Communiqué Fédération des CGL avril 2005

INTER CENTRES LGBT Fédération française des CGL et des bénévoles qui se destinent à l’accueil des personnes LGBT

 

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LES « OUBLIÉ(E)S » DE LA MÉMOIRE

Association nationale civile homosexuelle du devoir de mémoire

 

COMMUNIQUÉ N°IC/CP/05/18     Lyon, le samedi 23 avril 2005

 

Journée nationale du souvenir de la déportation

L’UNDIVG ET LA FNDIRP OUVRENT UN DIALOGUE CONTRASTÉ AVEC LES SIGNATAIRES DE L’APPEL DU 15 MARS SUR LE SOUVENIR DE LA DÉPORTATION POUR HOMOSEXUALITÉ

(Résumé. – L’UNDIVG a reçu deux signataires de l’appel du 15 mars 2005.

Par ailleurs, la FNDIRP a écrit à l’ensemble des signataires de cet appel.

Enfin, le colonel Mercier, auteur du rapport publié le 15 novembre 2001 par la Fondation pour la mémoire de la déportation, a rencontré un signataire de cet appel.

Au terme de ces échanges, la FNDIRP envisage que le thème du concours national de la résistance et de la déportation puisse porter, une année, sur la déportation des minorités.

Cette avancée est réelle. Elle reste en deçà des perspectives ouvertes en 2001 par le Premier ministre puis en 2005 par le président du Sénat)

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Dimanche 24 avril sera célébrée la prochaine Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation. Soixante ans après la libération des camps et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, cette commémoration verra, plus encore que d’habitude, la nation se rassembler pour pérenniser la mémoire de la déportation et célébrer les valeurs qui en sont issues. En signant l’appel du 15 mars 2005, trois formations politiques et vingt associations LGBT* ont appelé les déporté/es, les élu/es et l’État à laisser une place au souvenir de la déportation pour homosexualité partie de France durant la Seconde Guerre mondiale.

 

Mardi 12 avril, deux des signataires de cet appel étaient reçus deux heures durant par l’UNDIVG (Union nationale des déportés, internés et victimes de guerre), représentée par son président, Monsieur René Clavel. La Fédération des CGL était représentée par un de ses secrétaires nationaux, David Auerbach. Les « Oublié(e)s » de la Mémoire étaient représentés par leur vice-président, Philippe Couillet. Cette délégation accueillait également Michel Celse – normalien, agrégé d’Allemand, auteur de l’article « Nazisme » dans le « Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes » (paru aux éditions Larousse en 2003), auteur avec Pierre Zaoui de l’article « Négation, dénégation : la question des triangles roses » dans « Consciences de la Shoah : critique des discours et des représentations » (paru aux éditions Kimé en 2000). Mercredi 20 et jeudi 21 avril, Monsieur Clavel recevait de nouveau, deux heures durant au total, David Auerbach.

 

Mercredi 13 avril, la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes), représentée par son secrétaire général, Monsieur Robert Créange, adressait une lettre aux signataires de l’appel du 15 mars.

 

Jeudi 14 avril, un des signataires de cet appel était reçu deux heures durant par le colonel Claude Mercier, auteur du rapport publié le 15 novembre 2001 par la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD), qui a permis la reconnaissance officielle du fait historique d’une déportation pour homosexualité ayant touché plusieurs dizaines de personnes parties de France (qu’elles soient parties d’Alsace-Moselle annexée de fait, ou parties d’autres départements français, car requises du travail en Allemagne, puis arrêtées en Allemagne). La Fédération des CGL était représentée par David Auerbach. Cette délégation accueillait également Michel Celse.

 

1°/ À titre personnel, le colonel Mercier s’est prononcé favorablement sur les chefs de discussion formulés avec l’appel du 15 mars. Il a rappelé que son rapport « a été approuvé sans abstention ni opposition par les associations de déporté/es » – précisant toutefois que « l’UNDIVG n’a jamais voulu s’associer à quelque travaux de mémoire que ce soit de la FMD depuis la création de cette dernière » (précision corroborée le 22 avril par l’actuel directeur de la FMD). Le colonel Mercier a ensuite évoqué les suites concrètes de son rapport et notamment l’apposition du triangle rose, aux côtés des six autres triangles et des deux étoiles de David de la déportation, sur l’oriflamme et sur la stèle du mémorial de l’île de la Cité. Il a enfin estimé qu’outre Pierre Seel, certaines des personnes recensées dans ce rapport étaient encore vivantes à ce jour, mais qu’il serait impossible de les amener à témoigner, car elles étaient au soir d’une vie passée pour l’essentiel dans un « contexte social et moral très rigoriste » (aux termes même de son rapport, page 10). La délégation en est convenue et a rappelé que ce contexte avait été nourri par la législation homophobe promulguée par le maréchal Pétain puis confirmée par le général de Gaulle et abrogée le 4 août 1982 seulement.

 

2°/ Pour sa part, concernant le deuxième chef de discussion relatif à la participation aux cérémonies, le président de l’UNDIVG a indiqué qu’il accueillerait avec plaisir les personnes rappelant la mémoire des déporté/es pour homosexualité, si elles participaient aux cérémonies en mémoire de tou/tes les déporté/es, et si elles ne portaient pas de « signe distinctif » à cette occasion.

 

3°/ Concernant le troisième chef de discussion, relatif au « message des associations » lu à l’occasion des cérémonies, le président de l’UNDIVG a estimé que ce message ne pouvait pas citer les huit motifs de déportation évoqués par le ministre délégué aux anciens combattants le 15 avril dernier. Monsieur Clavel s’est interrogé sur le caractère officiel de ces huit motifs. En même sens, la FNDIRP a estimé que cela n’était « pas souhaitable » car ces « différents motifs […] sont très divers ». Cet argument circulaire paraît surprenant car les noms des camps sont souvent énoncés un par un au cours des cérémonies sans que leur « diversité » constitue un obstacle. En outre, c’est précisément parce que ces motifs sont « très divers » qu’il conviendrait de les citer. Notamment, évoquer ainsi la déportation pour homosexualité contribuerait à « faire oeuvre pédagogique en rappelant ce qui a motivé les persécutions homophobes, et en permettant une mise en perspective historique qui la rende plus perceptible ou lisible aux yeux de nos concitoyen/nes » (communiqué n°IC/CP/05/13 du 14 avril).

 

4°/ Les 12, 20 et 21 avril, sur le quatrième chef de discussion relatif à la participation au financement de la « gerbe unique » déposée au cours des cérémonies, le président de l’UNDIVG a indiqué qu’il accueillerait « comme un frère » un/e déporté/e pour homosexualité/e parti/e de France qui voudrait participer au financement voire au dépôt de la gerbe unique. Il a cependant constaté que la délégation ne comprenait aucun/e déporté/e pour homosexualité. Il a ajouté qu’il ne connaissait aucun/e déporté/e pour homosexualité parti/e de France. La délégation a rappelé les conclusions du rapport du 15 novembre 2001 et ajouté que les rares déporté/es pour homosexualité encore vivant/es à ce jour n’ont jamais témoigné de leur déportation, à tout le moins de son motif, et n’en témoigneront plus maintenant qu’ils sont au soir de leur vie (comme l’a souligné le colonel Mercier). Le seul à avoir brisé ce silence, Pierre Seel, est aujourd’hui âgé de 81 ans et serait selon certaines associations gravement malade sinon mourant. Dès lors, exiger qu’un autre Pierre Seel se manifeste après soixante années de silence, c’est faire obstacle à la mémoire des déporté/es pour homosexualité. Monsieur Clavel a cependant refusé de se prononcer sur la validité du rapport publié par la FMD (laissant penser qu’il n’était pas certain de sa neutralité)… Il a rappelé qu’il n’avait jamais connu, ni durant sa déportation, ni après, de déporté/e pour homosexualité parti/e de France (laissant penser qu’il estimait qu’il n’y avait pas eu de déporté/e pour homosexualité parti/e de France)… Il a noté que Pierre Seel avait reçu une carte de déporté politique et non de déporté pour homosexualité (laissant penser qu’il estimait que l’État ne reconnaissait pas l’existence de cas de déportation pour homosexualité partie de France)… La délégation a mis en avant les déclarations de Lionel Jospin, Premier ministre, le 26 avril 2001, de Christian Poncelet, président du Sénat, le 5 avril 2005, de Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants, le 15 avril 2005. Le président de l’UNDIVG n’est pas revenu sur ses positions (laissant penser qu’il estimait que ces déclarations ne valaient pas reconnaissance de l’existence de cas de déportation pour homosexualité partie de France)…

 

Le 13 avril, en même sens, la FNDIRP a estimé que « le financement et le dépôt des gerbes lors de la cérémonie d’hommage aux héros et aux martyrs de la déportation doit rester le fait des anciens déportés et de leurs descendants » car « ces gerbes honorent l’ensemble des déportés ». Cet argument paraît pour le moins contradictoire car si les gerbes uniques honorent l’ensemble des déporté/es, alors l’ensemble des personnes qui souhaitent honorer la mémoire de l’ensemble des déporté/es doit pouvoir participer ne serait-ce qu’au financement de ces gerbes… sauf à les voir cesser d’être « uniques ». Par ailleurs, chacun/e sait que les déporté/es pour homosexualité, qu’ils aient ou non eu des enfants, n’ont à l’exception de Pierre Seel jamais rien dit de leur déportation, à tout le moins de son motif, et n’en diront rien maintenant qu’ils sont au soir de leur vie. Dire que « le financement et le dépôt des gerbes lors des cérémonies doit rester le fait des déportés et de leurs descendants », c’est faire obstacle à la mémoire des déporté/es n’ayant pas eu d’enfants, c’est faire obstacle à la mémoire des déporté/es qui ont dû se taire à jamais parce que le motif de leur déportation était socialement dévalorisant : homosexuels, asociaux, chômeurs… C’est faire un tri entre de « bon/nes » déporté/es, dignes de mémoire, et de « mauvais/es » déporté/es.

 

Le 14 avril, pour sa part, le colonel Mercier a rappelé son attachement au principe de la « gerbe unique » déposée avec un bandeau bleu blanc rouge en mémoire de « tou/tes les déporté/es parti/es de France ». La délégation a manifesté son attachement à ce principe, rappelant toutefois que la « communauté de sort » partagée par les déporté/es quel que soit leur motif de déportation impliquait selon elle une « communauté de financement » de cette gerbe entre les associations rappelant la mémoire des déporté/es… quel que soit leur motif de déportation.

 

6°/ Concernant le sixième chef de discussion, relatif aux recherches sur la déportation pour homosexualité, le colonel Mercier a rappelé que son rapport s’était d’emblée présenté comme un rapport d’étape appelant à des recherches plus approfondies (notamment en ses pages 4, 9 et 10). Pour sa part, le président de l’UNDIVG s’est déclaré favorable à de telles recherches puis a conclu l’entretien en s’affirmant « de tout coeur » avec la délégation, se prononçant « pour la liberté et le droit de l’individu » et « pour le respect de l’individu quel qu’il soit ».

 

7°/ À propos du septième chef de discussion, relatif au thème du concours national de la résistance et de la déportation, la FNDIRP a conclu sa lettre en estimant que « peut-être pourrait-il, une année, être question de la déportation des minorités ».

 

Ces deux dernières prises de position de la FNDIRP et du président de l’UNDIVG se démarquent de l’homophobie, ce qui souligne le caractère complexe voire paradoxal de l’ensemble de leur réflexion qui paraît parfois s’en démarquer moins. Ce caractère, déroutant, rend plus nécessaire encore le dialogue tous azimuts ouvert après l’appel du 15 mars. Ce dialogue suppose à l’évidence d’être mené dans le respect de l’expérience vécue par les déporté/es. Pour autant, il ne suppose pas que les associations qui le mènent renoncent à leurs convictions. Entre respect et convictions, il est ardu. Il est possible parce que l’honneur et l’unité de la communauté nationale demandent qu’elle reconnaisse les violences subies par ses membres sans distinguer selon leur orientation sexuelle ou leur identité de genre.

 

* Les trois formations politiques (proches de la majorité ou de l’opposition) signataires de l’appel du 15 mars sont « Aujourd’hui, autrement », « On est là ! », et la Commission nationale LGBT des Verts. Les vingt associations LGBT signataires sont la Fédération des CGL, le Collectif contre l’homophobie et pour l’égalité des droits, les « Oublié(e)s » de la Mémoire, la Coordination InterPride France, les Flamands roses, Mélo’Men et les Gais et lesbiennes branchés, rejointes par le collectif Homoboulot et par la fédération nationale jeune et étudiante mOules-frItes.

 

Pour l’INTER CENTRES LGBT, Matthieu Chaimbault +33 (0)6 77 78 70 33

Alexandre Defosse   +33 (0)6 23 011 011 Porte-parole délégués porteparolat@inter-centres-lgbt.org

Pour les « Oublié(e)s » de la mémoire, Le Président, Jean-Marc Astor +33 (0)4 91 50 50 12 ajma@mac.com

[a] Voir le communiqué n°IC/CP/05/17 du 22 avril dernier : « Christian Poncelet, président du Sénat, « souhaite que le souvenir de la déportation homosexuelle ait sa place le 24 avril » ».

http://inter-centres-lgbt.org/11R/11Rcp11.html

[b] Voir les sites Internet consacrés aux commémorations de la déportation pour homosexualité par la Fédération des CGL, l’association Hexagone gay et les Gais et lesbiennes branchés :

http://inter-centres-lgbt.org/trianglesroses2004.html

http://www.france.qrd.org/texts/rubrique.php3?id_rubrique=14

[c] Lettre de la FNDIRP du 13 avril dernier : « Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes/ 10 rue Leroux – 75116 PARIS/ Tel : 01 44 17 38 38 – Fax : 01 44 17 38 44/ par e-mail : [contact@inter-centres-lgbt.org]/ Paris, le 13 avril 2005/ Mesdames, Messieurs,/ Le 10 février 2005, une délégation au plus haut niveau de la Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes – créée il y a 60 ans, à la libération des camps – composée de Messieurs Maurice Cling, Président-délégué, Jacques Debord et Maurice Voutey, membres de la Présidence, et Robert Créange, Secrétaire Général, ont rencontré une délégation des organisations homosexuelles (MDH et Inter-LGBT)./ Au cours de cette rencontre chaleureuse, la FNDIRP a exposé sa position concernant différents problèmes./ Il nous semble donc pas utile de rencontrer d’autres associations, d’autant plus qu’il en existe un nombre important et qu’une rencontre nous semble suffisante. C’est la décision prise par notre Bureau Exécutif réuni le mardi 12 avril 2005./ Les positions de la FNDIRP y ont été rappelées :/ – le financement et le dépôt des gerbes lors de la cérémonie d’hommage aux « héros et aux martyrs de la déportation » doit rester le fait des anciens déportés et de leurs descendants ; ces gerbes honorent l’ensemble des déportés ;/ – en ce qui concerne le message pour ce même jour – commun aux différentes fédérations de déportés – il ne nous semble pas souhaitable de citer les différents motifs de déportation, ils sont très divers ;/ – le thème du Concours national de la Résistance et de la Déportation ne peut concerner une seule catégorie de déportés. Peut-être pourrait-il, une année, être question de la déportation des minorités./ Nous vous prions de croire, Mesdames, Messieurs, à l’assurance de nos sentiments les meilleurs./ Robert CRÉANGE/ Secrétaire Général de la FNDIRP ».