Article de Christopher Miles paru dans la Revue H
De 1954 à 1982, la revue Arcadie a paru mensuellement sans aucune interruption, jusqu’au sabordage délibéré par celui qui l’avait fondée et animée depuis sa fondation : André Baudry. Avant l’apparition de Gai Pied, ce fut la seule publication à proposer une approche non exclusivement « ludique » ou commerciale de l’homosexualité.
Elle s’efforça de développer une véritable réflexion sur l’homosexualité et de proposer des solutions, toutes personnelles, pour sa meilleure intégration dans la société française* Jusqu’en 1968( elle eut même quasiment le monopole de la réflexion des homosexuels sur eux-mêmes. Cette tentative d’analyse est scindée en deux parties autour de la date symbolique de 1968. À partir de ce moment, Arcadie perd son monopole d’analyse et tes0fractions dissidentes commencent à émerger, notamment autour d’une approche plus révolutionnaire de l’homosexualité. Notre propos est de décrire le « système Arcadie », tout a fait original et intéressant, et d’analyser tant l’idéologie de la revue que son approche de l’homosexualité et son apport particulier dans un contexte historique précis. À travers le parcours d’Arcadie, il s’agit aussi d’évoquer quelques étapes de l’histoire de l’homosexualité.
La fondation et le fondateur
André Baudry est un prêtre défroqué, selon certaines sources. Il revient professeur de philosophie dans l’enseignement privé. Homosexuel, il s’intéresse au débat sur la sexualité qui vient de prendre une nouvelle »acuité en`France après la publication du rapport Kinsey en 1948, puis du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, en 1952. La même année, l’abbé Oraison soutient une thèse de théologie intitulée Vie Chrétienne et problèmes de la sexualité. Elle prend clairement position pour une attitude plus compréhensive de l’Église vis à vis de l’homosexualité. Mais elle est mise à l’index l’année suivante.
Au début des années cinquante, un jeune écrivain, André du Dognon, a publié un roman assez explicite sur l’homosexualité, les Amours buissonnières, qui se vend à plus de 100 000 exemplaires. André Baudry lui écrit, le rencontre et fait par son intermédiaire la connaissance d’une certaine élite homosexuelle : l’écrivain Roger Peyrefitte, Jacques de Ricaumont, essayiste d’extrême droite récemment décédé. Du Dognon lui fait également connaître la revue suisse allemande bilingue Der Kreis, qui paraît depuis les années trente. Baudry en devient le correspondant, chargé des contacts avec les abonnés français.
En 1953, il organise un camp de vacances pour homosexuels dans une vaste villa à Sainte-Maxime sur la côte d’Azur. À son grand étonnement, les participants ne se contentent pas de parler d’homosexualité, mais désirent aussi se livrer à quelques « travaux pratiques ». Dans un entretien de 1982 donné à Gai Pied, Baudry s’en souvenait encore avec horreur : « Ce fut l’enfer, ils faisaient du scandale ».
Cette expérience ne le décourage pas, mais le renforce plutôt au contraire dans son idée qu’il faut en quelque sorte « évangéliser » les homosexuels, leur donner une éthique et une dignité afin qu’ils s’intègrent pleinement dans la société. André Baudry réunit quelques amis et suscite collaborations et parrainages. La revue est élaborée au dernier trimestre 1953 et paraît en 1954.
L’aventure d’Arcadie commence. Pourquoi « Arcadie » ? C’est une référence érudite à l’Âge d’or, à cette contrée mythique de l’antiquité ou le bonheur et la concorde régnaient. On pense au tableau de Poussin, où les bergers d’Arcadie découvrent une tombe et déchiffrent la devise latine qui l’orne : »Moi aussi [j’ai vécu] en Arcadie ».
Le système Arcadie
Très vite, le système se met en place. La revue compte dès sa parution beaucoup d’abonnés : 1 300 et jusqu’à 10 000 dans les meilleures années. Ce nombre élevé d’abonnés est la condition nécessaire de survie financière de la revue. En effet, elle n’est autrement disponible que chez quelques libraires amis et dans de rares kiosques à Paris et en province. La revue paie par ailleurs le prix fort pour sa diffusion, car elle est interdite aux mineurs par un arrêté de mai 1954. Elle n’a donc pas de numéro de commission paritaire et ne peut bénéficier des tarifs postaux privilégiés réservés aux envois en nombre sous pli ouvert. Arcadie reste donc une publication très confidentielle. Ce qui ne semble pas déplaire à son fondateur, déjà obsédé par le devoir de discrétion des homosexuels.
Le système Arcadie s’articule autour du concept de club. Avant même la création de la revue, Baudry organisait des réunions de réflexion dans un local rue Jeanne-d’Arc, qui regroupaient régulièrement entre 20 et 40 personnes. Le local utilisé devenant trop petit, les réunions migrèrent dans divers établissements (cafés, restaurants, galeries d’arts). Cette pérégrination prend fin quand est fondé en 1957 le « CLESPALA » (Club littéraire et scientifique des pays latins), société anonyme chargée de gérer un local d’environ 150 m2 rue Béranger, avec bar, salle de lecture, salon faisant office de salle de spectacles et conférences. Pour adhérer au club, il faut cotiser à la revue, et pour lire la revue, adhérer au club. Celui-ci n’est bien sûr accessible qu’aux majeurs, les plus de 21 ans à l’époque. Une fois par mois, les non-adhérents ont le droit de pénétrer dans le cénacle à l’invitation d’un membre, le soir du « mot du mois » d’André Baudry qui tonne et pérore sur la situation de l’homosexualité. Le club organise également des « causeries », conférences avec ou sans projection de diapositives du genre « connaissance du monde » agrémentées de quelques photos d’indigènes dénudés, quelques spectacles (pièces de théâtre écrites par les arcadiens) ou des soirées dansantes. À partir de 1958, un grand banquet annuel est organisé tous les ans, souvent à l’hôtel d’Orsay ou à la salle Lancry en général autour du 11 novembre pour permettre aux arcadiens de province de venir à Paris. Puis en 1969, le club rejoindra des locaux beaucoup plus spacieux rue du Château-d’Eau, dans un ancien théâtre, jusqu’à la dissolution de la société en 1982.
Aux deux adresses, André Baudry a son « bureau-confessionnal », de mobilier monastique. Il y travaille le matin, y reçoit l’après-midi tous ceux qui lui ont écrit pour solliciter son aide, par correspondance ou principalement sur recommandation d’un arcadien. Le courrier considérable qu’il reçoit est en grande partie constitué d’appels au secours d’homosexuels provinciaux murés dans la solitude et la détresse, souvent dans des situations professionnelles ou personnelles dramatiques. Il s’efforce de consoler, exhorte à l’abnégation et intervient parfois discrètement quand cela est possible pour étouffer certaines affaires. De nombreux arcadiens lui en seront éternellement reconnaissants. Quant à ses relations avec la police, elles ont toujours été entourées d’un grand mystère et de nombreuses rumeurs. Dès sa première année de parution, un arrêté du ministère de l’Intérieur interdit Arcadie de vente aux mineurs comme une vulgaire publication pornographique. Dans la foulée, Baudry est convoqué à la police des murs Quai des Orfèvres et longuement interrogé. Il passe en correctionnelle en 1955 pour outrage aux bonnes mœurs, mais n’est pas condamné, comme aucun collaborateur de la revue. Toutefois, les commissaires des arrondissements où siège le club sont désormais invités à le visiter et à s’assurer qu’aucun acte indécent n’y est perpétré. Baudry doit garantir l’âge des membres qui fréquentent le club et veille avec une sévérité de garde-chiourme sur la décence, surgissant pour séparer les couples qui s’oublieraient dans des danses trop langoureuses. Si cette sévérité était seule garante de la survie du club, de même qu’une bonne entente avec la police permettait d’éviter des persécutions administratives tatillonnes, certains ont suspecté André Baudry d’être un auxiliaire direct du fichage des arcadiens. Il s’est toujours défendu avec énergie de cette accusation et seule la consultation d’archives de police, quand elles pourront être ouvertes, permettra d’en avoir le cœur net. Cette crainte du fichage a pu en tout cas écarter d’Arcadie les plus timorés.
La pensée du chef et la ligne d’Arcadie
Dès le premier numéro, André Baudry est clair. Selon une expression encore courante aujourd’hui, il ne revendique pas le droit à la différence, mais le droit à l’indifférence. Arcadie réclame le « respect », c’est-à-dire celui de vivre comme tout le monde, avec les mêmes droits. Ainsi par exemple, la revendication d’un alignement de l’âge de la majorité sexuelle à 18 ans (c’est à dire l’abolition de l’ordonnance pétainiste de 1942) procède de cette revendication égalitaire. Arcadie se refuse par ailleurs à faire de la politique ou à s’attaquer aux corps constitués ou aux églises. Baudry veut simplement donner à la société une idée « juste » des homosexuels. Arcadie refuse avec énergie le personnage de la « folle », considérée comme une caricature insupportable. Arcadie invente donc un mot, son mot, pour nommer les homosexuels : on parlera d' »homophiles », hommes et femmes. Procédé habile pour éviter de se référer alternativement aux homosexuels et (ou) aux lesbiennes, alors que le mot « gay » n’est pas encore importé et que celui de « pédé » ne peut encore être détourné et revendiqué. Une définition précise, caractéristique de cette aspiration à l’indifférence dans la différence, en est donnée en 1960 dans la revue : il s’agit des « personnes qui ne peuvent trouver leur épanouissement érotique (physiologique, psychologique, affectif, intellectuel) qu’avec une autre personne de même sexe ». Définition étriquée, qui se réfère donc à une conduite globale, ignorant les possibles et passagers errements homosexuels qui peuvent arriver à tout le monde, comme le prouvait alors le rapport Kinsey, pourtant référence constante de la revue.
Arcadie se fixe une mission. Baudry ne renie pas son passé de séminariste et se dévoue à sa tâche d’évangélisation, faisant référence en permanence à cette « mission » d’Arcadie dans ses éditoriaux, qui hésitent entre les sermons et les homélies. Baudry et sa revue se proposent d’être « une présence aux homophiles », en leur prouvant qu’ils ne sont pas seuls et que ce qu’ils vivent n’est ni un vice ni une tare.
Par ailleurs, il faut « instruire les autres des problèmes homophiles » et leur montrer que les homosexuels ne sont pas des monstres, mais bien des hommes et des femmes comme les autres, présents dans toutes les classes de la société. Mais cette évolution souhaitée des mentalités vers plus de compréhension doit être amenée en douceur par une pédagogie permanente. Les incohérences et les absurdités de la législation en vigueur sont clairement démontrées. Mais tout excès est condamné, et doit même être réprimé. Ainsi en 1960, en pleine panique face a l’amendement Mirguet, qui assimile l’homosexualité à un fléau social de même niveau que la tuberculose ou l’alcoolémie, Baudry n’hésite pas à écrire « qu’il est absolument nécessaire de réprimer les abus », car « c’est un devoir d’éduquer les homophiles ». Arcadie, ou l’homosexualité bien pensante, le juste-milieu : Baudry revendique cette ligne, se félicitant du ton « janséniste » de sa revue, condamnant tout laxisme, faisant appel sans cesse au cœur, à l’âme, au respect, et surtout au destin des homophiles. « Nous sommes vos cœurs et vos âmes », proclame-t-il dans ses éditoriaux et ses discours. Cette mission est aussi entendue, à partir de 1957, comme un combat, « le combat d’Arcadie« . Baudry, qui parfois ne recule pas devant les paradoxes, proclame que les arcadiens doivent être les saint Paul de l’homosexualité.
Ainsi, dès 1964, Baudry dénonce ce qu’il appelle « le plus grave danger ». Il s’inquiète en effet dans ses colonnes de la constitution d’une subculture spécifique homosexuelle particulière aux États-Unis, et s’oppose à ce qu’il considère comme la construction d’un ghetto : « nous ne sommes pas un groupe, mais des citoyens comme les autres ». Ce à quoi la revue américaine One lui répond : « Le plus grave danger n’est pas que nous nous qualifiions nous même de minorité, mais que nous ne prenions pas conscience de notre état, donc que nous continuions à l’accepter sans réagir […]. Le fait est que nous ne sommes pas des citoyens du tout ». Prophète ou tribun, Baudry ne cesse de catéchiser : « J’élève la voix pour demander la justice pour mes frères homophiles ». Arcadie est présentée comme le seul salut, et son objectif est immuable : « intégrer toujours d’avantage l’homophile, qu’il se sente à l’aise, s’épanouisse et connaisse aussi la joie de vivre en atteignant sa plénitude d’homme ».
Du dosage d’Arcadie : le fond et la forme
Indéniablement, Arcadie a inventé une certaine façon de faire la presse homosexuelle, qui sera souvent reprise ensuite dans plusieurs de ses aspects. Arcadie se voulait « littéraire et scientifique ». Elle n’était que fort peu littéraire et assez rarement scientifique au sens le plus littéral du terme. L’aspect culturel de la revue était obtenu de diverses manières.
La production « littéraire » de collaborateurs de la revue y jouait un rôle fondamental. Les candidatures spontanées permirent la parution d’au moins une petite nouvelle dans chaque numéro, voire de véritables romans-feuilletons se suivant d’un numéro à l’autre. Lors des deux premières années, les allusions assez claires restent permises, mais la crainte de l’interdiction pure et simple par le ministère de l’Intérieur impose très rapidement une sévère autocensure. Elle est encore renforcée après 1960, aboutissant au bannissement de mots comme « mettre, posséder, pomper », habilement placés au détour d’une phrase dans les nouvelles des premiers numéros. Dans les années cinquante et soixante, le principal nouvelliste est Yves Cerny. Simone Marigny s’essaie également au récit lesbien, Françoise d’Eaubonne apparaît dans les années 1960. De nombreuses pages sont ainsi consacrées à de petites historiettes sentimentales, exaltant les amours adolescentes, les premières fois, les embrasements entre tuberculeux dans des sanatoriums, les improbables romances entre vigoureux garçons du peuple sincères et simples et intellectuels torturés et complexés, les amours de chambrée, quand ce ne sont pas des camps de prisonniers, car la guerre n’est pas loin.
Il est évidemment assez difficile de faire la part entre ces fictions où les auteurs mettent souvent beaucoup d’eux mêmes et les récits véridiques plus ou moins vaporeux et enjolivés qui paraissent. En ces temps de clandestinité et de difficulté d’être, ils exaltent souvent la recherche d’un amour fusionnel et hypothétique. Parfois, quelques textes forts apparaissent, parce qu’ils se contentent d’être un témoignage vivant et bien écrit sur une tranche de vie homosexuelle, passée ou présente. On trouve ainsi par exemple un récit très amusant intitulé « Héroïne malgré lui », dans lequel un arcadien raconte comment il est conduit à se travestir pour aider la résistance, puis se trouve amené à jouer ce rôle de femme en permanence tant ses dons se révèlent éclatants et trompent l’ennemi. Pour dernière incursion dans la production littéraire, évoquons quelques poèmes « inédits » relativement médiocres et quelques traductions certes moins expurgées qu’ailleurs de poèmes grecs ou latins, mais qui prennent le soin de choisir les morceaux les plus élégiaques de préférence à certains autres volontiers plus crus.
Au-delà de cette production propre, Arcadie se livre également à un travail souvent remarquable d’étude littéraire et de critique. Il n’est pas un écrivain ayant traité de près ou de loin du sujet de l’homosexualité dans le passé, en bien ou en mal, qui ne soit passé en revue. Wilde, Rimbaud, Verlaine, Gide, Cocteau sont bien sûr les références premières, mais de plus méconnus sont aussi étudiés, comme Lorrain, voire des paternités plus incertaines, comme celle de Montaigne. Nul n’est oublié. Des bibliographies systématiques de tous les ouvrages de fiction disponibles en français sont données dans les livraisons successives des premières années de la revue. Tous les ouvrages contemporains traitant de ce même sujet sont chroniqués et critiqués, suivant le prisme idéologique évoqué plus haut. Ce souci d’exhaustivité fait la qualité de la publication, car elle permet rétroactivement de dresser une bibliographie de tous les ouvrages publiés en France de 1955 à 1983 abordant le thème de l’homosexualité. Avec des appréciations critiques parfois un peu déconcertantes. Si la prose impeccable de Yourcenar suscite une admiration sans réserve, le génie de Genet est reconnu, mais il est jugé trop scandaleux et d’une vérité trop brutale. « Allié à Armand Salacrou, il ferait merveille », rêve André du Dognon.
Littéraire, soit, pour l’époque et à la mesure des moyens mobilisables. Mais scientifique ? Arcadie a cherché à l’être, mais sans jamais y vraiment parvenir, faute de contributions de qualité. La revue obtient néanmoins la collaboration de quelques médecins, qui s’intitulent rapidement sexologues. Elle procède également à la traduction d’articles scientifiques parus à l’étranger quand elle peut s’en procurer d’intéressants. La réflexion scientifique se limite essentiellement à ces rares apports, ainsi qu’à une analyse des « récentes » théories psychanalytiques ou psychologiques de l’homosexualité. Ces articles sont très souvent bien faits. Ils devaient procurer au lecteur de l’époque une utile vulgarisation d’ouvrages d’emblée difficiles d’accès. Les thèses de Freud, Jung, Kinsey ou de Magnus Hirschfeld sur la sexualité et l’homosexualité sont amplement analysées et expliquées. Un certain Serge Talbot, ou encore Lucien Farre, se spécialisent dans cette tâche de vulgarisation des concepts de la sexologie, de la psychanalyse et de la psychologie modernes. Quant aux sciences humaines, elles sont essentiellement représentées par l’histoire de l’homosexualité et des homosexuels. Marc Daniel, un pseudonyme, haut fonctionnaire, chartiste et angliciste, alimente régulièrement la revue en articles très complets sur l’homosexualité à tous les âges et sur tous les continents, jusque dans l’Amérique précolombienne, ainsi que sur tous les personnages célèbres ayant été de près ou de loin soupçonnés ou convaincus de goûts homosexuels. Avant 1968, peu d’incursions sociologiques dans les colonnes d’Arcadie. Quelques tentatives seulement, comme cette esquisse d’enquête quantitative sur l’homosexualité par questionnaire, mais avec trop peu de réponses pour être vraiment représentative de la condition homosexuelle.
Au vu du dépouillement des 150 premiers numéros, il est indéniable qu’Arcadie consacre une part importante de ses livraisons aux réflexions philosophiques, morales, éthiques ou théologiques de la condition homosexuelle. Pour l’aspect théologique, qui intéresse de nombreux lecteurs particulièrement sensibles à cette question, les réflexions tournent bien sûr essentiellement autour de l’interdit biblique et de son extension à la chrétienté. Si aucun prêtre français n’ose publier sous son nom, Baudry se fait l’écho de la difficulté de beaucoup d’entre eux à vivre leur homosexualité. Un numéro spécial entier est même consacré à l’analyse des questions religieuses, avec notamment des traductions d’articles parus sous la plume de pasteurs protestants anglo-saxons, qui soulignent mieux le silence et la culpabilité catholiques. Les philosophes d’Arcadie se penchent aussi sur Platon, Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche, Prudhon. Ils dissèquent leur approche de la sexualité et de l’amour et leur conception de la tolérance.
D’autre rubriques, plus « classiques » pour une publication homosexuelle aujourd’hui, mais alors originales, font vite leur apparition. De nombreux articles juridiques analysent la législation en vigueur et la critiquent. Un certain Claude Nérisse rédige de petites histoires sous forme épistolaire qui illustrent les incohérences du statut issu de la loi de 1942 et les difficultés au quotidien des citoyens homosexuels, soumis aux risques de chantage, de fichage et de poursuites pénales plus ou moins abusives. Toutes les affaires de murs où l’homosexualité apparaît, montées en épingle par la presse généraliste, sont évidemment commentées. La situation de l’homosexualité à l’étranger est également passée en revue. Au début, assez méthodiquement, avec une série d’articles sur l’homosexualité dans le monde. Par la suite, Marc Daniel suit régulièrement l’actualité anglo-saxonne. La revue se dote d’un correspondant italien régulier, Maurizio Bellotti, grâce aux liens privilégiés de Baudry avec ce pays. Une rubrique intitulée « Le combat d’Arcadie » apparaît dès 1962 et passe en revue tout ce qui se publie ou se dit sur l’homosexualité, en tout lieux, en toutes circonstances. À l’aune de l’idéologie exposée plus haut, il faut encore et toujours rectifier les erreurs et les approximations, dénoncer les caricatures, appeler à la tolérance et la compréhension.
Enfin, il faut parler de la forme de la revue. La maquette est d’une grande austérité : couverture blanche, titre en capitales noires. En 1964, légère évolution avec l’apparition de bandeaux de couleur sur la couverture et une modernisation prudente de la typographie. Quasiment jamais d’illustrations, quelques dessins au trait représentant de jeunes éphèbes, exceptionnellement un tiré à part de photos noir et blanc de jeunes gens athlétiques en maillot de bain : le terme de jansénisme n’est pas trop fort. Très peu de publicité : quelques hôtels ou restaurants amis accueillant la clientèle « arcadienne », un chemisier, un assureur. La préhistoire, en quelque sorte, de la presse gaie moderne. En octobre 1957, apparaissent les premières « feuilles » du club. Distribuées avec la revue mais sous forme de feuilles volantes tapées à la machine et ronéotées, elles annoncent les activités du club (conférences, mot du mois…), mais sont aussi un autre espace d’expression qui recueille les humeurs du président ou de certains lecteurs, ou des textes qui parfois auraient parfaitement leur place dans la revue, comme la présentation par Daniel Guérin de son autobiographie. Ces feuilles ne cesseront de paraître avec chaque numéro, mais elles ne développent pas ou très peu d’activité de petites annonces avant 1968.
Les collaborateurs : beaucoup d’inconnus et peu de célébrités
Le seul collaborateur littéraire occasionnel très connu d’Arcadie fut Roger Peyreffite. Le grand homme donne quelques nouvelles ou études littéraires, participe aux banquets annuels. En retour, une admiration inconditionnelle lui est vouée. Au moment du célèbre coup d’éclat de 1964, lorsque Peyreffite écrit sa fameuse lettre ouverte à Mauriac, le traitant grosso modo de honteuse après que celui-ci eut dans un texte fustigé les homosexuels, Arcadie consacre un numéro spécial entier à « l’illustre écrivain ». À l’opposé, Jouhandeau rejette violemment la revue qu’il estime totalement inopportune, pour des raisons liées en fait à son éthique personnelle de l’homosexualité : pour vivre heureux, vivons cachés, et le plaisir est grand de s’afficher bisexuel pour mieux séduire les hétérosexuels baraqués qui nourrissent ses fantasmes. Quant à Cocteau, il donne un message chaleureux d’encouragement dans le numéro 1. Et puis c’est tout. Mais la qualité littéraire de la publication ne se prête pas vraiment à plus.
Daniel Guérin en revanche contribuera régulièrement à la revue de 1957 à 1972. Remarqué par Arcadie pour son livre sur Kinsey, ses ouvrages sont d’abord chroniqués, avant qu’il ne collabore directement par quelques textes, qui se font assez fréquents et circonstanciés dans la seconde moitié des années soixante, avec par exemple un travail intéressant sur l’homosexualité dans l’œuvre de Proudhon en 1965. Le temps d’un numéro apparaît aussi le nom de Jacques Siclier, qui donne un texte, puis disparaît pour d’autres horizons journalistiques. Au-delà de ces quelques noms connus, on trouve bien sûr la masse des collaborateurs bénévoles avec ou sans pseudonyme : Serge Talbot, Robert Amar, André-Claude Desmon, Sinclair (pseudonyme de l’historien Pierre Hahn), Maurizio Bellotti, René Soral, Lucien Farre, Marc Daniel…..
Arcadie dans son temps : l’évolution de 1954 à 1968
1954-1960 : De l’audace des commencements à la grande peur de l’amendement Mirguet
Le premier numéro paraît en novembre 1953, daté janvier 1954. Il est tiré à 2 000 exemplaires, 54 pages en format 22 x 14 cm, typographie simple. Il comprend 13 articles et 3 dessins. Au-delà de son message d’encouragement, Cocteau offre un dessin, Roger Peyreffite une brève nouvelle (« Le Petit arabe »), André du Dognon signe un papier courageux sur « La Difficulté d’en être », Jacques de Ricaumont son seul article publié sous son nom, Marc Daniel publie son premier article historique sur Frédéric II de Prusse. On trouve aussi une nouvelle assez osée d’un soit-disant Roger Véronaise (« Le Gardien de but », fantaisie sur le thème « mets-le moi »), la première épître de Baudry aux arcadiens, des traductions de poèmes latins et grecs et un appel à participer au Congrès international d’Amsterdam sur l’égalité sexuelle.
Lors de cette première année, Arcadie met en place ses rubriques, avec les points forts et les points faibles détaillés plus haut. L’homosexualité dans le monde est passé en revue ; on disserte de Colette, de Catulle, d’Oscar Wilde et de Sandro Penna ; on s’interroge sur Stendhal et les amours socratiques ; on se demande si l’homosexualité est un vice, si elle est naturelle ; on décortique la législation ; on interroge Freud et on dresse une bibliographie complète des ouvrages disponibles sur l’homosexualité. La revue publie un quart de nouvelles, 10 % de critiques et 10 % de réflexions philosophiques…
Le premier banquet des arcadiens se tient le 11 novembre 1954, et Baudry prononce son premier « sermon » en public. En 1955, se tient à Paris le congrès de l’International Committee for Sexual Equality, fondé sur une initiative hollandaise. Après avoir activement participé à sa préparation, les responsables d’Arcadie se brouillent avec les organisateurs bataves, et se retirent de la manifestation huit jours avant. La revue consacre un article intéressant à l’adolescence délinquante et à l’homosexualité dans les maisons de correction, évoque son grand ancêtre, la revue Inversions, qui n’eut qu’un numéro en 1924. Querelle de Brest de Genet est étudié. Un réseau international solide est mis en place : One à San Francisco, Mattachine à Los Angeles, Der Ring à Hambourg, Der Kreis en Suisse. S’y rajouteront la Suède, le Danemark, la Norvège, la Hollande (le COC qui existe encore), l’Allemagne (Die Gefährten, à Francfort). Marc Daniel explique l’instauration de la législation pétainiste de la manière suivante : « l’excès même de la débauche entre les deux guerres devait fatalement provoquer une réaction des hétérosexuels ».
André du Dognon inaugure 1956 avec un article caractéristique de l’esprit de l’époque : « Relever la tête, mais pas trop ». Et pourtant, le sujet délicat de la pédophilie est abordé grâce à un néologisme, celui de « néophilie ». Puis, Alfred Kinsey a droit a une nécrologie émue et justifiée.
En 1957, le club ouvre. On redécouvre Magnus Hirschfeld, réédité, et le sujet délicat du travestisme est abordé. En 1958, paraît notamment une lettre ouverte à Jouhandeau qui s’en est pris violemment à la revue. Alors que dès 1954 était posée la cruelle question (« Est-ce un vice ? »), un article aborde les aspects médicaux (« Est-ce une maladie ? »). La même année a lieu un nouveau banquet, qui sera désormais annuel. Il se tient dans les salons du palais d’Orsay, sous la présidence d’honneur de plusieurs comédiens du Théâtre Français ; Maurice Escande, qui en sera l’administrateur, est le plus connu d’entre eux. André Baudry acquiert définitivement son sobriquet de « Luis Mariano de l’oraison », qu’il consolide dès 1959 avec le banquet du cinquième anniversaire dont Roger Peyreffitte est l’invité d’honneur. Pasolini fait paraître les Raggazi, Arcadie en parle. Elle informe ses lecteurs sur l’échec d’une première tentative de libéralisation de la législation britannique, alors plus répressive encore qu’en France.
Daniel Guérin donne son premier article à Arcadie, ou il s’interroge vertueusement sur érotisme et chasteté. Mais il faut surtout chroniquer cette année terrible. En juillet 1960, le gouvernement demande une habilitation pour légiférer sur ordonnances sur une certain nombre de « fléaux sociaux » comme la prostitution ou l’alcoolisme. Un député de la majorité, André Mirguet, propose d’inclure l’homosexualité dans la liste, par un amendement du 18 juillet 1960, ce que le parlement accepte et que le gouvernement adopte. Que fait Arcadie pour défendre ses coreligionnaires ? L’association se fige, tétanisée. Certains arcadiens envisagent même, à la légère, de s’expatrier. Un tour de vis complémentaire est donné à l’autocensure : suppression des petites annonces de la feuille ronéotée du club, sévère contrôle des nouvelles et récits. En octobre 1960 paraît un numéro spécial épais intitulé « Que savons nous de l’homophilie ? ». Tous les arguments humanitaires, historiques, scientifiques, philosophiques ou religieux y sont exposés, pour démystifier l’homosexualité et prouver qu’elle n’est pas un « fléau social ». Ce numéro se conclut par un article anonyme consacré à la déportation homosexuelle, qui se termine par ces phrases prémonitoires : « J’espère pour tous les êtres humains, qui vivent sous le poids de cette menace constante (le paragraphe 175 pénalisant l’homosexualité, pas encore aboli en Allemagne) que, finalement, malgré tout, la raison, les progrès de la science et le courage des médecins l’emporteront. De cette façon, les victimes de ces camps de concentration ne seront pas mortes en vain. » Mais malgré une lettre de Mirguet au président d’Arcadie, expliquant que son amendement ne visait que les homosexuels « pervers », la législation est encore alourdie pour les homosexuels, et le gouvernement instaure le 25 novembre 1960 l’alinéa 2 de l’article 330 du code pénal, qui aggrave les sanctions pénales infligées pour attentat a la pudeur ou détournement de mineur, quand ces délits sont constatés entre personnes du même sexe.
1961-1968 : Du placard au joli mai
Baudry, qui revendique l’égalité et la dignité pour tous, mais rejette tout exhibitionnisme, tout scandale, s’en félicite publiquement dans son éditorial de janvier 1961 au motif que « nous ne pouvons approuver ces excès, ces débordements« , c’est à dire les outrages publics à la pudeur, dans les pissotières ou les jardins publics. Arcadie se recentre sur les articles dits « sérieux » : « Confucius et l’homosexualité », « Arcadie et la vertu », tandis que Marc Daniel se lance dans une exégèse de la législation pénale depuis 1789.
En 1962, la rubrique « Le combat d’Arcadie » fait son apparition. Elle n’appartient pas à un chroniqueur particulier. Plusieurs arcadiens s’y succèdent, pour critiquer les erreurs, les clichés, les approximations qui courent au sujet de l’homosexualité dans la presse, les livres, voire au cinéma ou au théâtre. En avril paraît le centième numéro. Il s’ouvre par des messages de solidarité et d’encouragement venus de Belgique, des États-Unis, d’Italie, des Pays-Bas et de Suisse.
En 1963, Arcadie reflète l’évolution progressive des murs et la modernisation de l’époque. Les ouvrages sur l’homosexualité se multiplient, et la revue les commente tous. Une chronique de télévision fait son apparition. On parle d’un jeune écrivain, Dominique Fernandez. On s’intéresse à la vision particulière de l’homosexualité dans la thèse sur la Folie à l’âge classique d’un jeune chercheur, qui vient d’être publiée. Il s’appelle Michel Foucault. De vieux arcadiens évoquent la fin du Magic City, dancing homosexuel mythique des années trente. D’autres évoquent leurs souvenirs de Proust, de Gide ou de Cocteau, qui vient de mourir. Et l’on va jusqu’à étudier l’homosexualité chez… les papous, décrite dans une thèse d’ethnologie, sans oublier l’habituel Marc Daniel, qui chronique imperturbablement l’homosexualité chez les Hittites, ou plus classiquement chez les mignons d’Henri III.
1964 est l’année des dix ans d’Arcadie, qui s’offre une nouvelle maquette avec un peu de couleur sur la couverture. La même année, Roger Peyreffite, le parrain littéraire de la revue, publie en mars sa célèbre lettre ouverte à François Mauriac, dans laquelle il l’accuse ni plus ni moins d’être une « honteuse ». Peyrefitte préfigure ainsi le outing américain. Arcadie consacre en octobre un numéro spécial aux œuvres du scandaleux cousin du ministre de l’information de De Gaulle. Son best-seller, les Amitiés particulières est adapté à l’écran par Jean Delannoy, avec un certain succès public, bien que le film ait été interdit aux moins de 18 ans ! L’apothéose de cette année est le banquet des dix ans, en novembre. Il réunit salle Lancry, Christine Gouze-Renal, productrice du film et belle-sœur de François Mitterrand, le réalisateur, l’acteur principal et l’auteur de l’ouvrage adapté, face à une foule d’arcadiens en délire. Les discours d’André Peyrefitte et André Baudry sont même enregistrés sur disque et vendus par correspondance aux arcadiens qui n’auraient pu assister à ces instants immortels. La même année, un embryon d’enquête sociologique est réalisé auprès des lecteurs, à partir d’un questionnaire qui ne reçoit cependant que 37 réponses valables. Daniel Guérin publie ses Mémoires d’un jeune homme dérangé et en livre la primeur aux arcadiens. Le Festin nu de William Burroughs est chroniqué, mais incompris. La naissance d’une revue lesbienne anglais Arena three est annoncée aux lecteurs.
1965 est l’année de l’article de Baudry sur les risques de la revendication d’un droit de minorité spécifique aux États-Unis, auquel répond la revue One, qui d’ailleurs se scinde peu après en deux tendances opposées autour de cette question. La dépénalisation échoue une nouvelle fois au Royaume-Uni.
En 1966, Kenneth Anger sort son film Scorpio rising, et Marc Daniel rend compte des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar avec enthousiasme. Un certain Docteur Eck sort un livre négatif et bourré de clichés sur l’homosexualité (une névrose due à un narcissisme indépassable, un danger moral aggravé par un prosélytisme rampant, etc.), qu’Arcadie s’attache à réfuter point par point. L’abbé Oraison est l’invité du banquet annuel.
En 1967, la revue suisse Der Kreis, qui existait depuis les années trente, disparaît. La même année, Arcadie salue la promulgation d’une loi qui dépénalise très partiellement l’homosexualité au Royaume-Uni. André Baudry s’insurge contre l’idée de « contamination homosexuelle », encore très fréquente dans les ouvrages destinés au grand public publiés sur la question. Un numéro spécial est consacré à « l’Église et les homosexualités ». Malheureusement, il ne publie aucun article de prêtre catholique français et doit se contenter de reprendre, par exemple, l’article « compréhensif » d’un pasteur anglican, tout en développant sous la plume des collaborateurs réguliers les habituelles réflexions sur les origines de l’interdit judaïque ou le sens du message du christ sur le pêché.
Si André Baudry ouvre l’année 1968 en proclamant que le jeune homosexuel peut trouver le salut dans Arcadie, il ne s’attend guère à ce que la jeunesse se prenne d’elle-même en main dès le printemps. Arcadie ne paraît pas en juin. Un congrès sur l’homosexualité prévu en novembre est annulé. Baudry écrit : « nous prenons notre part de la remise en question de beaucoup de choses et nous aussi nous exigeons des changements », dans le numéro double d’été qui suit. Mais quels changements ? La revue prend plus de libertés. Baudry réaborde timidement le délicat sujet de la pédophilie à l’automne. D’un point de vue littéraire, la revue s’intéresse à l’aspect homosexuel de l’œuvre de Witold Gombrowicz… et de Voltaire, et rend compte du premier « Série noire » homosexuel, Drôle de sauna, de l’américain G. Baxt. Baudry passe pour la première fois à la télévision… canadienne où il tient son habituel discours sur la dignité et la discrétion.
L’article le plus intéressant de cette année est la retranscription en trois livraisons d’une causerie donnée par un certain Claude Sorey, sociologue, au club, sur l’homosexuel et la société. Cette exposé saisit parfaitement l’air du temps. Partant de l’analyse de Max Weber sur l’éthique du protestantisme, il constate le passage d’une société d’accumulation à une société de consommation. L’homo-sexuel, consommateur sexuel réfractaire, serait asocial parce qu’il révèle aux autres par son comportement le caractère conventionnel, artificiel et violent de la société. Il serait, selon Sorey, la preuve vivante de la possibilité d’être homme autrement, d’être autre et cependant homme. À son égard, la société hésite donc entre le rejet ou l’annexion en le transformant à son tour en consommateur (de magazines, de styles de vie, de gadgets sexuels, etc.). Puis, opposant les analyses alors très neuves des américains Frömm et Marcuse, Sorey définit l’homosexuel comme un « joueur », socialement utile quand sa liberté est source des créations intellectuelles, artistiques qui permettent à la société de se renouveler et de se transformer. Nourri aux meilleures sources, dont Foucault et Marcuse, ce texte semble annoncer qu’Arcadie s’efforce de rajeunir son analyse sur la place de l’homosexuel dans la société. Ce ne fut cependant pas le cas.
Ces premières quinze années de la revue, Baudry en tire lui même le bilan en 1968, dans un article intitulé « Cette revue ». Il reconnaît que son point faible est littéraire, et il avoue entre les lignes qu’il continue de publier des nouvelles à l’eau de rose pour assurer son chiffre. Pour lui, l’essentiel est ailleurs. Je le cite : « L’essentiel est de débroussailler ce vaste problème, afin que demain, ceux qui`naîtront marqués du sceau de l’homophilie dans leur âme ou dans leur chair vivent mieux que nous. […] L’historien des temps futurs sera pris de vertige à la fois par la somme des connaissances étudiées et parce coupant intrépide et vigoureux d’un sang ardent qui se donne et se redonne dans un incessant parcours pour que chacun vive et vive heureux. »
Arcadie est passé des 4 000 abonnés de ses débuts à plus de 10 000. Avec un considérable courage pour l’époque, ses membres ont osé parler librement de l’homosexualité, et la sortir de l’infamie décrite par Proust, en revendiquant un droit à la normalité et à l’indifférence sociale. La solidarité qui existait entre le petit groupe d’amis qui avait fondé Arcadie lui avait permis de durer, fait rarissime, et d’imposer une certaine forme de crédibilité intellectuelle. Mais ce qui était à l’origine une force devait peu à peu se transformer en une sclérose, comme en témoigne l’évolution du mouvement et de sa revue dans les années soixante-dix.