Décès de Jean Le Bitoux

Jean le Bitoux 2010Communiqué de presse

Le MDH a la douleur d’annoncer la disparition de Jean Le Bitoux, son président fondateur

 

 

 

Jean Le Bitoux, figure historique du mouvement LGBT français et président fondateur du Mémorial de la Déportation Homosexuelle s’est éteint dans la nuit du mardi 20 avril 2010 à l’âge de 62 ans des suites d’une longue maladie.

 

Atteint du VIH depuis plusieurs années, Jean Le Bitoux était hospitalisé depuis quelques semaines suite à la détérioration de son état de santé.

 

Son décès à quelques jours de la Journée Nationale du Souvenir de la Déportation décuple notre tristesse et accroît le choc que nous ressentons. En effet Jean Le Bitoux tenait tout particulièrement à assister à ces commémorations ; l’an dernier encore, malgré une santé fragile, il avait tenu à participer à la cérémonie parisienne.

 

Après la mort de Pierre Seel, premier et seul Français à avoir témoigné publiquement de sa déportation pour motif d’homosexualité, celle de Jean Le Bitoux dont il était très proche, constitue une grande perte pour la mémoire LGBT en France. Jean Le Bitoux a publié deux livres consacrés à la déportation pour motif d’homosexualité : « Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel » et « Les oubliés de la mémoire »

 

Sa disparition nous bouleverse et nous prive du père spirituel qu’il a été pour chacun(e) des adhérents(es) du MDH

Avec nous, il était à la fois exigeant, perfectionniste, intransigeant, provocateur, drôle, affectueux et tendre ; c’est ce qui le rendait si attachant !

 

Toutes les personnes qui souhaitent contribuer financièrement à l’hommage que nous lui rendrons (publication de faire part, couronne de fleurs) peuvent nous contacter sur mdhcontact@yahoo.fr

 

En poursuivant son combat, en pérennisant ses engagements, nous tâcherons toutes et tous ensemble d’être dignes de lui.

 

 

Hussein Bourgi

Le Président du MDH

 

Le Monde daté du 28 avril 2010   MILITANT DU MOUVEMENT HOMOSEXUEL  Jean Le Bitoux 

Jean Le Bitoux, l’une des figures du mouvement homosexuel français, est mort, mercredi 21 avril, à l’âge de 61 ans.                                               Né en 1948, à Bordeaux, le  » petit-bourgeois, pianiste et fils d’officier «  qu’il était dans sa jeunesse rompt vite avec un milieu familial qui refuse son homosexualité. Dans l’effervescence des années 1970, il rejoint les milieux maoïstes, où il rencontre une  » forte homophobie «  » Si le mouvement révolutionnaire a du mal à vous accepter, vous n’avez qu’à être plus révolutionnaire que les révolutionnaires « , lui recommande Simone de Beauvoir. Jean Le Bitoux n’a guère besoin de ce conseil : il milite déjà dans les milieux radicaux gays. Au début des années 1970, il crée, à Nice, un groupe du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), qui s’est donné pour mission de  » faire la guerre aux normaux et l’amour entre nous « . Aux élections législatives de 1978, il se présente comme  » candidat homosexuel «  aux côtés de Guy Hocquenghem. Tous deux revendiquent l’abrogation de l’article 331 du code pénal, une disposition héritée du régime de Vichy qui punit de prison les  » actes impudiques ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans « . Il faudra attendre 1981 pour que ce texte soit abrogé par le garde des sceaux, Robert Badinter. En 1979, Jean Le Bitoux fonde le magazine Gai Pied, la première publication gay vendue à grande échelle en kiosque.  » Depuis sa mort, je ne cesse de recevoir des coups de téléphone d’homosexuels de 50, 60, 70 ans qui me disent que ce magazine a été pour eux une véritable bouffée d’oxygène, raconte aujourd’hui Hussein Bourgi, qui a succédé à Jean Le Bitoux à la tête du Mémorial de la déportation homosexuelle. A l’époque, c’était le seul moyen de se procurer des informations sur l’homosexualité en France et dans le monde.  » Gai Pied fait appel à des intellectuels – il publie un texte sur le suicide de Michel Foucault et un entretien avec Jean-Paul Sartre -, réalise des enquêtes sur le monde gay, propose des critiques culturelles, offre un espace de petites annonces et de courrier à une communauté encore très stigmatisée. En 1982, les ventes mensuelles s’élèvent, selon Jean Le Bitoux, à 30 000 exemplaires. La crise ne tarde cependant pas à arriver : en 1983, alors que les boîtes de nuit et les saunas gays se multiplient, Jean Le Bitoux, suivi par une partie de l’équipe, rompt avec le magazine en dénonçant ses dérives commerciales et publicitaires.  » Le Gai Pied était tombé dans le guêpier du consumérisme, de la désinformation et du parisianisme, expliquait-il. L’unique hebdomadaire homosexuel au monde des années 1980 et 1990 est mort pour avoir abandonné son projet social.  » Dans les années 1980, alors que le sida commence à faire des ravages, Jean Le Bitoux, qui est séropositif, s’engage au sein de l’association Aides et participe à l’organisation de la Marche des fiertés. Avec cette manifestation, Jean Le Bitoux veut mettre fin à  » la culture de l’esquive «  » Nous avons marché au milieu de la rue après avoir tant rasé les murs « , écrivait-il en 2003 dans son autobiographie, Citoyen de seconde zone (Hachette Littérature). Son dernier combat a été pour les déportés de la seconde guerre mondiale. En 1989, il fonde le Mémorial de la déportation homosexuelle avant de publier deux ouvrages : le témoignage de Pierre Seel, déporté en 1941 au camp de Schirmeck (Calmann-Lévy, 1994) et Les Oubliés de la mémoire (Hachette Littérature, 2002). Un travail qui a conduit le président Jacques Chirac, en 2005, à évoquer explicitement la persécution des homosexuels lors de la Journé e du souvenir de la déportation. Anne Chemin                                             16 août 1948 Naissance à Bordeaux   1979 Fonde le magazine  » Gai Pied  »    1989 Crée le Mémorial de la déportation homosexuelle 21 avril Mort à Paris

 

TRENTE ANS DE COMPAGNONAGE

HOMMAGE A JEAN LE BITOUX

 

Quelle énergie tu as déployée depuis le début des années 70 où, à Nice, vous êtes déjà une vingtaine à créer le FHAR, tu avais connu le Paris des Beaux Arts de 1968 où ta passion pour la musique t’avait naturellement amené ! Tu savais que désormais tu te battrais.

Pionnier à Paris parmi les animateurs du GLH, puis du GLH-PQ, tu n’as pas froid aux yeux lorsque tu es candidat aux élections législatives en 1978.

 

C’est cette année-là je te rencontre au Mazel, en Ardèche, en juillet, déjà toute une équipe t’entoure pour réfléchir de façon ludique au projet de journal.

Moment merveilleux pour moi alors qu’enfin j’assume mon homosexualité, je rencontre une équipe de gens passionnants, tu en es l’âme.

Et puis tout va très vite, Gai-Pied paraît, nous sommes deux ou trois à Marseille, à nous dépenser, qui pour écrire (Roland Thélu, Marco Lemaire), qui pour vérifier sa diffusion en kiosque, face aux terribles NMPP.

 

Le GLH de Marseille est alors une fourmilière où tant de choses se passent : films, débats, apparitions publiques, émission de télévision, université d’été… Ailleurs à travers la France d’autres GLH apparaissent et tu pressens combien tout cela est porteur.

Tu veux des correspondants partout pour le journal. Tu souhaites qu’il s’appuie sur le mouvement militant. Tu sillonnes la France.

 

Mais le journal pour toi est bien autre chose, pendant que les militants s’organisent au niveau national, à travers le CUARH par exemple, tu portes notre « revendication », notre parole très haut, auprès de nos grands intellectuels et des grands artistes, auprès des ministères, et très loin, grâce au journal, vers ceux que les militants n’arrivent pas à toucher. Tu donnes l’occasion de tant de recherches sur notre histoire, nous apprenons grâce à Gai-Pied que nous existions loin dans l’histoire, que nous sommes des milliers et des milliers aujourd’hui, en France et bien au-delà, un courant de vie, d’affection, d’amitié, de solidarité se construit à une vitesse impressionnante.

 

Infatigable et fort de ce mouvement encore largement souterrain, tu n’as pas peur d’affronter les « grands », tu te mobilises pour le procès Elchinger, poursuivant cet évêque après ses propos insupportables.

Tu es aussi pour nous l’un de ces rares « parisiens » à être proche des provinciaux que nous sommes, tu viens nous voir au GLH de Marseille et aux Universités d’Eté Homosexuelles.

 

En 1983, le coup est rude, les déchirements à Gai-Pied sont terribles, avec une énergie incroyable tu rebondis déjà, tu viens aux UEH avec ton équipe et son « Gai-Pied au cul », et vous vous retrouvez après, à Avignon, en plein Festival, pour faire connaître votre dissidence et travailler à de nouveaux projets.

 

Nous nous retrouvons autour d’un projet de Fondation Mémoire des Homosexualités (avec Geneviève Pastre et Jacques Van dem Borghe, tes compagnons du procès Elchinger), tu te désoles de voir disparaître des anciens militants porteurs de mémoire, dont toutes les archives sont jetées à la rue par les familles, tu nous parles de Pierre Hahn et d’autres.

 

Nous nous jetons avec avidités sur tous les nouveaux journaux que tu lances : Profil, Mec Magazine, la revue H, etc. Tu entretiens des réseaux incroyables, de nombreux amis te font confiance, les uns pour t’aider financièrement, les autres pour t’apporter leurs plumes, leurs contributions, leurs recherches.

Tes amis ne retiennent pas tes échecs, ils retiennent ta force, ton projet, ton énergie, sans le savoir tu les aides à vivre, à se battre.

Mais très vite le SIDA et bien d’autres combats t’attendent.

Je te revois trop peu, de loin en loin, chez toi, au Duplex, dans les locaux d’Arcat-Sida, ou lorsque tu prends la parole à la fin de la Gay Pride de Paris devant une foule immense, ton corps fragile recèle une force émouvante.

A Marseille, il suffit que nous t’invitions, tu es toujours prêt à venir. Ton leitmotiv c’est de toucher les homosexuels les plus éloignés, dans les petites villes et les campagnes, qui sont écrasés par la morale, culpabilisés.

La difficulté pour toi a été si grande de vivre ta vie amoureuse que tu penses à chaque instant à ceux qui sont empêchés de la vivre.

 

Et puis un jour, je te vois à Toulouse, chez Pierre Seel, tu termines un livre avec lui. C’est difficile pour lui, car sa mémoire est à vif, c’est difficile pour toi car il a un caractère de chien. Mais tu sens combien ce combat est essentiel ; grâce à toi Pierre Seel sera connu.

Avec toi, nous nous battrons sans relâche pour la reconnaissance de la déportation des homosexuels.

 

Passer du temps avec toi est toujours pour moi du temps gagné. Ton intelligence m’aide à comprendre les choses. Ta disponibilité permanente de la part de quelqu’un qui travaille sans relâche m’étonne. Tu es pour moi une référence de première importance.

 

 

Christian de Leusse

15 mai 2010