Discours de Hussein Bourgi concernant l’hommage à Jean Le Bitoux
Le 7 décembre 2024
Montreuil
à l’occasion de l’inauguration du square Jean Le Bitoux
[introduction sur le logement social et son importance en France, qui redonne de la dignité aux familles…]
C’était quelqu’un qui était très engagé pour la dignité humaine, et j’aurai l’occasion d’y revenir. Il a mené de très nombreux combats, vous [Monsieur le maire de Montreuil] l’avez rappelé dans vos discours tout à l’heure.
Jean Le Bitoux est né à Bordeaux, il a vécu à Nice et finalement sa ville de cœur ce fut Paris. Paris, la ville où il s’est engagé, la ville où il a initié des combats dont nous sommes aujourd’hui des bénéficiaires et des héritiers pour beaucoup d’entre nous.
Engagé dans l’organisation de la première marche des fiertés, c’était une façon pour lui de militer pour la reconnaissance sociale de l’homosexualité et finalement cinquante ans après il répondait à sa manière à André Gide, qui dans les années 1920 avait écrit ce livre qui s’appelle « le Corydon » pour traiter de la place sociale de l’homosexualité dans la société. Jean Le Bitoux a toujours revendiqué une citoyenneté pleine et entière pour les homosexuels de France.
Il a ensuite eu l’occasion de créer ce qui aujourd’hui est le Centre LGBTQI+ de Paris IdF.
Il a créé ce magazine, qui s’appelle Gay Pied, qui fut un trait d’union entre les homosexuels parisiens et les homosexuels qui étaient en région. Je tenais aujourd’hui à remercier les amis qui sont venus aujourd’hui de Bordeaux, de Lille et même des USA je pense à Gérard Koskovich qui fut un militant aux côtés de Jean Le Bitoux. Et finalement Gay Pied a été une occasion pour tous ces homosexuels qui vivaient en province qui n’avaient pas eu l’opportunité ou qui n’avaient pas eu le choix d’habiter à Paris, d’être informés de ce qu’étaient leurs combats, leurs droits. Et finalement, ça a été un trait d’union qu’on trouvait dans les kiosques, c’était assez révolutionnaire pour l’époque, de trouver un magazine gay et lesbien dans les kiosques de France et de Navarre.
Pour trouver un témoin, Pierre Seel, Jean Le Bitoux a tenu la plume et Pierre Seel a raconté son histoire de jeune déporté homosexuel, déporté tout simplement pour motif d’homosexualité. A travers ce livre-témoignage de Pierre Seel, à travers son association, le Mémorial de la Déportation Homosexuelle, finalement Jean Le Bitoux a porté ce combat qui a abouti dans les années 2000 lorsque Lionel Jospin, premier ministre et Jacques Chirac, président de la République française, ont reconnu pour la première fois, dans un discours officiel, la réalité de la déportation pour motif d’homosexualité depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jean Le Bitoux, c’est aussi la lutte contre le SIDA, son engagement au côté de AIDES.
Jean Le Bitoux, c’était l’homme qui menait des combats publics, mais c’était l’homme qui savait ouvrir sa porte pour accueillir autour de sa table, dans cette maison qui ressemblait à une auberge espagnole, tous les naufragés qui étaient arrivés à Paris ou qui avaient croisé son chemin ou qui avaient entendu parler de lui. Je l’ai connu à la fin des années 90 et au début des années 2000 dans son appartement de la rue Richer dans le 9e arrondissement, pas très loin de Cadet. Je l’ai ensuite accompagné lorsqu’il a déménagé rue Villa Gaudelet, cher François Vauglin, dans le 11e arrondissement.
Nous sommes toutes et tous des compagnons de route, nous sommes pour beaucoup d’entre nous des camarades de lutte parce que nous avons milité, nous avons appris aux côtés de Jean Le Bitoux. Comme aujourd’hui ses frères sont là, Michel, Philippe, sa sœur Isabelle. Les amis de Jean Le Bitoux sont là, les anciens, les plus jeunes parce qu’effectivement Jean Le Bitoux avait à cœur de transmettre l’histoire, la mémoire de la communauté homosexuelle. Il disait cette phrase : « Si nous, nous ne le faisons pas, qui le fera ? ». Il disait « vous savez, dans la communauté juive, il y a toujours un grand-parent ou un parent pour raconter la tragédie de la Shoah. Dans la communauté noire, il y a toujours un parent ou un grand-parent pour raconter ce qui fut, les conséquences de l’esclavage, de la traite négrière, et on la trouve aussi dans les livres d’histoire. Mais chez les homosexuels, c’est très difficile de trouver un père ou un grand-père ou une grand-mère qui vous raconte la tragédie de la déportation pour motif d’homosexualité, c’est très difficile de trouver des hommes et des femmes qui viennent témoigner de la persécution et des répressions qu’ils ont subi en raison de leur homosexualité. Donc il nous appartient à nous de le faire. » Et en cela il était l’héritier d’Alphonse Lamartine qui disait : « Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute. »
Jean Le Bitoux a témoigné pour les homosexuels persécutés, mais il a eu aussi a cœur d’embrasser la cause des sans-papiers, usant et abusant parfois de ses relations, pour obtenir les titres de séjour pour des ouvriers, pour des personnes sans-papiers qui se sont retrouvés en France, pour des sans-papiers qui étaient arrivés en France malheureusement concernés par la pandémie du VIH et du SIDA, parce qu’il n’y avait pas les traitements, il n’y avait pas les trithérapies en Afrique subsaharienne. Et Jean Le Bitoux prenait sa plume pour déranger de nombreuses personnalités, je tiens en particulier à saluer la mémoire de Robert Badinter, à qui il écrivait très souvent. Et lorsque Robert Badinter faisait un courrier de recommandation, aucun préfet de Paris, de Seine-Saint-Denis, du Val de Marne, du Val d’Oise, des Hauts de Seine ou d’ailleurs en France ne pouvait refuser une demande formulée par l’ancien Garde des Sceaux, Robert Badinter.
A travers les livres qu’il a promu(?), à travers les articles qu’il a écrit, Jean Le Bitoux avait à cœur de conjuguer le passé au présent pour que cette jeune génération qui arrivait puisse avoir conscience des combats qui avaient été menés, ces combats fondateurs qui avaient permis à la fois l’émancipation et la libération des homosexuels en France.
Jean Le Bitoux s’était aussi le combat contre la dépénalisation internationale de l’homosexualité dans ces quatre-vingt pays du monde où l’homosexualité est toujours passible de poursuites pénales et parfois même de peine de mort.
Vous l’avez compris, monsieur le Maire j’ai été trop long mais c’était pour moi important pour restituer à ma façon, qui était Jean Le Bitoux, pour que les habitants de cet ensemble apprennent à mieux le connaître. Vous allez vivre avec lui, mesdames et messieurs au quotidien, cela va être votre voisin, symboliquement parlant. Et finalement c’est important que vous sachiez pourquoi cette personne a été choisie et pourquoi elle est là.
Je terminerai en vous disant qu’à Montreuil il y a une communauté malienne très importante. Jean Le Bitoux avait fait le choix que ses cendres soient dispersées dans un petit village du Mali, le village dont est originaire son dernier compagnon. Ce vœu qu’a formulé Jean, sa famille, son dernier compagnon l’ont honoré. Aujourd’hui, il y a un peu de Jean Le Bitoux au Mali, il y a un peu de Jean Le Bitoux ici à Montreuil, il y a un peu de Jean Le Bitoux dans la mémoire et dans le cœur de beaucoup d’entre nous.
Merci à toutes et tous et belle soirée.