1992 Démons et merveilles égyptiennes
Au printemps 1992, à 46 ans, j’ai fait une croisière sur le Nil, c’était une croisière organisée par une équipe proche de Gai Pied. Occasion de découvrir l’Egypte que je voulais visiter depuis si longtemps, enivré par l’idée de voir cette Vallée des rois dont on parlait, de voir les pyramides, le temple d’Abou Simbel déménagé à grand frais avec l’aide de l’Unesco – dont parlait avec faconde Christiane Desroches Noblecourt – et les villes mythiques de Louxor et Karnak. Nous allons jusqu’à l’ile Eléphantine et jusqu’au grand hôtel d’Assouan où l’ex-président François Mitterrand avait vécu son dernier voyage de rêve.
J’ai un appareil photo avec téléobjectif je capte comme je peux les scènes de vie et les couleurs de ces magnifiques paysages. Rien ne me laisse en répit, je veux tout voir lors des haltes que fait le navire, tout me réjouit, le contenu du temple de Toutankhamon au musée du Caire, le grand sphinx adossé aux pyramides, tous ces temples richement décorés, mais pas question on n’a pas le temps d’aller au-delà des bords du Nil, d’aller voir la vallée des rois ni Tell-el Amarna capitale d’Akhénaton ou Alexandrie, pas d’immersion au cœur des villes et près des habitants, les regrets sont inévitables.
Une croisière gay, je pensais que ce serait mieux encore afin de joindre l’utile à l’agréable si je puis dire. J’avais le souvenir de rassemblements excitants (campings gay italiens et universités d’été marseillaises). La croisière m’a donné le désir ardent de revenir, la compagnie des gays bien gentils m’a, en revanche, déçue. C’est un hôtel flottant où l’on cohabite avec des touristes ordinaires. Un soir nous nous sommes pliés à la demande de l’organisation, d’esquisser un show pour ce public, nous nous sommes accordés pour chanter un couplet de La vie en rose d’Edith Piaf, rien de bien extraordinaire.
Le temps passe mon désir de retour dans ce pays de rêve ne passe pas.
Un soir de juillet, le hasard me fait rencontrer un garçon – qui deviendra mon compagnon – lors d’une fête d’anniversaire organisée par deux anciens du GLH, Léon (Jean-Pierre Léonetti) et Philippe (Deville-Cavelin) qui fêtent leurs 40 ans. Les années GLH (Groupe de Libération Homosexuelle, 1978-1989) ne sont pas très loin. Cette belle soirée se passe chez Pierre Jolivet (qui aime bien ajouter à son nom celui de sa mère, de Thorey) à Barjols. Grande fête, belle euphorie. On dort comme on peut dans les espaces libres de cette immense villa d’inspiration romaine (Pierre architecte a été heureux de donner la main à cette réalisation), je dors avec Rémy enroulé dans des couvertures. Il se souvenait de m’avoir repéré lors d’une soirée à la Mare aux diables. J’ai succombé à son charme. Mais j’ai connu d’autres rencontres, je ne mise pas particulièrement sur celle-là. Et puis rien ne peut me faire renoncer à ma soif d’Egypte, les dates de mon voyage sont déjà fixées.
Arrivé au Caire, je trouve un hôtel de moyenne catégorie – plus question de l’hôtel 5 étoiles proche des pyramides du premier voyage – je suis libre, je m’immerge dans la ville, dans son chaos et ses foules. Quelle vitalité ! je découvre les divers quartiers marqués par des mosquées anciennes souvent délabrées et des marchés aux mille trésors. Je marche, je marche, assoiffé de découvertes. On pénètre dans un autre monde, tout est découverte et plaisir des yeux. On cite les dynasties, on voit apparaître les grands pharaons, la vie des paysans le long du Nil semble être toujours la même depuis ces temps immémoriaux. Perdu dans les ruelles je m’attarde sur des édifices religieux musulmans non ouverts à la visite, ils sont parfois ouverts à ma demande, je monte ainsi à des minarets, je vois d’autres aspects du Caire.
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Je découvre une libraire-antiquaire qui parle le français, je rencontre en elle une de ces personnes « vestige » et témoin de l’époque où le français était enseigné, où la France avait une place importante, si bien décrite dans le livre Le Tarbouche du journaliste Robert Solé. Elle me vante un tableau où figure en partie l’obélisque jumeau de celui de la place de la Concorde, à l’entrée du temple de Louxor, je suis fasciné et lui achète cette lithographie de l’Ecossais David Roberts (1786-1864) qui a popularisé l’Egypte du début du XIXè siècle et attiré l’attention sur la disparition progressive de cette civilisation ensevelie sous les sables. Je garderai toujours cette gravure auprès de moi.
Aujourd’hui les choses changent, beaucoup de ces vestiges sont mis à jour au fur et à mesure des décennies. Mais nous voyons bien que les archéologues sont à l’œuvre et découvrent sans arrêt de nouvelles merveilles, le temple de Saqqarah est encore largement immergé.
Je prends un train qui m’emmène à Louxor, je suis impatient de revoir cette ville double, de Louxor et Karnak, qui m’a tant fasciné la première fois. Rapidement je trouve un petit hôtel, je marche dans la ville commerçante, il y a beaucoup de touristes mais je ne les vois pas trop, je suis plus libre, mon voyage précédent m’a donné les repères nécessaires, je peux passer du temps dans les ruines, m’attarder devant tout ce qui m’interpelle, voir les Colosses de Memnon, visiter à mon rythme le temple d’Hatchepsout et prendre le temps de voir plusieurs tombes de la Vallée des Rois. Je n’ai pas les explications des guides, je m’arrange avec des bribes d’informations entendues de la part de guides passant à proximité, avec mes propres connaissances et mes intuitions…
Mais il se passe d’autres choses beaucoup plus fortes pour moi, la découverte, que je pressentais bien sûr, du rapport direct avec les hommes, jeunes ou non, en toute liberté.
Dans un magasin, l’homme seul que je suis, attire l’attention. Je vois un jeune homme, il est seul lui aussi, je regarde tous ces objets copies de l’Egypte ancienne ou attrape touristes. Je lui demande s’il a un ouchebti (un de ces objets figuratifs qui accompagnent la momie), non par une copie mais un original, il nen a pas mais se fait fort de m’en trouver un. Je dois repasser. La fois suivante je le vois assis sur le sol, la djellaba relevée, je n’en crois pas mes yeux, il bande en me regardant, il est tétanisé, je le suis aussi. Je comprends rapidement, il me propose un rendez-vous en fin de journée lots de la fermeture du magasin. Ils sont alors 3 ou 4, nous partons assez loin, à pied ce me semble, la nuit tombe vite, un endroit isolé suffit, l’intensité érotique se déchaîne, nous sommes les uns avec les autres dans une incroyable frénésie, dans les talus. Il n’y a aucun obstacle au désir sexuel. Ma présence d’homme mûr seul, suscite l’appétence, cela ne veut pas dire que je passe de mains en mains, je reste avec celui que je connais pendant que les autres font leurs affaires.
Un jour je veux prendre l’une de ces petites barques qui proposent un parcours sur le Nil parmi les iles. Je monte dans l’une d’entre elles, un garçon est tout heureux de m’accueillir, il est visiblement dans toute la vigueur de son adolescence, je ressens cela, très vite, Mahmadou – comme il se dénomme – me propose de m’emmener à l’île aux bananes, île un peu théorique car très vite je vois qu’il y en a plusieurs, nous avons vite compris l’un et l’autre l’objet de cette escapade, il faut aller le plus loin possible pour échapper aux regards. Quand nous accostons sur l’une d’entre elles nous sommes encore trop exposés aux regards, mais là aussi c’est très théorique, il n’y a aucune embarcation à l’horizon, nous nous enfonçons sous les bananiers. A un moment le garçon s’assoie au sol et dévoile son sexe, il approche ma tête de son sexe, il veut que je le pompe, je m’exécute de plus ou moins bonne grâce, car je n’aime que moyennement d’être ainsi guidé. Mais je suis moi-même suffisamment excité pour y prendre un grand plaisir. L’escapade est inattendue et tellement belle.
Peu après, je vis un autre évènement marquant, un jeune homme me propose d’attendre la nuit. Nous partons en voiture à plusieurs kilomètres dans un endroit isolé, je sais bien que je vais encore vivre un moment étonnant. Nous arrivons sur un plateau mais il fait un noir absolu, impossible de distinguer qui est là, je vois bien que nous sommes plusieurs. Celui qui m’a fait venir ne s’intéresse qu’à moi. Il veut me pénétrer, je reste debout, je me penche. Il fait son affaire mais je ne sens pas grand-chose et surtout, je suis extrêmement mal à l’aise car je sens que j’ai un peu de diarrhée. Le noir me préserve d’une partie de ma honte, il me pénètre avec facilité mais le lubrifiant n’est pas très honorable. Je suis mortifié.
Un autre jour, je vais un peu à ma façon, à la découverte de l’Egypte ancienne hors de la ville de Louxor, selon une vieille habitude d’aller par moi-même hors des sentiers battus. J’arpente une colline mais je vois assez vite un militaire avec une arme, il me fait comprendre que c’est un que je suis dans un terrain militaire. Je ne comprends pas trop l’interdiction, je continue à monter, le militaire me suis, pas très convaincant dans sa volonté de d’arrêter mon cheminement. A un moment, je m’arrête et m’adosse à un grillage, je lui fait signe de venir vers moi. Il est vite saisi par un sentiment indéfinissable, il comprend, il s’approche, je le colle contre moi. Il ne peut se retenir, il se laisse aller, il éjacule dans son pantalon (j’en vois la trace). Puis nous nous séparons, rien n’a été dit, tout a été fait, je redescends sans réprimande. Il a obtenu que j’obtempère. Jolie petite histoire dont je garderai le souvenir.
Je ne cesse d’arpenter les ruines, de Louxor, de Karnak et de l’autre rive du fleuve, je regarde aussi le travail incessant des paysans pour l’irrigation et les transports sur les charrettes. Tout m’éblouit, le lien entre le passé et le présent. Les boutiquiers avec leurs produits en albâtre sculptés par dizaines pour les touristes, les couleurs vives, la lumière, la chaleur. Les sphinx, les colonnes antiques, les hiéroglyphes, tous ces pharaons qui sont encore très présents, je me laisse porter par le plaisir de l’immersion.
Au pied de mon hôtel, un garçon à qui j’ai adressé la parole quelques jours auparavant me fait comprendre son désir. Je ne l’avais pas trop remarqué, je ne résiste pas. Il me fait entrer dans une antichambre. Il veut toucher mon sexe, il veut que je touche le sien. Je suis vite désarmé, il a une poche énorme au-dessous du sexe, un genre d’éléphantiasis des couilles. Je découvre la difficulté dans laquelle il doit de trouver, comment savoir qu’il a grave problème, s’il n’ose pas monter cela, s’il n’a personne pour l’alerter. Je suis désemparé, je ne peux que lui donner le petit plaisir d’avoir touché mon sexe.
La disparition de Tell el Amarna m’intrigue, je veux absolument aller voir cette ville disparue, créée de toutes pièces par le pharaon maudit Akhénaton. Il a voulu rompre avec sa tradition, créer sa propre religion. Prétention extraordinaire ou soif de liberté. Je vais découvrir ces ruines. Je rencontre sur place un couple d’allemand qui comme cherche à savoir, ils ont en mains un texte bien plus fouillé que le mien, ils lisent sur le sol bien plus de choses que je ne vois. Tout a été détruit mais la capacité d’un pharaon à construire une ville ne peut qu’interroger.
Après toutes ces aventures, je regagne le nord, le Caire et Alexandrie. Je suis gonflé par la joie de la liberté. Mais dans les grandes villes, je m’en rendrai compte peu à peu, la liberté n’est plus la même. Je veux revoir le Caire, la ville fabuleuse, je veux aller à Alexandrie où un oncle éloigné, père jésuite, a joué un rôle important dans un établissement scolaire, à la tête d’une revue littéraire diffusée dans l’Afrique francophone.
Au Caire, je vais cette fois dans un hôtel peu cher d’un quartier populaire. Je visite la ville, des musées, les quais du Nil avec une attirance obscure. Je marche longuement comme à l’habitude pour découvrir de nouveaux aspects de la ville. Mais largement inconscient, je reste dans mon désir nouveau de rencontre sexuelle. Dans mon hôtel j’annonce la couleur – je ne sais plus exactement comment je me suis affiché -, très vite le jeune patron, de l’hôtel comprend. Un homme de service comprend aussi, il n’a de cesse de m’importuner dans la salle de bain ouverte à tous les passages. Son affichage, son apparence ne me conviennent pas, je lui échappe. En revanche le jeune patron que j’avais un peu oublié, trouve une occasion pour venir dans ma chambre, je ne peux me dérober, il me fait vitre comprendre que son désir c’est de me pénétrer. Après mon avance du premier jour, je ne pouvais guère me défiler. Je me laisse faire sans y prendre plaisir, Ce n’est pas tout à fait ce que j’aurais souhaité mais je continuais sur ma ligne d’insouciance et de libertinage.
Peu après dans un musée du Caire, je suis suivi par un gardien qui finit par venir me trouver dans les toilettes, il arbore alors un sexe impressionnant qui ne m’attire pas du tout, lui aussi veut me pénétrer. Le touriste solitaire que je suis, légèrement vêtu, a dû attirer son attention. Mon regard aussi, quoique je ne sache pas très bien comment mon regard a pu croiser le sien.
Je n’ai pas trop le temps de m’attarder au Caire. Alexandrie m’attend. Une ville aussi passionnante avec son mythique phare et sa toute aussi mythique bibliothèque. Je découvre justement la nouvelle bibliothèque en construction. J’arpente les rues avec plaisir, à la découverte des pâtisseries et des préparations à manger sur le pouce. J’ai trouvé un hôtel correct près d’une belle place face à la mer. Malheureusement, comme au Caire les poubelles bien mal collectées semblent tout simplement envoyées dans la cour intérieure de l’hôtel où elles s’accumulent.
Sur la place, je rencontre un garçon adorable, il est tout à fait d’accord pour me suivre. Je l’amène à l‘hôtel. Je suis alors hélé par le patron de l’hôtel qui me signale une interdiction de recevoir quelqu’un. Je fais fi de cette interdiction et monte avec ce garçon. Malheureusement, nous sommes l’un et l’autre en train de nous déshabiller quand nous voyons arriver deux « policiers » avec le patron. Je fais face, considérant que je suis dans mon droit, mais je ne me rends pas compte qu’au bout du compte ce n’est pas moi qui suis visé, mais ce garçon qui est emmené par eux je ne sais où. Je suis déçu de cette non-rencontre mais je suis surtout mortifié de l’avoir ainsi exposé à la vindicte de la police. Je comprends que c’est lui qui a pris le plus grand risque.
Je suis toujours en recherche de rencontre, et depuis que j’ai opté dans mon parcours personnel pour l’homosexualité visible, je ne choisi pas les heures sombres et les quartiers obscures, d’autant que je suis particulièrement nul pour faire une rencontre dans un lieu de perdition. Le long du quai, je rencontre des jeunes gens, lycéens sans doute, le fait que j’engage la conversation attire des amis à eux. Je suis bien avec eux, ils sont heureux autant que moi, de m’entendre parler de moi, de la France, de mon voyage. Nous déambulons pendant un long moment. Mais je m’impatient de n’avoir rien d’autre à faire que de parler. Je finis tout de go que j’aimerais bien faire l’amour. L’équivoque s’installe, tel ou tel me propose de rencontrer une fille. D’autre peu à peu comprennent ma demande et s’éloignent un à un. Dans un autre contexte l’un ou l’autre m’aurait peut-être suivi, mais là… La longue marche avait été agréable mais je voyais bien qu’un désir comme celui-là ne pouvait être exposé publiquement. Aucune agressivité cependant…Je fini par me retrouver seul, un peu triste, mais sans trop de regrets car je l’avais bien cherché…
Ainsi ai-je vécu ce rêve égyptien, entre démons et merveilles. Réminiscence pour moi du chant que je chantais quand j’étais Petit chanteur de Provence « Démons et merveilles, vents et marées. Au loin déjà la mer s’est retirée » de Jacques Prévert.
La réalité rattrapera très fort l’Egypte lorsque le 11 mai 2001, les homosexuels rassemblés sur le Queen Boat, sur le Nil, seront emmenés par la police et odieusement dénoncés en place publique. Il y a la réalité qu’on croit apercevoir et celle que vivent les habitants. De la même façon au Sénégal, j’ai vécu quelques très beaux moments en 1977-1978, mais la terrible réalité s’est abattue sue le pays, avec les arrestations du lac Rose, plus tard les terribles années 2008-2009 puis l’histoire horrible relatée par le romancier Mohamed Mbougar Sarr dans De purs hommes en 2018. Vient le temps où le couvercle se referme sur l’Afrique, celui de la police des mœurs.
De mon côté, je retrouverai Rémy. Nous nous attacherons l’un à l’autre et ma vie deviendra toute autre.