Arcadie : sens et enjeux de « l’homophilie » en France, 1954-1982
par Julian JACKSON
In Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine 2006/4 – 53
Fondé à la fin de l’année 1953, le mouvement « homophile » français Arcadie fut actif pendant 28 ans, jusqu’à sa dissolution par son fondateur André Baudry en 1982. À partir de janvier 1954, le mouvement publia une revue mensuelle qui comptait souvent plus de cent pages ; dès 1957, il ouvrit également un club à Paris, et disposait de « délégués régionaux » dans plusieurs villes de province. Il est difficile d’obtenir des chiffres précis quant au nombre des adhérents,
et Baudry ne doit pas être pris au pied de la lettre quand, en 1979, il affirme que la revue comptait 50 000 abonnés1.Toutefois, même si ce total était plus proche de 10 000, les abonnés se renouvelaient au fil des ans, ce qui suggère
qu’au cours de son existence, Arcadie a eu un impact sur la vie de dizaines de milliers d’homosexuels français, plus que n’importe quelle autre organisation ayant depuis existé en France. Il fut certainement l’un des mouvements les
plus importants dans son genre à l’échelle mondiale. Or, curieusement, Arcadie a été assez largement négligée par les historiens2. On peut avancer à cela trois raisons :
Tout d’abord, l’histoire de l’homosexualité a eu davantage de difficultés à s’établir comme sujet de recherches universitaires en France qu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis3. Cette situation dérive en partie de la tradition d’universalisme républicain qui préserve une distinction rigide entre les sphères ….