Marseille, 13 juillet 2016
Entretien d’Arnaud Boulligny avec Christian de Leusse,
Président de l’association « Mémoire des Sexualités »
Arnaud Boulligny : Quand as-tu rencontré Pierre Seel pour la première fois ?
Christian de Leusse : Je ne me souviens plus très bien. C’est Jean [Le Bitoux] qui me l’a fait rencontrer. Tu sais Jean faisait rapidement confiance aux gens et grâce à lui j’ai pu rencontrer beaucoup de gens. Il me disait de venir avec lui. Je pense que la première fois que j’ai vu Pierre Seel c’était en compagnie de Jean. Pour la date…
A.B. : Il était comment Pierre Seel ?
C.d.L. : Il était coléreux, il s’emportait facilement. Jean a eu beaucoup de mal à terminer le livre. Pierre avait constamment des modifications à apporter et, jusqu’au bout, il a menacé de ne pas donner son accord pour la publication.
A.B. : C’est donc Jean Le Bitoux qui a rédigé le texte ?
C.d.L. : Oui, Jean c’était la plume, l’écrivain. Pierre c’était uniquement à l’oral.
A.B. : Ça c’est plutôt mal fini entre eux, quand on lit les conversations que vous avez eues au téléphone, il avait l’air assez remonté contre lui à la fin de sa vie ?
C.d.L. : Je ne sais pas vraiment. Ce qui est certain c’est que Jean avait beaucoup d’admiration pour Pierre. Ils entretenaient une relation particulière de confiance et je crois qu’ils avaient l’un pour l’autre beaucoup d’affection au final.
A.B. : Tu as entretenu une relation assez privilégiée avec Pierre Seel durant les dernières années de sa vie. Comment s’est-elle mise en place ?
C.d.L : J’étais admiratif de ce vieil homme, de son histoire. Il était assez seul à la fin de sa vie, mise à part Eric son compagnon, il ne voyait plus grand monde. Il était malade. J’ai pris l’habitude de l’appeler chaque samedi soir. C’était la plupart du temps moi qui l’appelais. On parlait de son quotidien le plus souvent. Moi, je le tenais au courant de nos réalisations, de l’avancée de nos revendications.
A.B. : Pierre Seel ne voyait plus sa famille ?
C.d.L. : C’était très compliqué avec ses enfants, en particulier avec son fils aîné Denis. C’est un trotskiste, il a été candidat sur une liste de la LCR. Il n’avait pas de bonnes relations avec son père. D’abord parce qu’il avait quitté son épouse au cours des années 1980 pour vivre sa sexualité. Les enfants étaient encore jeunes. Et je ne l’ai su l’autre raison que 10 ans après la mort de Pierre Seel, en raison de son engagement en Allemagne. Il lui en voulait d’avoir combattu contre les armées alliées comme « malgré nous ». Je ne sais pas quelles sont les informations qu’il a sur le comportement de son père en Allemagne.
A.B. : Et avec sa femme ? Quelles étaient leurs relations ?
C.d.L. : Il existait un pacte entre eux deux. Elle savait pour son internement à Schirmeck et elle lui avait fait jurer de ne jamais en parler. C’est au moment de l’affaire Elchinger que leurs relations se sont détériorées. Elle lui en voulait beaucoup d’avoir fait connaître, ainsi, la raison de sa déportation.
A.B. : Et son compagnon Eric ?
C.d.L. : C’est un garçon très discret, qui ne parle pas beaucoup. Il travaillait dans un cabinet de prothésiste dentaire et faisait aussi des petits boulots de sécurité comme maître chien. Il a finalement ouvert son propre cabinet. C’est quelqu’un qui a très bien réussi. Ils vivaient ensemble. Eric s’est occupé de Pierre jusqu’à la fin, quand Pierre était très malade. Il y avait une grande affection entre eux, de l’admiration aussi. Pierre a soutenu Eric, en particulier quand il a été harcelé dans son travail lorsque leur relation a été découverte, et il l’a aussi aidé financièrement à acquérir son cabinet.
A.B. : Le témoignage de Pierre Seel est précieux mais il est aussi fragile pour les historiens. Ils présentent notamment des erreurs factuelles importantes, et puis il y a cette histoire de « Jo » pour laquelle on a aujourd’hui de sacrés doutes. Penses-tu qu’il s’agit d’une invention de toute pièce, peut-être de Jean Le Bitoux, pour faire monter la sauce ?
C.d.L. : Je ne me suis jamais posé la question d’éventuelles erreurs… Je connaissais l’histoire de Pierre par le livre et il m’a simplement expliqué que la bougie brûlait en permanence pour symboliser la disparition de son ami Jo qui est évoquée dans le livre. J’ai entendu plusieurs fois Pierre raconter cette histoire concernant Jo, et toujours avec la même émotion et la même colère. Je ne crois pas du tout qu’il puisse s’agir d’une « invention » de Jean le Bitoux. Jean était trop scrupuleux pour ajouter quoi que ce soit à ce qui lui était dit. Pierre a raconté d’autres choses à jean sur les tortures qu’il a connues. Mais ils ont convenu de ne pas en parler dans le livre, l’objet du livre n’était pas de s’attarder sur ces moments terribles (et j’ajouterais, tel que je l’ai compris, de garder les éléments essentiels). J’avais toutes les raisons d’avoir confiance dans ce qui était dit dans le livre. « Jo » est un nom d’emprunt et je crois que personne ne connaît son vrai nom. Je ne sais pas si Eric le connait.