Histoire d’Act Up Paris vu par ses présidents
1989-1992 : Didier Lestrade est président d’Act Up
La participation d’Act Up aux Gay Pride a beaucoup de succès, à un moment où le sida n’a pas de visibilité dans la Gay Pride, on « sépare » alors la visibilité gay du sida ; Act Up veut transformer la honte d’être séropo en fierté à un moment où il y a si peu de traitement ; Act Up permet aux gays séropos ou malades d’être visibles en tant que tels ; D. Lestrade souligne que Act Up a « apporté des manières de militer qui étaient très frontales, avec tout l’héritage du militantisme américain… Nous avons obligé Aides à être plus engagé. Nous avons appris aux gays à s’organiser d’une manière démocratique et à affronter le gouvernement et les institutions. Nous avons contribué en première ligne au développement de nouveaux traitements qui ont sauvé des dizaines de milliers d’homosexuels. » ; et « si Act Up est parvenu à se faire respecter de la police des années 1990, c’est parce que nous étions majoritairement blancs et gays. » dira-t-il plus tard, « en tant que fondateur, j’étais le seul à avoir assisté aux réunions d’Act Up à New York, et j’avais été fortement marqué par l’esprit queer qui servait de lien fraternel à toute cette colère. »
Didier Lestrade écrira en 2002 Kinsey 6. Journal des années 1980, The End en 2004 et avec Gilles Pialoux en 2012 Sida 2.0. Regards croisés sur 30 ans d’une épidémie
1992-1994 : présidence de Clews Vellay
En 1992 Gwen Fauchois rejoint Act Up, elle se souviendra qu’en 1981 lors de l’accession à la présidence de la République de François Mitterrand en 1981 il y avait 17 cas de sida déclarés en France et que lors de son arrivée en 1992 il y a 23 924 cas ; elle quittera Act Up en 1997
Période marquée par l’habillage de l’obélisque de la Concorde par une capote géante le 1er décembre 1993. Clews Vellay marque fortement cette période. (né en 1964, il mourra en 1994)
En 1994 à l’occasion du 1er Sidaction à la télévision « son visage, sa manière de s’exprimer, sa sincérité avaient provoqué une fixation populaire amoureuse qui nous avaient tous surpris, lui en premier » écrira Didier Lestrade.
1994-1997 : Christophe Martet
Infecté par le VIH au cour de l’hiver 1983-1984, mais il n’entend parler du virus qu’en octobre-novembre 1985, en 1987 premiers tests concernant les CD4, il voit des gens mourir et part à New York, c’est là qu’il découvre Act Up, il entend pour la 1ère fois le mot homophobie à propos du Sida ; aux USA le VIH est une affaire collective (gays, lesbiennes, latino, personnes âgées), il assiste à une réunion où il y a 600 personnes dans une ambiance tonique ; six mois plus tard, il rejoint FR2 à Paris et rencontre Didier Lestrade, à Paris il y a 30 personnes à la réunion d’Act Up et pas la même énergie, avec Clews Vellay et d’autres ils élargissent la mobilisation (en direction des femmes, des prisons, etc.) (Didier Lestrade est alors plus centré sur les questions liées au traitement), la réflexion s’élargit sur la société ; Martet s’intéresse à la recherche et aux nouveaux médicaments ; en 1989-1990 l’épidémie n’a pas de visage (excepté Hervé Guibert et Jean-Paul Aron), le coming out sur le sida ne passe pas (compte tenu des problèmes que cela engendre pour le travail, le logement, l’assurance, etc.) et l’écoute du côté des gays est réduite ; il restera à Act Up jusqu’en 2000-2007, puis ira à l’ARDHIS pour suivre les demandeurs d’asile ; en 2003 « guéri » du sida, Martet fait la connaissance de son futur mari
Il s’illustre par une série d’actions en 1995 et au début 1996 pour obtenir les antiprotéases, nouvelle classe de médicaments antirétroviraux, avec occupations d’usines et de laboratoires, manifestations devant le ministère de la Santé, interpellations des dirigeants des laboratoires lors de réunions publiques ; il est alors prévu de procéder par tirage au sort pour bénéficier des antiprotéases, Ch. Martet estime que « sans ces actions des centaines, voire des milliers de malades seraient morts » à commencer par lui-même « en militant à Act Up les gays se sont engagés contre le sida, pour l’accès au traitement, pour les droits sociaux des personnes atteintes » ; Act Up a le souci de défendre toutes les personnes atteintes (prisonniers, personnes racisées, travailleurs du sexe) ; la charte des droits du patient hospitalisé est obtenue en 1994 après de longues négociations (avec Simone Veil et Philippe Douste-Blazy)
Il constitue en 1993 un recueil de témoignages « Les combattants du sida », il réalisera une série de podcasts sur Act Up dans la suite des 30 ans de l’association
En 1994, un ouvrage Le sida, combien de divisions ? est écrit collectivement, Philippe Mangeot en est l’un des rédacteurs
18 octobre 1994, mort de Clews Velay, militant charismatique, ses obsèques sont un moment fort pour l’association
En 1995 Act Up déménage du 44 rue des Boulangers 75005, dans le local du 45 rue Sedaine 75011, dans les anciens locaux de Gai Pied et de Fréquence Gaie où Didier Lestrade travaillait
1997-1999 : Philippe Mangeot
Emmanuelle Cosse qui a rejoint Act Up en 1992, est trésorière puis vice-présidente
En 1997 avec l’arrivée des trithérapie de nombreux militants d’Act Up Paris quittent l’association. Philippe Mangeot dira que nombre d’entre eux « adossent » leur départ à la mort de Clews Velay en 1994, mais 1997 est aussi le moment où tout le monde commence à avoir un ordinateur chez soi ce qui contribue à « disséminer » les militants
Act Up se pourvoit d’un Groupe d’Archives Documentation (GAD) chargé de rassembler l’ensemble des documents produits pas l’association depuis l’origine et d’en organiser le rangement (Claire Vannier secrétaire générale d’Act Up en est l’initiatrice, l’anthropologue Christophe Broqua en est l’un des animateurs)
En décembre 1998, Act Up Paris dénonce la charte de responsabilité entre les associations et le SNEG
1999-2001 : présidence d’Emmanuelle Cosse
1ère femme, première personne séronégative et première personne hétérosexuelle a être présidente ; elle est fière d’avoir pu agir dans Act Up pour lutter contre la norme
Lors de la Gay Pride de 2000 le mot d’ordre d’Act Up est « Fiers d’en mettre » avec des pancartes déclinant les effets secondaires « La peau sur les os, ça vous fait jouir ? », « 20 diarrhées par jour, ça vous fait jouir ? »
En juillet 200 la campagne de prévention du ministère de la Santé est jugée positive par Act Up
Le 7 novembre 2000 se tient une « AG des pédés », Emmanuelle Cosse fait une introduction forte : 35 000 à 38 000 décès depuis le début de l’épidémie dont environ 25 000 homos, 120 000 à 140 000 séropositifs, 3 000 à 5000 nouvelles contaminations par an, le nombre de gonorrhées rectales s’accroît comme le nombre d’homos vivant avec le VIH ; Christophe Martet ajoute : Le plus gros facteur de risques concerne les couples quand la sérologie du partenaire n’est pas connue
L’AG est tendue, tension avec le SNEG qui n’en fait pas assez pour sensibiliser les clients et mettre à leur disposition des préservatifs et du gel, avec le ministère qui n’en fait pas assez à l’heure du relapse (la baisse de vigilance des gays), entre Act Up et le duo Guillaume Dustan-Erik Rémès partisans de la liberté de baiser et du bareback ; Philippe Mangeot d’Act Up Paris, se dit séropo depuis 16 ans, il souligne que 40% des sidas déclarés chez les pédés ce sont des gens qui ignorent leur statut sérologique ; René Paul Leraton de la Ligne Azur de Sida Info Service souligne que les jeunes pédés doivent se démerder avec leur souffrance et leur solitude ; Jean-François Chassagne du SNEG souligne que les campagnes de prévention du SNG existent depuis1993 ainsi qu’une centrale d’achat des préservatifs financée par les annonceurs ; le CRIPS annonce l’ouverture d’une permanence gay rue Sainte Croix de la Bretonnerie à partir du 1er décembre prochain ; Yves Souteyrand de l’ANRS rappelle que tous les 2 ans une enquête est effectuée par la DGS par le biais des média gays
2001- 2003 : présidence de Victoire Patouillard, « les premiers traitements sont arrivés, mais il n’y a avait pas assez, dira-t-elle, le Conseil National du Sida avait recommandé un tirage au sort, et Act Up a décidé de bloquer les usines pour obtenir plus de traitements. Je me souviens des départs au milieu de la nuit avec des camionnettes, des menottes pour s’enchaîner, des antivols, des pancartes… Et je me souviens qu’à la fin la France a été le pays qui a obtenu le plus de traitements en Europe. »
2006-2008 : coprésidence d’Emmanuel Château et Hugues Fischer
Act Up asperge de faux sang la façade de l’Elysée pour dénoncer une réunion où Jacques Chirac se donnait le beau rôle alors que la France baissait son soutien à la lutte contre le sida, les militants placés en garde à vue mais Act Up est parvenus à organiser une manifestation sauvage devant le commissariat ; Act Up a sorti en 2007 une affiche « Votez Le Pen » avec le portrait de Nicolas Sarkozy ; une « attaque » contre le laboratoire Abbott qui punissait la Thaïlande pour avoir recours aux médicaments génériques en retirant d’autres médicaments pour cancéreux, cette attaque a été menée le jour de son assemblée générale, elle a permis une mobilisation internationale et Abbott a finalement cédé, E. Château dit à ce propos « Je pense fondamentalement qu’Act Up a sauvé un paquet de vies… des milliers de personnes… plus généralement Act Up a ramené une repolitisation de la question gay.»
En 2008 Yves Grenu qui a rejoint Act Up en 2005, devient responsable du GAD (groupe d’archives documentation), jusqu’en 2014
2011-2012 : Fred Navarro
2012-2013 : coprésidents Fred Navarro et Cécile Lhuillier
Act Up associe les revendications LGBT à celles des sans papiers et des travailleurs du sexe « l’égalité des droits ne se divise pas » : grande manifestation de janvier 2013, manifestation devant l’Hôtel de Ville suite à l’agression contre Wilfred de Bujin et aux actes de vandalisme contre la façade du printemps des assoces, manifestation le 21 avril 2013 place de la Bastille le jour de la manifestation de la Manif pour Tous ; C. Lhuillier souligne le rôle qu’a eu Act Up pour amener les séropos à cesser d’avoir honte et pour construire une approche transversale (incluant putes, prisonniers, trans, femmes, usagers de drogue, migrants, etc.)
juin 2013-août 2015 : Laure Pora
19 juin 2014, Act Up est placé en redressement judiciaire par le TGI de Paris, à la demande de sa présidente, une réorganisation drastique est imposée, ce qui provoque le licenciement de 6 salariés sur 8 et le déménagement dans un plus petit local ; les archives d’Act Up gérée par le GAD sont déposées aux Archives nationales (Yves Grenu écrit le 23 juin dans Yagg l’article « Les archives nationales, une aubaine pour Act Up Paris »)
Août 2015
1er août 2015 , la présidente Catherine Mérot annonce aux Archives nationales la décision de l’association de lui remettre ses archives papier (cette décision ne s’est pas faite sans tensions, de nombreux membres de l’association ne veulent absolument pas faire un don des archives à une institution)
Peu après, Mickaël Zenouda devient président, il débute son mandat dans une période de crise profonde ; membre de l’association depuis 2010, il quittera l’association en même temps que tout le conseil d’administration en mars 2018 alors que la décision de poursuite de l’activité n’a pas encore été prise par le tribunal ; avec une partie des membres du CA il fondera une nouvelle association Les ActupienNEs (le choix de ce son provoquera la colère de la nouvelle équipe d’Act Up)
Lorsque le film de Robin Campillo 120 battements par minute sera primé à Cannes en mai 2017, Didier Lestrade parle de cette époque « Quand Cleews Vellay est mort, le 18 octobre 1994, ses cendres ont été jetées sur le banquet de l’Union des Assurances de Paris comme si nous nous attaquions aux marchands du Temple. nous inventions de nouveaux rituels de deuil. Ce faux sang déversé dans les fontaines de la Place du Palais-Royal, c’était les plaies d’Egypte… Act Up était une machine conflit, mais c’était surtout un énorme générateur de compassion, de flirt, d’admiration mutuelle… Act Up représente le sommet de notre existence, en tant qu’humains, dans une culture d’(entraide et de générosité, des concepts que la Manif pour Tous devrait pourtant reconnaître de loin au lieu de s’acharner contre les homosexuels, les noirs et l’islam. » ; heureux mais toujours révolté, Didier Lestrade parlera des difficultés de vivre correctement de ceux qui ont, comme lui, sacrifié leur vie au militantisme : « Ne vous trompez pas, notre engagement associatif nous a mis au ban de la société. Nous sommes marginalisés précisément parce que nos années de travail n’nt pas été récompensées… Nous avons traversé la France pour éduquer, discuter, apporter la bonne parole. »…