Geneviève Pastre
1924-2012
Geneviève est née le 20 novembre 1924 à Mayence en Allemagne le 17 février 2012 à Saintes en Charente-Martime. Elle a été une figure du monde gay et lesbien.
Ecrivaine, poète, militante, éditrice, elle fouille l’histoire, la sociologie, l’anthropologie comme sur la philosophie pour fonder ses réflexions et son militantisme.
Agrégée de grammaire et femme de lettres, elle enseigne au lycée. À partir de 1972, elle publie de nombreux recueils de poèmes, des textes expérimentaux, des essais, des articles dans de nombreuses revues et participe à des colloques. Deux de ses essais, De l’amour lesbien , édité en 1980 et réédité en 2004, et Amazones, du mythe à l’histoire , édité en 2000, sont particulièrement connus.
Femme de convictions, elle commence à militer pour la cause lesbienne en 1976, dans le Groupe des lesbiennes féministes. En 1979, elle participe au congrès de l’association anglaise Campaign for Homosexual Equality
Au début des années 1980, elle collabore au mensuel Homophonies
En 1982, elle est présidente de l’association Fréquence Gaie
En 1898 elle crée sa propre maison d’édition, Les Éditions Geneviève Pastre.
Elle a créé l’éphémère parti gay et lesbien Les Mauves, envisageant de se porter candidate à l’élection présidentielle de 2002
Elle écrit de nombreux poèmes de 1972 à 2005, de nombreux ouvrages de 1980 à 1996 (De l’amour lesbien, Athènes ou le péril saphique, Les Amazones, du mythe à l’histoire), ainsi que son autobiographie Une femme en apesanteur en 2002, à 78 ans.
Le Centre LGBT Paris-Ile de France donnera son nom à une de ses salles en 2013.
Mes souvenirs
Je me souviens du sourire éclatant d’une femme heureuse et libre lorsque je suis venu la chercher sur le quai de la gare St Charles pour l’amener à l’Université d’été
Elle a trouvé là des garçons avec lesquels elle était bien, on avait les mêmes objectifs,
Elle n’avait pas de prévention à l’égard des gais, elle se sentait bien avec eux
Elle a pu apporter sa parole et porter, son message, elle était écoutée.
Elle ne voulait pas être du côté des lesbiennes seulement, elle concevait son combat dans la jonction continue entre gays et lesbiennes.
Elle avait un grand besoin de reconnaissance.
Elle n’était pas historienne, ni en quoi que ce soit reconnue comme « spécialiste » des questions lesbiennes.
Agrégé de grammaire, enseignante, écrivaine, poète, elle avait confiance en ses capacités
Elle avait le sentiment que ses « diplômes » n’étaient pas reconnus et qu’on ne la reconnaissait pas à sa juste valeur, cela ne la rendait que plus combattive
Elle aimait parler de ses élèves et de son métier d’enseignante
Elle parlait de sa passion d’écrire, et rayonnait de ce sourire que lui donnait son âme de poète
Nous avions plaisir à nous retrouver lors de mes passages à Paris
Lorsqu’avec Jean Le Bitoux et Jacques Vandemborgue s’est lancée l’idée d’une fondation mémoire des homosexualités, elle était immédiatement partante, heureuse de se lancer dans un projet fort, porté vers le long terme
Les discussions devenaient passionnées
Elle revenait ainsi que Pierre Verdurier, adhérent d’Arcadie, ravie de la magnifique exposition Eldorado de Berlin en 1982
Présenter tous ces documents, les récolter, construire notre histoire, tout cela tombait sous le sens pour elle
A partir de là, Mémoire des homosexualités, devenu Mémoire des sexualités, permettait de prendre des initiatives collectives
Pour sa part, assez indépendante, elle continuait son bonhomme de chemin dans son domaine en considérant qu’à sa façon elle contribuait au projet collectif
Son énergie était communicative.
Je l’ai peu à peu perdue de vue car poursuivant ma vie professionnelle et militante à Marseille, je venais moins à Paris.
Elle s’investissait avec beaucoup d’énergie dans Fréquence Gaie dont elle était devenue présidente.
Je comprenais qu’elle y rencontrait des professionnels du journalisme et de grands militants.
Et j’apprendrais qu’elle s’est battue comme une lionne pour défendre cette radio lorsqu’elle était menacée.
Elle gardera le contact et lorsqu’elle envisagera de crée le parti des Mauves en vue de se présenter à l’élection présidentielle de 2002, elle me contactera dans l’objectif de créer un réseau. Elle pense que le mouvement homosexuel est suffisamment fort pour faire bouger les choses après les années Jospin-Chirac et la conquête du PACS. Je lui envoie une longue lettre dans laquelle je lui explique que je ne suis pas favorable à cette idée ; elle me remercie de ma réponse en me faisant remarquer que je suis l’un des seuls à argumenter mon point de vue.
Christian de Leusse
La force de ses livres
Dans son livre l’Espace du souffle, Geneviève Pastre évoque sa naissance véritable au monde lorsqu’elle a aimé une femme : « On m’a arraché la langue mais je parle avec mes doigts et la langue a retrouvé sa place pour la caresse fondamentale sur les lèvres de la bien aimée… je gueule que j’ai mal je gueule pour que crève le silence ».
Dans De l’Amour lesbien elle loue « la valeur pour les femmes d’avoir des relations sexuelles entre elles et d’y trouver une raison de vivre suffisante, pour qu’elles vivent de façon autonome », constate qu’elles sont asservies, décervelées mutilées dans leurs forces vives, elle affirme que la femme n’est pas faite l’homme et remet en cause sa domestication sexuelle en s’appuyant sur le Rapport Hite (1) et sur la petite différence et ses grandes conséquences d’Alice Scharzer (2) ; pour elle la femme aime la femme d’un mouvement naturel. Elle regrette que les femmes soient « perdues, isolées dans un monde d’homme » et peste contre tout ce que les hommes font subir aux femmes, les femmes leur servant d’exutoire. Elle parle du « fabuleux météorite tombé sur notre terre » qu’est « le cœur de l’aimée ».
Dans Athènes et le péril saphique elle note que la période hellénistique masquait déjà la réalité des amours féminines et que Sappho a été invisibilisée à l’âge classique.
Dans Le Bien aimer elle parle de « la générosité, l’abandon, la sensualité heureuse, la facilité, le triomphe de l’amour » dont « il faut toujours payer le prix, cher », de la joie de « se promener au bras de la femme qu’on, aime, s’asseoir à une terrasse de café, laisser couler le bonheur entre les doigts, en même temps que l’heure, être vues sans chercher à être vues, mais sans chercher à se cacher, est l’un des plus grands bonheurs qui existent ».
Dans Une Femme en apesanteur, ses mémoires, elle – qui a été mariée et divorcée – montre comment elle a développé peu à peu une philosophie de l’amour comme « refondation de l’être humain », après avoir fréquenté les féministes du MLF et milité avec Gisèle Halimi pour la cause des femmes, elle s’est rapprochée des groupes gays, fait le tour des universités d’été homosexuelles, des festivals gays et lesbiens et présidé Fréquence Gaie. Déçue des maisons d’éditions, elle a créé la sienne, ce qui lui a permis de publier une cinquantaine d’autrices lesbiennes st d’auteurs gays.
(1) Une étude importante sur la sexualité féminine, résultat d’une enquête auprès des femmes américaines. 3019 réponses ont été enregistrées. L’enquête a débuté en 1972. L’ensemble est plutôt féministe, cherche à accélérer l’évolution (pour ne pas dire la révolution) sexuelle et une réévaluation de la sexualité. Le questionnaire demandait aux femmes « ce qu’elles ressentent, ce qu’elles aiment, ce qu’elles pensent du sexe ».
(2) Alice Scharzer, pionnière du féminisme allemand La Petite différence et ses grandes conséquences parue en 1977