1979 et 1987 se déroulent les Universités d’été homosexuelles à Marseille, avec l’appui du maire Gaston Defferre mais elles se sont interrompues face à l’hécatombe de la pandémie du sida. L’initiative est lancée sous le nouveau nom Université d’été euroméditerranéennes des homosexualités en 1999. Une interruption de la vie militante dont Christian de Leusse se souvient bien : « Il y avait d’autres priorités, les gens mourraient. Le sida a fait exploser en vol les associations existantes dès 1985 ».

Dans les années 1990, de petites associations se regroupent en Collectif gay et lesbien, signal d‘une prise de conscience inter-associative. « On a réussi à imposer d’être présents lors de la cérémonie du dépôt de gerbes du dernier dimanche d’avril pour marquer la déportation homosexuelle. Il a fallu attendre 2010 et l’aide de l’association du Mémorial de la déportation homosexuelle pour que ce dépôt soit intégré à la cérémonie officielle. »

Dès 1994 aussi, ce fut les débuts de la Gay Pride à Marseille avec des animations dans des lieux culturels et commerces gay friendly. Avant le premier défilé, en 1995. Depuis, des hauts et des bas. Mais une vie associative riche. Le Collectif IDEM fédère désormais une dizaine d’associations de défense des droits humains. Parmi les plus visibles, le CEL, les 3G, SOS homophobie, le Refuge mais aussi Amnesty international, le Planning familial, Aides. Et les revendications ne manquent pas. Notamment celle de créer un centre LGBT. Une nécessité à Marseille, où les associations déplorent le contexte homophobe lourd (lire notre édition de demain).

A 71 ans, ce marseillais livre aussi un autre souvenir, plus intime celui-là. « Jusqu’à mes 33 ans, je n’arrivais pas à admettre mon homosexualité, alors que des indices m’orientaient en ce sens. Je faisais un barrage, confie-t-il sobrement. C’est en entant en contact avec le GLH de Marseille que je me suis sauvé. Que j’ai compris que mon bonheur était là.

C’est désormais l’avenir de l’(association Mémoire des sexualités qui est en jeu : « Trouver des solutions pour dynamiser le lieu et le site internet, que je sois serein pour le jour où je ne pourrai plus… »

Sabrina Testa

Pour prendre contact avec l’association ou consulter les archives : memoire-des-sexualites@riseup.net