Années 1900-1910

La Belle époque est aussi le temps des « cocottes », courtisanes qui vivent de leurs charmes, artistes et « demi-mondaines », plusieurs d’entre elles s’affirment alors – discrètement – comme homosexuelles : la Castiglione (aristocrate italienne missionnée pour charmer Napoléon III, elle deviendra sœur Anne-Marie-Madeleine de la Pénitence après une révélation mystique), Mata Hari (danseuse et courtisane née en Hollande, éprise d’un capitaine russe en 1916, elle finira fusillée pour espionnage en 1917), Emilienne d’Alençon,(qui se produit en collant rose avec des lapins roses), Liane de Pougy, Caroline Otero (qui se produit nue à Saint-Pétersbourg, qui accepte 25 000 francs pour 1/2h passée avec un vieux barbon fortuné qui s’endormit, habitant une résidence somptueuse à Paris, elle finira sa vie dans une chambre d’hôtel meublé à Nice), Blanche d’Antigny, Cléo de Mérode (la sainte nitouche, la seule qui dise son vrai nom, elle danse la javanaise et la gavotte) , la Païva (grande amie de Théophile Gautier, elle sera décrite comme une bête de sexe) et d’autres moins connues Clémence de Pibrac, Lina Cavalieri, Lise Fleuron ou Marion Delorme ; en toutes circonstances elles sont élégantes, avec leurs bijoux et leurs chapeaux, leurs robes sont signées Jacques Doucet, Jeanne Paquin, Frédéric Worth, fondateur de la haute couture, et Paul Poiret qui abolit le corset ; Paris la ville où on s’amuse attire alors les souverains de Russie, de Belgique, d’Espagne ou du Portugal ; elle contribuent à lancer la Riviera en empruntant les trains de luxe ; pour beaucoup d’entre elles, ces femmes ont un désir de revanche sur les hommes, la Belle Otero fut violée à 11 ans par un cordonnier, Liane de Pougy fut mariée de force un Marseillais brutal et jaloux, la Païva connu le ghetto juif de Moscou

Début du XXème siècle : près de 300 cafés-concerts animent les nuits parisiennes, les foules bourgeoises et populaires s’y brassent joyeusement, dans les cafés chantant, brasseries à musique, cafés de théâtre, puis les cafés concert (qui deviennent caf’conc’) ; Anatole France se désole de cette « féerie du laid, de l’obscène et du grotesque »; on chante « Le samedi soir après l’turbin » avec le refrain « Viens poupoule, viens poupoule, viens » chanté pour la 1ère fois par Félix Mayol à l’Eldorado le 18 novembre 1902 (avec cette chanson, il empochera 192 000 francs-or), l’Hirondelle du faubourg, la Paimpolaise, la Chanson des blés d’or, Fascination, Frou-Frou, la Mattchiche, Ta-Ma-Ra-Boum-Dié ! , Rue Saint-Vincent, le Fiacre, le Grand Métingue du Métropolitain, etc. ; les salles deviennent de plus en plus  grandes et brillantes sur les grands boulevards ou à Montmartre à Paris, mais aussi dans les grandes villes, et le cinéma  de Méliès et des frères Lumière prend peu à peu la relève

Début du XXème siècle : Le Monsieur aux chrysanthèmes, 1ère pièce de théâtre homosexuelle français, est créée par Carle-Lionel Dauriac, autrement appelé d’Armory, on reconnaître dans la pièce les traits (de Maxime du Camp ?,) d’Oscar Wilde, de Jean Lorrain, ou de Liane de Pougy

Début du XXème siècle : en Allemagne le nombre de prostituées se situe entre 330 000 et 1,5 million, soit 3% à 15% des femmes âgées de 15 à 40 ans

Début du XXème siècle : en Afrique et en Amérique latine, les ethnologues mettent à jours les mœurs des populations premières ; chez les Nuer du Kenya il existe des mariages entre femmes, la femme-mari est mariée, elle est stérile, elle est pourtant vue comme un homme et lorsqu’elle revient plus tard dans sa famille d’origine elle est frère parmi les frères, et quand elle a un troupeau suffisant pour obtenir une épouse, cele-ci la servira et lui donnera des enfants grâce aux soins d’un serviteur que son « mari » appointe pour ce service et qui ne sera jamais reconnu comme père ; chez les Nambikwara du Brésil, un jeune homme peut s’amuser sexuellement avec ses cousins croisés (enfants de sœur de père et de frère de mère), comme substitut de la cousine croisée qu’il devra épouser ; chez les indiens d’Amérique du nord, les « berdaches », hommes vêtus en femmes et se comportant comme elles, vivent avec d’autres hommes, dans l’attente que ces derniers prennent conjointes

Années 1900-1910 : le toulonnais Félix Mayol (1872-1941) connait son heure de gloire au Palais de cristal à Marseille puis à Paris au Concert parisien, qui devient en 1910 le Concert Mayol, avec ses chansons à succès comme la Paimpolaise, Viens Poupoule ou Les Mains des femmes tirées de son opérette Cinderella, son répertoire sera évalué à 500 chansons ; son jeu de scène efféminé est la cible des journalistes, son « mariage » avec Mistinguett inventé de toute pièce fait beaucoup rire

Années 1900-1910 : au Danemark, Einer Wegener, né en 1882, est le 1er homme connu devenu femme  sous le nom de Lili Elbe, il échappe à des médecins prêts à le lobotomiser pour guérir sa perversion ou à le faire enfermer chez les fous, elle s’affirme et s’acharne à faire disparaître l’homme que son amie Gerda continue à aimer (le film Danish Girl retracera cette histoire en 2016)

Années 1900-1910 : les dessins satiriques qui paraissent dans L’assiette au beurre, Fantasio ou La Vie Parisienne sont souvent cruels et agressifs à l’égard des homosexuels, ils sont caricaturés sous des traits très éffeminés ou visant à discréditer à tort ou à raison des hommes politiques ; et à partir de 1907 elle fait ses choux gras de l’affaire Eulenberg qui éclabousse l’empereur d’Allemagne, prenant plaisir à présenter l’ennemi sous des traits féminins

Années 1900 : Madeleine Lemaire (1845-1928, née Madeleine Coll), peintre, tient l’un des salons les mieux fréquentés que Marcel Proust a découvert en 1891, à l’âge de 20 ans,  il fréquente aussi ceux de la princesse Mathilde, de Marguerite de Saint-Marceaux ou encore de la princesse de Polignac, il y rencontre les plus illustres du moment (Maupassant, Gounod, Degas, Edmond de Goncourt, Anatole France, Zola, Alexandre Dumas fils), et ceux qui fourniront des matériaux pour ses personnages (Boni de Castellane, Reynaldo Hahn, Robert de Montesquiou, Marie de Benardaky ou encore le comte et la comtesse de Greffulhe)  ; plusieurs femmes peintres illustrent cette période – Berthe Morisot, Rosa Bonheur, Louise Abbéma, Louise Breslau et Mathilde Herbelin – qui jouent un rôle dans la marche d’émancipation des femmes

Années 1900 : Natalie Barney (1876-1972) a passé son enfance aux USA puis a connu à Paris le prestigieux internet de filles Les Ruches qui a joué un rôle dans son éducation sentimentale, elle a hérité de l’énorme fortune de son père ce qui lui permet de se concentrer sur son écriture ( qui donnera naissance à 5 volumes de poésie, mémoires et épigrammes) ; elle a eu une première relation avec une fille russe et un diplomate belge l’a alors traitée de « vicieuse », elle mêle poésie lyrique et attirance féminine, elle classera ses amours en 3 catégories liaisons, demi-liaisons et aventures, avec parmi celles-ci Eva Palmer, Renée Vivien, Romaine Brooks et Lily Gramont, son Paris-Lesbos ; adolescente, elle a rencontré Eva Palmer aux USA dans le Maine au cours d’un été parmi des familles riches, entre randonnées à cheval et lectures d’auteurs grecs, vie arcadienne, délices sensuels et nudité, elles se retrouveront à Paris et formeront vaguement un couple pendant plusieurs années, partageant volontiers d’autres femmes, ainsi dans les salons hebdomadaires de Barney, Eva Palmer rencontrera Pénélope Duncan (épouse de Raymond, frère d’Isadora Duncan) avec qui elle partagera son amour de la Grèce (puis épousera Angelos Sikelianos futur poète grec de renom) ; Eva Palmer interprète des lectures de scènes de théâtre de Colette au Barney ‘s Temple d’amitié (un temps Sarah Bernhardt la repère et l’invite pour jouer dans une de ses productions) ; Natalie Barney rencontre Renée Vivien avec laquelle elle partage une passion pour Sappho, elles sont très opposées autant Barney est sociable, vibrante, bonne vivante et attirée par la vie, autant Vivien est introvertie, dépressive, prudente et pessimistes, Renée Vivien a trouvé une muse  pour inspirer ses premières poésies, Etudes et préludes en 1901 suivies de Cendres et Poussières en 1902, tandis qu’elle a inspiré à Barney Je m’en souviens en 1904, l’intensité de cette relation aura un écho considérable sur Natalie au-delà de la mort de Renée Vivien en 1909 ; Natalie Barney est séduite par Lucie Delarue-Mardrus, par désir érotique et par sa poésie féminine, elles fréquentent ensemble Pablo Picasso, André Gide, Camille Claudel, Octave Mirbeau, Margueritte Moreno et bien d’autres, Natalie deviendra la muse et le modèle  de Lucie dans plusieurs de ses oeuvres comme L’Ange et les pervers en 1930 et Nos secrètes amours en 1951, leur relation laissera Natalie désillusionnée et blessée mais elle resteront amies jusqu’à la mort de Lucie en 1945, après sa mort Natalie publiera le recueil des oeuvres de Lucie Nos secrètes amours qui illustrera la tension romantique de leur relation, certains poèmes comme La Bête sont particulièrement érotiques (amour physique, ébats amoureux, sexe génito-buccal, nudité, odeur) ; ses relations avec Elisabeth de Gramont (1875-1954) et avec l’artiste américaine Romaine Brooks sont probablement les plus importates en termes de durée et d’influenc, pendant de nombreuses années elles forment une triade romantique, Elisabeth est la dernière duchesse de Clermont-Tonnerre, l’une des dames aristocrates les plus respectées, elle est mère de deux enfants, c’est Lucie Delarue-Mardrus qui l’a présentée à Natalie en 1910, elles concluent ensemble en 1918 un « contrat de mariage » qui ne prévoit pas la fidélité physique, Elisabeth deviendra le modèle de la nouvelle Barney, Natalie dit à son propos « Elle est venue à moi parce que sa vie était brisée et que rien n’avait beaucoup d’importance », elle publiera une critique des écrits de Gramont dans Aventures de l’esprit en 1929 et lui rendra hommage dans Souvenirs indiscrets, Barney apparaît dans les mémoires de Gramont Years of Plenty ; Romaine Brooks (1874-1970) vient comme elle d’une riche famille américaine, mais a vécu pauvrement de sa peinture jusqu’à ce qu’elle hérite à 28 ans, elle expose en 1910 à Paris ses portraits de femmes lesbiennes, son talent est reconnu, Robert de Montesquiou la qualifie de « voleuse d’âmes », sa vie se partage entre Paris et Capri, elles se rencontrent en 1916, leur cercles d’amis se croisent (Ida Rubinstein, la princesse de Polignac), par sa peinture Brooks est un peu peintre de cour, queer en particulier, qui contribue significativement à la littérature et à l’art de 1910 à 1930, leur relation durera plus de 50 ans ; le salon de Natalie Barney au 20 rue Jacob, est très créatif et stimule les collaborations, y compris internationales, c’est l’épicentre d’une confrérie saphique de femmes créatives, mais ouvert aux hommes, il y vient aussi la poétesse Radclyffe Hall, la sculptrice britannique Una Troubridge, l’artiste américaine Thelma Wood, l’écrivaine Anaïs Nin, l’artiste américaine Eyre de Lanux, la peintre Marie Laurencin, le photographe Man Ray, et lorsque Natalie Berney créera l’Académie des femmes en 1927 Rachilde, Colette et Gertrud Stein y seront honorées ; Colette et Barney se sont rencontrées en 1903 dans les salons de la comtesse de Chabanne, Colette et Willy habitent alors au 28 rue Jacob, leur amitié s’épanouit et durera jusqu’à la mort de  Colette en 1954, dans un courrier Colette lui écrira « Mon mari vous baise la main, et moi tout le reste », elle est restée brièvement avec Natalie Barney avant de vivre avec son amante Missy, marquise de Belbeuf, qui méprisait quelque peu Barney « pour ses origines juives et sa fortune faite dans le commerce », Colette a rencontré Renée Vivien grâce à Barney, elle lui consacrera un chapitre dans Le Pur et l’impur en 1932 qui témoigne de leur grande amitié jusqu’au décès de Renée en 1909 ; Rémy de Gourmont et Barney entretienne une amitié profondément intellectuelle qui explore toutes les facettes de la vie ; Gertrude Stein et Barney ont entretenu une amitié chaleureuse, Stein écrit Making of Americans et Barney traduit ses textes ; arrivée en 1924 la romancière américaine Djuna Barnes tombera rapidement dans l’orbite de Barney et écrira Ladies Almanach

Années 1900 : Laure Murat qui consultera les archives de la brigade des moeurs de Paris (pour son livre Proust, roman familial, 2023) découvrira « des histoires sordides de chantages, menaces et de traquenards où Jésus (prostitués) et mouchards, policiers jouant les appâts et malfrats déguisés en commissaires, rivalisent d’ingéniosité pour profiter de la faiblesse de quelques hommes riches. Y figurent des grands noms qui pourraient être ceux de la Recherche, qu’il s’agisse de Villemain, professeur respecté de la Sorbonne et ancien ministre de l’Instruction puiblique, ou du prince de Montmorency, surpris en mauvaise posture (« Le prince se faisait enculer »). C’est là d’ailleurs la plus grande surprise des policiers : la passivité, dans l’acte sexuel, des maîtres par rapport aux domestiques ou aux ouvriers, qui jouent un rôle actif », que l’homme de haut niveau « fasse la femme » présente un danger évident « le maître peut se trouver sous l’emprise du domestique, er par extension tout pouvoir être renversé. C’est pourquoi la police sera prompte à réaffirmer l’ordre (politique) dans le désordre (sexuel), à l’heure où le rapport homme-femme, agent-patient, sodomisant-sodomisé, demeure indissociable de la relation dominant-dominé. En 1883, un rapport de la police des moeurs du Conseil municipal de Paris identifie clairement les deux parties : ‘Quand un couple est pris, généralement un drôle qui se vend des garçons coiffeurs, de jeunes domestiques sans place, des apprentis et autres du même acabit -, garçon de peu, sujet passif, est retenu et paye pour son complice, sujet actif, personnage honorable’ – ce dernier, admet l’auteur du rapport, ayant rarement maille à partir avec les tribunaux. Quelques années plus tard, une étude sur le Vice à Paris corrobore ces propos ‘Les pédérastes se recrutent généralement dans les deux classes les plus opposées de la société : celle dite du monde, qui fournit la part active, et la dernière, composée des individus formant la partie féminine… La classe bourgeoise est, en général, exempte de cette infection morale’ « . Ce préjugé fait sourire aujourd’hui note Laure Murat qui notera cependant que c’est ce qui se passe pour l’essentiel dans les écrits de Proust, « à l’exception du banquier Nissim Bernard ou du violoniste Morel (fils honteux de domestiques ayant intégré la bourgeoisie), les bourgeois (Cottard, Verdurin, Swann, Bontemps, Elstir, Vinteuil…) qui dans l’ensemble « n’en sont pas », pas plus que le narrateur (soit Proust lui-même)… »

Années 1900 : en Grande-Bretagne, Roger Casement est consul, il enquête sur les atrocités commises au Congo (belge) par l’administration du roi Léopold de Belgique, en 1910 il débarquera en Amazonie pour dénoncer les exactions des firmes industrielles du caoutchouc contre les indiens ; anobli par le roi, il est considéré comme un des plus grand héros du pays, en 1914 devenu un militant de la cause irlandaise il sera à Berlin en pleine guerre recherchant le soutien de l’Allemagne, en 1916 il sera capturé, traduit en cours de justice, exécuté comme traître le 3 août 1916 et jeté dans la fosse commune de la prison, recouvert de chaux vive ; certains de ses cahiers intimes très méticuleux sont découverts serviront à le salir, l’écrivain-journaliste François Reynart (Les Trois vies de Roger Casement, 1923) relèvera des dates qui témoignent de ses rencontres homosexuelles (en 1903 de retour du Congo, en 1910 à Rio, en 1911 au Brésil), dans tous les pays traversés d’Afrique, d’Amérique ou d’Europe (du Mozambique à La Barbade en passant par Paris), il rencontre des hommes de toutes conditions, qu’il rémunèrent toujours parfois généreusement, il est obsédé par le sexe masculin ; c’est en 1959 que ses cahiers seront divulgués par le journaliste qui les détenait depuis longtemps, Singleton-Gates, et c’est Maurice Girodias à Paris qui les publiera alors sous le nom des Les Agendas noirs

1900-1910 : les procès contre les homosexuels se multiplient en France et à l’étranger, après les terribles années 1890  en Grande-Bretagne avec le procès contre Oscar Wilde pour « gross indecency » en 1895 et les poursuites contre la revue The Adult parue de 1897 à 1899 pour avoir vendu et diffusé des textes obscènes (contre lesquelles le dramaturge belge Maurice Maeterlinck a élèvé une protestation), en Belgique Georges Eekhoud est poursuivi pour obscénités  en 1900, en Allemagne le prince Philipp zu Eulenburg est jugé à Berlin de 1907-1908 (il était soupçonné par le journaliste Maximilian Harden dès 1906) et en France Pierre Renard  est condamné en 1909, Renard est accusé du meurtre de son maître le millionnaire Rémy, « parce qu’il est homosexuel » écrit Rémy de Gourmont

1900-1910 : multiplication des écrits lesbiens avec Natalie Barney, Liane de Pougy, Renée Vivien, Colette, Hélène de Zyulen, Georgette Leblanc ou encore Lucie Delarue-Mardus ; elles se connaissent bien, parfois intimement, Natalie Barney a une liaison amoureuse avec Liane de Pougy, puis avec Renée Vivien, puis avec Lucie Delarue-Mardus, d’autres relations se nouent ; Renée Vivien écrit Etudes et Préludes en 1901, Cendres et Poussières en 1902, puis Une femme m’apparut en 1904, Natalie Barney Quelques portrait-sonnets de femme en 1900 et Cinq Petits Dialogues en 1902, Renée Vivien La Vénus des aveugles en 1903, Lucie Delarue-Mardus écrit Secrètes amours entre 1902 et 1905 (qui ne paraîtra que 50 ans plus tard)

1900 – 1910 : Edward Prime-Stevenson et Xavier Mayne écriront en 2003, l’ouvrage Du similisexualisme dans les armées et de la prostitution homosexuelle (militaire et civile) à la Belle Epoque, il souligneront combien le chantage est devenu une quasi-industrie en Europe en raison notamment de la pénalisation des relations homosexuelles en Grande Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis, en Autriche-Hongrie, dans les monarchies scandinaves et dans les cantons germanophones de Suisse, à la différence des pays plus tolérants qui connaîssent moins le chantage ; surtout lorsque la loi fait l’amalgame entre prostitution féminine, masculine et criminalité, et la prostitution masculine plus que la prostitution féminine, est synonyme de chantage, de vols et même d’agressions  physiques

1900 : Montmartre, acquiert depuis 1870 la réputation d’être un haut lieu du lesbianisme, on parle du « mont lesbien », cette réputation persistera jusqu’à la guerre de 1914

1900 : en Belgique, procès intenté contre Georges Eekhoud pour son roman Escal-Vigor, dans lequel il parle de l’uranisme d’hier et d’aujourd’hui avec sympathie et sensibilité ; quelques mois auparavant Numa Praetorius a rédigé un long article en allemand dans la revue de Magnus Hirschfeld intitulé « Georges Eekhoud, un avant-propos » qui analysait les ouvrages de Eekhoud et ce qu’ils véhiculent sur la culture homosexuelle, dans le même n° de la revue un autre article est intitulé « Un illustre uraniste du XVIIème siècle, Jérome Duquesnoy, sculpteur flamand » signé par Georges Eekhoud

1900 : Jean Lorrain (1855-1906) quitte Paris, lassé de ses excentricités, pour se réfugier à Nice ; il s’est battu en duel avec Marcel Proust à la suite d’un article dans lequel il avait révélé ses relations homosexuelles avec le fils d’Alphonse Daudet qu’ils courtisaient tous les deux ; après Nice il ira fréquenter les bas quartiers de Toulon ou de Marseille, et entre 1900 et 1906 il publie plusieurs livres dont Monsieur de Phocas, l’Ecole des vieilles femmes et Vice Errant, il se retire l’été à Peira-Cava ; en 1906 il décidera de faire un aller-retour à Paris pour régler les détails d’un procès et se suicidera le 28 au matin dans son cabinet de toilettes ; il avait écrit dans Monsieur de Phocas : « La vérité est que je souffre et meurs de ce que les autres ne voient pas et de ce que, moi, je vois »

1900 : parution du livre de Colette (1873-1954) Claudine à l’école dans lequel Claudine apparaît comme une jeune fille libre dans ses manières et dans ses sentiments, elle devient le témoin jaloux des amours de Mme la directrice avec l’institutrice adjointe, Mlle Aimée, elles forment un couple visible dans une petite ville, qui suscite des réflexions de la part des habitants, le couple s’affiche au regard des jeunes élèves, laissant sourdre un peu de son identité

Septembre 1900 : Eugène Thomas, maire républicain du Kremlin-Bicêtre, édicte un arrêté qui interdit le port de la soutane, d’autres maires suivent son exemple ; les arrêtés sont sont jugés sectaires par beaucoup de républicains, ils sont cassés par le Conseil d’Etat et 5 ans plus tard lors de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, cette disposition n’est pas reprise par la loi

30 novembre 1900 : mort de l’écrivain et dramaturge britannique Oscar Wilde (1854-1900), sous le nom de Sebastian Melmoth à l’Hôtel d’Alsace, rue des Beaux Arts à Paris, aucun-e écrivain-e n’assiste à son enterrement ; il fait de brillantes études à Oxford, acquiert une rapide notoriété avec ses extravagances et ses poèmes, effectue une tournée de conférence aux USA et au Canada en 1882, séjourne à Paris en 1883 où il rencontre Verlaine et Proust, de retour à Londres il épouse la riche héritière Constance Lloyd avec laquelle il a 2 fils ; en 1886 il tombe amoureux du jeune étudiant Robert Ross qui lui présente de jeunes prostitués et lui donne l’occasion de rencontrer lord Alfred Douglas, 22 ans, qui le séduit par sa beauté, il écrtrit alors Le Portrait de Dorian Gray, Alfred est  capriciaux et tyrannique, Wilde accepte tout, le couple ne ceesse de se déchirer et voyage beaucoup Paris, Florence, Alger; Gide parle d’eux en Algérie dans Si le grain ne meurt ; il a laissé 5 œuvres essentielles un conte Le Prince heureux (1888), un essai L’âme de l’homme sous le socialisme (1891), un roman Le portrait de Dorian Gray (1891), une pièce de théâtre De l’importance d’être constant (1895) et un poème La Ballade de la geôle de Reading (1897) ; pour lui « l’amour est la seule réalité démocratique » ; en février 1895 le marquis de Queensberry est scandalisé que son fils cadet, Alfred Douglas, s’affiche comme l’amant d’Oscar Wilde et voulant arracher son fils à son influence le provoque en duel en le traitant de sodomite dans un billet laissé à son club, mais Douglas par haine de son père incite Wilde à poursuivre son père en diffamation, le 2 avril 1895 le marquis est acquitté mais son avoué transmet au procureur de la reine des preuves de l’homosexualité de Wilde et Queensberry l’ attaque à son tour, et le marquis à l’aide de détectives privés n’a aucun mal à trouver des preuves, les membres du jury en désaccord sur la culpabilité de Wilde, le libèrent contre une caution de 2 500 livres et le procès est renvoyé, Wilde refuse de fuir en France comme ses amis le lui conseillent et le 25 mai 1895 il est condamné à 2 ans de travaux forcés pour « moeurs contre nature », il accomplit ses 2 ans de prison, sa bonne conduite lui donne le droit d’écrire ; sa douleur lui inspire La Ballade de la geôle de Reading publiée en 1898 et De profundis, une longue lettre à Alfred confession touchante de sincérité se plaignant de n’avoir reçu aucune lettre de lui et lui exprimant son indéfectible amour ; libéré il se réfugie en Normandie où André Gide vient le voir, il envisage de se réconcilier avec sa femme, il veut revoir ses fils ; en 1897 sa passion l’emporte il rejoint lord Douglas à Naples, ils y subissent les injures des touristes anglais et les avanies des restaurateurs ; ils se séparent, Wilde n’écrit plus, il s’installe à Paris le 13 février 1898 à l’Hôtel des Beaux Arts où il est peu à peu dans la misère, Gide l’y rencontre et l’aide financièrement ; il est ainsi décrit par Pierre Fontanié dans le n° 119 de ILIA (bulletin du Centre du Christ Libérateur du Pasteur Doucé) présentant le livre de Oscar Wilde ou la vérité des masques de Jacques de Langlade en 1988 préfacé par Robert Merle : « Baptisé dans la foi catholique à la demande de sa mère en 1862 par un prêtre de Saint Kevin près de Dublin, il a adhéré à la franc-maçonnerie en 1876, colosse de 1,80 m aux larges épaules et aux longs bras, capable de jeter hors de sa chambre, trois excités et de terroriser un truand (venu faire « chanter » son ami homosexuel Frank Miles), un homme sensible aux charmes féminin, Florrie Balcombe est son premier amour, Lillie Langtry le fascine, Sarah Bernhardt le subjugue, il épouse Constance Lloyd, le 29 mai 1884, la future mère, vite délaissée de ses deux fils, Cyril et Vyvyan (il dira plus tard « la maternité tue le désir, la grossesse est le tombeau de la passion »), une fille de cabaret lui donne la syphilis », de Langlade et Robert Merle soulignent le parallèle avec l’affaire Dreyfus dans « le procès sexuel » qui est fait au père d’Oscar, oculiste de la reine Victoria, accusé d’avoir abusé d’une jeune fille, miss Travers, « comment un enfant de 10 ans, habillé en robe jusqu’à l’âge de 5 ans, que la forte personnalité de sa mère dominait, n’aurait-il pas été durablement marqué et prédestiné », il a de brillants succès d’écolier et d’étudiant « à Portora, au Trinity Collège de Dublin, à Magdalen College  d’Oxford, des amitiés poussées (avec Augustus Cresswell), la découverte de l’art classique, de la Beauté, lors de voyages en Italie (juin 1875) et en Grèce (1877) ont laissé une empreinte indélébile, renforcé par certaines influences : celle de Tyrell, du révérend Mahaffy (un débauché qui lui apprend la théorie de l’homosexualité), de Ruskin (qui encourage ses étudiants à s’aimer les uns les autres), de Walter Pater (qui adresse volontiers ses hommages aux petits garçons), de James McNeil Whistler, de Robert Ross, son initiateur, et de Lord Alfred Douglas, qui lui a été présenté en 1891, et qui mourra 45 ans après lui », poète, conférencier, causeur, rédacteur en chef d’une revue féminine (Woman’s World), romancier (Le portrait de Dorian Gray), le conteur, l’essayiste (Le portrait de W.H.), auteur dramatique (Véra, L’éventail de Lady Windermere, Une femme sans importance, Un mari idéal), mari, bon père, et homosexuel, client de jeunes prostitués, aux innombrables conquêtes masculines, sans oublier humoriste et penseur grave de la Ballade de la geôle de Reading, matricule C33 et clochard de l’hôtel d’Alsace à Paris (où il meurt le 30 novembre 1900) »

12 décembre 1900 : le juge anticlérical Paul Magnaud prononce le 1er divorce par consentement mutuel, convaincu que « 2 êtres ne peuvent être malgré eux enchainés à perpétuité l’un  l’autre » – l’amoureuse a été surprise en flagrant délit chez son amant par les gendarmes à la requête de son mari furieux -, de plus il impose aux époux Tisserot la garde alternée de leurs 2 enfants de 6 et 9 ans ; il est 75 ans en avance…

 

1901 : l’ancienne religieuse des Sœurs de Sion de 1880 à 1892 (interdite alors de prononcer ses vœux définitifs), Eugénie Guillou, née en 1861, commence à se prostituer, elle deviendra proxénète 2 ans plus tard, elle se prostituera jusqu’en 1912, elle bénéficiera d’une certaine aura

1901 : parution de Le Cavalier Miserey. 21è chasseurs. Moeurs militaires contemporaines de Abel Hermant (1862-1950), homosexuel, il décrit de façon positive les moeurs homosexuelles dans l’armée

1901 : parution de Dédé d’Achille Essebac (Henri-Louis Achille Bécasse, 1868-1936) où un adolescent-narrateur avoue son amour inconditionnel pour son ami André « l’éphèbe qui offre une beauté plus durable que la vierge », il met en contraste les collèges religieux non mixtes et les adolescents dans leurs rapports purs, chastes et éthérés ; en 1903 il publiera Luc ou L’Elu, il décrit de nombreux clichés photographiques artistiques ou « pictorialistes » mettant en scène de jeunes adolescents nus de von Pluschow et von Gloeden, occasion d’échanges entre littérature et photographie ; dans Partenza… Vers la beauté, récit de voyage en Italie qu’il a écrit en 1898, il évoquait la via sistina, la rue des marchands de photos et comparait les mérites respectifs des modèles siciliens, romains et napolitains

1901 : parution de Idylle saphique de Liane de Pougy (1869-1950), en l’honneur de sa relation avec Natalie Clifford Barney (1876- 1972) ; l’anticlérical et anti-maçon Leo Taxil (1854-1907) criera à l’invasion lesbienne « Les tribades… on les rencontre aujourd’hui partout », mais il crie surtout contre la prostitution masculine « dernier degré de la pourriture. Les hontes de ce vice sont trop abjectes pour être expliquées à des lectrices »

1901 : Havelock Ellis remarque : « Il y a quelques années, quand le Dr Moreau écrivait ses Aberrations du sens génésique, l’inversion sexuelle était tout juste une appellation ; elle était un vice dégoûtant manier avec des pincettes, rapidement et avec précaution. Telle qu’elle se présente aujourd’hui, elle est un problème psychologique et médico-légal, si intéressant que nous n’avons pas à rougir de la regarder »

1901 : Renée Vivien (Pauline Tarn) (1877-1909), poétesse britannique de langue française a 23 ans, elle est remarquablement cultivée, elle a « des idées très avancées » et refuse le mariage, c’est le moment où d’autres femmes écrivent et sont célèbres (Anna de Noailles, Lucie Delarue-Mardrus, Colette, Natalie Barney, Liane de Pougy, Marie de Régnier), inspirée par Natalie Barney elle publie Etudes et Préludes qu’elle signe René Vivien, et en 1903 elle publiera Evocations, les critiques sont élogieux (Charles Maurras, Jean de Gourmont, Roger Lebrun, Jean Ernest-Charles), la même année elle traduit Sapho à partir du texte grec signant Renée Vivien ; ses amies les plus proches sont Hélène Louise Caroline Betty (née Rothschild, épouse du baron de Zuylen), Natalie Barney avec laquelle elle se rend à Mytilène, sa tendre amie Hélène de Zuylen ; elle écrit Les Kitharèdes en 1904, A l’Heure des mains jointes en 1906, Sapho et 8 poétesses en 1909, la Vénus des aveugles (« Nous haïssons la face agressive des mâles. / Nos cœurs ont recueilli les regrets et les râles / Des femmes aux fronts lourds, des Femmes aux fronts pâles./ Nous haïssons le rut qui souille le désir. / Nous jetons l’anathème à l’immonde soupir / D’où naîtrons les douleurs des êtres à venir. »), puis le roman autobiographique Une femme m’apparut où elle justifie son être androgyne ; en 1907 elle vivra deux évènements pénibles, la fin de sa liaison avec Hélène de Zuylen et la nomination dans un lycée de province de l’ami sûr et solide Jean Charles-Brun, elle décide de retirer ses livres du commerce ; en 1908 paraitront Sillages (« Ils ont connu la peau subtile de la femme,/ Et ses frissons cruels et ses parfums sournois…/ Chair des choses ! j’ai cru parfois étreindre une âme / Avec le frôlement prolongé de mes doigts… »), Dans un coin de violettes, le Vent des vaisseaux et Haillons ; elle a une fin de vie difficile et désespérée, elle est enterrée à 32 ans au cimetière de Passy, comme Natalie Barney (qui a un an de plus qu’elle) le sera, morte à 96 ans en 1972

1901 : en Allemagne, Magnus Hirschfeld publie Ce qu’il faut savoir au sujet du 3ème sexe, il s’adresse au grand public pour expliquer ce qu’est l’homosexualité ; et le Comité scientifique et humanitaire  publie L’Almanach des types sexuels intermédiaires (périodique de 1900 à 1923)

8 avril 1901 : mort de l’intellectuelle américaine Violet Shillito (1876-1901), amante de Mabel Dodge (1879-1962) à 15 ans ; installée à Paris avec sa famille, avenue du Bois de Boulogne, elle tombe amoureuse de sa voisine Pauline Tarn, la future poétesse Renée Vivien, avec laquelle elle vit une relation passionnée ; elles rencontrent Natalie Barney au théâtre, puis se retrouvenr au Bois de Boulogne, mais Renée va quitter Violet pour Natalie ; Violet meurt à 23 ans, elle est enterrée au cimetière de St Germain en Laye

8 juin 1901 : en Espagne, à la Corogne, mariage de 2 femmes Marcela Gracia Ibeas et Elisa Sanchez Lorigna, elles se sont rencontrées à l’Ecole normale des professeurs de La Corogne, Marcela est enceinte, Elisa a décidé d’officialiser leur union en se faisant passer pour un homme, Mario Sanchez, le curé a accepter de célébrer leur union, sans s’attarder davantage ; découvertes, elles seront excommuniées et se réfugieront au Portugal, puis en Argentine

8 août 1901 : mort du compositeur et mécène Edmond de Polignac (1834-1901), efféminé, de grande distinction et cultivé – « un donjon désaffecté qu’on aurait aménagé en bibliothèque  » raille Proust -, il est dreyfusard et affiche des idées républicaines ; doué pour les arts il se passionne pour la musique (premier prix de composition) ; en 1893 il épouse Winnaretta Singer, née en 1865 dans l’Etat de New York, fille de l’inventeur des machines à coudre, le mariage est blanc, la mariée n’aime que les femmes et le marié que les messieurs ; ils sont amis avec Robert de Montesquiou ; l’immense fortune des Singer  permet au couple de devenir mécène, en particulier pour les concerts d’avant-garde, Franck, Saint-Saens, Fauré, Chabrier, D’Indy, Chausson, Debussy, Dukas bénéficient de leur aide, près la mort d’Edmond, Winnaretta poursuit son mécennat auprès de Ravel, Satie, Falla, Reynaldo Hahn, Poulenc et des Ballets russes de Diaghilev

 

1902-1903 : en Grande-Bretagne, le général MacDonald, le plus haut gradé de la colonie de Ceylan est découvert en train de se livrer à des jeux de masturbation avec des adolescents ; le scandale est énorme pour le plus haut gradé de la colonie, héros de nombreuses campagnes coloniales, immensément populaire, de retour en Europe il s’arrête à Paris et se suicide dans son hôtel

1902 : parution de l’Immoraliste d’André Gide (vendu à compte d’auteur à 300 exemplaires), 5 ans après Les Nourritures terrestres, devenu le catéchisme moral de nombreuses générations de jeunes gens ; dans l’Immoraliste, Gide a découvert son désir des jeunes Arabes, lorsque Marceline lui présente Bachir « un petit Arabe au teint brun », il est comme fasciné par la beauté naturelle, toute solaire des peuples méditerranéens : « La gandoura, un peu tombée, découvre sa mignonne épaule. J’ai besoin de la toucher. Je me penche ; il se retourne et sourit. » ; en 1909 paraîtra La Porte étroite, puis en 1914 Les Caves du Vatican ; son message prend une double forme, une remise en cause des valeurs chrétiennes au nom du Christ (Numquid et tu ?) et une défense esthético-biologique de l’homosexualité (Corydon)

1902 : parution de la romance larmoyante écolière L’Elu d’Achille Essebac dans lequel Luigi prend conscience de son homosexualité et meurt en martyr dans les bras de son amant, il reprend aussi sa dénonciation du proxénétisme homosexuel ; et parution du roman de Jean Lorrain Coins de Byzance Le Vice errant

1902 : en Italie, le baron allemand von Plüschow photographe de garçons romains et napolitains se fait arrêter une première fois à Rome, ses photos de mineurs et sa correspondance (avec von Gloeden et des dignitaies étrangers) fournissent des preuves à la police qui s’est rendue dans son atelier photographique ; il sera arrêté une 2ème fois en 1907

1902 : aux USA, parution du journal Que le diable m’emporte de la féministe Mary MacLane, un récit fougueux et visionnaire sur la liberté sexuelle, ouverte à la bisexualité, et la condition des femmes  promises au carcan de la vie conjugale ; elle mourra à Chicago en 1929, à l’âge de 48 ans, dans des conditions mystérieuses

26 mars 1902 : mort du colonisateur et homme d’affaires anglais Cecil Rhodes (1853-1902), il donnera son nom aux territoires du Bechuanaland, conquis en Afrique du sud, Rhodésie de Nord et du Sud, il est entouré de jeunes garçons, qu’on appelle ses lambs (ses agneaux), il vécut de 1882 à 1886 avec Neville Pickering, son secrétaire particulier, il lui a légué ses biens mais Pickering est mort avant lui, puis a eu d’autres secrétaires Henry Latham Currey et Philip Jourdan ainsi qu’avec Leander Starr Jameson

Novembre 1902 : en Allemagne, l’organe du comité central du SPD le Vorwärts est un des premiers journaux à « révéler » que le grand bourgeois Krupp aurait à Capri des rapports avec des mineurs

22 novembre 1902 : suicide  de l’industriel de l’armement allemand Friedrich-Alfred Krupp (1854-1902), fils du fondateur Alfred Krupp (mort en 1887), il organise dans une grotte de Capri de gigantesques orgies réservées aux éphèbes ; en Italie le journal anarchiste Propaganda lui reproche des faits qui auraient eu lieu dans sa villa de Capri, le gouvernement italien finit par l’expulser ; en Allemagne il est dénoncé par la presse socialiste, Guillaume II fait enfermer la femme de Krupp qui risque de faire un scandale ; le suicide de Krupp est déguisé en crise cardiaque et sa veuve assiste à ses obsèques

 

1903-1911 : aux USA, Gertrude Stein, née en 1875, résidant à Oakland écrit son chef-d’œuvre Américains d’Amérique, grand roman moderne expérimental où le poids de la morale et les tourments émotionnels sont très présents, elle ne trouvera d’éditeur que lorsqu’elle aura 50 ans, en 1925, elle sera alors devenue collectionneur d’art à Paris et aura rencontré l’âme-sœur (en 1907) avec laquelle elle aura une relation affranchie des conventions, elle écrira l’Autobiographie d’Alice Toklas rédigé sous le nom de son amante où elle se dépeindra comme principale instigatrice des débuts du modernisme à Paris, son frère Léo et sa compagne Alice Toklas ont joué un rôle important auprès d’elle en ce sens, et elle a su soutenir Picasso dès le début du cubisme (il a peint son portrait en 1906 et en 1907)

1903-1904 : en Allemagne, Hirschfeld lance une enquête auprès de 2 000 étudiants, puis de 5 000 metallurgistes, les interrogeant sur leur orientation sexuelle, la proportion d’homosexuels auto-déclarés est à peu près la même chez les uns et les autres 1,5% chez les étudiants, 1,15% chez les ouvriers, avec 4,5% de bisexuels chez les étudiants et 3,19% chez les ouvriers

1903 : en Grande-Bretagne, Emmeline Pankhurst, 53 ans, fonde l’organisation féministe Women’s Social and Political Union (WSPU) connue sous la dénomination de « suffragettes », avec pour slogan « Des actes, pas des paroles » ; elles s’en prennent aux résidences des parlementaires, puis s’en prendront aux œuvres considérées comme emblématiques du pouvoir masculin ; en avril 1913 trois d’entre elles tentent de s’attaquer aux collections préraphaélites de la Manchester Art Gallery, leurs auteurs tous masculins cultivant une imagerie de la femme nymphe et désirable offerte au regard forcément concupiscent de l’homme : le 10 mars 1914 la canadienne Mary Richardson casse la vitre qui protège la Toilette de Vénus de Velasquez à la National Gallery et la lacère au couteau et le 4 mai 1914 le portait d’Henry James par John Sargent reçoit 3 balafres à la Royal Academy ; auparavant Millicent Fawcet a fondé l’Union nationale pour le suffrage des femmes, National Union of Women’s la WSPU malmène la bienséance britannique (gifle aux policiers, chaines aux grilles du palais de Buckingham, engins incendiaires jetés sur les députés, œuvres d’art lacérées, grèves de la faim en prison) ; c’est en 1906 que le Daily Mail emploiera le mot de « suffragette » pour qualifier ce mouvement, par opposition aux « suffragistes »  respectueuses de la légalité de Millicent Fawcett (avec la National Union of Women’s Suffrage Societies, NUWSS) qui à coup de pétitions, pamphlets, prises de parole dans les meetings, mobiliseront 50 000 femmes à Londres en 1913

1903 : en Grande-Bretagne, au King’s College de Cambridge, se constitue le groupe de Bloomsbury avec George Edward Moore (qui donne une éthique au groupe à travers son livre Principia ethica), Lowes Dickinson, Bertrand Russell, Henry  Sidgwick, Duncan Grant, Virginia Woolf et John Maynard Keynes (20 ans), intellectuels non conformistes, l’homosexualité y a sa place par goût ou par provocation ; l’économiste J-M Keynes finira par se marier en 1925 avec la ballerine russe Lydia Lopokova ; Virginia Woolf, Vita Sackville-West et Dora Carrington sont les lesbiennes militantes du groupe (dans lequel il y aura 8 femmes sur plus d’une vingtaine de membres)

1903 : parution du livre Han Ryner (1861-1938) La Fille manquée, vision originale et lyrique des amitiés particulières dans le collège privé prestigieux St Louis de Gonzague (16è arr.) où l’auteur a passé 2 années (1877-1879) ;  Han Ryner, individualiste et anarchiste, n’a cessé de se battre pour le défense des libertés, en particulier pour toutes les formes d’amour et de sexualité, dans son livre un élève sensible mène une cabale victorieuse contre un surveillant trop autoritaire qu’il force à fuir l’établissement

1903 : le baron Jacques d’Adelsward-Fersen (1880-1923) est arrêté en juillet pour avoir invité des lycéens de bonnes famille dans son appartement pour qu’ils participent à des tableaux vivants inspirés de l’antiquité, coupable d’attentat à la pudeur et d' »excitation de mineurs à la débauche », il s’enfuit à Capri, popularisé par le baron von Gloeden installé là-bas depuis 1878 ; Fersen lancera à son retour de Capri, en 1909 la revue Akademos – 1ère revue homosexuelle française qui paraitra un an – avec un idéal d’homosexualité élitiste, misogyne et hellénistique, il entre en contact avec Brand et Hirschfeld

1903 : en Allemagne, la revue Der Eigene (les Singuliers)fondée en 1896 par Adolf Brand, avec le sous titre Revue mensuelle pour l’art et la vie ajouté en 1898, change de sous titre pour Revue de culture masculine, d’art et de littérature ;

1903 : au Mexique, une fête travestie provoque en scandale d’autant qu’elle met en cause la fille du président Porfirio Diaz, lorsqu’elle se marie avec un député secrètement gay (le film Bal des 41 de David Pablos en 2021 relatera cet événement)

28 janvier 1903 : mort de la compositrice Augusta Mary Anne Holmès (1847-1903), peut-être fille naturelle d’Alfred de Vigny, élève de César Franck, compositrice sous le pseudonyme de Hermann Zenta de Irlande en 1882 et Pologne en 1885, parvenue à la notoriété avec La Montagne noire à l’Opéra de Paris en 1885 et à la consécration avec Hymne à la paix à Florence en 1890 ;  elle vit pendant 20 ans avec Catulle Mendes, puis est intime de Louise Abbéma, figure marquante du lesbianisme parisien

25 mars 1903 : décès du général britannique Hector Archibald Macdonald (1853-1903), écossais, engagé dans le régiment des Highlanders, membre de l’armée des Indes, puis du Transvaal, marié en 1884, engagé dans la campagne d’Egypte sous les ordres de Kitchener, nommé général, aide de camp de la reine Victoria puis du roi Edouard VII, il est célèbre lors de la guerre des Boers (1899-1902), commandant en chef des troupes britanniques au Sri Lanka ; il est accusé publiquement de « crimes sexuels commis sur de jeunes écoliers« , rappelé à Londres et jugé, de passage à Paris ses aventures avec les garçons sont révélées par la presse, il se suicide dans son hôtel ; une anglophobie exarcerbée se développe alors en France, entretenue depuis l’incident de Fachoda (1898-1899), elle ne sera pas tout à fait effacée par l’Entente cordiale entre la France et l’Angleterre signée en 1904

6 avril 1903 : un arrêt de la Cour de cassation affirme que « le mariage ne peut-être légalement contracté qu’entre deux personnes appartenant l’un au sexe masculin, l’autre au sexe féminin »

8 mai 1903 : mort du peintre Paul Gauguin (1848-1903), entre 1891 et 1903 Paul Gauguin est en Océanie, il n’aimait que les femmes, mais il est séduit par la beauté androgyne d’un jeune Maori : « Son corps souple d’animal avait des formes gracieuses… j’eus… le désir d’amour inconnu… je m’approchais sans peur des lois, le trouble aux tempes… Je m’enfonçai vivement dans le taillis devenu de plus en plus sauvage, l’enfant continuai sa route, toujours l’œil limpide. Il n’avait rien compris, moi seul portait le fardeau d’une mauvaise pensée… Toute une civilisation  m’avait devancé dans le mal et m’avait éduqué »

6 juin 1903 : une note de police évoque « la campagne faite par certains journaux contre la police des moeurs« , dans le même temps la police redoute l’affrontement direct avec les homosexuels, lors de la rafle des Bains de Penthièvre en 1891 la police a été confrontée à des personnes entièrement nues ce qui a simplifié leur travail en limitant les risques de rébellion, mais elle redoute de faire des descentes dans les garnis et choisi d’interpeller les clients les uns après les autres ; de leur côté, les policiers sont mal à l’aise de devoir se mettre nus lorsqu’ils exercent des surveillances dans les établissements de bains homosexuels afin de les surprendre en flagrant délit d’outrage public à la pudeur ; lorsqu’ils surprennent des homosexuels des « classes » aisées il peut se produire des incidents »tout à fait désagréables » soulignera un commissaire de police le 1° septembre 1909 ; enfin, les effectifs de la Brigade Mondaine sont très réduits au regard de ses missions très variées (prostitution, stupéfiants, homosexualités, etc.), elle préfère se concentrer sur la prostitution féminine clandestine, d’autant que la pédérastie n’étant pas un délit il est très difficile – même si les dénonciations de voisinage ne manquent pas – de mettre en évidence un délit sans violer l’intimité des individus dans leur domicile privé ; ainsi la police classe fréquemment les affaires ce qui fait naitre l’idée qu’elle protège les homosexuels, Léo Taxil considèrera en 1909 dans La Corruption fin-de-siècle que « le vice » est même favorisé par la police, et dans une lettre au Préfet de police de janvier 1917 le commandant Provost décrira des « actes absolument contraires aux bonnes moeurs entre jeunes gens de 15 à 20 ans qui se passent sous l’oeil bienveillant des agents des moeurs qui tolèrent pareils faits » près du cinéma Parisiana

9 juillet 1903 : le baron Jacques d’Aldelswärd-Fersen (1880-1923), est arrêté chez lui, rue de Friedland, « pour conduite indécente avec des jeunes gens mineurs et offense à l’ordre public », il a 23 ans, il a reçu ces jeunes gens dans sa garçonnière, le père des 3 enfants concernés a alerté la police, il est conduit à Fresnes puis condamné à 6 mois de détention provisoire à la Santé ; c’est « l’affaire des messes noires ». Fersen ripostera sur le mode de la dérision dans Messes noires, Lord Lyllian qui évoque plusieurs homosexuels notoires de la fin du XIXè siècle ; il créera en 1909 la Akademos ce sera pour lui une façon de se racheter aux yeux de la société ; Mathilde de Morny, Missy, investira financièrement dans Akademos pour le soutenir – c’est aussi pour elle un moyen de promouvoir Colette qui y écrira en 1909 – ils appartiennent tous les deux à l’aristocratie dont ils se sentent hors-la-loi sexuels ; l’historien Régis Revenin soulignera que les adolescents concernés ont tous un âge supérieur à l’âge légal du consentement  fixé à 13 ans depuis 1863

4 octobre 1903 : en Autriche, mort d’Otto Weininger (1880-1903), personnage de l’intelligentsia juive qui se donnera la mort quelques jours après la publication de son livre Sexe et caractère, viendront à son enterrement Ludwig Wittgenstein, Karl Kraus et Stefan Zweig ; Sigmund Freud le qualifiera de philosophe si hautement doué ; avec ce livre Otto Weininger construisait une nouvelle métaphysique des sexes à partir de travaux sur la bisexualité fondamentale ; le philosophe et psychologue autrichien Otto Weininger,  essentiellement autodidacte, se suicide dans la maison de Beethoven à Vienne quelques mois après la parution de son livre Sexe et caractère, dans ce livre dans lequel il prétend avoir découvert le parallélisme entre judaïsme et amoralité féminine, il voit « une absence d’âme chez les femmes et chez les juifs », « la femme est illogique et immorale », homosexuel et antisémite il partage les idées et les goûts de Stefan George et Hans Blüher

1904 : parution du livre de Hirschfeld le 3ème sexe, manuel clinique d’homosexualité

1904 : parution de Moeurs collégiennes de Jean Rodes qui connaît un grand succès, il décrit des élèves s’adonnant aux amitiés clandestines, le penchant d’Henri pour Norbert, un élève dégoûté dénonce ces moeurs au chef de l’établissement, l’auteur met en cause « l’étrange doctrine » selon laquelle le baiser d’une femme serait « une faute infiniment plus grave que les dévergondages unisexuels »

1904 : parution de L’instinct sexuel et ses manifestations morbides au double point de vue de la jurisrdence et de la psychiatrie de Benjamin Tarnowsky, pour lui « quand le jeune garçon a été réprimé à temps, quand on s’est moqué de ses premières imitations féminines » il se détournera rapidement de son « vice »

1904 : parution de livre de l’abbé Bethléem Romans à lire et romans à proscrire qui comptera 140 000 exemplaires vendus, en 1932, dans l’objectif de proposer aux catholiques un guide moins rétrograde que l’Index romain ; il sera accompagné en 1908 d’une revue Romans-revue qui déconseillera la lecture du nouveau Petit Larousse (à cause des pages roses) et vitupèrera contre Le Tour de la France par deux enfants (parce que Dieu est trop absent), ou encore Zola et George Sand, et recommandant René Bazin et des écrivains catholiques mineurs ; rebaptisée Revue des lectures à partir de 1925, la publication sera appréhendée par les éditeurs

1904 : la loi autorise « le mariage de l’épouse adultère avec son complice »

1904 : à Paris, il y a presque 4 000 vespasiennes, il n’y en avait que 3 500 en 1893

1904 : à Paris éclate le « scandale du 83 rue Montparnasse » noté par la police, lieu de consommation de drogues (morphine, opium, cocaïne) fréquenté par les artistes, « une soirée de fiançailles ou plutôt d’épousailles » est notée par la police avec 19 homosexuels, le jeune Léon Spilka, 16ans, « très jolie petite merveille » joue le rôle féminin, le Journal  des 21 et 23 mars parle de Noces blanches ; l’affaire met en avant les goûts de la Belle Epoque avec le mélange apache, éphèbe et militaire

1904 : à Paris, l’Hôtel des Bords du Rhin, dans le 9è arr. dispose, selon la police, d’une clientèle exclusivement masculine et beaucoup de jeunes gens ; de la même façon en 1895 l’Hôtel du Mont-Blanc dans le 4è arr. était décrit comme spécifiquement masculin ; et en 1913 la police exercera une surveillance particulière sur l’Hôtel de Madrid dans le 2è arr. pour sa clientèle « ayant des allures de pédérastes »

 1904 : en Allemagne, Peter Hamecher, membre du Comité scientifique humanitaire de Magnus Hirschfeld et de la Communauté des singuliers d’Adolf Brand publiera La Renaissance de l’Eros uranien qui aura une influence considérable  sur le mouvement de jeunesse Wandervogel

Novembre 1904 : le Cercle des Arts et de la Mode est fondé, au 44 av Victor Hugo, par Robert Scheffer, la duchesse de Malvaux, Armory, Mathilde de Morny et d’autres, le club est une interface entre le public et le privé, les locaux sont concédés par le propriétaire du restaurant La Ferme, les salons sont ouverts de 10h à 1h du matin, et accueille gens de lettres, journalistes, acteurs et demi-mondaines, tous très gay-friendly, dont Jules Bois, Gabriel de Lautrec, Paul Reboux, Laurent Tailhade, Robert d’Humières, le peintre La Gandara, l’écrivain russophile Eugène-Melchior de Voguë, José-Maria Sert, Marcel Proust, Reynaldo Hahn, Alfred Jarry, Rachilde, Suzanne Derval, Liane de Pougy, Caroline Otero, Georgette Leblanc, la chanteuse et danseuse de music-hall Alice de Tender, la baronne Hélène de Zuylen, compagne de Renée Vivien, Georgie Raoul-Duval, Elisabeth de Clermont-Tonnerre, Lucie Delarue-Mardrus, Jeanne de Bellune, etc. ; Robert Scheffer y consacrera son roman Les Loisirs de Berthe Livoire en 1906 ; la duchesse de Malvaux domine cette assemblée hétéroclite où domine l’élément féminin et reprend en main l’organigramme, le cercle deviendra bientôt l’Association du Cercle Pergolese, à l’instigation de Scheffer ce Cercle Victor-Hugo met sur pied la luxueuse revue Le Damier, dirigée par Scheffer, géré par Charles Doury, avec des contributions de Paul-Jean Toulet, Paul Adam, Armory, Curnonsky, Charles Doury, Eugène Marsan, Henri de Régnier, André Salmon, Willy (Maugis), Colette entre autres, la soirée de lancement a accueilli  d’autres personnes Rachilde et son époux Valette, Victor Margueritte ; Colette et Mathilde de Morny , fille de duc, marquise de Belbeuf par un bref mariage, seront présentées l’une à l’autre au cours  d’une de ces soirées en 1905

1904 : en Belgique, Georges Eekhoud (1854-1927) publie Voyous de velours, qui parait sous le titre L’Autre vue, il dédie son livre à Rémy de Gourmont, la description des garçons de la rue qu’il admire est sa spécialité, ici des terrassiers : « Gaillards de la campagne, nippés de velours et de boue, passés à la couleur de la glèbe qu’il défoncent et brouettent six jours durant sur les chantiers de la grande ville. Bien découplés, musclés à plaisir avec de ronds visages ambrés ou fardés de hâle ; des blonds avec des yeux clairs et des cheveux filasses, des bruns aux prunelles de la nuance de leurs hardes, à la tignasse noire et frisée, plus nerveux et aussi charnus que les autres, ils ceignent souvent les reins d’une large écharpe de flanelle rouge qui leur prête une magnifique cambrure et qui s’accorde au ton du velours boucané de leurs culottes. D’ordinaire, au travail, ils retroussent celles-ci comme leurs manches, mais leur plastique se corse particulièrement quand la visière de leur casquette plate prend la forme et rivalise avec les dimensions du fer de leurs pioches et quand ils usent de ces hautes et lourdes bottes d’égoutier. » (il fait alors référence aux propos semblables du Journal des Goncourt de 1887 : « On parlait du beau port du beau port de corps, du style des égoutiers et des vidangeurs et en général de tous les gens qui portent de grandes et lourdes bottes : le soulèvement des grandes bottes, amenant un noble soulèvement des épaules dans la poitrine rejetée en arrière. »), ailleurs « Depuis que je les ai rencontrés, ces cinq gaillards, je ne les quitte presque plus. Ils m’incarnent la jeune fleur miséreuse de la capitale; ils résument la faune de nos quartiers interlopes ; ils sont les plus beaux de mes voyous de velours. » ou encre : « Il existe trop d’être de beauté qui s’imposent à mon idolâtrie. Que me voulez-vous, jeunes hommes rudoyés et honnis, que me voulez-vous, mes beaux patiras (soufre-douleurs), à qui j’aspire de tous mes effluves, vers qui je tend de toutes mes fibres, qui tordez à les rompre les ressorts de ma sollicitude, qui m’affolez de lyrisme ? » ; il prend volontiers leur parti lors de conflits ou des filatures de la police ; meurtri par le procès qu’il a vécu à la suite d’Escal-Vigor, il s’en tient aux fantasmes, c’est dans son journal inédit, qu’il se confie, en anglais, il livre une histoire vécue avec l’un d’eux le 27 mars 1902: « Je l’ai eu hier. Ca faisait longtemps que je ne l’avais pris dans son pantalon de velours. Nous avons fait un soixante-neuf magnifique. » ; Georges Eekhoud publiera en 1912 Libertins d’Anvers. Légendes et histoire des Loïstes ; lors d’un passage d’Hirschfeld à Bruxelles, c’est lui qui le pilote dans les rues de la ville

21 octobre 1904 : mort d’Isabelle Eberhardt (1877-1904) née à Genève de mère russe, convertie à l’islam, habillée en homme dans les déserts d’Afrique du Nord, mariée à l’officier français Slimane Ehni elle acquis la nationalité française, elle a collaboré au journal El Akbar et rencontré la général Lyautey qui appréciait sa liberté et sa compréhension de l’Afrique, elle est morte écrasée sous sa maison d’Aïn Sefra lors d’une tornade ; ses Carnets de voyage et ses journaliers témoignent de sa vie d’aventurière, de ses qualités d’écrivain et de son ambivalence d’homme-femme

 

1905 : parution du traité De la répression des outrages à la morale publique d’Albert Eyquem, il réclame une aggravation des lois de 1881, 1882 et 1898 codifiant ‘l’outrage aux bonnes mœurs », fustige les livres « décadents » et « la mollesse e la société française efféminée » ; il rapporte les propos du député Georges Berger le 4 novembre 1903 : « Tout le monde réclame avec moi une répression sévère de l’immoralité qui s’affiche publiquement chaque jour davantage »

1905 : parution en Allemagne de Trois essais sur la théorie de la sexualité de Sigmund Freud, la traduction française sera diffusée en 1962 ; ses travaux sur la « bisexualité originelle de l’être humain » rompent avec les théoriciens de la dégénérescence et suscitent l’espoir chez les homosexuels, même si la psychanalyse définit l’homosexualité comme « un blocage du développement sexuel au stade infantile »

1905 : le Pr Naecke décrit le Paris de la Belle Epoque : « Il n’existe pas comme à Berlin, des restaurants homosexuels. Dans le Grand Café du boulevard de la Madeleine, se rencontrent, ou du moins se rencontraient il y a quelques années de nombreux homosexuels, mais absolument mêlés à d’autres personnes…Il existe par contre certains bains de vapeur presque exclusivement fréquentés par des homosexuels. Dans le quartier industriel et négociant du voisinage de la place de la République, se trouvait un bain fréquenté par des jeunes gens de quinze à 22 ans… tous ceux-là se vendaient à des homosexuels, dans le bain même. C’étaient de jeunes ouvriers sans place ou d’autres désireux d’avoir des gains accessoires. »

1905 : Natalie Barney organise des fêtes néogrecques dans son jardin de Neuilly, Colette s’y produit aux côtés d’Eva Palmer, dans une pantomime pastorale, puis dans une pièce signée Pierre Louÿs, Dialogue au soleil couchant, une scène privée et saphique, une des premières prestations de Colette sur scène

1905 : parution de Messes noires Lord Lyllian de Jacques d’Adelsward-Fersen, roman à clef autour d’un jeune lord écossais Renold Lyllian dans lequel figurent les grandes figures du moment : Oscar Wilde (en Harold Skilde), Jean Lorrain (en Jean d’Alsace), Joséphin Péladan (en Le Sar Baladin), Achille Essebac (en Achille Patrac), Robert de Montesquiou (en M. de Montautrou) ou encore Sarah Bernhardt (en Corah Vieillard) et l’industriel Friedrich Krupp (en Supp), ainsi que lord Alfred Douglas, Achille Essebac et Fersen lui-même ; il publiera Jeunesse en 1907

1905 : dans Les Pervertis, roman d’un potache Ferri Pisani avalise la théorie de l’erreur de jeunesse : « Alberti regarda Cassale : il était beau ainsi, presque nu, sous un rayon pâle du soleil printanier qui se lève. », il présente favorablement les relations sexuelles entre garçons

1905 : parution de Le Vice marin de Jean Bosc, antimilitariste, il écrit que l’homosexualité est très répandue dans la marine, le jeune matelot Alain résiste à ses camarades qui veulent le corrompre

1905 : Marcel Proust perd sa mère (Jeanne Clémence Weil, fille d’un agent de change d’origine juive alsacienne, qui lui a apporté une culture riche et profonde), ce deuil le laisse pour mort socialement, mais le libère mentalement ; il est né à Auteuil en 1871, il a eu sa 1ère crise d’asthme en 1881 ; en 1887, à 16 ans, au lycée Condorcet il a rencontré Robert Dreyfus et Daniel Halévy, il a fondé avec eux des revues littéraires, il tombe amoureux ; en 1891, à 20 ans, il rencontre Oscar Wilde et Jacques-Emile Blanche ; en 1894, il fait la connaissance de Reynaldo Hahn

1905 : en Autriche, parution du livre Trois essais sur la théorie sexuelle de Sigmund Freud dans lequel l’enfant passe du statut d’être asexué à celui de pervers polymorphe à la sexualité anarchique qui lors de sa croissance passera à une sexualité normale, tournée uniquement vers le sexe opposé ; l’éventuelle interruption de cette évolution normale de la sexualité de l’enfant sera due à un accident extérieur ou à une prédisposition et l’homosexualité est le résultat d’un processus de maturité sexuelle non abouti, il est un infirme qui a échoué dans le développement harmonieux de sa sexualité

9 janvier 1905 : mort de Louise Michel (1830, Haute Marne – 1905, Marseille), probablement fille naturelle du châtelain de Vroncourt, élevée par des amis de sa mère, domestique au château, les Demahis ; elle reçoit une bonne éducation littéraire et obtient un brevet de sous-maîtresse, qui lui permet d’être institutrice ; de 1856 à 1868 elle exerce dans plusieurs écoles parisiennes ; elle fréquente des hommes politiques comme Auguste Blanqui et écrit dans son journal Le Cri du Peuple ; elle devient secrétaire de l’Union des poètes et milite dans une société qui défend les ouvrières ; lors de la Commune de Paris elle devient passionaria et fait le coup de feu contre les versaillais, témoin de l’exécution de camarades communards à Satory, elle réclame le même sort lors de son procès, et Victor Hugo apprenant cela écrire son poème Viro Major ; condamnée à la déportation elle arrive le 8 décembre 1873 en Nouvelle-Calédonie où elle reste 7 ans ; dès son retour à Paris elle reprend son activité militante, donne des conférences et publie La Misère sous forme de roman-feuilleton ; elle se prononce en 1882 pour l’adoption du drapeau noir, en mars 1883 elle conduit une manifestation qui se termine par le pillage des boulangeries ; elle est arrêtée et condamnée à 10 ans de prison, graciée en 1886 et de nouveau emprisonnée après sa défense des mineurs de Decazeville, puis relâchée ; en janvier 1888 elle prononce un discours au Havre qui est suivi d’une attaque du « chouan » Pierre Lucas, elle est blessée de deux balles dans le crâne ; après un meeting à Vienne elle est arrêtée à Saint-Etienne en avril 1890, elle est exilée à Londres en juin, elle est accueillie 5 ans plus tard à la gare Saint-Lazare et fonde en 1895 le journal Le Libertaire, poursuivant encore 10 ans son combat libertaire, elle est arrêtée plusieurs fois et libérée sur intervention de Clémenceau ; elle meurt en 1905 à Marseille chez son amie Mme Légier ; ses funérailles à Paris le 22 janvier sont suivies par plusieurs milliers de personnes ; elle écrivait « Les temps viendront où l’homme et la femme traverseront ensemble la vie. Main dans la main, bons compagnons. Ne songeant plus à se disputer la suprématie. Que c’est bon de regarder en avant… Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine » ; Verlaine parlera de la vierge rouge ; on lui connait de longues liaisons féminines avec Paule Minck, Nathalie Lemel et Charlotte Vauvelle – avec laquelle elle reste 10 ans, en particulier dans la loge maçonnique La Philosophie sociale qui admettait les femmes – mais son caractère puritain l’oblige à rester discrète

15 janvier 1905 : parution du n°1 de la revue Akademos, revue mensuelle d’Art libre et de Critique, créée par Jacques Adelswärd-Fersen (1880-1923), écrivain dont  l’arrestation en 1903 pour avoir organisé des tableaux vivants avec de jeunes garçons avait suscité le scandale ; la revue se place sous l’inspiration antique, onze numéros seront publiés jusqu’en 1909, année où le revue sera confrontée à des difficultés financières

6 mars 1905 : mort d’Hugues Rebell (1867-1905), 38 ans, riche hériter nantais, contemporain de Jean Lorrain (1855-1906), de Marcel Schwob (1867-1905) et de Pierre Louÿs (1870-1925), il se veut un fin-de-siècle plus radical et méthodique en termes de décadence somptuaire et d’érudition maniaque, il laisse une cinquantaine de volumes, romans, nouvelles, essais historiques, littéraires et érotiques (Jeudis saints, Diable à table, La  Nichina, la Câlineuse, Nuits chaudes du Cap français) ; il n’est plus à 34 ans qu’un spectre morphiné, il apparaît début 1905 à un diner littéraire avec pèlerine de satin et chapeau claque, s’appuyant sur une canne à pommeau d’améthyste ( un certain nombre de ses oeuvres seront édités sous le titre Rien n’est vice, rien n’est péché en 2023)

24 mars 1905 : mort de l’écrivain Jules Verne (1828-1905), au restaurant Chez Vachette, Jules Verne a créé le club Les Onze sans femmes, ils composent des poésies à double sens ; il se marie par pure convention sociale demandant à sa mère de le placer « entre les mains d’une fille bien élevée et bien riche », puis il rencontre Honorine Fraysse de Viane, veuve, mère de 2 enfant et se marie avec elle le 10 janvier 1857, lorsqu’elle lui annonce son accouchement en août 1861, il préfère partir pour la Scandinavie avec son ami le compositeur Alfred Hignard, il ne revient que le jour de la naissance de son fils Michel ; Verne s’exerce à la profession d’agent de change, puis dès 1853 il se met à écrire des nouvelles et des opérettes, Alexandre Dumas accepte de monter les pièces du jeune auteur au Théâtre Historique, il n’a pas de succès et se plonge à la Bibliothèque nationale dans des ouvrages scientifiques qui le passionnent et de nombreux voyageurs, savants et géographes, il étudie la géographie, la physique, les mathématiques ; il apporte en 1862 à Hetzel Voyage dans l’air, l’éditeur passionné lui trouve un nouveau titre Cinq semaines en ballon qu’il publie en 1863, c’est le début de son succès ; il fréquente les salons huppés, Georges Sand devient une fidèle lectrice, il écrit 20 000 lieues sous les mers, son oeuvre est traduite en toutes les langues, il s’achète un yacht le Saint Michel et installe sa famille à Amiens en 1870, en 1876 il fait placer son fils, vagabond et endetté, dans la maison de redressement de Mettray, et embarque en 1878 pour les Indes, à 50 ans il s’attache à un garçon de 16 ans, Aristide Briand, le futur homme politique, sans qu’on sache jusqu’où va leur intimité, ainsi qu’à son neveu Gaston, qui caché derrière un rideau tire 2 coups de révolver et le blesse au tibia, Gaston à moitié fou terminera dans un asile ; Verne est désormais affligé d’une claudication dont il refuse de dire la cause ; aucune preuve n’est donnée de ses éventuels contacts homosexuels, des psychanalystes parlent de sublimation de son homosexualité, laquelle apparaît dans plusieurs de ses textes (Les Enfants du Capitaine Grant, Les Naufragés du Jonathan, Hector Servadac, Un drame en Livonie) entraînant certaines purges lors de leur publication dans la Bibliothèque verte destinée à la jeunesse

14 août 1905 : mort du peintre britannique Simeon Solomon (1840-1905), il se lie avec le poète Swinburne et l’écrivain Oscar Browning, ses toiles sont acceptées à la Royal Academy et au Victoria et Albert Museum, les sujets mythologiques servent de paravent à son inspiration homosexuelle ; Oscar Wilde possède un grand nombre de ses œuvres, lords Douglas les vendra après le procès ; Solomon ne fait pas mystère de ses goût malgré le carcan victorien ; en 1873 il est arrêté pour conduite indécente en public et condamné à 18 mois de prison, il est gracié sur l’intervention de sa famille et de proches, Swinbdburne rompt son amitié avec Solomon ; le peintre réalise une œuvre considérable, ses chef-d’œuvres se retrouveront dans les grand musées britanniques

 

1906-1909 : en Allemagne, l’organe de presse du SPD Vorwärts est l’un des journaux qui révèle l’homosexualité soupçonnée de Philipp zu Eulenburg, proche ami de l’empereur, l’affaire donnera lieu à une suite de procès retentissants impliquant la haute hiérarchie militaire et jusqu’au chancelier Von Bülow

1906 : suppression de l’autorisation parentale pour se marier à moins de 25 ans ;  jusqu’à cette année, il est interdit de se marier sans l’autorisation des parents, et si les enfants ont dépassé l’âge légal de la majorité matrimoniale, 25 ans pour les femmes et 35 ans pour les hommes, ils ont l’obligation de dépêcher un huissier au domicile de la famille qui s’opposait à ce mariage pour présenter de nouveau la demande, ensuite seulement ils peuvent passer outre à l’autorisation parentale, la mesure est en particulier destinée à protéger le patrimoine familial ; dans toutes les régions de France ce sont des codes compliqués qui permettait à une future belle-mère de signifier son accord à la suite d’une demande en mariage ; les mariages arrangés dureront jusqu’à l’entre-deux-guerres

1906 : à Paris, double descente de police dans deux bars le Maurice’s Bar et le Bar Palmyre, le select Le Journal titre Un scandale à Montmartre, le quartier qui a acquis une réputation de drogue et de débauche ; dans la capitale, une quarantaine d’établissements, bars, cafés, salons de thé et restaurants ont une clientèle très majoritairement, voire exclusivement masculine et homosexuelle

1906 : malgré la loi de 1884, le divorce est encore très rare, 53 cas pour 10 000 mariés de 18 à 50 ans

­1906 : Colette – qui a rencontré Mathilde de Morny de 10 ans plus jeune qu’elle en 1905, divorce de Willy, Henry Gauthier-Villars, séducteur compulsif, avec lequel elle s’est marié en 1893, elle avait alors 20 ans, critique musical très influent et auteur de romans populaires, Willy est un viveur parisien qui fait travailler à son profit une équipe de collaborateurs, dont Colette fera partie, dans son atelier parisien de la maison d’édition Gauthier-Villars au quai des Grands-Augustins ; en 1905, elle a publié son premier livre sous son nom de Colette Willy, Dialogues de bêtes, elle commencé une carrière au music-hall (1906-1912) où elle présente des pantomimes orientales (« la première mime féminine de mon temps » écrit-elle) dans des tenues très légères (la préfecture de police interdit notamment son spectacle de pantomime nu sous une peau de panthère), puis se produit au théâtre Marigny, au Moulin-Rouge, au Bataclan ou en province (ces spectacles transparaîtront dans La Vagabonde ou L’envers du music-hall) ; ce sont des années de scandale et de libération morale, elle s’entoure d’homosexuels des deux sexes, de prostituées et de drogués, connaît plusieurs aventures féminines, notamment avec Mathilde de Morny (Missy), fille du duc de Morny et sa partenaire sur scène, en 1911, chez qui elle vit le plus souvent et qui lui a offert la villa Roz Ven à Saint-Coulomben Bretagne, ou Natalie Clifford Barney dite « l’Amazone », et peu à peu elle deviendra écrivain

1906 : dans son agenda Marcel Proust (1871-1922), 35 ans, s’attache en particulier aux « valets Murat » considérés comme une référence et reconnaissables à leur livrée – habit bleu, boutons dorés zaux armes, culotte rouge, bas blancs et souliers à boucles -, il fera de l’un d’eux Gaston Coignet, le valet de pied du baron Charlus

1906 : Pierre Loti (Julien Viaud) revenu d’Istanbul a eu un succès considérable avec Aziyadé en 1904, histoire d’amour tragique avec une jeune esclave d’un harem ; il fait paraître Les Désenchantées, roman des harems turcs contemporains, qui raconte la vie de ces femmes de la bonne société ottomane, les suffragettes s’enthousiasment pour l’histoire de Zennour et Nouriye qui se sont enfuies clandestinement de leur harem, en calèche, par l’Autriche et sont arrivées à Paris

1906 : parution du livre Précis de médecine légale du Dr Alexandre Lacassagne dans lequel il parle des « invertis » rencontrés dans des prisons dans un souci de « veiller au maintien de la santé publique »

1906 : en Finlande, les 1ères dans les pays occidentaux, les femmes obtiennent le droit de vote ; suivront les Danoises en 1915, les Britanniques, les Autrichiennes et les Allemandes en 1918, et les Américaines en 1920

1906 : en Allemagne, le médecin juif Iwan Bloch, fondateur de la sexologie, prône l’émancipation de l’homosexuel dans La vie sexuelle de notre temps

1906 : en Autriche, parution de Les Désarrois de l’élève Törless de « Robert Musil (1880-1942), son premier livre ; Törless, 14 ans, au café avec son ami Beinberg regarde ses mains ce que cet ami « avait de plus beau… elles avaient quelque chose d’obscène, il éprouve une sorte de honte, comme s’il y avait eu  quelque chose entre Beinberg et lui (qui) l’agitait de plus en plus », plus loin la vue soudaine du corps nu de Basini, « blanc comme neige » l’éblouit, il sent « l’image de cette nudité devenir flammes blanches, flammes brûlantes dans ses veines. A l’empire de cette beauté, il ne peut opposer la moindre résistance », il s’interroge « Je dois être malade, fou peut-être ?… Cette vie muette m’a oppressé, m’a épuisé, je ne parvenais plus à m’en dértourner. Jétais aigoissé », après qu’il ait passé un moment d’amour avec Basini, un garçon de son internat, il s’écrit « ce n’est pas moi! ce n’est pas moi ! Demain je redeviendrai moi-même », et il méprise ce garçon qui l’enivre car il s’inquiète pour son équilibre profond, Basini s’attache à lui mais il le repousse sans cesse car son désir lui apparaît comme répugnant

1906 : au USA, parution du livre Imre, Pour mémoire de Edward Irenaeus Prime-Stevenson (1858-1942), sous le nom de Xavier Mayne, le 1er roman américain mettant en scène ne histoire d’amour entre hommes avec happy end, avec un art suprêmement névrosé, typiquement sexuel, pernicieusement homosexuel, où un voyageur anglais rencontre à Budapest un militaire hongrois ; l’auteur est un gentleman homosexuel de la Belle Epoque, observateur privilégié de la prostitution masculine en Europe, en témoigne son autre livre The Intersexes, dédié à Richard von Kraft-Ebing

30 juin 1906 : mort de Jean Lorrain (Paul Duval né en 1855, il a l’âge de 51 ans) à la suite d’une péritonite, il est inhumé à Fécamp ; il a été inculpé en 1903 dans une affaire de ballets roses puis dans l’affaire Greuling (pour avoir fréquenté des personnes mises en cause) ; alors chez les dominicains, à 16 ans il rédige un poème il rédige un joli poème d’amour destiné à son ami Withold, et dans une crise de mysticisme il songe à se faire ordonner prêtre mais choisit l’armée, il devient journaliste et fréquente les salons du faubourg Saint-Germain, il préfère la bohème et les bouges ; il acquiert la célébrité en écrivant dans L’Evénement et le Courrier français, il raconte les aventures des gens fortunés qu’il rencontrent dans les maisons de tolérance, en particulier dans La Maison Philibert, dès lors les salons aristocratiques lui ferment leurs portes, Montesquiou et Proust le provoquent en duel, mais continue ses provocations ; son ostentation sans discrétion exerce une sorte de dictature sur la mode parisienne, il a pour amant Oscar Méténier, un fils de commissaire de police qui lui est une protection, il trouve son inspiration chez les malfaiteurs et les marginaux dans les endroits louches, il aime les hommes musculeux ; en 1891-1900 il publie l’essentiel de son œuvre Songeuses, Buveur d’âmes, Contes d’un buveur d’éther, Loreley, La Mandragore, Monsieur de Phocas, Les Vice errant, il écrit aussi une dizaine de pièces de théâtre ; après avoir parcouru l’Espagne, l’Italie et l’Afrique du Nord, il s’installe à Nice qui l’enchante ; puis il abuse des stupéfiants au point que l’éther lui provoque une perforation intestinale ; grâce à Huysmans il aura une gloire posthume avec le personnage des Des Esseintes dans son roman A rebours

 

1907-1908 : en Allemagne, éclate le scandale Eulenburg, le prince Eulenburg très proche de Guillaume II est accusé d’homosexualité par la presse, par le polémiste Maximilien Harden en particulier depuis 1901, s’en est suivi une série de procès ; il est réputé proche de la France et résolu à sceler l’entente franco-allemande, aussi les caricaturistes s’en donnent-ils à coeur joie, le très antmilitariste L’assiette au beurre, ainsi que Le Rire ou Fantasio qui vont jusqu’à parler de Eulenbougres pour désigner les Allemands, et Marcel Proust fait dire à M. de Charlus qu’en l’abandonnant les meilleurs amis de Eulenbourg sont aussi vils que celui-ci est grand

1907 : le Dr Witry apprécie la confiance que la société accorde aux médecins et à leurs découvertes : « L’Eglise catholique et l’Eglise protestante se rangent, quant à l’homosexualité, du côté des médecins ; elles déclarent que l’inversion sexuelle est une anomalie de la nature, une maladie » ; pour sa part, il voit dans la Revue de l’hypnotisme, l’homosexualité partout : « Ils sont parsemés dans toutes les classes de la société, parce qu’il y a partout de la dégénérescence, laquelle est le terrain favori de l’inversion sexuelle », il parle des carrières à « prédisposition homosexuelle latente » (acteurs, écrivains, décorateurs, cuisiniers, coiffeurs, tailleurs pour dames), ils sont « attirés vers ne occupation qui correspond à leur caractère quasi féminin », « la folle », symptôme le plus évident de l’homosexualité, place l’inverti à mi-chemin des deux sexes génésiques (ce qui ouvrira la voix au concept de 3ème sexe)

1907 : Rémy de Gourmont publie La physique de l’Amour dans lequel il écrit : « L’uranisme me répugne, mais il m’intéresse ! »

1907 : mort d’Alfred Jarry (1873-1907) élève de Bergson au lycée Henry IV, génie bibliophile, amateur de marionnettes et de typographie, pataphysicien, volontiers alcoolique, aux amours uraniens, avant-gardiste littéraire, dont la pièce Ubu roi a provoqué un coup de tonnerre en 1896

1907 : parution du livre Berlin-Sodome d’Octave Mirbeau, il fait dire à son personnage que les Allemands sont pédants, « il ne leur suffisait pas d’être pédérastes comme tout le monde, ils ont inventé l’homosexualité » : « Quand nous avons été vicieux, nous autres, nous ne le sommes plus guère, la mode en est passée, nous l’avons été légèrement, gaiement… Les Allemands, eux, qui sont pédants, qui manquent de tact, et ignorent le goût, le sont – comment dire ? – scientifiquement… Il ne leur suffisait pas d’être pédérastes… comme tout le monde… ils ont inventé l’homosexualité… Où la science va-t-elle se nicher, mon Dieu ?… Ils font de la pédérastie, comme ils font de l’épigraphie. Ils savent qui a été l’amant de Wagner, et de qui Alcibiade et Shakspeare ont été les maîtresses. Ils écrivent des livres sur les amours de Socrate, et sur celles d’Alexandre le Grand… Ils ont relevé, sur les vieilles pierres, tous les noms de tous les mignons de tous les pharaons de toutes les dynasties… Pédérastes avec emphase, sodomites avec érudition !… Et, au lieu de faire l’amour entre hommes, par vice, tout simplement, ils sont homosexuels, avec pédanterie… Allez à Berlin, je vous dis… allez revoir Berlin… Ça vaut le voyage… »

1907 :  en Autriche, Sigmund Freud dans Morale sexuelle culturelle observe qu’il « existe une limite au-delà de laquelle la nature des homosexuels ne peut plus se plier aux exigences de la société. Tous ceux qui veulent être plus nobles (au sens conventionnel de ce mot, précise Daniel Guérin qui le cite) que leur nature le leur permet deviennent la proie de la névrose… Ils se seraient mieux portés s’il leur avaient été permis d’être mauvais. »

1907 : la loi autorise les femmes mariées à percevoir – antérieurement c’est le mari qui encaissait – et disposer librement de leur salaire et stipule que les époux contribuent aux charges du ménage

1907 : le préfet Louis Lépine interdit le travestissement hors dimanche et mardi gras

3 janvier 1907 : au Moulin Rouge, Colette (Sidonie Gabrielle Colette, épouse de Henry Gauthier-Villars, dit Willy) se produit sur la scène avec Missy (Mathilde de Morny, marquise de Belbeuf, alias Mitzy ou Oncle Max, dernier enfant et fille du frère adultérin de Napoléon III, le duc de Morny) dans le spectacle Rêve d’Egypte mis en scène par Georges Vague ; avec une audace extraordinaire le spectacle se conclut par le dénudement complet de Colette, sous la baguette de Mathilde de Morny habillée en homme, celle-ci n’accepte ce rôle que grâce à l’amour que lui porte l’énergique Colette, lassée de devoir cacher son corps sous des maillots de bains couleur chair ; une vraie bataille d’Hernani se déclenche, la famille de Morny ne supporte pas de voir ses armes apposées sur l’affiche, le directeur du Moulin Rouge Max Viterbo  est accusé, le préfet Lépine le somme d’interrompre les représentations ; Paul Léautaud commente « Lesbos à Cabotinville » ; Missy évolue dans les cercles saphiques de la capitale, auxquels appartiennent la beauté tarifée Liane de Pougy, l’actrice Eve Lavallière, le gratin culturel et mondain de Natalie Clifford Barney, Renée Vivien, Lucie Delarue-Mardrus, Romaine Brooks ou Eva Palmer, et bientôt Gertrude Stein, Alice B. Toklas, Adrienne Monnier, Sylvia Beach ou encore Djuna Barnes ; le temps est aux extravagances, Jean Lorrain s’amuse de la « confusion des sexes », A Rebours de Huysmans « bréviaire des décadences » en 1884 a ouvert la voie à toute une littérature soufrée, Monsieur de Phocas de Jean Lorrain, Monsieur Vénus de Rachilde, Régina Sandri de Félicien Champsaur, l’Androgyne et les Demi-Sexes de Jeanne de la Vaudiore, la Gynandie de Péladan, etc. ; deux livres paraîtront en juillet 2000 qui décriront cette période, Mathilde de Morny, la scandaleuse marquise de Claude Francis et Fernande Gontier, et Colette, la Vagabonde assise d’Hortense Dufour ; avant 1907 Colette a déjà connu plusieurs aventures avec des femmes Natalie Barney, Lucie Delarue-Mardrus  ou encore Georgie Raoul-Duval (qui a prété ses traits à la séduisante Rezi de Claudine en ménage en 1903), Colette a déjà joué avec Missy dans un mimodrame La Romanichelle, joué au Cercle des arts et des sports puis au Moulin Rouge en décembre 2006 ;  à partir de 1906 Missy loue une villa au Crotoy pour Colette et elle, dans la forêt domaniale de Crécy, dans la Somme, c’est pour Colette une péride de plénitude sensuelle, en contraste dans Le Passé en 1909, Colette évoquera le souvenir du douloureux passé récent avec Willy : à partir de 1912 Missy et Colette prennent leurs distances, mais Missy gardera pour Colette une présence évanescente

28 janvier 1907 : à Paris, un rapport de police cible Maurice Zeckri, tenancier – homosexuel et juif venu d’Algérie « il y a 5 ou 6 ans avec quantité d’autres juifs » – du Maurice’s Bar du faubourg Montmartre

12 mai 1907 : mort de l’écrivain et critique d’art Joris-Karl Huysmans ( 1848-1907), remarqué pour son roman Sac au dos, puis ses 3 romans naturalistes Les sœurs Vatard, En ménage et A Vau l’eau (1879-1882), il écrit son chef d’œuvre du roman « décadant » A rebours (1884), avec son héros Jean Des Esseintes, inspiré de Robert de Montesquiou qui pratique tous les dérèglements possibles de la sensualité et de l’érotisme, volupté sado-masochiste, avec les rapports équivoques entre l’individu et la religion catholique ; l’auteur se défend d’être « sodomite », il admet être « pédéraste peut-être avec un jeune garçon imberbe » ; grâce à l’abbé Mugnier il se converti, et se retire à la Trappe d’Igny en 1892, n’écrivant plus que des œuvres célébrant le catholicisme

15 juillet 1907 : mort de la poétesse chinoise Qiu Jin (1875-1907), féministe et révolutionnaire, mariée en 1896, elle s’habille en homme et pratique les arts martiaux, passionnée pour la belle calligraphie Wu, en 1906 elle dirige à Shanghaï la revue Femmes de Chine, elle enseigne dans une des premières écoles de filles ; elle tente de provoquer un coup d’Etat pour renverser la dynastie des Qing, elle est torturée et décapitée ; de son œuvre subsiste la chanson populaire Pierre de l’oiseau, conte accompagnée de musique tanci ; en 2011 sortira le film Qiu Jin, la guerrière qui raconte sa vie

1er novembre 1907 : mort du poète et dramaturge Alfred Jarry (1873-1907), camarade et ami proche de Léon-Paul Fargue au lycée Henri IV, ils se retrouvent à la revue L’Art Littéraire ; dans sa pièce Haldernablon il évoque sous les traits d’Haldern son amour pour Léon-Paul ; en 1896 il devient célèbre avec Ubu roi, et cherche imposer dans le rôle de Bougrelas un jeune garçon efféminé, mais Lugné-Poë, directeur du Théâtre de l’Oeuvre, refuse arguant du fait que celui-ci n’est pas un comédien professionnel, Ubu roi suscite un énorme scandale, le souci de Jarry de ressembler à Ubu roi apparaît, avec son désir anarchiste d’adolescent face à la morale triomphante des adultes ; il reste toute sa vie un provocateur, avec comme le souligne Gide ses maquillages et ses costumes extravagants, Oscar Wilde voit chez lui l’obscénité de Rabelais et l’esprit de Molière ; il devient secrétaire du Théâtre de l’Oeuvre qu’il parvient à convaincre de monter Salomé d’Oscar Wilde, puis il meurt à 34 ans, dans la misère et l’alcoolisme, sans avoir fait mystère de ses goûts sexuels

 

1908 : Damia (Louise-Marie Damien, de son nom de scène Maryse Damia, 1889-1978) se produit sur la scène de café-concerts à 19 ans, romanesque et sulfureuse elle chante et danse, elle deviendra une véritable idole, elle s’adonnera à l’opium, à la cocaïne et à la boisson, elle sera amante de la danseuses Loïe Fuller et de la décoratrice Eileen Gray

1908 : aux Pays-Bas, l’avocat Jacob Schorer (1866-1957) crée le Comité scientifique et humanitaire, axé presque exclusivement sur l’homosexualité, qui rassemblera 4 000 livres plaquettes brochures et périodiques, inscrits dans un catalogue, il sera saisi par les nazis lors de l’Occupation des Pays-Bas

1908 : aux USA et en Allemagne, parution de lois raciales interdisant les mariages mixtes entre noirs et blancs

1908 : Marcel Proust (1871-1922) commence à se retirer du monde extérieur, il s’enferme dans son monde afin de se consacrer à l’immense chantier de son œuvre, les 2 400 pages de A la recherche du temps perdu, « le modèle indépassable du classique moderne » dira Pierre Assouline, sept tomes seront publiés entre 1913 et 1927 (en partie à titre posthume) ; Marcel Proust a plusieurs amis proches ou amants identifiés : Alfred Agostinelli (plus jeune de 19 ans, chauffeur et secrétaire, il suit des cours d’aviation financés par Proust et se tuera en vol en 1914, il inspirera Albertine), Lucien Daudet (plus jeune de 7 ans, frère de Léon, le journaliste de l’Action Française, amant puis ami), Reynaldo Hahn (de 4 ans son cadet, ils ont fait connaissance dans les salons en 1894, devenu son amant, puis son plus proche ami jusqu’à sa mort), Albert le Cuziat (plus jeune de 10 ans, ancien valet de chambre des Radziwill, Greffulhe, Orloff et Rohan, il ouvre en 1911 une maison close pour homosexuels, il inspirera Jupien), le comte Robert de Montesquiou-Fesenzac (plus âgé de 16 ans, dandy excentrique, ils ont fait connaissance en 1893, il lui inspirera Charlus), les frères Bibesco (avec lesquels Proust emploie un néologisme le salaïsme, dérivé du nom du comte Antoine Sala, pour désigner l’homosexualité)

1908 : Natalie Clifford Barney achète les locaux de ce qui sera son Temple de l’Amitié, rue Jacob, à Saint-Germain des Près, berceau du saphisme des milieux aristocratiques et intellectuels, bientôt en concurrence avec les salons de Gertrude Stein, de Sylvia Beach, d’Adrienne Monnier et de Colette, ce sera le point névralgique de son Académie des femmes

1908 : parution de Souvenirs de ma vie d’Anna Klumpke, consacré en grande partie à Rosa Bonheur (1822-1899), peintre animalière, dont elle est la dernière compagne

1908 : parution de Le Chemin mort. Roman contemporain de Lucien Daudet (1883-1946) « petit ami » de Marcel Proust frère du leader nationaliste Léon Daudet et fil d’Alphonse Daudet, présente de façon moralisatrice la mort inévitable du héros homosexuel ; il s’inscrit dans une littérature française qui de Proust à Jean Lorrain en passant par Marc-Joris Huysmans, présente une homosexualité décadente, mondaine et scandaleuse, l’esprit très fin-de-siècle mêlant snobisme, drogues et perversions

1908 : dans La crise morale des temps nouveaux le moraliste catrholique et nationaliste Paul Bureau, fervent défenseur de la famille, écrit que « le mal ne se cache même plus ; lui aussi a pignon sur rue »

1908 : la traduction en France de Berlins Dritter Geschlecht paru en Allemagne en 1904, sous le titre Les Homosexuels de Berlin rend publique la sociabilité homosexuelle de cette ville et la variété de ses formes, le livre donne une visibilité aux sexualités non normatives, ainsi qu’au travestissement, malgré le retentissement médiatique des affaires Eulenberg et Moltke

3 mai 1908 : 1ère manifestation en France pour le suffrage féminin

13-14 mai 1908 : à Paris, le club de nuit Little-Palace fait l’objet d’un article incendiaire pour ses pantomimes de L’Autorité dont la devise est Pour Dieu et pour la France intitulé Un scandale de Moeurs. La défaillance du Préfet de Police (le préfet est alors Louis Lépine) ; et Aristide Briand rappelle les 2 condamnations de Redon le 2 novembre 1891 et de Rennes le 2 février 1892 pour avoir joué les mêmes pantomimes

17 juin 1908 : création au Théâtre du Palais-Royal de la comédie d’Armory (pseudonyme de Carle Lionel Dauriac) Monsieur aux chrysanthèmes dans laquelle le renommé critique littéraire Gilles Norvège – inspiré d’Oscar Wilde, de Jean Lorrain ou d’Edouard de Max, le grand rival de Sarah Bernhardt – est attiré par le jeune artiste, Jacques Romagne, amoureux de Marthe Bourdon

21 juin 1908 : en Grande-Bretagne, se déroule le Women’s Sunday, première manifestation massive de la WSPU (Women’s social ant politic union) avec 300 000 personnes à Londres, avec l’une de ses figures de proue Emmeline Pethick-Lawrence qui propose de faire du tryptique violet, blanc et vert les couleurs de la WSPU

Fin 1908-début 1909 : Jean Cocteau (1889-1963), 19 ans et demi, est de la part de son aîné – qui a 18 ans de plus – Marcel Proust (1871-1922) l’objet d’une cour pressante et alambiquée, Proust n’a alors publié que des poèmes alors que toutes les portes s’ouvrent devant le jeune Cocteau, véritable prodige de séduction et de virtuosité

 

1909 : année de parution de la Revue mensuelle d’Art libre et de Critique Akademos, créée par le baron Jacques d’Aldelswärd-Fersen (1880-1923), est inspiré par la revue allemande Der Eigene (Les Singuliers), fondée en 1896 par Adiolf Brand, à travers 12 numéros mensuels ; deux autres revues paraissent la même année La Nouvelle Revue française (ancêtre de la NRF) avec André Gide et la revue de luxe Schéhérazade avec Jean Cocteau ; Der Eigene qui existe depuis 1896 et durera jusqu’à 1932, en Grande-Bretagne la revue The Adult a paru de 1897 à 1899, puis a été poursuivie pour avoir vendu et diffusé des textes obscènes ; un réseau d’intellectuels queer y collaboreront parmi eux Colette, Georges Eekhoud, Achille Essebac, Renée Vivien, Laurent Tailhade, Xavier Marcel Boulestin, Henri Bouvelet, André Lafon, Jean Berge, Robert Sheffer, Robert d’Humières, Abel,Leger et Wilhelm Eugen

1909 : un maître d’hôtel, M. Renard, est traduit en justice pour le meurtre de son employeur, il s’avère homosexuel, il est accusé d’avoir tué son employeur par amour pour son neveu, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité, les preuves sont minces, un journal écrit « même si finalement il n’avait pas tué, Renard est un personnage répugnant et un monstre odieux » ; André Gide suit avec un grand intérêt les 2 procès qui se déroulent en février et juin 1909, il concevra à partir de là son Corydon qui paraitra en 1922, Christian Gury dans un livre paru en 1999 y verra l’affaire Dreyfus de l’homosexualité

1909 : un scandale homosexuel éclate en Allemagne impliquant de nombreux proches du Kaiser Guillaume II, déclenché par les articles du journaliste Maximilien Harden, Magnus Hirschfeld est cité en qualité d’expert sexologue dans l’affaire Eulenberg (Philip Von Eulenberg ami et conseiller du Kaiser ; le comte Von Moltke, maire de Berlin, est impliqué lui aussi) en 1907 et 1908, la relaxe d’Harden en partie attribuée à la déposition de Hirschfeld déclenche de violentes réactions antisémites et homophobes, il est question d’élargir aux femmes le § 175 mais sans résultat, le mouvement de libération homosexuelle devra faire profil bas jusqu’à l’abdication du Kaiser en 1918 ; à l’inverse – et malgré les prises de position d’Edouard Bernstein en 1895 et d’August Bebel en 1898 – le SPD réclame « l’application des textes en vigueur sans indulgence », la presse du parti SPD fait cependant à nouveau allusion à l’abolition du § 175 ; en 1910 le WHK de Magnus Hirschfeld regroupera 5 000 membres ; la pétition lancée par le WHK contre le § 175 recueillera 6 000 signatures, parmi lesquelles celles de August Bebel, Karl Kautsky, Bernstein, Thomas Mann, Lou Andréas Salomé, Reiner Maria Rilke, Albert Einstein, Karl Jaspers, Hermann Hesse ; Hirschfeld recueille dans son Almanach les signatures de Freud et d‘Adler

1909 : parution de The intersexes de l’Américain  Edward Irenaeus Prime-Stevenson (1858-1942), dans son chapitre Du similisexualisme dans les armées et de la prostitution homosexuelle à la Belle Epoque il évoque la prostitution militaire en Europe, avec l’exemple de deux scandales homosexuels dans la marine à Brest et Cherbourg à l’été 1908, ainsi que la fréquence de l’homosexualité dans la Légion étrangère française en Asie et en Afrique, à partir de l’ouvrage de Geoges d’Esparbes (La Légion étrangère, paru en 1901) sur les bataillons franco-algériens ; Prime Stevenson semble éprouver une fascination pour les militaires dans son ouvrage Imre. A Memorandum paru en 1906 dans lequel l’homosexualité est présentée de façon positive

1909 :  en Grande-Bretagne, Edith Garrud, militante féministe, devenue experte en arts martiaux (le jujitsu notamment) inaugure le Suffragettes Self-Defence Club dans le quartier de Kensington à Londres, où les ateliers d’autodéfense se déroulent tous les mardis et jeudis soir ; les femmes mettent au point des techniques de combat mais aussi des techniques de ruse pour répondre aux forces de d’ordre

Printemps 1909 : Natalie Clifford Barney (1876-1972) réside au 20 rue Jacob à Paris, pavillon à deux étages, tous les vendredi de 16h 30 à 22 h elle reçoit artistes et écrivain-es Colette, Gertrude Stein, Djuna Barnes, Sylvia Beach et Adrienne Monnier, Romaine Brooks, Marie Laurencin, Max Jacob, T.S. Eliot, Ezra Pound, Jean Cocteau, André Gide, Paul Valéry, puis bientôt Marguerite Yourcenar, le très exigeant Marcel Proust – qui arrive à minuit et exige un chauffage à 22° -et beaucoup plus tard la jeune Françoise Sagan ; ce salon qui existait dès 1905 à Neuilly, était avant-gardiste, lieu de pouvoir intellectuel, espace de création et de liberté exceptionnelle pour les lesbiennes ; Natalie est issue de la haute société américaine, père rentier, mère peintre, dans l’Ohio, elle a découvert l’Europe avec sa mère à l’âge de 7 ans, placée en pension à Fontainebleau pendant 18 mois en 1886 ; arrivée à Paris elle contribue à ériger un mythe de la capitale saphique, à 25 ans elle devient amoureuse de Liane de Pougy, 29 ans, puis de Pauline Tarn, dite Renée Vivien ; en 1900 Natalie fait paraître Quelques portraits. Sonnets de femmes elle est l’héroïne de Etudes et préludes de Renée Vivien en 1901 et de l’Idylle saphique de Liane de Pougy ; Natalie est vêtue de longues robes et se pare de bijoux Lalique, des lectures sont faites par des actrices de la Comédie Française, les plateaux sont garnis de sandwiches et de gateaux, chaque livre de Colette est célébré ; un temple Premier Empire est niché au fond de son jardin, avec sa fruse « A l’amitié » crée un climat fe cérémonie secrète ;  Natalie partage son année entre son pavillon de la rue Jacob, sa maison de Provence et ses séjours en Italie ; en 1928 elle sera au cœur de romans, Le Puits de solitude de Marguerite Radclyffe Hall (1880-1943), interdit en Angleterre, et l’Almanach des femmes de Djuna Barnes (1892-1982), puis elle inspire de nombreux ouvrages, dont Lettres à l’Amazone de Rémy de Gourmont ; à partir de 1920 elle formera un couple libre avec Romaine Brooks qui durera 50 ans, elles vivront séparément à Paris et ensemble en vacances à Beauvallon dans la Drôme mais avec chacune dans une aile de la maison où elle pouvaient vivre à trois, comme avec Elisabeth de Gramont, la « duchesse rouge », avec laquelle Natalie signera un contrat de mariage symbolique ; Natalie écrira Pensées d’une Amazone en 1920

10 avril 1909 : mort de l’écrivain britannique Algernon Swinburne (1837-1909), chassé de Eton pour son homosexualité, zadmirateur de l’oeuvre de Sade, son oeuvre est remplie de textes érotiques et morbides, Hymne à Proserpine, en 1886 Poésies et Ballades et Laus Veneris, défis à la pudeur victorienne ; Baudelaire est son modèle, il écrit souvent en français, il influencera Verlaine et Gide, il sera reçu dans les milierux littéraires à Paris ; les frères Goncourt et Guy de Maupassant racxontent des scènes scabreuses survenues dans la chaumière de Dolmancé, maison d’Etretat où Swineburne vit avec son amant Powell

24 juin 1909 : mort de la femme de lettres américaine Sarah Orne Jexett (1849-1909), dotée de l’aisance financière elle écrit dès l’âge de 19 ans ses récits de vie quotidienne dans Atlantic Monthly et devient amie intime de l’épouse du directeur de la revue Annie Adams Fields ; à la mort du directeur, les deux femmes vivront en couple pendant 30 ans, leur couple deviendra le modèle du « Boston marriage » popularisé dans Les Bostoniennes de Henty James ; sa réputation grandit avec son roman The Country of the Pointed Firs en 1896 qui décrit les caractères et les rapports de plusieurs femmes, A Country Doctor en 1884 est le portrait de son père et les nouvelles Martha’s Lady et Tom’s Husband mettent l’accent sur la place inférieure de la femme dans la société américaine ; Willa Cather reconnaîtra l’influence de Jewett sur sa manière d’écrire pour le cinéma

18 novembre 1909 : mort de la poétesse britannique Renée Vivien (Pauline Mary Tarn 1877-1909) dans Je me souviens de Natalie Barney remontera le cours de cet amour perdu ; le livre sera réédité en 2023, préfacé par Suzette Robichon et Felicia Viti ; surnommée « Sapho 1900 », elle a de multiples appartenances littéraires, à la fois du Parnasienne, Symboliste, Préraphaélite, romantique Naturiste de la Belle Epoque ; à la mort de son père en 1886 elle a recueilli un important héritage qui l’a mis à l’abri du besoin ; en 1909 elle publie Etudes et préludes, et sa voisine Violet Shillito la présente à Natalie Clifford Barney avec qui elle a un coup de foudre, elle décrira sa passion dans Une femme m’apparut, elle visitent Mytilène dans l’île de Lesbos, et en mémoire de Sapho, Vivien fonde son Académie des Femmes, 22 rue Jacob ; face aux infidélités de sa compagne, Renée Vivien rompt, Natalie ne s’en console pas et tente de la reconquérir en faisant intervenir Pierre Louÿs ; Renée Vivien entame une relation forte avec la riche barionne Hélène Zuylen, mariée et mère de 2 fils ; en 1903 elle publie les poèmes Evocations et La Venus des aveugles, dont certains sont peut-être d’Hélène Zuylen qui n’ose pas afficher ses goûts, le couple voyage beaucoup et affiche une liaison discrète jusqu’en 1907, dare à laquelle la baronne la quitte pour une autre femme ; depuis 1904 Renée Vivien entretient une correspondance amoureuse avec Kérimé Turkan Pacha, épose d’un diplomate turc ; ses Lettres à Kérimé paraîtront en 1998 ; le départ de Kérimé avec son mari pour Saint-Petersbourg en 1908 va la plonger dans la solitude et la dépression, après un suicide raté à Londres, elle contracte un pleurésie, rentre à Paris affaiblie et meurt d’une pneumonie, compliquée par l’alcoolisme et la toxicomanie, elle sera enterrée au cimetière de Passy, près de la tombe de Natalie Barney ; en 1903 Renée Vivien a fait paraître Sapho, texte grec traduit en prose suivi de ses propres vers, cette redécouverte jouera un rôle essentiel dans la constitution de l‘identité lesbienne et dans les années 1970l’oeuvre de Renée Vivien revivra à l’initiative des groupes féministes ; en 1932 dans Le Pur et l’Impur Colette dressera un prtrait sans complaisance de Renée Vivien, en 1960 Natalie Barney sera plus indulgente dans Souvenirs indiscrets, André Billy donnera à Renée Vivien le surnom de Sapho 1900 dans L’Epoque 1900 remettant à la mode son oeuvre en 1951 ; elle a écrit : « Entre mes bras nerveux, j’étreins ton corps léger /Tu verras que je sais guérir et protéger / Etque mes bras son faits pour mieux te protéger »

 

Années 1910 : regain de l’intérêt général sur les crimes et délits concernant les enfants, après des années de moralisme  pour la période 1890-1910 qui faisaient de ces sujets un tabou

1910 : en Allemagne, Magnus Hirschfeld publie Die Transvestiten qui concerne l’un des 4 stades d’« intermédiaires sexuels » qu’il définit : les intersexués (ou aussi hermaphrodites), les porteurs de signes atypiques (femmes à barbe, hommes à sein…), les déviants sexuels (homosexuels, hétérosexuels adeptes du fétichisme, du sadomasochisme, de l’exhibitionnisme…), les transsexuels (ou transvestis) ; au même moment en Autriche, le Dr Eugen Steinach analyse à Vienne le rôle des hormones dans le changement de sexe grâce à des expériences sur des rats et des cobayes

1910 : en Allemagne, au seuil de la guerre de 1914, Berlin compte une quarantaine de bars homosexuels, surtout fréquentés par des classes moyennes, mais beaucoup d’entre eux sont dans des quartiers ouvriers

1910 : parution du livre de Lucien de Jean Binet-Valmer, pathétiques amours adolescentes qui s’achèvent par la mort de Lucien, marié contre son gré à une femme qu’il n’aime pas, mais amoureux fou de Batchano, avant de se suicider il écrit : « Pourquoi serait-ce un crime ?… N’est-il donc d’autre amour que celui qui crée ?…Les hommes sont bien misérables s’ils n’ont que le droit de se reproduire ! » ; dans La Grande Revue ce livre est étrillé par J. Ernest-Charles, accusé de « cosmopolitisme », de « rastaquouérisme », « de petits esthètes de contrebande »  ajoutant « l’inversion ne relève aujourd’hui encore que de l’hôpital ou de la prison »

1910 : parution du livre Marie-Claire de Marguerite Audoux (1863-1937 ), soutenue par Octave Mirbeau elle obtiendra le prix Fémina-Vie-heureuse, celle-ci orpheline a été éduquée à l’hôpital général de la Charité de Bourges par les Sœurs de Marie-Immaculée ; son livre présente des points communs avec celui d’Octave Mirbeau Sébastien Roch paru en 1880, l’attitude perfide et onctueuse de l’ecclésiastique dans l’internat des Jésuites, baigné « dans une atmosphère énervante et voluptueuse » dont parle celui-ci rejoint l’ambiance que décrit celle-là, la quasi tentative de viol de la part du frère de son ami qui l’accuse ensuite de l’avoir provoqué, rejoint la stratégie de calomnie de l’abbé Kern vis-à-vis de Sébastien, Marguerite Audoux décrit la dimension perverse, angélique et diabolique, de sœur Marie-Aimée

1910 : Laupts (Dr Georges Saint-Paul, 1870-1937) influencé par le discours ambiant en France depuis la guerre de 1870 et la Commune de 1871 (obsédé par la dénatalité et les foules incontrôlées et dégénérées) craint pour la survie de la nation, dénonce dans un livre « le pervers, l’inverti-né féminiforme » (il avait déjà publié en 1896 un autre livre  » Tares et poisons. Perversion et perversité sexuelles » suite à la lecture d’un texte d’un jeune italien sur lequel Emile Zola lui avait demandé son avis) ; il s’inscrit dans la vogue de la gymnastique et du sport, destiné à permettre à la population de reconstituer sa force en vue de la revanche ; l’affaire Dreyfus voit émerger les thèmes de l’homosexualité et de la féminité (Picquart défenseur de Dreyfus au sein de l’armée est accusé d’homosexualité, les intellectuels dreyfusards se voient stigmatisés comme « efféminés ») ; le paradoxe français est qu’un cadre légal relativement libéral vis-à-vis de l’homosexualité engendre une approche médicale plus conservatrice et moins ouverte qu’en Allemagne ; Magnus Hirschfeld publie Les Travestis, première monographie sur le psychologie et la sociologie des travestis et les transgenres

1910 : parution du roman de Henry Mirande Elagabal : « Suivant le rythme des tambourins, il se déhanchait en ondulations de croupe et en girements de ventre lascifs, pendant que du bout de ses doigts étincelants de bagues, il envoyait des baisers à la ronde. Mais c’était surtout pour un des spectateurs qu’il dansait en le fixant amoureusement des yeux et en le frôlant de son corps dévêtu. Hiéroclès reconnu l’empereur. » ; Héliogabale – dont le court règne entre 218 et 222 av. JC a été raconté par Suétone un siècle plus tard – est en ce temps prétexte à de nombreux écrits : Félix Naquet en 1886, Stefan Georges en 1892, Maurice Cartuyvels en 1894, Jean Richepin en 1898, Louis Jourdan en 1889, Georges Duvuquet en 1903, Alfred Jarry en 1903, Jacques d’Adelsward-Fersen en 1911, et beaucoup plus tard, Antonin Artaud en 1934, Maurice Duplay et Pierre Bonardi en 1935

1910 : Natalie Clifford-Barney (1876-1972) écrit : « La vie la plus belle est celle que l’on passe à se créer soi-même, non à procréer »

1910 : Colette et Missy (Mathilde de Morny) apparaissent devant la table de travail de Missy, sur une photo de Maurice-Louis Branger ; c’est l’année où elle fait sa sortie contre les suffragettes qui néritent « le fouet et le harem » préférant son entourage de « femmes harmonieuses », où elle divorce de Willy – signataire à sa place des Claudine – , elle achète une maison avec sa compagne Missy, avec laquelle elle vit au grand jour et publie La Vagabonde

1910 : le marquis de Hoyos y Vincent (1884-1940), écrivain dandy à l’homosexualité affichée, choisit de traduire 6 textes brefs des Vrilles de la vigne paru en 1908 de Colette Willy pour un hebdomadaire espagnol El Cuento Semanal, pour lui elle incarne la femme moderne par excellence

1910 : à Copenhague Clara Zetkin créée la journée des femmes : « En liaison avec les organisations de classe, dans leurs pays  respectif, il revient aux femmes de nortre planète de mettre sur pied chaque année, une journée des femmes dont le 1er objectif doit être l’obtention pour elles du droit de vote. Cette journée doit montrer qu’elle a un caractère international et exiger une totale égalité des sexes »

Février 1910 : en Angleterre, le groupe de Bloomsbury organise une facétieuse visite de pseudo dignitaires africains d’Abyssinie à la Royal Navy, il se compose d’Adrian Stephen, de sa sœur Virginia (mariée en 1912 à Léonard Woolf), de Duncan Grant (amant de Stephen), Horace de Vere Cole, Guy et Anthony ; depuis 1904, Thoby Stephen le frère ainé de Virginia – intronisé dans la société secrète étudiante de Cambridge les Apôtres à laquelle vient d’adhérer John Maynard Keynes – fonde son propre cercle la Midnight Society (avec en outre Vanessa Stephen et son mari avec Clive Bell, Roger Fry, Karin Stephen, Lytton Strachey, Morgan Foster, Saxon Sydney-Turner, Desmond et Molly McCarthy) ; Virginia et Léonard s’installeront après guerre, à Monk’s House, près de Charleston où elle écrira beaucoup et où ils recevront les membres du groupe jusque dans les années 1930

15 février 1910 : une ordonnance du préfet de police Louis Lépine dispose que « il est interdit à toute personne tenant un hôtel meublé ou chambres garnies, café, débit de boissons, etc., de recevoir habituellement dans leur établissement, pour s’y livrer à la prostitution, des filles ou femmes de débauche ou des individus de moeurs spéciales » ; la loi du 1° octobre 1917 confirmera cette ordonnance avec des peines de prison et d’amende

2 mars 1910 : le journaliste et écrivain Lucien Descaves rédige un violent article dans l’un des plus grands quotidiens Le Journal pour dénoncer les actes de débauche qui ont lieu dans les urinoirs de la capitale

16 avril 1910 : Péladan écrit Théorie plastique de l’Androgyne dans le Mercure de France : « Quinze ans ! L’Age céleste, où l’arbre de la vie / Dans la tiède oasis du désert embaumé / Berce ses fruits dorés de myrte et d’ambroisie / Et, pour féconder l’art, comme un parfum d’Asie / N’a qu’à jeter au vent son voile parfumé ! / Si riche de beauté, que son père immortel / De ses phalanges d’or, en fit l’Age éternel. »

21 avril 1910 : mort de l’écrivain Américain Mark Twain (1835-1910), grand aventurier, pamphlétaire, reporter au Missouri Courrier, pilote de steamboat, prospecteur, passionnant romancier avec en particulier Les Aventures de Tom Sawyer en 1876, Huckleberry Finn en 1885, Pudden’head Wilson en 1894 ; dans N°44, le mystérieux étranger son ultime roman N°44, l’adolescent en haillons à la beauté surnaturelle devient le souffre douleur de toute une communauté, son seul ami August, 16 ans, va le voir la nuit en cachette et apprend peu à peu une partie de ses secrets et de ses pouvoirs ; marié il connait la solitude après la mort de sa femme et de sa fille aînée et la grave dépression de sa fille cadette, il écrit son Autobiographie

20 septembre 1910 : mort du comédien viennois Josef Kainz (1858-1910), en 1881 sa photo est envoyée par le directeur du théâtre de la cour de Bavière au roi Louis II, celui-ci l’invite à jouer Didier de Marion Delorme de Victor Hugo, puis l’invite au château de Linderhof où il doit déclamer sans interruption nuit et jour ; les deux amants voyagent en Suisse au pays de Guillaume Tell, mais l’acteur se lasse et quitte le roi ; à Berlin, il va devenir l’un des plus célèbres interprêtes de Hamlet, Richard II, Don Carlos et du héros des Brigands de Schiller, en 1891 une tournée l’emmène  aux USA puis en Russie ; il se remarie après le décès de sa première épouse, il est engagé au Burg theater de Vienne en 1899 et meurt au teeme d’une brillante carrière

25 octobre 1910 : à Paris, les bains Hammam, 63 rue Cardinal Lemoine, 5è arr., sont dénoncés par lettre anonyme comme un cabinet attenant à une salle de repos où « ce qui se passe est pire encore » que dans le reste de l’établissement… on peut entendre ce monde dans la pire orgie »

 

1911 : un million de personnes manifestent pour la journée des femmes en Autriche, en Allemagne, en Suisse et au Danemark

1911 : aux Pays-Bas, la loi institue une majorité spécifique de 21 ans en cas de majorité homosexuelle (au lieu de 16 ans pour la majorité hétérosexuelle)

1911 : Marcel Proust fait la connaissance d’Albert Le Cuziat (1881-1938), 1er valet de pied du prince Orloff ; Proust surnommera bientôt Le Cuziat son « gotha vivant », jeune homme originaire des Côtes-du -Nord (les Côtes d’Armor), monté à paris, recommandé par le curé du village à un prêtre parisien manifestement bien introduit, il a été valet de pied du prince Radziwill « célèbre, selon le biographe de Proust, Painter, pour son escouade de 12 valets, vigoureux et beaux garçons, à chacun desquels il avait fait présent d’un collier de perles » et de la comtesse de Greffulhe, il est blond, robuste, élégant, le trait fin « des lèvres un peu trop charnues pour être honnêtes » dira Laure Murat (autrice de Proust Roman familial qui paraîtra en 2023) qui a vu sa photo, Céleste Albaret qui est au service de Proust, le détestera vite et décrira un « grand échalas de Breton aux yeux bleus, froids comme ceux d’un poisson – les yeux de son âme », Maurice Sachs qui le connaîtra plus tard soulignera sa « très grande distinction » et le maintien de ce « visage aristocratique et conservateur…  Albert avait le goût domestique ; il aimait servir comme d’autres aimaient commander » ajoutant sibyllin « On n’eut sans doute pas beaucioup de peine à le faire servir de plus d’une façon »; s’il n’est pas nécessairement le genre de Proust qui préfère les  bruns à moustache, il le retiendra surtout de lui « son érudition  en matière généalogique, élevée au rang de science exacte, sa connaissance de l’étiquette, du protocole et des moeurs de l’aristocratie, des alliances officielles et officieuses, est de celles irremplaçables, qui sont guidées par la passion d’un métier où il mettait un zèle inaccoutumé, mêlé à une forme de fascination pour l’intrigue dans le cercle les puissant » dira Laure Murat (experte à ce domaine du fait de ses propres ascendances aristcratiques)

1911 : parution de Les Fréquentations de Maurice de Sidney Place (Xavier-Marcel Boulestin, 1877-1943),, ancien collaborateur de Willy, Boulestin s’est intallé à Londres, il réalise à travers la vie de Maurice Verdal une étude des moeurs au temps de la brillante époque edouardienne, avec la pittoresque subculture homosexuelle des beaux quartiers londoniens, Mayfair et Piccadilly, faite de frivolité babillarde et d’énergie inventive

1911 : le médecin général Tranchant et le lieutenant Desvignes suivent les condamnés pour délits militaires du pénitencier de Bossuet, à Daya, en Algérie : « Quand nous sommes arrivés en Algérie, nos troupes sous l’influence du climzt ou du manque tiotal de femmes… ont dû être poussés à imiter les moeurs des indigènes, et on eut vite  fait de rapporter en France cette mauvaise réputation des « moeurs d’Afrique »… »L’homosexualité dans l’armée d’Afrique correspond à une nécessité physique, mais non en général à une forme de folie érotique »

1911 : en Grande-Bretagne, Thomas Edward Lawrence (1888-1935) après des études d’art et d’archéologie à Oxford participe aux fouilles du site archéologique de Karkemish, au nord de Damas, en Syrie, il est très ami avec le jeune Selim Ahmed, à qui il dédiera Les Sept Piliers de la sagesse, puis deviendra en 1914 agent de liaison pour l’Empire britannique qui essaie de se concilier les faveurs des Hachémites, et en particulier de Hussein Ibn Ali, chérif de la Mecque, afin de protéger la voie de chemin de fer Damas-Médine qui longe le canal de Suez, afin de contrôler la région, il sera fait prisonnier et violé par les Turcs à Deraa, il défendra le droit à la liberté nationale des Arabes, malgré les ordres de sa hiérarchie, il percevra très bien qu’en prêchant, dirigeant et guidant les Arabes, il « blesse ses frères dans leur virilité », ce que le philosophe Gilles Deleuze qualifiera comme une homosexualité de pure disposition à percevoir et éprouver une qualité des relations entre hommes, lui qui abomine le désir sexuel mais choisit les relations entre hommes, l’amitié, la camaraderie, la fraternité ou l’amour, lieux de pure intensité ; en 1922, 4 ans après la prise de Damas par les troupes arabes, il intègrera la Royal Air Force

1911 : en Tunisie, le protectorat Français introduit dans le code pénal l’article 230 qui criminalise l’homosexualité, sous le nom de sodomie

1911 : en Turquie (Empire Ottoman) parution du roman érotique Les exploits du jeune don Juan

 

1912 : instauration de l’action en reconnaissance de paternité qui permet d’instaurer une filiation naturelle, hors de la famille légitime

1912 : parution du livre L’élève Gilles d’André Lafon, avec une préface de François Mauriac sur les amours chastes entre pensionnaires d’un établissement religieux ; André Lafon, ambulancier de guerre, succombera en 1915 d’une scarlatine à l’hôpital de Bordeaux, à l’âge de 32 ans, le même âge que son frère d’armes Jean de La Ville de Mirmont, tué en 1914 au Chemin des Dames ; André Lafon laissera quelques œuvres et un François Mauriac inconsolable, touché par le mal vivre dont témoigne l’élève Gilles enfermé et ouvert à la beauté du monde, découvrant les amitiés de dortoir dans son internat catholique

1912 : le général Hubert Lyautey (1854-1934) est élu à l’Académie française, il est la même années nommé résident général du protectorat du Maroc, Georges Clémenceau qui le trouve admirable et courageux le raille, il « a toujours des couilles au cul… même quand ce ne sont pas les siennes » ; la cinquantaine venue il se marie pour faire taire les rumeurs

1912 : en Hollande, l’avocat Jacob Anton Schorer fonde la section néerlandaise (NWKH) du comité scientifique et humanitaire initié par Magnus Hirschfeld, en réponse à la loi de 1911 qui instituait une majorité spécifique de 21 ans en cas de majorité homosexuelle

1912 : dans le Protectorat français du Maroc mis en application des articles de loi qui punissent l’avortement

1912 : en Allemagne, Hirschfeld procède à une mammectomie et une hystérectomie

1912 : en Allemagne, parution du livre La Mort à Venise de Thomas Mann (1875-1955), Gustav Aschenbarch, écrivain munichois anobli, usé, inspiré de Goethe et de Malher éprouve « le besoin d’échapper à son œuvre » qui pèse sur lui et lui donne le sentiment de passer à côté de sa vie, à Venise il aperçoit le jeune Tadzio, adolescent d’une beauté troublante pour lequel il éprouve une puissante attirance, Thomas Mann lui-même avait ressenti une telle attirance, il a peut-être fait mourir son héros pour se libérer de ses propres tourments ; marié en 1905 Thomas Mann s’est assuré une tranquillité matérielle, il a peut-être voulu aussi mettre fin à des tendances homosexuelles qui nourriront son œuvre, il conçoit une « homosexualité d’esthétique érotique » : « L’amour ‘libre’, en ce qu’il implique la stérilité, une perspective bouchée, une absence de conséquences et de responsabilités. Rien n’en résulte, il ne pose les assises de rien, il est l’art pour l’art, ce qui sur le plan esthétique peut être une attitude très fière et libre, mais sans aucun doute immorale »

1912 : en Grande-Bretagne, Virginia  (1882-1941) et Leonard Woolf ( 1880-1969) se marient ; ils achèteront en 1919 un petit cottage dans le Sussex (Virginia se suicidera en 1941 noyée dans l »Ouse, à proximité) ; Leonard est un pionnier de l’anticolonialisme, il a quitté l’Angleterre en 1904 pour vivre 7 ans à Ceylan dans l’administration coloniale, il sera inspirateur de la Société des nations, directeur de plusieurs revues littéraires et éditeur (Hogarth Press), secrétaire du Parti Travailliste et confondateur du groupe de Bloombury, il écrira sa biuographie Ma Vie avec Virginia ; Virginia souffre de trouble bipolaire, on parle de neurasthénie ou de psychose maniaco-dépressive, elle passe soudain d’un état mental  à un autre, elle est d’une beauté éthérée et dotée d’un génie créateur, elle écrira entre autres Mrs Dalloway (1925), La Promenade au Phare (1927) et Orlando (1928) ; le groupe de Bloomsbury regoupera à Cambridge des écrivains, Virginia Woolf, E.M. Forster, Mary MacCarthy, l’économiste John Maynard Keynes, l’essayiste Lytton Strachey ou encore les peintes Duncan Grant, Roger Fry ou Vanessa Bell, soeur de Virginia

4 avril 1912 : Colette se produit au Bataclan dans La Chatte amoureuse ; en 1907 elle avait eu pour partenaire la marquise de Morny, Missy, qu’elle embrassait sur scène, dans Rêve d’Egypte, au Moulin-Rouge

 

1913 : en Autriche, Sigmund Freud a 57 ans, il entretient une correspondance suivie avec sa fille Anna qui en a 18, il ne voit pas que sa fille aime les filles, il tente de la rassurer en lui disant « Enfant, tu fuyais certaines choses dont la jeune fille adulte n’a pas le droit d’avoir peur » ; lorsqu’elle deviendra analyste à son tour Anna s’éprendra de Dorothy Burlingham, une Américaine dont elle accueille deux enfants en cure, elle aura avec elle une camaraderie « agréable et limpide » ; en 1927 elle sera séduite par une autre femme Eva Rosenfeld, elles créeront toutes les trois une école pour enfants en cure et élèveront les enfants de Dorothy

1913 : Albert Le Cruziat décide de prendre la direction d’un « établissement de bains » réputé pour ne recevoir que des homosexuels, les Bains du Ballon d’Alsace, rue Godot-de-Mauroy ; Proust lui remet alors les clefs de sa remise du Bd Haussmann où il accumule son mobilier de famille le laissant choisir des meubles pour sa chambre personnelle, en 1917 Le Cruziat en profitera pour équiper un autre établissement l’hôtel Marigny, doté d’une entrée au 11 rue de l’Arcade, de fait un bordel pour homosexuels (cité par Proust dans Le Temps retrouvé comme le « Temple de l’impudeur » ; Celeste Albaret est indignée que ses meubles servent « pour des besoins écoeurants », si Proust y verra parfois une profanation du souvenir familial, il sera attentif aux informations précieuses de Le Cruziat et profitera d’expéditions voyeuristes (qui lui dicteront la scène de la flagellation avec Charlus « Prométhée enchainé » dans Le Temps retrouvé et rendront Céleste Albaret « écrasée d’horreur »)

1913 : début de la publication de A la Recherche du temps perdu (1913-1927) écrit par Marcel Proust (1871-1922) de 1907 jusqu’à sa mort ; ses parents habitent Auteuil et ont une fortune (son père professeur à la faculté de médecine est le 1er grand hygiéniste français, conseiller du gouvernement pour la lutte contre les épidémies) qui l’ont amené à fréquenter très jeune les salons de l’aristocratie et de la bourgeoisie et à s’adonner librement à l’écriture ; il se moque de l’idée d’un « mouvement sodomiste » français, en référence aux mouvements pour l’abrogation des lois réprimant l’homosexualité qui ont émergé en Allemagne à la fin du XIXème siècle ; à partir du 4ème tome de A la recherche du temps perdu, l’homosexualité se manifestera chez tellement de personnage de Proust que l’opinion du baron de Charlus selon laquelle 3 hommes sur dix sont véritablement homosexuels paraît celle de l’auteur fasciné par « la race maudite » ; André Gide reprochera à Marcel Proust cette « terrible » description de l’homosexualité qui fait « reculer la question de cinquante ans » lequel lui répondra « il n’y a pas de question, il n’y a que des personnages »

1913 : en Autriche-Hongrie, le brillant et ambitieux colonel Alfred Redl (1883-1913) se suicide dans une chambre d’hôtel à Vienne, un des chefs de services secrets austro-hongrois il est obligé de déclarer aux Russes des documents secrets concernant la Galicie, au nord des Carpathes, car ceux-ci le font chanter, ils menacent de déclarer son homosexualité et ses relations avec un jeune officier ; l’armée austro-hongroise sera contrainte de changer ses plans et cela aurait contribué à sa défaite ; l’affaire contribuera à répandre l’idée que l’homosexuel est un traitre potentiel à sa patrie

1913 : en Tunisie, le code pénal tunisien instauré sous le protectorat français, criminalise l’homosexualité masculine ou féminine

Février 1913 : les Annales d’Hygiène et de Médecine Légale publient une étude de P. Remlinguer sur la Prostitution au Maroc : « Le mal (de la prostitution masculine) est en somme si général au Maroc qu’il en est arrivé à constituer pour la prostitution féminine une véritable concurrence… Le Maroc exerce à l’égard de certains européens une attirance spéciale, en raison de la liberté avec laquelle l’homosexualité peut s’y étaler et de l’absence complète de répression comme de déshonneur qu’elle y entraîne. Il y a là une sorte de « spécialité » à laquelle il serait désirable que le protectorat français pût assigner une fin »

25 mai 1913 : mort de l’officier austro-hongrois Alfred Redl (1864-1913), afin de pouvoir entretenir son amant il accepte l’argent proposé par les Russes en échange de renseignements, ceux-ci le font tomber dans un piège et parviennent à prendre des photos compromettantes, Redl cède au chantage, livre des plans de guerre de son gouvernement, il est démasqué, pour éviter le scandale l’état-major le pousse au suicide dans une chambre d’hôtel de Vienne ; les Autrichiens sont contraints de modifier en catastrophe leurs plans de bataille

4 juin 1913 : en Angleterre, lors du Derby d’Epsom, Emily Davidson tente d’arrêter le cheval appartenant au roi Georges V, elle est grièvement blessée et meurt 4 jours plus tard à l’hôpital

18 décembre 1913 : mort de l’acteur allemand Emil Rohde (1839-1913), il est invité par Louis II de Bavière à jouer le rôle titre de Guillaume Tell de Schiller, puis prié de revenir souvent pour déclamer des textes, mais le roi se lasse et lui préfère son camarade l’acteur principal Josef Kainz

 

1914-1918 : pour l’historien Alain Corbin : « Les soldats partant à la guerre sont pétris d’un idéal patriotique, inculqué dès leur plus jeune âge. Pour ces hommes portés par la haine de l’ennemi – le boche -, le dévouement pour le pays est grand. Mais au cours de cette guerre, les nouvelles armes employées – obus, artillerie, gaz – minent cet idéal. Avec la guerre à distance, le champ de bataille est vide, le combat au corps à corps n’existe plus, les corps se disloquent sous les obus. Où réside alors l’héroïsme ? La virilité combative est minée ? » ; Jean-Jacques Courtine ajoute : « Paralysés, mutiques, aveugles, mutilés et « gueules cassées », la dévirilisation se lit dans le corps des soldats. Avec la guerre moderne qu’inaugure la Grande Guerre, la vulnérabilité du corps masculin apparaît comme jamais, et avec elle l’humiliation et la peur du guerrier »

1914-1918 : les auxiliaires médicales sont nombreuses, et dans un contexte misogynie importante, il n’y a qu’une seule femme médecin dans l’armée française, Nicole Mangin (1878-1919), elle est mobilisée dans l’enfer de Verdun et pratique la chirurgie sur les soldats ; en octobre 1916 elle dirigera l’hôpital Edith Cavell pour infirmières et sera promue médecin capitaine

1914 : le soldat Paul Grappe évite de repartir au front de la guerre après une blessure, avec l’aide de son épouse Louise Landy ; condamné in absentia le 27 mars 1915, il s’habillera en femme sous le nom de Suzanne et continuera à vivre à la maison, sans que les gendarmes envoyés à sa recherche ne le reconnaissent, c’est Louise qui a eu l’idée de le déguiser, (Mayol, Montesquiou, O’Dett sont leurs inspirateurs), il gagnera sa vie en tapinant au Bois ; ce n’est que grâce à l’amnistie de 1925 qu’il ne sera plus recherché, mais sa vie se terminera lamentablement en 1928 (en 2017 son histoire sera évoquée dans le film Nos années folles d’André Techiné)

1914 : parution d’Antone Ramon d’Amédée Guiard qui évoque les amours chastes entre pensionnaires d’un établissement religieux

1914 : en Allemagne, Magnus Hirschfeld publie Die Homosexualität (l’Homosexualité des hommes et des femmes) monographie de 1 000 pages citant des milliers de témoignages glanés dans les bars et lieux de rencontre homosexuels berlinois et de diverses métropoles européennes, américaines et nord-africaines ; et la pétition qu’il a lancée en 1897 pour l’abolition du § 175 recueille 5 000 signatures

1914 : en Allemagne, le mouvement Wandervogel (WV), créé en 1896,  regroupe 25 000 jeunes autour d’activités ludiques ; il est dirigé par Fischer, puis par Willie Jansen, celui-ci dénoncé comme homosexuel devra quitter son poste et créera sa propre organisation les WV-Jung, ouvertement homophiles ; Hans Blüher (1888-1955) qui a adhéré au mouvement très jeune, à 14 ans, a été mis en cause pour conduite déplacée, il a écrit en 1912 le 3ème volume de l’histoire des WV, Le Mouvement Wandervogel comme phénomène érotique : contribution à la compréhension de l’inversion sexuelle, dans lequel il théorise l’homosexualité masculine comme fondement des associations de jeunesse thèse rejetée par la majorité du mouvement, Blüher rompra avec le mouvement mais poursuivra sa réflexion Le Rôle de l’érotique dans la société masculine en 1917 et 1919

1914 : aux USA, immigration de l’endocrinologue allemand Harry Benjamin (1885-1986), son 1er patient, Otto Spengler, a été mentionné dans un livre de Magnus Hirschfeld en 1910 ; en 1920 Benjamin pratiquera sur Spengler les 1ers essais hormonaux avec œstrogènes dérivés des travaux du Dr Steinach ; Benjamin est le 1er médecin à dire que ni la psychanalyse ni la psychiatrie ne sont susceptible de « guérir » la transsexualité, il sera pionnier dans l’utilisation des traitement hormonaux

1914 : en Grande-Bretagne, le couple de lesbiennes Vera Louise Holmes (1881-1969) et Evelina Haverfield (1867-1921) qui se sont rencontrées en 1910 à la WSPU (Women’s social & politic union), s’engagent et intègrent la Women’s Volonteer Reserve, Vera devenue major entre dans l’unité mobile de l’Hôpital des Femmes d’Ecosse que dirige Evelina, elle s’occupe des chevaux puis devient mécanicienne quand l’unité se motorise, elle se retrouveront dans un hôpital en Serbie, Evelina sera faite prisonnière en ctobre 1915 et rapatriée par la Croix-Rouge au printemps 1916, elle repartira en août pour la Roumanie et la Serbie, en octobre 1917 Vera apporte des informations importantes concernant l’armée serbe sur le front roumain, elle sera considérée comme une héroïne nationale, jusqu’à l’armistice toutes deux vivront à Edimbourg ; Vera reprendra sa vie d’artiste, puis elle repartiront en Serbie pour y fonder un orphelinat destiné aux enfants victimes de la guerre ; le 21 mars 1921 Eveline mourra d’une pneumonie, elle y sera décorée de l’Ordre de l’Aigle blanc, Vera retournera en Grande Bretagne et vivra avec d’anciennes compagnes de lutte, fréquentera le Barn Théâtre dirigé par Edith Craig, lesbienne activiste, comédienne avant-guardiste, metteur en scène, créatrice de costume et pionnière des suffragettes

1914 : Francis Carco dans Jésus-la-Caille décrit la prostitution masculine à Paris, boulevard de Clichy ou place Pigalle, mais de crainte que sa réputation ne soit anéantie par la critique il n’est pas très subversif, le gigolo de Pigalle y est noyé dans l’athmospère plus rassurante des prostituées

1914 : les avortements clandestins sont évalués entre 15 000 et 60 000 par an selon les années, les faiseuses d’ange sont pour les femmes concernées la seule ressource

Avril 1914 : à Paris, dénonciation d’un curé homosexuel parmi ceux qui fréquentent l’Hôtel Kléber (7è arr.) lieu de prostitution masculine fréquenté par des militaires, la police confirmera la présence de ce prêtre de 32 ans ; un des rares cas décrit d’homosexualité dans l’Eglise, en revanche des cas de violences sexuelles exercées sur de jeunes adolescents existent ; à la fin du XIXè siècle les violences sexuelles sur enfant ne sont pas réprimées par la justice française, mais elles sont socialement condamnées, l’homosexualité masculine est plus sévèrement condamnée que les violences commises sur enfant

5 juillet 1914 : Manifestation féministe « à la mémoire de Condorcet » organisée par la journaliste Séverine devant les Tuileries, parmi les animatrices Caroline Kauffmann qui dirige la Solidarité des femmes, Marguerite de Witt-Schlumberger, petite fille de Guizot, présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes, Lydie Martial, fondatrice de l’Union de la pensée féministe et Marguerite Durant, fondatrice du journal la Fronde et comédienne ; Louise Somauneau fait partie des instigatrices avec un groupe de femmes socialistes, 6 000 femmes y participent, c’est la 1ère affirmation de cette envergure dans la rue, qui devient la 1ère « journée des Femmes en France »

Août-décembre 1914 : les hommes sont au front, Colette (1873-1954) crée un « phalanstère » au 57 rue Cortambert (dans le 16ème arr. à Paris), au domicile de son 2ème mari Henry de Jouvenel, avec la romancière et journaliste Annie Pène (qui décèdera en 1918), la comédienne Marguerite Moreno (1871-1948) et l’actrice Musidora (1889-1957), sa complice absolue, s’y expriment « confidences, câlineries et chatteries, ambiance de pensionnat et maison close » écrira la biographe Dominique Bona « elles chantent, elles danses, elle écrivent », elle « s’affranchissent des conventions et des codes », elles donnent libre cours au « libre arbitre » de chacune ; les délices de Lesbos, que Colette connaît bien, sont tolérées, du moins dans certaines hautes sphères de la société ; Colette, 41 ans, a été liée pendant 5 ans à Mathilde de Morny, dite Missy, avant son mariage avec de Jouvenel ; pour autant Colette déteste les féministes, elle veut « être soi, par soi »

7 août 1914 : le président du Conseil, Viviani, lance un appel à toutes les Françaises, les paysannes d’abord, puis en 1915 les ouvrières ; dans les usines d’armement, les ouvrières sont désignées sous le nom de munitionnettes, la journaliste féministe et libertaire Marcelle Capy parle d’héroïnes du quotidien moins payées que les hommes, et dénonce dans La voix des femmes leur travail épuisant : 2 500 obus de 7kg chacun passent entre leurs mains en 11h, elles soupèsent chacune 35 000 kg par jour, en 1 an cela représente 900 000 obus

26 septembre 1914 : mort de Katherine Harris Bradley (1846-1914), née à Birmingham qui a vécu en couple avec sa nièce Edith Emma Cooper (1962-1913) à partir de 1870, elles ont signé leur œuvre poétique commune sous le nom de Michaël Field, Bellerophon (1881) et Callirrhoe and Fair Rosamund (1884) ; il est possible que leur relation soit restée chaste, elles sont enterrées dans le même caveau

 

1915 : aux USA, ouverture de la YMCA West Side de New York destinée aux travailleurs (2 piscines seront construites au sous-sol en 1924) ; en 1910 les USA comptaient 25 YMCA (young men’s christian association) dans 23 villes pour travailleurs noirs ; la 1ère YMCA a été construite à Londres en 1844 et en Amérique en 1851 à Montréal

1915 : Robert d’Humières, écrivain et officier de l’armée française, travaillant avec l’armée britannique, est dénoncé pour avoir eu des relations avec un soldat hindou, il préfère aller mourir au front plutôt que de passer en conseil de guerre (il inspire à Proust le personnage de Saint-Loup)

18 février 1915 : Max Jacob (1876-1944) a 39 ans, il se fait baptiser à ND de Paris, Pablo Picasso est son parrain ; il a publié des contes en 1907, acquis une notoriété en 1917 avec Le Cornet à dès, des poèmes en prose mis en musique par Georges Poulenc, raconté dans La Défense de Tartuffe que le Christ lui est apparu dabns sa chambre en 1909 ; après son baptême il exprimera son amour très charnel du Christ, et sera déchiré toute sa vie entre sa foi de catholique pratiquant et son désir homosexuel, et se retirera au monastère de Saint-Benoît-sur-Loire de 1921 à 1927 ; revenu à Paris en 1927, il reprendra une vie coupée en deux que racontera Julien Green « Il passait toutes ses soirées dans les cafés de Montparnasse à courir après un garçon qu’il ramenait chez lui. Le lendemain matin il allait se confesser à l’église Notre-Dame-des-Champs. Quand il apparaisait à l’église, les prêtres se cachaient derrière les piliers. Ils connaissaient la confession ar cœur : c’était youjours la même. Max assistait à la messe, communiait et le soir il recommençait à chercher un autre garçon », il ne cessera de culpabiliser « Je suis un cochon, un salaud, je suis la honte, je suis la boue » ; en 1925 il rencontrera Maurice Sachs jeune homme talentueux de19 ans qui restera son amant ;  à partir de 1928, il vit entouré de jeunes artistes homosexuels (Henri Sauguet, Antonin Artaud ( ?), Marcel Herrand, Louis Salou, Charles Trenet, Alain Danielou), Jean Moulin fait partie du cercle de ses amis proches (qui prendra Max comme pseudonyme…) ; en 1930 Maurice Sachs fera dans Le Sabbat un portrait peu flatteur de Max Jacob qui provoquera leur rupture ; il fera des numéros de poésie au Noctambule, sera sauvé une 1ère fois des griffes de la Gestapo (qu’il prononce J’ai ta peau), puis arrêté de nouveau le 24 février 1944, déporté au camp de Drancy, où lorsque Jean Cocteau et Sacha Guitry interviendront pour obtenir sa libération, il sera trop tard, il mourra 5 jours plus tard emporté par une broncho-pneumonie à 68 ans ; Cocteau écrira une oraison funèbre « Je ne connaissais rien de plus beau que les yeux de Max Jacob… toujours le poème superbe coulera de sa main avec la volubilité folle des arabesques du miel qui tombent du ciel » tandis que Je suis Partout écrit « Max Jacob est mort, juif par sa race, breton ar sa naissance, romain par sa religion, sodomite par ses mœurs, le personnage réalisait la plus caractéristique figure de Parisien qu’on puisse imaginer, de ce Paris de la pourriture et de la décadence »

27 septembre 1915 : mort à 25 ans de Léo Latil, poète né à Aix-en-Provence en 1890, sur le front de la Marne, son ami Darius Milhaud (1892-1974), né à Marseille, perd alors un de ses amis les plus intimes, il mettra en musique plusieurs de ses poèmes ; il faisaient ensemble leurs études au lycée Mignet d’Aix-en-Provence, ainsi qu’Armand Lunel (1892-1977), écrivain, juif originaire du Comtat, né à Aix-en-Provence

21 décembre 1915 : mort de la romancière irlandaire Martin Ross (Violet Florence Martin 1862-1915), plus jeune d’une famille de 16 enfants, installée à Dublin après la mort de son père, en 1886 elle se lie avec sa cousine Edith Sommerville qui sera toute sa vie sa compagne, elle prend le pseudonyme de Martin Ross, dont elles signent leur œuvre commune, une dizaine de romans (dont The Real Charlotte, An Irish Cousin, In M. Knox’s Country) ; Violet est suffreagette, devient vice-présidente du Munster League et milite pour la reconnaissance littéraire gaélique ; elle ne se remettra pas d’une chute de cheval et après la mort d’Edith continuera à signer Martin Ross, les journaux et la correspondance inédite du couple sera recueilli par le Trinity College de Dublin

1916 : aux USA, l’Immorality Act rend délictueux qu’une femme blanche fasse une proposition indécente à un homme « indigène », les femmes blanches – en particulier nouvellement venues d’Europe – sont alors soupçonnées de provoquer leurs désirs par leur familiarité

28 février 1916 : mort de l’écrivain américain, naturalisé britannique en 1915, Henry James (1843-1916), né à New York, héritier de la fortune de son grand-père, son père était un visionnaire mystique et iconoclaste, il tombe amoureux de son frère ainé William qui deviendra un celèbre philosophe, il souffre de se sentir indigne d’une famille si brillante ; une lésion à la colonne vertébrale lui épargne la guerre civile, en 1875 il choisit de résider en Europe (France, Italie puis Angleterre) ; il publie en 1886 son chf d’œuvre Les Bostoniennes, à thème lesbien, qui traite de la relation ambiguë entre deux feministes, puis en 1891 The Pupil qui raconte la fascination qu’un jeune élève exerce sur son professeur ; ce n’est qu’à l’âge mûr qu’il accepte son homosexualité et se lie avec le sculpteur norvégien Hendrick Andersen, de 30 ans son cadet, après une courte liaison celui-ci rentre à Rome et James lui écrit des lettres enflammées, puis se console dans les bras du jeune anglais, Jocelyn Perse ; ses œuvres majeures sont Les Ailes de la colombe en 1902, Les Ambassadeurs en 1903 et La Coupe d’or en 1904, il décrit le contraste entre la vie innocente des Américains et la sophistication européenne

27 mai 1916 : mort du général Julien Gallieni (1849-1916), militaire sorti de Saint-Cyr, prisonnier en 1870, aux multiples missions (Réunion, Afrique noire, Soudan français, Tonkin, Madagascar), gouverneur militaire de Paris en 1914, puis ministre de la guerre ; ses amours masculines sont connues dans l’armée

5 juin 1916 : mort du général britannique Horatio Herbert lord Kitchener (1850-1916), vainqueur des derviches mahdistes d’Egypte en 1898, il obtient du général Marchand le retrait des troupes françaises de Fachoda, créant une tension entre la France et le Grande Bretagne, nommé en 1898 commandant en chef du Transvaal, il mène pendant 2 ans une guerre impitoyable et écrase les Boers, colons hollandais qui combattent pour leur indépendance ; il n’a jamais eu de liaison féminine, choisissant ses amants parmi ses secrétaires et jeunes officiers ; il est nommé commandant en chef de l’armée des Indes, puis résident général en egypte, et ministre de la Guerre en 1914 ; il se brouille avec le premier ministre Lloyd George et meurt dans le naufrage du cuirassé de la Royal Navy coulé par un U Boat allemand

18 juin 1916 : mort du général Helmut Johannes Moltke (1848-1916), il est gouverneur militaire de Berlin lorsque la presse dévoile ses amours avec le prince Eulenberg et que les caricaturistes de la presse française s’en donnent à cœur joie ; en 1914 il est chef d’état-major lorsque l’armée allemande est battue par l’armée française sur la Marne

25 juin 1916 : mort de Thomas Eakins (1844-1916), peintre, sculpteur et photographe américauin, , issu de l’ecole des Beaux-Arts de Paris il s’est perfectionné dans le nu masculin d’après modèles ; ses peintures The Swimming Hole et Arcadia, ont choqué l’opinion publique, et l’académie de Pennsylvanie, sa ville d’origine, l’a contraint à quitter son poste de professeur ; il s’est dès lors consacré aux portaits de ses amis les plus celèbres dont celui de Whitman ; il a vecu 10 ans avec le sculpteur Samuel Murray, puis épousé une de ses anciennes étudiantes

3 août 1916 : mort de l’Irlandais sir Roger Casement (1864-1916), en 1884 à l’âge de 20 ans il se lie à Herbert Ward pour lequel il éprouve une amitié indéfectible ; il est consul de Grande-Bretagne au Mozambique en 1895, puis en Angola et au Congo belge, puis au Portugal, au Brésil et au Perou, il est nommé baronnet à sa retraite en 1912 ; il a soutenu en secret à l’indépendance de l’Irlande, il est parti pour New York lors de la déclaration de guerre en 1914 où il a rencontré le marin norvégien Adler Christensen, 24 ans ; il est allé à Berlin en 1915 pour tenter d’obtenir l’aide des Allemands, ennemis de la Grande Bretagne, en soutien aux indépendantistes irlandais mais n’ayant pas obtenu ce soutien, il a voulu dissuader le soulèvement irlandais contre l’armée anglaise le 24 avril 1916, il a été ramené en sous-marin par le gouvernement allemand le jour où l’insurrection irlandaise écrasée par l’armée britannique, il est arrêté à son retour – ainsi que son amant – et jugé pour trahison, condamné à mort, et sa condamnation a été confirmée lorsque ses Blacks Diaries (carnets noirs) ont été découverts ; dans ces Diaries il décrit ses nombreuses liaisons homosexuelles, de façon très détaillée, indiquant la taille et les dimensions de nombreux pénis de ses amabnts lors de ses voyages à travers le monde, compte tenu des lois homophobes ces informations ont sapé sa défense et découragé ses nombreux soutiens ; il meurt à 51 ans à la prison de Pentonville de Londres

11 octobre 1916 : mort de Othon de Bavière (1848-1916), frère cadet de Louis II de Bavière, déposé par le gouvernement bavarois ; roi sous la régence de son oncle il est enfermé pour folie, ses crises de démence expriment une homosexualité mystique, entre déclarations pornographiques et agressions sur ses serviteurs

13 novembre 1916 : mort de l’écrivain britannique Saki (Hector Hugh Munro 1870-1916), fils d’un officier anglais de l’armée des Indes, il voyage dès l’âge de 18 ans à travers l’Europe, rencontre en Suisse l’écrivain Sydmonds qui devient son maître à penser et son modèle ; en 1893 il retourne aux Indes, dans son village natal et commence à écrire sous le pseudonyme de Saki ; dans les poèmes Häfez il est échanson, garçon complaisant pour les hommes, il est longtemps correspondant du Morning Post, puis installé à Londres il publie avec suxccès ses nouvelles Reginald et Gabriel-Ernest ; durant la Grande guerre il préfère être simple soldat pour être au contact des jeunes des classes populaires ; il est tué au combat en 1916 ; son goût pour les garçons est rapportée pdans la biographie écrite par sa soeur Ethel

 1er  décembre 1916 : mort de l’ermite Charles de Foucauld (1858-1916), jeune officier aristocrate passé par Saint-Cyr puis Saumur, il menait une vie dispendieuse avec de nombreuses maîtresse ; il s’est converti en 1886, il a démissionné avant de devenir prêtre en 1892 ; en 1905 il a fondé une mission dans le sud algérien à Tamanrasset où il a composé un disctionnaire français-touareg, aporès plusieurs retours en France il est retourné définitivement dans sa mission de l’Assekrem en 1914, il y a été assassiné par des Sénoussistes ; malgré la destruction de certains de ses écrits compromettants par sa famille, Louis Massignon décrira ses relations tendres avec les petits indigènes qui partageaient sa couche ; il sera canonisé en 2020

 

1917 : l’URSS révolutionnaire abolit toute législation anti-homosexuelle, et Batkis, sexologue officiel du PCUS, affirme, au congrès international pour la réforme sexuelle, légitime tout plaisir sexuel avec un partenaire consentant ; Alexandra Kollontaï (1972-1952) devient commissaire du peuple à l’Assitance publique (ministre de la santé) ; avec Inès Armand, elle crée le Jenotdel, l’organe du parti chargé des questions féminines, ainsi que le journal la Communiste, théoricienne de la liberté amoureuse (L’Amour libre) et de la libération de la femme (Conférences sur le libération des femmes), elle considère que « la femme doit se débarrasser des chaînes que fait peser sur elle la forme actuelle périmée et contraignante de la famille »; elle sera vite mal vue par Lénine qui considère que « pour  un communiste, l’acte sexuel doit être aussi simple que boire un verre d’eau » et partageauit sa vie entre son épouse régulière et sa maîtresse Inès Armand, mariée elle aussi

1917 : aux USA, le psychiatre Joshua Gilbert pratique une hystérectomie, le patient parvient à changer d’état-civil sous le nom d’Allan Huart, il se mariera 2 fois, médecin et écrivain, il mourra à l’âge de 72 ans en 1962

1917 : Albert Le Cruziat se met à son compte avec l’aide financière (et avec les meubles de parents) de Marcel Proust à l’hôtel Marigny, 11 rue de l’Arcade, l’hôtel haut lieu du gay Paris (avec voyeurisme et rapports sado-maso) est surnommé le temple de l’impudeur, il sera fermé sur descente de police du 11 janvier 1918 à la suite de la dénonciation d’une « noce immonde » où Proust est présent

1917 : Suzy Solidor (1900-1983) passe son permis de conduire afin de pouvoir conduire des ambulance dans la guerre

1917 : aux USA, Dorothy Arzner (1897-1972), réalisatrice, productrice et pédagogue, s’engage comme conductrice d’ambulance dans les forces armées au moment où son pays entre en guerre ; après guerre elle intégrera le milieu du cinéma sans jamais cacher son homosexualité

1917 : au Vatican, le droit canon affirme la masculinité du prêtre dans l’Eglise, ce qui n’allait pas de soi jusque là car la masculinité impliquait le corps et la sexualité, à la différence de la féminité

10 janvier 1917 : mort de l’indien américain Buffalo Bill (William Frederik Cody 1846-1917), il a participé à la guerre de Secession, puis aux combats des Cheyennes contre les Sioux ; il a créé le Wild West Show avec cowboys, Indiens et Far West ; il choisissait ses amants parmi les membres de sa troupe

Avril 1917 : aux USA, le Dr Anne Murray Dike et Anne Morgan fondent le Comité américain pour les régions dévastées (CARD), avec le soutien du général Pétain elles s’installent en France, à Blérancourt, dans l’Aisne, recrutent aux USA des 350 volontaires francophones, importent des Ford T et des tracteurs Dodge afin d’acheminer de la nourriture, des animaux d’élevage et tout le matériel nécessaire à la reconstruction et à la relance de l’agriculture ; Anne Morgan (1873-1952) a fondé à New York en 1903, avec la suffragette Daisy Harriman le Colony Club sur le modèle des cercles privés masculins, elle y a fait la connaissance d’Elisabeth Maybury, agente littéraire d’Oscar Wilde, et de sa compagne Elsie de Wolfe, voyageant avec elles en France où elles ont été surprises par la guerre en 1914 ; l’action du CARD se poursuivra en France jusqu’en 1924 par des actions éducatives et sociales (réseau d’infirmières-visiteuses, bibliothèques, promotion du sport pour les enfants et des camps scouts pour les jeunes filles) ; en 1939 Anne Morgan reviendra à Blérancourt, fondera le Comité américain de secours aux civils et organisera des levées de fonds, contrainte de quitter le pays en 1940, elle reviendra en 1946 pour aider à la reconstruction et sera décorée de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre

Printemps 1917 : André Gide  est attiré par le jeune Marc Allégret, 16 ans et demi, désigné par son père Elie Allégret comme son oncle, son ‘vice-père », Marc est rétif, insolent, lyrique et incertain, ils voyageront au Congo et au Tchad ; Marc Allégret, grand amateur de femmes, ne cessera de rendre hommage à « son très cher oncle André »

1er octobre 1917 : la loi condamne d’emprisonnement de 6 jours à 10 mois de prison les tenanciers de débits de boisson employant ou recevant des femmes de débauche ou des « individus de mœurs spéciales » pour se livrer à la prostitution (le seul texte qui fait officiellement allusion à l’homosexualité entre 1791 et 1942 selon Frank Arnal)

7 octobre 1917 : à Paris, une main courante signale l’outrage public à la pudeur commis par Gougard, soldat du 39è régiment, et Huguenin qui se masturbaient réciproquement dans l’urinoir du 11 bd Poissonnière

 

1918-1924 : en URSS, de la Révolution d’Octobre à la mort de Lénine c’est une période de bouleversements qui a des effets directs sur la vie intime ; on défile parfois nu dans des manifestations avec des panneaux « A bas la honte ! », dans le cadre d’un mouvement impulsé par le poète Vladimir Maïakovski, dans des maisons communautaires on partage tout même les sous-vêtements, des textes se diffusent selon lequel « chaque femme des jeunesses communistes doit satisfaire les désirs sexuels des garçons de la jeunesse communiste  » ; en 1918 le Code du mariage, de la famille est de la tutelle des enfants est une révolution dans la Révolution, la famille doit « dépérir » comme l’Etat et les catégories aussi archaïques que mari ou épouse deviennent obsolètes, ainsi la famille, une fois les tâches domestiques socialisées, donc privée de sa fonction économique de reproduction de la force de travail, cessera tout simplement d’être une famille ; la nouvelle législation ne reconnaît plus de crime contre la morale ; ainsi l’avortement sera légalisé en 1920 et l’homosexualité dépénalisée en 1922 ; il n’y a plus de règle fixée sur la question du genre et la division sexuelle du travail au foyer, les fondements moraux et économiques de la famille et son rôle pendant la transition  vers le socialisme est désormais questionné ; après la mort de Lénine en 1924, l’atmosphère changera radicalement (monogamie obligatoire, pas de sexe avant le mariage, interdiction de l’avortement, de l’adultère, de l’homosexualité ou de la masturbation), le corps sera au service du travail, du sport et de l’édification du communisme, et quand apparaitront les premiers préservatifs (fabriqués près de Krasnodar) leur qualité sera pitoyable ; l’homosexualité sera pénalisée en 1933 et l’avortement interdit en 1936 ; Trotsky dans La Révolution trahie en 1936 parlera du « thermidor au foyer » comme extension de la contre-révolution sur le terrain du genre et de la famille ; André Gide dans Retour d’URSS sera consterné par la loi sur l’avortement et par la loi qui assimile les homosexuels à des contre-révolutionnaires

1918-1919 : l’écrivaine Mireille Havet (1898-1932) écrit son Journal 1918-1919, Guillaume Apollinaire la qualifiait en 1914 de « petite poyétesse » et « gonzesse de premier ordre », elle troubla Paul Fort, émut Colette et sera vivement célébrée par Cocteau, elle est « abracadabrante » comme elle dit elle-même, et une sulfureuse amazone des Années folles, esprit libre et acéré, elle ne dissimule jamais son goût passionné pour les femmes, d’apparence libérée et ouverte, affranchie, tout en se comportant en macho avec ses petites amies qu’elle bat volontiers, tout en se moquant ouvertement des gousses, elle n’aime rien tant que pervertir les sages bourgeoises hétérosexuelles, elle adore danser le tango habillée en homme

1918 : en Allemagne, Barth, « délégué du peuple » et arrêté pour « attentat aux mœurs »

1918 : l’écrivaine et syndicaliste Marcelle Capy parle de la « vague féministe » venant « des chantiers, des ateliers, des écoles, des campagnes »… « Elle monte de partout où les corps des femmes sont accablés, où les cœurs des femmes sont brisés. elle monte du peuple féminin qui halète sur les machines, pâlit sur les registres… Elle monte à l’assaut de l’injustice sociale, des préjugés, des erreurs, de la violence érigée en dogme. »

1918 : André Gide écrit à Marc Allégret, 4ème fils du pasteur qui fut le précepteur de Gide, « Je flambe tout entier », Madeleine Gide découvrant cette relation brûlera toutes les lettres que Gide lui a envoyées depuis 30 ans ; mais Marc préfère les filles

11 janvier 1918 : descente de police à l’hôtel Marigny tenu par Le Cruziat sur dénonciation anonyme accusant l’établissement de « faciliter la réunion d’adeptes de la débauche anti-physique », le bruit court qu’on y consomme de l’alcool après des heures règlementaires et que certains pensionnaires soient mineurs, le commissaire de la brigade des mœurs note la présence de « trois individus aux allures de pédérastes » en train de boire du champagne dans un salon du rez de chaussée, le propriétaire Albert Le Cruziat, deux jeunes militaires en convalescence (Léon Pernet et André Brouillet, 22 et 23 ans) et un certain « Proust Marcel, 46 ans, rentier, 102 bd Haussmann », et dans les chambres plusieurs couples composés de messieurs de la bonne société et de garçons âgés de 17 à 19 ans (dont une jeune algérien pas mobilisable) ; à compter du 2 février 1918 aucun soldat n’a le droit de se rendre à l’hôtel Marigny, ce qui signifie sa ruine écrit Le Cruziat au préfet s’engaeant à modifier les choses, rien n’y fait le 5 mars 1918 Le Cruziat est condamné à 4 mois de prison et 200 francs d’amende pour « excitation habituelle de mineurs à la débauche et vente de boissons après l’heure réglementaire », Proust n’est pas inquiété et son nom n’est pas diffusé dans la presse ; Le Cruziat  fera intervenir des petrsonnalités, Marcel Proust ausi vraissemblablement, le 12 décembre 1918 François Froment-Meurice, honorable membre du conseil municipal de Paris, appuyera la demande de levée de la consigne, celle-ci sera ordonnée le 20 janvier 1919 (Froment-Merurice est beau-frère du jeune et riche Constantin Ullmann, ancien secrétaire et amant de Proust) ; l’affaire ne s’est pas ébruitée, mais en 1919 Paul Morand rédigera une ode assassine, Lampes à arc, à laquelle Proust répondra avec toute l’énergie de la dénégation

17 janvier 1918 : mort de la cantatrice, compositrice et professeure Louise Héritte-Viardot (1841-1918), contrainte d’épouser Ernest Héritte de l’amdassade de France à Berne, mais partie à l’étranger vivre ses amours lesbiennes en Russie et en Allemagne, mais elle a des difficultés à imposer ses composition – le compositeur Camille Saint-Saëns dit « Si elle était un homme, sa musique ferait une révolution » -, elle compose à Weimar l’opéra Lindorno en 1879, La Fête de Bacchus qu’elle dirige en 1880 à Stocholm, et plusieurs sonates pour piano et quatuors à cordes

6 février 1918 : en Grande-Bretagne, le roi Georges V promulgue le « Représentation of the People Act », le droit de vote est désormais assuré aux femmes de plus de 30 ans, propriétaires ou femmes de propriétaires, et les hommes obtiennent de pouvoir voter sous condition de statut social (censitaire) à partir de 21 ans ; dans les faits seules 40% des femmes britanniques accèdent à la pleine citoyenneté, elle n’obtiendront l’égalité électorale qu’en 1928

27 juin 1918 : mort de Josephin Péladan (Joseph Aimé  1858-1918), spiritualiste et mystique, il se fait appeler « sar », titre qu’il prétend avoir hérité du roi de Babylone ; il fonde en 1888 avec Stannislas de Guaita l’ordre kabbalistique de la Rose-Croix,puis en 1891 l’ordre de la Rose-Croix catholique et esthéttique du Temple et du Graal qui prétend rénover la religion catholique en se fondant sur l’ésotérisme et l’occultisme, et ressusciter les traditions des mages orientaux pour triompher de la décadence moderne ; du 10 mars au 10 avril 1892 il organise à la galerie Durand-Ruel le premier Salon de la Rose-Croix qui s’ouvre au son de trompette composé par Erik Satie, où le Tout-paris artistique est présent (Stéphnane Mallarmé, Paul Verlaine, Gustave Moreau, Fernand Khnopff, Jean Delville, Antoine Bourdelle), mais ses provocations, ses outrances verbales et ses accoutrements extravagants le font bientôt sombrer dans le ridicule ; il est l’auteur de quelques tragédies et d’une importante œuvre romanesque dont La Décadence romaine et Le Vice Suprême ; sa féminité se traduit de manière originale dans son écriture ; il contribue à faire connaître en France l’œuvre de Léonard de Vinci : il publie l’opuscule De l’androgyne, il est alors le premier depuis l’Antiquité à évoquer avec passion le thème de l’androgyne comme modèle de perfection esthétique, au-dessus selon lui de la beauté féminine

4 novembre 1918 : mort du poète br itannique Wilfred Owen (189 3-1918), il reçoit une éducation anglicane et découvre dans son école évangélique sa vocation de poète en lisant Keats ; en 1911 il donne des cours à l’université de Londres et donne des leçons d’anglais ; engagé pendant la guerre il devient sous-lieutenant en 1917, blessé par un éclat d’obus ; il rencontre à l’hôpital militaire d’Edimbourg le poète Siegfried Sasoon et en janvier 1918 Charles Kenneth Scot-Moncrieff qui devient son amant ; de retour au front il est tué à Ors, près de Cateau-Cambrésis, peu avant l’armistice ; enterré à Ors il est décoré de la Military Cross, ses poèmes sont inspiré par la douleur de voir la mort au combat des soldats ; Benjamin Britten mettra en musique plusieurs de ses poèmes dont War Requiem en 1961 qui donnera une gloire posthume à Owen

 

1919-1920 : en Allemagne, à Berlin l‘Institut pour la science sexuelle de Magnus Hirschfeld reçoit 3 500 personnes, aux 2/3 des hommes et à 30% des homosexuels, l’Institut même action réformatrice (pour la spuppression du § 175), la recherche scientifique, l’éducation populaire et les consulations médicales

1919 : création du baccalauréat féminin ; c’est en 1924 que les programmes seront uniformisés entre les garçons et les filles

1919 : en Allemagne, porté par le contexte de la République de Weimar, Magnus Hirschfeld ouvre à Berlin l’Institut de science sexuelle (für Sexualwissenschaft), institut pour la science sexuelle bientôt célèbre dans le monde entier, à la fois centre d’accueil, de recherches, de conseil, de thérapie, de défense des droits des individus et de documentation sur le « 3ème sexe », il milite pour une amélioration de la condition des « intermédiaires sexuels », soit pour l’homosexualité et la diversité de genre ; l’Institut constitue l’une des manifestations innovatrices de la modernité de Berlin ; le contexte lui est favorable, Berlin est ouverte à la subversion des genres, la licence et la liberté qui s’exprime par exemple dans la culture du cabaret transgenre, favorable au droit à l’avortement, Hirschfeld a l’appui du Parti social-démocrate et du Parti communiste ; l’Institut de science sexuelle sera visité par André Gide et René Crevel ; en 1919 le gouvernement prussien aide financièrement à transformer le Comité scientifique humanitaire en Institut pour le science sexuelle ; en 1920 1ère agression nazie dans la rue contre Hirschfeld, il sera laissé pour mort, crâne ouvert dans la rue, et en 1923 il essuiera des coups de révolver à Vienne ; le mouvement Sexpol de Whilelm Reich subira lui aussi des agressions

1919 : Marcel Proust publie A l’ombre des jeunes filles en fleur, à la NRF, il aura le prix Goncourt l’année suivante ; de 1920 à 1922, paraitront Le Côté de Guermantes I et II, puis Sodome et Gomorrhe I et II ; il parle dans Sodome et Gomorrhe de cette « race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu’elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir, ce qui fait pour toute créature la plus grande douceur de vivre. »

1919 : Jean Cocteau (1889-1963) qui a déjà rédigé des poèmes (1909-1910) et écrit un livret pour les Ballets Russes (1912 et 1917) rencontre Raymond Radiguet, il écrit son 1er roman Le Potomak ; il publiera Plain Chant en 1923, année de la mort de Radiguet, il subira une cure de désintoxication, et publiera de 1925 à 1929 Orphée, Œdipe Roi, Les enfants terribles ; il rencontrera Jean Marais en 1937

1919 : en Allemagne, Ernst Röhm, futur chef des SA, comparait dans un procès face à un gigolo qui l’a escroqué

1919 : aux USA, l’US Navy de Newport recrute une douzaine de marins choisis pour leur jeunesse et leur beauté, chargés de séduire des homosexuels afin de les faire passer en jugement, ils n’ont eu aucun problème à commettre des actes sexuels car ils tenaient le rôle masculin face à ceux qui n’étaient pas vraiment des hommes

Février 1919 : en Allemagne, Friedrich Ebert, socialiste, président de la République prend ses fonctions, il répond au message de Hirschfeld :  » Si l’on veut reconstruire l’Allemagne sur des bases saines et durables, il faudra une réforme du droit pénal »

Mai 1919 : en Allemagne, sortie du film muet Différent des autres (Anders als die Andern) de Richard Oswald et Magnus Hirschfeld, l’un des tout premiers à défendre la cause des homosexuels, il dénonce le paragraphe 175, qui pénalise toute relation homosexuelle entre hommes ; le violoniste virtuose Paul Körner (Conrad Veidt) est victime de chantage de la part du prostitué Franz Bollek. Körner refuse de continuer à payer toujours plus d’argent au maître-chanteur, Bollek le dénonce pour infraction au paragraphe 175, au cours du procès qui s’ensuit, le docteur Magnus Hirschfeld (qui joue son propre rôle), prononce un ardent plaidoyer contre l’intolérance et la discrimination dont sont victimes les homosexuels. Bollek est condamné pour extorsion de fonds mais Körner est néanmoins condamné pour avoir enfreint le paragraphe 175, sa réputation est ruinée, il ne supporte pas l’opprobre public et finit par se suicider ; en 1933 toutes les copies du film seront détruites, c’est seulement en 2017 que la version intégrale sera retrouvée dans les archives soviétiques

2 novembre 1919 : mort du poète Laurent Tailhade (1854-1919), poussé par ses parents à rompre avec ses camarades de bohème littéraire, il fait un mariage bourgeois ; il écrit un premier recueil de poème Le jardin des rêves, à la mort de sa femme il rejoint ses amis de Paris Verlaine, Moréas et Samain, et dépense sa fortune en joyeuses soirées, parnassien il écrit Poèmes élégiaques et Poèmes aristophanesques ; Le Troisième sexe est publié de son vivant mais il garde ses distances avec l’homosexualité, ce n’est qu’après sa mort, en 1926 qu’on découvrira ses goûts par ses poèmes érotiques

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Marcel Proust : ses amitiés, ses écrits

Ses amitiés :

Alfred Agostinelli (1888-1914) : amant, chauffeur, puis secrétaire de Proust ; Proust finance les frais de son école d’aviation sous le nom de Marcel Swann ; mais il se tue accidentellement en vol ; il sera l’un des modèles d’Albertine

Robert de Montesquiou-Fezansac (1855-1921) : dandy, excentrique, collectionneur, mécène, il marque les salons littéraires ; il inspire Des Esseintes à Huysmans ; Proust fait sa connaissance en 1893, son caractère lui inspire le personnage du baron de Charlus (aristocrate, homosexuel, sadomasochiste, antisémite, remarquable d’intelligence, de culture et de perversité, ambigu, marginal, non conformiste et énigmatique)

Lucien Daudet (1878-1946) : frère de Léon, fils d’Alphonse, ami puis ami de Proust

Reynaldo Hahn (1875-1947) : pianiste, chanteur et compositeur; il fait connaissance de Proust en 1894, son amant puis son plus proche ami

Albert Le Cuziat (1881-1938) : ancien valet des grandes maisons (Radziwill, Greffulhes, Orloff, Rohan), informateur de 1ère main pour Proust ; il ouvre en 1911 une maison close pour homosexuels à l’hôtel Marigny ; il sera le modèle de Jupien

Ses écrits :

« Je préfèrerais que vous ne disiez en général à personne que j’ai Agostinelli comme secrétaire, en un mot que vous ne parliez de lui à personne. » (à Charles d’Alton, 1913)

 » J’aimais vraiment Alfred (Agostinelli). Ce n’est pas assez de dire que je l’aimais, je l’adorais. » ( à Reynaldo Hahn, 1914)

 » Si Swann laissait Monsieur de Charlus sortir avec Odette, c’est parce que celui-ci avait été épris de Swann dès le collège, et qu’il savait n’avoir pas à être jaloux. » (à André Gide, 1914)

« Vers la fin de la 1ère partie, le personnage (de Charlus) fait sa connaissance, fait étalage de virilité, de mépris pour les jeunes gens efféminés, etc. Or dans la seconde partie, le personnage, un vieux monsieur d’une grande famille, se découvrira être un pédéraste qui sera peint d’une façon comique mais que, sans aucun mot grossier, on verra « levant » un concierge et entretenant un pianiste. » (à Eugène Fasquelle, 1912)

 » Je suis convaincu que Monsieur de Charlus doit de comprendre tant de choses qui sont fermées à son frères le duc de Guermantes, d’être tellement plus fin, plus sensible… Dans le 3ème volume, où Monsieur de Charlus tient une place considérable, les ennemis de l’homosexualité seront révoltés des scènes que je peindrai.  » (à André Gide, 1914)

 » Du féminin à efféminé, il n’y a qu’un pas. Ceux qui m’ont servi de témoins en duel vous diront su j’ai la mollesse des efféminés. Encore une fois, je suis certain que vous l’avez dit sans préméditation. » (à Paul Souday, 1920)

 » Le baron était surtout troublé par ces mots « en être ». Après l’avoir d’abord ignoré, il avait enfin, depuis un temps bien long déjà, appris que lui-même « en était ». or voici que cette notion qu’il avait acquise se trouvait remise en question. Quand il avait découvert qu’il « en était » il avait cru apprendre que son goût, comme dit Saint-Simon, n’était pas celui des femmes. Or voici que pour Morel, cette expression « en être » prenait une extension que M. de Charlus n’avait pas connue… » (in La Prisonnière, parution posthume)

 » Vous savez que j’ai fâché beaucoup d(homosexuels par mon dernier chapitre. J’en ai beaucoup de peine. mais ce n’est pas ma faute si M. de Charlus est un vieux monsieur, je ne pouvais pas brusquement lui donner l’aspect d’un pâtre sicilien comme dans les gravures de Taormine. » (à Jacques Boulanger, 1921)

 » L’homosexualité est l’aspect illusoire, esthétique, théorique, sous lequel s’apparaît à elle-même, se plaît à considérer, l’inversion. » (à Roger Allard, 1922)

« Les Guermantes femmes, fort vertueuses, font cercle autour de moi. Ou elles ne comprennent pas ce qu’elles lisent ; ou peut’être elles ont regardé autour d’elles et se disent que la proportion de gens atteints de « vices honteux » est un tout petit peu plus forte dans le monde de mes livres où du moins les Cottard, les Elstir, les Bergotte, les Norpois, etc. gardent la tradition de ce qui était autrefois « normal ». » (à Jacques Boulanger, 1922)

 » Mais tout, depuis la manière dont Vautrin arrête sur la route Lucien qu’il ne connait pas et dont le physique seul a donc pu l’intéresser, jusqu’à ces gestes involontaires par lesquels il lui prend le bras, etc. dont le faux chanoine colore aux yeux de Lucien, et peut-être aux siens mêmes, une pensée inavouée. » (in Contre Sainte-Beuve, 1908)

 » Je me rappelle qu’une fois, comme je sortais de chez Blanche, je montai chez un de ces jeunes gens qui, probablement, « recevait » ce jour-là sans que je le susse. » (in Préface à Propos de peintre de Jacques-Emile Blanche, 1919

 » L’amour cause ainsi de véritables soulèvements géologiques de la pensée. Dans celui de M.de Charlus qui, il y a quelques jours, ressemblait à une plaine si uniforme qu’au plus loin il n’aurait pu apercevoir une idée au ras du sol, s’étaient brusquement dressées, dures comme de la pierre, un massif de montagnes, mais de montagnes aussi sculptées que si quelque statuaire, au lieu d’emporter le marbre, l’avait ciselé sur place et où se tordaient, en groupes géant et titaniques, la Fureur, la Jalousie, la Curiosité, l’Envie, la Haine, la Souffrance, l’Orgueil, l’Epouvante et l’Amour. » (in Sodome et Gomorrhe, 1921)

 » Les femmes ne lui en inspirait aucune (de jalousie). C’était d’ailleurs la règle presque générale pour les Charlus. L’amour de l’homme qu’ils aiment pour une femme est quelque chose d’autre, qui se passe dans une autre espèce animale (le lion laisse les tigres tranquilles), ne les gêne pas et les rassure plutôt. Quelque fois, il est vrai chez ceux qui font de l’inversion un sacerdoce, cet amour les dégoûte. Ils en veulent alors à leur ami de s’y être livré, non comme d’une trahison, mais comme d’une déchéance. » (in La Prisonnière, parution posthume)

 » Dans l’après-midi j’ai vu M. de Charlus lever quelqu’un. Cela peut se dire une découverte, ou comme vous voudrez. Mais « initié » semblerait dire que « le personnage qui dit je » est inverti. Or c’est tout le contraire. s’il est temps encore, pouvez-vous faire mettre à la place d’ « initié » un mot quelconque. » (à Henri Duvernois, 1921)

 » Ne me traite pas de pédéraste, cela me fait de la peine. Moralement je tâche, ne fût-ce que par élégance, de rester pur. Tu peux demander à M. Strauss quelle influence j’ai eue sur Jacques. Et c’est à l’influence de quelqu’un qu’on juge sa moralité… Je sais… qu’il y a des jeunes gens (et si ça t’intéresse et que tu me promettes un secret absolu, même pour Bizet, je te donnerai des pièces d’un intérêt très grand à ce point de vue, à moi appartenant, à moi adressées) des jeunes gens et surtout des types de 8 à 17 ans qui aiment d’autres types, veulent toujours les voir (comme moi, Bizet) pleurent et souffrent loin d’eux, et ne désirent qu’une chose les embrasser et se mettre sur leurs genoux, qui les aiment pour leur chair, qui les couvent des yeux, qui les appellent chéri, mon ange, très sérieusement, qui leurs écrivent des lettres passionnées et qui pour rien au monde ne feraient de pédérastie. Pourtant généralement l’amour l’emporte et ils se masturbent ensemble. mais ne te moque pas d’eux et de celui dont tu parles, s’il est ainsi. Ce sont en somme des amoureux. Et je ne sais pas pourquoi leur amour est plus malpropre que l’amour habituel. » (à Daniel Halévy, 1888)

 » Un pédéraste adore les hommes mais déteste les pédérastes… Comme mes pédérastes sont des hommes âgés, il se mêle à leur cas quelque chose de ridicule (du moins pour le lecteur, car au fond c’est plutôt touchant) qui les exaspérera encore plus. » (à Louis Robert, 1913)

 » Je me disais que quand on a été comme moi en butte à de constantes accusations de salaïsme (nom de code employé par Proust), il y a de la part d’un ami manque d’une certaine délicatesse, plutôt encore intellectuelle que morale, à plaisanter avec tant d’insistance devant un inconnu sur un cas (d’ailleurs inventé de toutes pièces) de josephisme (nom de code employé par Proust et les frères Bibesco) et plus encore, comme on me l’a dit ces temps-ci et comme j’avais négligé de m’en plaindre à vous, à en faire dans le monde le thème des plaisanteries dont vous dites vous-même qu’elles me font du tort. » (à Emmanuel Bibesco, 1908)

 » Ces descendants des sodomistes, si nombreux qu’on peut leur appliquer l’autre verset de la Genèse ! : « Si quelqu’un peut compter la poussière de la terre, il pourra aussi compter cette postérité », se sont fixés sur la terre, ils ont eu accès à toutes les professions, et entrent si bien dans les clubs les plus fermés que, quand un sodomiste n’y est pas admis, les boules noires (ndlr : celles qui expriment un vote négatif) y sont majorité celles des sodomistes, mais qui ont soin d’incriminer la sodomie, ayant hérité le mensonge qui permit à leurs ancêtres de quitter la ville maudite. Il est possible qu’ils y retourneront un jour. certes ils forment dans tous les pays une colonie orientale, cultivée, musicienne, médisante, qui a  un noble plein de préjugés.des qualités charmantes et d’insupportables défauts. » (in Sodome et Gomorrhe, 1921)

 » Je suis un peu effrayé de voir que M. de Charlus semble seulement au lecteur un noble plein de préjugés. C’est, en effet, la première impression qu’il fait… mais en réalité, M. de Charlus… est une vieille Tante (je peux dire le mot puisqu’il est dans Balzac). » (à Paul Souday, 1920)

 » Enfin (…) amants à qui est presque fermée la possibilité de cet amour dont l’espérance leur donne la force de supporter tant de risques, et de solitudes, puisqu’ils sont justement épris d’un homme qui n’aurait rien d’une femme, d’un homme qui ne serait pas inverti et qui, par conséquent, ne peut les aimer ; de sorte que leur désir serait à jamais inassouvissable, si l’argent ne leur livrait de vrais hommes, et si l’imagination ne finissait par leur faire prendre pour de vrais hommes les invertis à qui ils se sont prostitués… (Ils forment) une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes qui souhaitent de ne pas se connaître aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus…   » (in Sodome et Gomorrhe, 1921)