Archives de Jean Le Bitoux et Gérard Bach-Ignasse

 Nous nous sommes tant aimés

La mémoire de Jean Le Bitoux et Gérard Bach-Ignasse à l’abandon

 

                                                       

 

Ils ont été nos amis et nos modèles

Nous les avons rencontrés en de nombreuses occasions, ils étaient passionnés et nous encourageaient par leur bienveillance et leur intelligence.

Ils ont eu un parcours remarquable et courageux, l’un journaliste et l’autre juriste.

Jean est mort il y a 14 ans, à 62 ans. Gérard est mort il y a 17 ans, à 52 ans

Ils ont été de grands militants de la cause des homosexuels, en un temps où il fallait beaucoup d’audace pour franchir les nombreux obstacles qui étaient devant nous.

Ils étaient des figures de proue qui s’inscrivaient dans la lignée des grands qui ont marqué le siècle, ils s’inspiraient de Magnus Hirschfeld, de Simone de Beauvoir, de Daniel Guérin et de Gisèle Halimi.

Ils ont porté haut le flambeau des LGBT+.

Jean Le Bitoux avec le journal Gai Pied et les autres journaux qu’il a tenté de lancer et qu’il a dirigés (de Mec magazine au Journal du Sida), avec la corédaction de Moi Pierre Seel déporté homosexuel et la création du Mémorial de la déportation homosexuelle, et tant d’autres choses.

Gérard Bach de sa participation au CUARH et au journal Homophonies, à l’un des premiers enseignements universitaires, au combat pour le PACS, et tant d’autres choses.

Ils ont été des moteurs de premier ordre du mouvement homosexuel depuis les années 1970.

On les enterre une seconde fois, lorsqu’on ne permet pas à leurs archives d’enrichir les débats d’aujourd’hui.

Ils sont ravalés au rang de tant de notables et d’écrivains sur lesquels on doit faire des hypothèses en attendant de très longs délais d’accès à leurs écrits pour mieux comprendre leurs projets, leurs analyses et leur pensée.

Et nous savons combien d’années il a fallu attendre pour publier des œuvres sulfureuses (comme celle de Violette Leduc) et pour révéler un vécu qui ne pouvait l’être en leur temps (Natalie Barney, Colette, François Mauriac)

Ici nous avons à faire à des acteurs de notre temps, des éclaireurs précieux pour analyser non pas les sociétés d’autrefois mais la nôtre qui était aussi la leur il y a si peu de temps.

Il y a un malentendu majeur entre ceux qui évoquent les règles de l’archivage, la loi des délais légaux et la muséification, et ceux qui militent, travaillent et agissent au jour le jour.

Pour des raisons obscures, juridiques ou de conflits entre interlocuteurs, leurs fonds sont mis de côté, et bien sûr non consultés !

Les militants qui les ont connus sont de moins en moins nombreux, ils ont vécu ces années-là mais il leur manque les regards de ceux qui étaient en première ligne pour tenter de mieux comprendre ce qu’ils ont vécu.

Les jeunes chercheurs qui se penche avec avidité sur ces années-là qui ont été pionnières et toujours passionnantes sont privés d’y accéder et doivent comme ils le peuvent dessiner le profil de ces années-là en contournant des acteurs majeurs.

Ces archives sont des points de départ de beaucoup de nouveaux combats et de nouvelles réflexions.

L’ensemble du mouvement LGBT+ a quelque chose à faire avec leurs écrits, leurs projets et leurs échecs.

Les mouvements queer d’aujourd’hui ne sont pas « étrangers » à tout cela, au contraire chacune des avancées du passé sont des ressources inépuisables pour le présent.

Le courage et l’engagement des anciens a quelque chose à voir avec nos courages et nos engagements

En nous coupant de ces archives, on procède à une amputation.

Trouver une solution intermédiaire est nécessaire.

Tant que les questions juridiques ne sont pas réglées, tant que les conflits ne sont pas apaisés. Il faut trouver une solution moyenne pour autoriser les chercheurs à accéder à ces archives.

Mettez-vous autour de la table et organisez ces solutions. Quinze ans d’attente sur de tels sujets, c’est beaucoup trop. Il y a une urgence pour les jeunes LGBT d’aujourd’hui auxquels Jean et Gérard s’adressaient, nous n‘avons pas le droit de les réduire au silence plus longtemps.

Christian de Leusse

22 avril 2024