Février 2008 entretien avec Nicolas Lorente

Christian de Leusse : « L’histoire de la mobilisation homosexuelle à Marseille et la place de l’homosexualité aujourd’hui »

entretien et transcription Nicolas Lorente (étudiant en sociologie)

 Nicolas : Comment décririez-vous la place de l’homosexualité dans la société ?

Christian : Je dirais qu’aujourd’hui on assiste à deux choses contradictoires mais qui sont presque inévitables. A la fois à une véritable évolution vers une la liberté, de vivre son homosexualité, à tel point qu’on peut s’amuser parfois quand il y a quelqu’un qui a des propos un peu agressifs ou homophobes, à le menacer, et à menacer les gens de porter plainte par exemple. Donc, on est dans une phase où la loi protège d’avantage, que ce soit les insultes, les injures, ou même les agressions. Il y a des lois qui donnent des droits positifs, ce sont des lois de protection. Et il y a aussi les droits positifs avec la mise en place du droit au couple etc. qui existent. Tout ça se sont des éléments très importants, et puis l’Europe joue un rôle supplémentaire, on vient de le voir récemment, Donc il y a une évolution, très réelle.

En même temps, il y a encore énormément de problèmes, en France même.

De mon côté, j’ai quelques grandes étapes dans mon histoire personnelle, j’ai maintenant 62 ans, j’ai commencé à être militant environ à l’âge de 33 ans, je vais pas raconter pourquoi, comment ça s’est passé, parce que ça a été une phase douloureuse, on était dans les années soixante-dix, et s’affirmer comme homosexuel, ou se vivre, vivre comme homosexuel, c’était difficile pour beaucoup de gens, à tel point qu’il y avait une toute petite minorité qui s’affichait, et à l’époque on s’est affiché dans le cadre de ce que l’on appelait les GHL….

Nicolas : Les GLH ?

 Christian : Les Groupes de Libération Homosexuelle qui ont existé à la fin des années soixante-dix. Bon je passe sur tout ça, je franchis les années, on arrive en 82, abolition des dernières lois homophobes, ou anti-homosexuelles comme on disait. Après, à cause du sida, il y a eu une certaine visibilisation du droit, et des homosexuels, avec le sida paradoxalement. Là aussi – je parlais d’ambiguïté – je vais y venir à nouveau à l’ambiguïté, plutôt la contradiction. Déjà dans les années sida, on était en pleine contradiction parce qu’on avait à la fois dans des gens qui accusaient les homosexuels d’être les véhicules du sida et en même temps on avait l’apparition des homosexuels comme étant, prenant en main leur propre sérologie, leur sida, prenant en main peu à peu le droit des homosexuels à célébrer la disparition de leur proches, de leurs copains… Il y avait aussi la prise en main par les homosexuels de nouvelles revendications pour le droit du copain homosexuel survivant à s’occuper de son ami, et ça donnera naissance, après plusieurs années de maturation difficile, au PACS, en 1999. Donc ce sont les grandes étapes, 82, 99, et aujourd’hui c’est la poursuite de droits nouveaux, pas encore vraiment de droits nouveaux mais des démarches nouvelles pour ce droit nouveau qui sera le droit à la parentalité, etc. donc des avancées réelles.

C’est cela la visibilisation, pour moi, pour quelqu’un comme moi, c’est un cheminement extrêmement positif d’une certaine façon.

D’un autre côté, plus on s’affiche, plus les homosexuels sont visibles, plus dans un certain nombre de secteur l’homophobie existe. C’est-à-dire que les agressions sont de plus en plus violentes, un certain nombre de populations imprégnées de mentalités, religieuses et morales un peu rétrogrades deviennent de plus en plus violentes ou en tout cas réactives. Et cela peut se comprendre aussi parce que les libertés de certains ne sont pas celles des autres, les libertés que les homosexuels arrivent à conquérir, à la limite c’est comme l’histoire des femmes c’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de femme actives, extrêmement présentes et puis il y a les femmes qui elles sont toujours à la peine, dans des situations difficiles qui sont soumises à l’excision, qui sont soumises à des oppressions sournoises ou plus ouvertes, dans des sociétés humaines rigides. Et donc ces deux mondes sont en opposition frontale d’une certaine façon, et donc plus on avance dans nos libertés, plus ces oppositions frontales ont des chances d’arriver.

Nicolas : Dans la société d’aujourd’hui, quelles sont les images d’après vous qui sont véhiculées sur, autour des homosexuels en général… S’il y en a !

Christian : Il faut bien voir que les images d’avant étaient des « images » très restreintes. Il a d’abord eu le modèle de la folle qui apparaît, enfin dont on fait des blagues dans les années quatre-vingt encore, avec évidemment le film « La Cage Aux Folles » qui symbolise bien cette période. Après ça il y a eu la phase des intellectuels visibles, écrivains, cinéastes, quelques hommes politiques qui ont commencé à se « visibiliser », je crois qu’aujourd’hui on est dans une phase différente. Il y a encore cinq ans, c’était Amélie Mauresmo la seule visible du côté des lesbiennes. Aujourd’hui, on a une vraie diversification, on a des regards, des visages, des visages d’homosexuels et de lesbiennes.

Nicolas : Donc là aussi vous trouvez qu’il y a une évolution positive…

Christian : Oui, je trouve qu’on est dans une évolution réelle. Ce qui est sûr, c’est que mon regard à moi ne pourra jamais être celui de quelqu’un qui a dix ans de moins, vingt ans de moins, trente ans de moins, dans la mesure où par rapport à ce à quoi il pourrait aspirer on a encore un chemin considérable à faire, mais en même temps, inévitablement je compare avec ce que j’ai vécu, et je trouve que ça s’ouvre, ça s’ouvre réellement…

Nicolas : Je sais pas c’est au sein de la société, est-ce qu’on a tendance à stigmatiser toujours, bon alors selon vous beaucoup moins qu’avant mais…

Christian : Mais on est là aussi dans la contradiction, car il y a toujours de la stigmatisation. Quand j’entends, comme hier soir sur FR 3 juste après le journal, le présentateur de l’émission qui concerne les quartiers de banlieues, Fadela Amara et les mesures qui vont être prise en faveur de ces quartiers. Le journaliste juste avant pose la question à deux de ses invités  » vous savez qu’aujourd’hui, la Cour Européenne vient de prendre position contre la France à propos du droit aux lesbiennes d’avoir des enfants ». Quand l’un des deux, Azouz Begag, répond  » et bien écoutez c’est parfait, ce qui compte c’est que l’enfant vive, qu’il soit heureux, qu’on lui apprenne à être adulte ». L’autre par contre, une personnalité intéressante, de formation (très) catholique puisqu’il a été prêtre, Jean-Claude Barreau a dit :  » oui mais ce qui compte c’est qu’il y ait un référant de l’autre sexe… Oui finalement c’est peut être pas trop grave, mais c’est important quand même qu’il y ait un référant de l’autre sexe. Bon on peut penser qu’il y aura des référents, bon c’est bien qu’il y ait des libertés, mais… ». Il revient là-dessus, sur le référant de l’autre sexe. C’est une objection qui est toujours faite. J’étais frustré en entendant cela. Je regrettais qu’il n’y ait personne pour lui répondre vraiment, pour lui dire que quand même on en a parlé de nombreuses années de cette histoire de référant de l’autre sexe. Continuer à le véhiculer encore maintenant, c’est décourageant. La bataille est loin d’être finie…

Nicolas : Et selon vous ces images sont, ou étaient, véhiculées par qui principalement ?

Christian : Elles sont véhiculées par un certains nombre de gens qui font profession de définir la norme. Il y a plein de gens qui font profession de définir la norme, parce qu’ils ont une haute idée de leur capacité à aider la société à avancer, ils se fondent sur leur religion, sur leurs connaissances philosophique, sur leur savoir sociologique. Il y a toute une série de personnalités qui nous ont extrêmement surpris au cours des huit dernières années, dans leur réaction à l’égard du PACS. Ils ont réagit immédiatement, c’était le cas d’Irène Théry, sociologue, ou comme Françoise Héritier, anthropologue, ou même la compagne de Lionel Jospin, Sylviane Agacinsky, sociologue, enfin toute une série de personnes sur lesquelles on aurait pu s’appuyer parce qu’on avait l’impression qu’elles étaient motrices, curieusement je viens de citer que des femmes – c’est vrai qu’on attendait peut-être davantage des femmes – mais il y a surtout pas mal d’hommes dans ce camp-là. On attendait d’eux une autre attitude parce que dans leurs domaines, elles et ils étaient plutôt des moteurs jusque là dans le domaine des mœurs et dans les choix de société, pour le mouvement d’émancipation des femmes en particulier. Curieusement ce sont souvent les plus ouverts qui ont ces attitudes, non pas des plus ringardes ce n’est pas le mot qui convient, mais qui ont des blocages face à certaines conquêtes sociales et morales.

Ce sont des personnes qui ont pignon sur rue, y compris Jean-Claude Barreau qui a fait parti du grand mouvement des prêtres qui se sont insurgés contre le non droit des prêtres à se marier dans es années 60, dans les années 90 devenu membre du Cabinet du ministre Charles Pasqua au moment où il s’occupait de l’aménagement du territoire, alors là il a commencé à avoir des positions surprenantes, comme on en voit aujourd’hui, avec certains ministres, théoriquement de gauche…

Voilà ils ont des belles idées et au bout d’un moment il y a un blocage qui refuse de prendre en compte un mouvement social de fond. Au nom de sa religion, Christine Boutin, très catholique, a agit contre ces homosexuels, il faut bien voir comment l’Eglise, par derrière, a poussé, On le voit en Espagne, on le voit en Italie. En Espagne le gouvernement a été assez courageux pour affirmer, contre l’Eglise catholique, le droit aux homosexuels, mais l’Eglise catholique a mobilisé l’opinion contre la nouvelle législation.

Et en Italie, à l’inverse, le gouvernement n’a pas été assez courageux, l’Eglise catholique a encore un tel poids qu’il est difficile d’aller à son encontre. Curieusement en France qui n’est pas un pays très catholique, les laïcs qui s’opposent ne le font pas au nom d’une religion…

Et puis alors il y a d’autres religions comme la religion musulmane où on trouve très peu de religieux qui aient une ouverture. On a, à Marseille un musulman qui a tenu des propos courageux, c’est le mufti Soheib Bencheikh. Mais personne ne le connaît. C’est un intellectuel ouvert, il a accepté de parler du PACS. Tout le reste c’est une de masse de fidèles qui sont par tradition opposés à toute évolution. Face à l’idée de la libération des femmes déjà les blocages sont énormes, alors les droits des homosexuels sont bien loin… Lorsqu’il y a des jeunes homosexuels musulmans qui lèvent la tête, le clash entre eux et leur milieu est terrible. Pareil dans le milieu israélite, je me souviens d’une copine lesbienne très attachée à un milieu familial très réconfortant, mais à la maison, elle ne pouvait pas exprimer quoi que ce soit là dessus… Les religions monothéistes très présentes à Marseille contraignent les jeunes à des parcours difficiles.

Nicolas : Et à propos de votre évolution personnelle sur le plan sentimental ou sexuel ? On a juste parlé de l’évolution dans la société, et chez vous quelle a été votre l’évolution ? Si par exemple vous voyez un certain nombre d’étapes, des moments clefs de votre vie, etc.

Christian : Ah oui il y a des étapes. Donc y’a, bon quand j’ai 33 ans, nous sommes en 78 où là je me trouve dans une situation personnelle où il faut que je fasse un choix : ce n’est plus possible autrement. Je suis depuis des années, sans savoir ce que je veux, avec absence totale de vie sexuelle et dans une solitude de plus en plus grande. Parce que issu d’un milieu où c’est inimaginable de penser que je puisse être homosexuel, même si je sens un peu que je le suis, ce n’est pas imaginable pour moi de l’accepter, de l’assumer… Je suis alors dans un drame personnel intense, extrêmement difficile, dont je n’arrive pas à sortir, et je me demande alors si ça vaut la peine de vivre, je me sens plus proche de la fin de ma vie que du début de ma vie. Je n’ai plus goût à rien, je suis dans une quasi-dépression, Je me trouve dans cette situation entre 27 et 33 ans.

Et puis j’ai eu cette chance qu’un groupe homosexuel se crée à Marseille, on appelait cela un GLH à l’époque, Groupe de Libération Homosexuelle, C’est l’époque où dans un certain nombre de villes il y a des GLH qui se constituaient, et où on commence à apparaître, comme un genre d’éruption cutanée, on plutôt une éruption sociale. Dans cette société où rien n’apparaît, rien n’émerge en ce qui concerne les homosexuels, on est dans un étouffoir d’enfer sur cette question, mais il y a des gens qui ne peuvent pas faire autre chose que d’apparaître, ils peuvent plus faire autrement, Car cela devient insupportable pour eux. II faut dire qu’entre temps on a eu un grand mouvement d’émancipation, le mouvement de libération des femmes, la baisse de l’âge de la majorité, la conquête du droit à la contraception, puis la conquête du droit à l’avortement dans les années 70. Les homosexuels suivent un peu cet exemple, un mouvement de fond puissant se manifeste. Les homos avaient vécu une 1ère éruption à travers le FAHR Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire à la suite des évènements de Mai 68, mais l’audace avait été trop forte, trop exubérante, trop audacieuse. Sa dimension anarchique l’avait rendue incapable de construire un mouvement de revendication à l’heure où si peu d’homosexuels s’acceptaient, à l’heure où l’image qu’ils donnaient était trop dérivante, à l’heure où la société était très majoritairement hostile.

Ca a été la première expression, c’était la « folitude » comme on pourrait dire avec un langage nouveau de gens qui en avaient marre de dire « je suis un homme », ou « je suis une femme », qui en même temps étaient révoltés et ça tombait en même temps que toutes les autres révoltes, les maoïstes, les trotskistes, etc.

Ce n’est qu’à la fin des années soixante-dix que quelque chose d’un petit peu plus rationnel, un petit peu plus organisé, s’est construit par le biais des GLH, à travers toute la France puisque qu’on avait environ une trentaines de GLH dans diverses villes. Celui de Marseille était un GLH plus mature que d’autres je dirais, c’est-à-dire qu’il avait plus d’intellectuels, un groupe d’intellectuels, des militants, des militants politiques, formés à la vie politique, proches du PS, du PC, ou membres de l’extrême gauche ils n’étaient pas nécessairement militants de ces partis là, mais ayant une réflexion politique. Ils étaient en même temps, ouverts, ayant la capacité d’accueillir des personnes d’opinions différentes, d’accueillir des gens nouveaux, de les mettre à l’aise, etc. J’ai fait partie de ces gens qui ont été accueillis et mis à l’aise, à un moment où c’était particulièrement difficile pour moi. Donc il y a eu, 78-79, ce GLH, puis la première Université d’Eté Homosexuelle que nous avons organisée,

C’était pas encore à Luminy, c’était une Université d’Eté Homosexuelle dans Marseille, organisée dans différents lieux, c’était à la Vieille Charité, la salle St Georges…. et avec des trucs extraordinaires, c’est-à-dire que cette première fois on a eu un gala qui était à la salle de spectacle du Théâtre du Merlan qui avait ouvert l’année d’avant, magnifique gala avec « les Mirabelles » admirable troupe de théâtre d’homosexuels d’Aix-en-Provence, etc., donc le GLH a existé pour moi à partir de 1978, même si le GLH a démarré un peu avant.

Dès les années 75-76 un petit groupe en effet avait existé autour du journal la Criée (je men souviens aussi puisque j’avais fait partie des fondateurs de ce journal alternatif en 1974, j’y étais abonné, et je voyais bien qu’il y avait des petites annonces proposant un petit regroupement autour de la question homosexuelle, mais c’était alors pour moi un tabou et surtout l’image de l’homosexualité était alors pour moi beaucoup trop négative pour que j’imagine un instant de rencontrer des gens qui vivaient des choses dégradantes et inacceptables pour moi.

Et ce GLH a existé jusqu’en 1987, et donc, les Universités d’Eté qui ont eu lieu une fois tous les deux ans, de 79 à 87. Le GLH a été un noyau d’accueil, organisant des débats, des festivals de cinémas…. et organisait aussi les Universités d’Eté. Mais, malheureusement, à partir de 1984-85, le sida arrive et prend de plus en plus de place… Et là, les gens comme moi qui sont immergés dans cette joie, ce bonheur de découvrir que l’homosexualité est quelque chose de convivial et de positif, sont paralysés, tétanisés.

Nicolas : C’est grâce aux GLH que vous avez réussi à faire le pas…

Christian : Ah oui ! Pour moi oui !

Nicolas : Comment ça s’est passé à ce moment là ? Parce que vous parliez tout à l’heure d’un choix que vous avez dû faire car votre situation était devenue insoutenable… Donc qu’est-ce que vous avez fait ?

Christian : C’est les deux choses à la fois, c’est à la fois mon choix personnel et un choix collectif, le fait qu’il y ait un groupe qui existe, qui me porte en même temps qu’il porte les autres. A tel point qu’ il a eu le courage d’apparaître à la télévision (Antenne 2 est venue interviewer le groupe, avec la journaliste très connue à l’époque, Patricia Charnelet), le courage de défiler à l’occasion du 1er mai (au milieu de syndicats largement hostiles à ce dévoiement de la fête du Travail), avec des masques, les deux premières années c’était avec des masques, on avait tellement peur d’être reconnus, d’être vus, ah oui ça c’était terrible, mais, le groupe « portait » chacun d’entre nous, et puis c’était le bonheur de se retrouver tous les vendredis soir, de manger ensemble, de faire la fête, s’inviter les uns les autres, etc. Et donc et de trouver des amants, parce que c’est ça aussi la vraie question, c’est que les amours étaient inexistants s’il y avait pas un lieu qui puisse exister.

Nicolas : Pour vous, votre vraie vie entre guillemets, a commencé à partir de là ?

Christian : Eh oui, bien sûr, Le groupe et moi. Et alors moi ma difficulté c’était que mon émancipation était tellement indissolublement liée au groupe, que après ça a été très difficile parce que quand il y a plus le groupe en 1987…

Nicolas : Oui, vous vous êtes retrouvé un peu perdu…

Christian : Oui. Mais, il y a eu cette histoire du sida qui par chance ne m’a pas affecté personnellement, mais je me suis retrouvé peu à peu, comme tout le groupe, un peu cloué au sol, tétanisé. Avant, c’était la libération, ce n’était pas le temps des capotes, C’était la liberté, la liberté, la liberté, non pas la liberté de baiser (c’est une autre question) mais simplement, enfin la liberté d’être soi-même et de vivre peu à peu au grand jour. C’était pharamineux et tellement extraordinaire, en particulier pour des gens comme moi qui venaient de si loin. Mais malheureusement le sida est arrivé, avec tous les discours répressifs et un peu terrifiants de nos « amis » qui s’occupaient de la prévention du sida. Leurs discours étaient encore embryonnaire : attention, attention, faites attention. On ne disait pas, enfin il y avait pas comme aujourd’hui des capotes partout, mais c’était faites attention, et le propos devenait de plus en plus précis (sperme, anal, buccal, fellation, masturbation, etc.). Et au fond le discours que j’entendais était radicalement l’inverse de celui que j’avais entendu avec tant de bonheur antérieurement, ce n’étais plus comme ils l’avaient dit en 68 « jouissez sans entraves », mais mettez vous des entraves à longueur de temps, arrêtez tout, arrêtez tout, il y en a même qui étaient catastrophistes dans leur propos, laissant remonter l’influence religieuse de Sodome et Gomorrhe justifiant la damnation divine ou de certains jugements derniers. La damnation qui est apporté aux homosexuels parce que justement ils avaient « profité », ils ont abusé, on avait toute sorte de discours et c’était terrible parce que moi qui justement qui était issu d’un milieu religieux mais qui avait largement abandonné toute conviction religieuse, je me trouvais face à des gens qui me tenaient le discours inverse tout en ayant la prétention d’être homosexuels. C’était pas possible, il y avait de quoi… C’était des contradictions internes difficiles…

Alors donc 87, le GLH de Marseille s’arrête, plus d’Université d’Eté homosexuelles, et les années sida. Je dirais que de 87 à 92/93, les années sida à Marseille, mais c’est pas tellement les années sida parce que le sida on en parle au niveau national, on en parle pas beaucoup à Marseille. C’est les années où plus rien ne se passe en terme de vie homosexuelle associative à Marseille. Sauf dans les associations de lutte contre le SIDA, et en particulier AIDES Provence qui est née en 1984-85, avec d’autres militants, mieux préparés à entendre ce discours, et le construire.

Nicolas : C’est comme un retour en arrière en fait…

Christian : Oui, en terme de vie associative plus rien ne se passe, c’est terrifiant. Te-ri-fiant. Et c’est là que je disais moi qui avais fait mon émancipation par rapport à un groupe, je me retrouve presque dans une profonde solitude avec en plus mon homosexualité dont je dis que je l’assume, théoriquement, dans ma tête, mais en même temps je n’ai plus les moyens de l’assumer… Parce qu’il y a plus le groupe… Sauf les lieux commerciaux, qui existaient antérieurement et qui vont sans doute prendre le relais, surtout dans d’autres villes qu’à Marseille, mais quand même un peu à Marseille. Mais je n’étais pas un fan des lieux commerciaux, parce que la qualité relationnelle n’était pas du tout la même. Il fallait apprendre la rencontre, le contact, la vie sociale homosexuelle dans un autre contexte.

Nicolas : Qu’est-ce que vous entendez, excusez-moi, par les lieux commerciaux ?

Christian : Ce sont les lieux commerciaux marseillais, c’est en ce qui concerne Marseille, le Cancan, la Marre au Diable… Eh oui ça existait déjà à cette époque là ! Avant il y en a eu d’autres, dans les années soixante, mais qui étaient encore plus sordides, que je n’avais pas trop connus, qui étaient des lieux de travestis, des bars un peu sordides en bas de la rue Sénac ou de la rue Curiol, des saunas souvent lugubres, sans compter qu’il y avait les tapins, il y avait aussi bien sûr la drague en plein-air sur un certain nombre de lieux de drague, plus ou moins spécialisés, qu’on apprenait à connaître sur le tas, si je puis dire.

Donc, pour moi – et pour d’autres je suppose -, c’était le retour à la situation d’avant. C’était terrible, en termes de réduction du potentiel de convivialité, de prise de conscience collective, et de mobilisation pour les droits, etc. Et de plus cette disparition de vie associative, était pour ceux qui voulaient faire de la prévention vis-à-vis du sida, une vraie complication car ils n’avaient plus d’interlocuteurs associatifs, il fallait partir sur les terrains de rencontres homosexuels, comme si ces 5 à 6 ans (ou plus) de conscientisation, de mobilisation associative n’avaient pas existé. Certes, il y avait la conquête des droits des homosexuels affirmés par la loi de 1982 et cela c’était une avancée de fond, aidant les homosexuels à être plus sûrs d’eux-mêmes et plus responsables, face à l’agression homophobe ou face au sida.

Nicolas : Et comment vous avez géré cela à ce moment-là alors ?

Christian : Et bien j’ai géré cela tant bien que mal, c’est-à-dire que, heureusement que j’avais encore mes anciens amis du GLH, que je pouvais contacter. Et j’ai choisi, par exemple, d’organiser des dîner/débats dans un restaurant avec des personnalités, destiné pour l’essentiel aux anciens du GLH. Comme j’ai toujours eu le sens d’organiser, j’essayais cela, et d’autres choses… Et je me suis lancé dans la création de l’association Mémoire des Sexualités, à Marseille (il faut dire que j’avais eu la chance au cours des années 1980 de participer à la création de Mémoire des sexualités Paris avec Jean le Bitoux, Jacques Vandemborghe, Géneviève Pastre et d’autres) où elle regroupait d’abord des homosexuels et des hétérosexuels. Cela me paraissait important, à partir du moment où il n’y avait plus de mobilisation homosexuelle, et qu’elle risquait de durer longtemps, de trouver une solution pour appuyer la réflexion homosexuelle sur une réflexion plus large sur la sexualité. C’est comme cela qu’en 1989, nous avons organisé à Marseille un premier colloque intitulé « Morales et sexualités » qui a été un vrai succès. L’association continuera à voler de ses propres ailes, plus tard, portée par la remobilisation homosexuelle renaîtra elle deviendra spécifiquement homosexuelle.

Nicolas : Vous essayiez d’impulser un retour…

Christian : Oui et puis surtout à partir de 91/92, j’ai tout fait pour recréer une vie associative homosexuelle à Marseille, et effectivement, il y avait à ce moment là, plusieurs petits groupes qui existaient, qui recommençaient à exister, ou qui existaient sans qu’on les voit. Il y avait un groupe qui venait de naître mais qu’on ne connaissait pas qui s’appelait le Centre Evolutif Lilith c’était des femmes qui avaient créé une association très peu visible, il y avait les gens de David et Jonathan, qui avaient eux toujours continué mais de façon très discrète, vous voyez ce que c’est ?

Nicolas : J’en ai déjà entendu parler…

Christian : David et Jonathan c’étaient des chrétiens, pour l’essentiel des cathos, qui se retrouvaient, pour ma part j’ai toujours été -plutôt intérieurement – critique à leur égard parce que cette façon de dire on peut continuer à être catholique tout en étant homosexuel, moi c’est un truc que je n’ai jamais trop compris mais bon… …A chacun son interprétation. Il y avait un petit noyau qui venait de se constituer, qui s’appelait Or Adarom, c’étaient des juifs homosexuels qui s’étaient constitués. Il y avait d’autres groupes, tous ne me reviennent pas mais il y avait cinq six groupes comme ça qui étaient apparus. Il y avait aussi – je crois que ça s’appelait déjà comme ça – le « Groupe Gay » de Aides. Aides Provence s’était constitué, ses bénévoles mobilisés sur le sida avaient fait le choix d’avoir très, très peu de visibilité homosexuelle, même si l’essentiel des bénévoles étaient des homosexuels. Leur choix était très bien du point de vu de Aides, puisqu’il s’agissait d’être accueillant pour tous les publics, de ne pas stigmatiser les homosexuels qui venaient les voir et qu’ils n’aient pas l’impression d’être dans un endroit où il n’y avait que des homosexuels. Mais pour ceux d’entre eux qui à l’inverse, fort des conquêtes récentes, souhaitaient la visibilisation, les frictions étaient presque inévitables. Donc à un moment donné, il y’a eu un groupe gay qui s’est constitué à Aides, et qui disait  » nous on a une action plus spécifique en milieu gay, sur les lieux de drague gay « . Donc ce petit groupe gay. De ce fait, il y’a un certain nombre de petites associations, et je leur propose de constituer quelque chose qui s’appellera le Collectif Gay Marseillais, qui changera de nom après.

Nicolas : Le but c’était donc de rassembler un peu tous ces mouvements diffus.

Christian : Oui, ces mouvements non visibles de ce petit renouveau du début des années 90. Et ils ont été bien contents d’ailleurs puisqu’en 94 on ait été capables d’organiser, non pas la première Gay Pride marseillaise, mais la première semaine de visibilisation homosexuelle marseillaise. Il n’y avait pas de manifestation publique mais un certain nombre d’animations, d’activités, de restaurants, qui s’étaient associés à l’évènement. Avec un beau débat. Et ça s’était important, cette première re-visibilisation sur Marseille. Et l’année d’après, c’est la première Gay Pride. On s’attendait à être 200, on a été 2000, enfin, ça a été super intéressant. Voilà c’était en 95. Ce sont donc les différentes étapes pour moi : 78 la naissance, 87 l’effondrement, 93 la renaissance, et après ça a été des soubresauts. Bon, il faut dire qu’en 99 il y a eu la renaissance de l’Université d’Eté Homosexuelle, c’est l’année du vote du PACS

Nicolas : Ca a été en 99 seulement ?

Christian : Eh oui, de 87 à 99 les UEH n’existent plus, on avait eu 79, 81, 83, 85, 87, cinq Universités d’Eté et en 99 c’est donc 8 ans plus tard, la sixième. Ce n’est pas moi qui en était le porteur, même si j’ai été l’un des associés, puisque l’ancien président du GLH , Jacques Fortin, réapparaissant, il y avait aussi – il faut le noter – une conjoncture politique favorable, avec un conseil régional de gauche, un conseil général de gauche, un maire de Marseille qui n’était pas à gauche mais dont le statut personnel pouvait le conduire à être attentif, en tout cas à n’être pas bloqué là-dessus, et un gouvernement de gauche aussi, mais c’était moins important pour nous, puisque c’était quelque chose de local, les demandes de subventions s’adressaient aux collectivités locales. Cela n’empêche pas que le contexte d’un gouvernement qui est sur le point de faire voter le PACS, est à ce moment là, très porteur au niveau national.

Il y’a donc eu les Universités qui ont changé de couleur parce que rapidement c’était même plus le groupe d’avant, les anciens étaient peu nombreux, peut-être qu’ils étaient la moitié, pas beaucoup plus, entre un tiers et la moitié, le reste c’était des gens de tous les coins de France, pourquoi parce qu’il y avait un mouvement homosexuel qui avait recommencé à lever la tête, et il y’avait les commissions LGBT des partis politiques qui étaient des lieux où un certain nombre d’entre eux s’exprimaient. Il y avait donc une renaissance. Et les Universités d’Eté ont changé un peu de nom, UEEH (Universités d’été euroméditerranéenne des homosexualités, désormais) et sont devenues annuelles depuis 99.

Nicolas : D’accord. Et au niveau de votre profession actuelle et de votre parcours professionnel ?

Christian : Ma profession actuelle, je suis fonctionnaire au Conseil Régional. Je suis au Conseil Régional depuis 84, et comme j’ai passé 60 ans maintenant, je ne suis pas loin d’arrêter. Mais quelque part, le fait de travailler au Conseil régional, m’a aidé. Ça m’a aidé non pas parce que les homosexuels ont une visibilité à la Région, non. Peut être un tout petit peu au moment où Gaudin était président, y’avait des homosexuels qui étaient un peu visibles l’entourage de Gaudin, avant 86 donc, C’est surtout que, à partir du moment où c’est une administration tout à fait nouvelle, c’est une administration qui est quand même beaucoup plus ouverte qu’une administration traditionnelle. Je me souviens dans les années 70 de quelqu’un qui travaillait à la ville de Marseille, il se trouvait dans une administration complètement sclérosée (toujours un peu aujourd’hui d’ailleurs, enfin peut être un peu moins), où l’idée même d’être homosexuel à la ville de Marseille, il savait qu’il n’avait pas intérêt à le dire, à se dévoiler. Et on a eu les mêmes phénomènes dans tous les autres lieux. Il faut bien voir qu’à Marseille, on était dans une vie traditionnelle marseillaise très pauvre en termes de réflexion intellectuelle, très dure. Il y avait un gars qui travaillait à la Caisse d’Epargne dans les années 80, il était séropositif, l’un des 1ers cas à Marseille, et ça s’est su, mais c’est terrible le harcèlement qu’il a vécu, il a été harcelé pour son homosexualité au moins autant que pour sa séropositivité. Pour ma part, j’avais la chance moi d’être dans un contexte à la Région où une nouvelle administration nouvelle se crée, ma visibilisation de 1979 ne m’a pas empêché d’y être recruté en 1984. Peut-être le lien n’avait-il pas été établi par mes recruteurs de 1984 ? Je préfère penser que cela ne leur posait pas de problème particulier… ce qui n’avait pas été le cas en 1979, j’en ai eu la preuve par la suite.

Il s’était en effet passé quelque chose de particulier pour moi en 1979. Le journal Paris Match m’a pris en photo en train de danser avec un autre garçon, c’était dans le cadre du premier bal, de la première Université d’Eté. Paris Match, tout heureux, un peu comme les journaux « people » d’aujourd’hui, est allé faire une double page où on me voit en train de danser avec un garçon… Et les titres de Paris Match étaient très accrocheurs pour les homosexuels en général, pour moi en particulier : « La vague homo : la France atteinte à son tour ». Et on explique « photo prise au bal organisé dans le cadre des Universités d’Eté ». Et il y avait d’autres pages où on montrait les homosexuels à travers la France qui commençaient à se montrer. Et avec cette double page, qui est paru dans Paris Match, la personne qui était le chef de cabinet du tout premier président de la Région, de Gaston Defferre donc en 79. Les Régions n’ont été élues au suffrage universel qu’en 86, donc entre 79 et 86 elles étaient des agglomérats d’élus de diverses collectivités locales pour créer ce qu’on appelait l’Etablissement Public Régional. L’EPR, ça ne s’appelait pas encore le Conseil régional. Eh bien le chef de cabinet en question, que je connaissais, m’ayant vu en photo, a dit à son entourage, au moment où j’étais candidat à venir travailler à la petite Région de cette époque – ils étaient pas nombreux ils étaient quoi maximum vingt personnes, ou quinze, dont la moitié de secrétaires, enfin bon c’était un tout petit noyau, et j’étais candidat – et il a dit à d’autres personnes :  » c’est pas avec une photo comme ça qu’il pourra se faire recruter ! « . Comme souvent, ce sont les gens de Cabinet qui font barrage, ils pensent que c’est leur rôle d’être plus papiste que le pape. D’une certaine façon, je reviens de loin, il a fallu que j’attende de 79 à 84 pour être recruté. Il faut dire qu’à ce moment là, les esprits étaient un peu différents, la gauche était arrivée au pouvoir au niveau national, et Defferre est devenu ministre en 1981 (tout en restant maire de Marseille).

En 1984, c’est différent, le président de la Région c’est Michel Pezet. Alors je ne dis pas que Michel Pezet a joué un rôle dans mon recrutement, je ne le crois pas, même si il a signé le contrat d’embauche. Il n’a vraisemblablement pas le même blocage sur l’idée de recruter quelqu’un qui est homosexuel, il n’est pas dans cette attitude,

Après par la suite, je n’ai pas fait dans la visibilité à la Région. Ce qui ne m’empêchait pas de faire dans la visibilité ailleurs, c’est-à-dire que j’ai été interviewé par des journaux ou des télés lors des Université d’Eté, sans que cela ait une répercussion quelconque sur mon boulot. Il faut dire qu’à cette époque, les articles sur les questions d’homosexualité était très rares, et que seuls ceux qui voulaient les lire les trouvaient. Les hétéros qui les lisaient sont en général restés très discrets, et respectueux, à mon égard, ce n’étaient qu’incidemment que je comprenais qu’ils étaient au courant.

Nicolas : En fait, vous ne vous affichiez pas forcément, sur votre lieu de travail ?

Christian : Je ne m’affichais pas sur mon lieu de travail, mais à l’extérieur… Je ne m’en cachais absolument pas, en organisant des débats, etc., parce que j’estimais que c’était le moment, que c’était ma vie et c’est tout. A la Région, je n’ai pas fait dans la visibilisation au cours de ma vie professionnelle. Mais, il y’a quand même eu des moments intéressants où là j’ai fait des « aveux ». On ne peut pas dire que j’ai fait des avancées à la Région, mais j’ai posé des actes. Par exemple au moment où le Pacs a été adopté, 99, eh bien je suis venu trouver le directeur Régional des services en lui disant « nous souhaitons que le Pacs soit mis en pratique à la Région, c’est-à-dire que le gens qu’ils soient des couples mariés ou des couples pacsés, eh bien il faut qu’ils aient les même droits « . Alors ça a été une petite bataille interne parce que le climat général à l’égard de ce PACS des homosexuels est plutôt froid. Cela rejoint ce que j’ai dit tout à l’heure à propos des intellectuels, à la fois ils sont ouverts – il y a un président de gauche à la Région à ce moment là, c’était déjà Michel Vauzelle – et à la fois il y’a toujours des réticences : comment ça va être pris, n’en parlons pas, il n’y-a pas besoin d’en faire un problème. Et puis après il y a eu, on a organisé le colloque du Conseil Régional, le colloque de l’Université d’Eté au Conseil Régional. Et là ça a été pour moi l’occasion pour moi d’avancer. C’est-à-dire que je me suis retrouvé, à partir de 2001, à faire notre colloque dans les locaux de l’Hôtel de Région. Et pour moi c’était une avancée intéressante parce que ayant travaillé professionnellement en interne, j’ai contribué à faire venir grâce au fait que je savais à la Région quels étaient les élus qu’il fallait solliciter, je connaissais les membres du Cabinet, j’ai aidé à ce que le colloque s’organise en interne, A la fois l’Université d’Eté faisait la demande politique, et à la fois moi je faisais le travail en interne. A tel point d’ailleurs qu’il y a eu deux trois chefs de services qui m’ont dit  » ah c’est bien, c’est super « , parce que les homosexuels sont heureux une certaine visibilisation sur leur lieu de travail…

 

Avec mon association Mémoire des Sexualités j’essaie de rassembler toute la documentation sur la vie homosexuelle à Marseille depuis 1978, de la garder.

 

Nicolas : C’est sûr qu’en plus vous avez vécu beaucoup d’époques différentes.

 

Christian : Voilà. Depuis trente ans je rassemble un maximum de documents, donc j’ai des rayonnages importants, un jour peut être ça intéressera des gens, j’espère qu’un jour je pourrai les donner à une institution qui en fera l’usage. Il y a que 500 livres, presque autant d’affiches, des quantités de documents accumulés et rangés année par année, c’est déjà pas mal.

 

Nicolas : Bon maintenant qu’on a parlé un peu de votre travail etc., on va parler un peu de vos sources de loisirs. Quelles sont vos principales sources de loisirs ?

 

Christian : Sur mes loisirs… je dirai deux périodes : il y a le fait que pendant longtemps j’étais seul, et à l’âge de 47-48 ans, donc ça fait 15 ans maintenant, je suis avec un copain. Je suis avec un copain mais à ma façon, à notre façon plutôt, enfin il faut dire que j’ai joué un rôle pour que ça se passe comme ça. Nous avons chacun notre appartement, comme j’ai une vie associative importante, qui concerne l’associatif extérieur au milieu gay (où je suis impliqué dans 3 ou 4 associations) et il du milieu homosexuel, par exemple je me suis occupé depuis 2001 les Salons de l’Homosocialité… Il y a eu cinq Salons de l’homosocialité, annuels, avec une année où on ne l’a pas organisé… On a fait les salons de l’homosocialité, en janvier, pendant un week-end d’abord puis pendant une semaine. Et… C’est un travail énorme de préparation, pendant 3 ou 4 mois (incluant les demandes de subvention, la programmation, etc.). Et Mémoire des Sexualités qui organise cela ce n’est pas une association importante, c’est deux personnes : un gars qui est passionné par la documentation et qui m’aide, et moi. On est deux. Et donc on organise ça.

 

Nicolas : Et donc à propos de vos loisirs ?

 

Christian : Et mes loisirs j’y viens… C’est-à-dire et, c’est une des raisons qui a fait que l’on habite séparés. Parce que j’ai au moins trois soirs par semaines à travailler comme un fou sur mon ordinateur pour organiser cela. Et puis après une fois qu’il y a eu les Salons de l’Homosocialité, il y a en avril la Cérémonie de la déportation où j’appartiens à une association qui s’appelle le Mémorial de la Déportation Homosexuelle où nous faisons un dépôt de gerbe tous les ans le dernier dimanche d’avril et pour ce qu’on appelle « la Journée du souvenir et de la déportation ». Après il y a un peu la Gay Pride parce que je n’y participe pas beaucoup, mais il y a surtout les Universités d’Eté qui m’ont énormément pris. Maintenant je m’en suis un peu retiré, alors pas officiellement, je suis encore un peu membre du CA. Je ne m’en occupe plus parce que c’est un travail considérable. Donc être là, sans arrêt pour ces trucs de militantisme pour les homosexuels, c’est invivable pour un partenaire. Donc, je me bloque trois soirs par semaines, jusqu’à minuit, sur mon ordinateur, et les derniers soirs de la semaine, jeudi, vendredi, samedi, dimanche, bon ben je suis avec mon copain. Et c’est pas mal qu’on ait fait ça. C’est pas mal qu’on ait fait ça parce que « emmerder » quelqu’un d’autres avec des trucs qui le concernent, qui l’intéressent, mais pas à ce point…

 

Nicolas : Il n’a pas besoin de « subir »…

 

Christian  : …d’immersion. Eh oui, pas à ce point d’immersion ! De la vie associative, des conflits, des problèmes. Donc ça c’est bien passé. Alors avant de le connaître, eh bien mes loisirs c’était quoi ? Heureusement que j’avais des copains, mais je ne peux pas dire que ma vie était tellement faite de ça, que j’ai passé mon temps à sortir dans le milieu gay. C’est vrai qu’au début j’ai pendant tout un temps perdu énormément de temps comme tout le monde, je crois, lorsqu’on a de l’énergie pour cela et on qu’on croit toujours qu’on va rencontrer quelqu’un, se lier d’amitié. Je suppose que c’est le cas de tout le monde, c’est sans doute différent quand on est étudiant, ce n’est pas si simple, financièrement, mais quand on gagne sa vie on y passe du temps, Pour moi, c’était après ma vie étudiante…

 

Donc on perd énormément de temps là-dedans. Mais en dehors de ça, heureusement que je me suis toujours débrouillé pour avoir une vie qui ne soit quand même pas monopolisée par ça. J’avais des amis, des copains, à une époque j’allais faire de la randonnée, tiens j’ai oublié une association, qui existait en 90, Rando’s Provence, donc ça m’arrivait d’aller à des sorties, des ballades avec eux… J’aimais beaucoup la nature… Voilà, tant bien que mal. Entre ce que je disais de la disparition du mouvement homosexuel entre 1987 et 1992, où ça n’a pas toujours été facile pour moi d’avoir des amis pour faire des choses, mais si je regarde bien même à l’époque où il y avait le GLH, ça m’arrivait assez souvent d’avoir des dimanches où je me sentais seul. Sauf si c’est un amant ou des amis très proches, on n’a pas nécessairement envie de passer le dimanche ou en tout cas de passer des coups de fils à des amis qu’on a vu la veille ou trois jours avant, et de leur bloquer le dimanche alors qu’on imagine qu’ils sont contents de leur côté, on va pas leur raconter qu’on est seul. Donc, j’ai tant bien que mal vécu cette période.

Maintenant depuis que je suis avec mon copain, depuis 1994-95 environ, c’est un peu différent parce qu’on fait des balades ensemble ou pas mal d’autres choses, on s’entend à peu près sur les projets de week-end. Ce n’est pas le « grand truc », on s’entend suffisamment pour avoir envie de faire un certain nombre de choses ensemble. C’est l’essentiel. Pour moi c’est important de n’avoir pas à me retrouver tout seul après m’être mobilisé toute la semaine sur mes activités associative ou sur mon travail. C’est important. Surtout quand je vois par rapports à toutes les années que j’ai vécu avant…

 

Nicolas  : Mais vous n’étiez pas vraiment du genre à sortir tout le temps…

 

Christian : Non, moi je n »ai pas fait partie des gens qui sortaient sans arrêt, sauf au début, comme je l’ai dit où je suis quand même pas mal sorti. A l’époque il existait le Boot’s, sur la rue Haxo ou le Kempson dans la rue Beauvau qui a disparu (remplacé par une boîte hétéro et qui s’appelle le Paparazzi) à côté de l’Opéra, il existait déjà ceux que j’ai cité tout à l’heure, donc j’allais dans ces trucs là et parfois au sauna quoi, comme la plupart des homos… C’est vrai que c’était plutôt quand je résidais dans une autre ville, ou pays (comme en Italie pour les vacances) où j’avais envie de découvrir ces lieux. Il y a des choses que je n’ai pas cité dans tout ça, pendant les années où existaient les premières Universités d’Eté, donc c’était les années 80, il existait aussi les  » campings gay italiens », ils appelaient ça les  » Campeggio gai « . Et ça été des choses aussi extraordinaires que les Universités d’Eté. Mais c’étaient les 4 / 5 premiers qui étaient les plus extraordinaires, après ça s’est dilué. Un peu comme les Universités d’Eté qui aujourd’hui ne vivent plus la même euphorie… On va dire qu’elles ont un autre rôle.

Aujourd’hui, pour résumer, on a eu aux UEEH des années où c’était la présence hommes / femmes qui était le problème central, et en particulier la mixité nécessaire à construire, il n’y avait pas assez de femmes, et les femmes étaient toujours en train de s’en plaindre, elles disaient que c’était une université pour les mecs, etc. Bon on est arrivé à un tiers de femmes, on arrivera jamais à beaucoup plus. Maintenant ça a basculé, l’Université d’Eté c’est la présence des « trans ». Pas des transsexuels nécessairement, c’est tout ce qui est mélange des genres. Et ça c’est incroyable comme évolution. Incroyable. Alors à la fois je crois qu’il y des gens qui y trouvent vraiment leur bonheur, parce qu’enfin c’est le lieu de liberté sur l’attitude qu’on peut avoir, est-ce qu’on est homme, est-ce qu’on est femme, on s’en fou complètement, c’est pas ça la question, alors qu’au contraire les années antérieures c’était y’a trop d’hommes, y’a trop de femmes… c’est donc presque le jour et la nuit, incroyable, et donc c’est vrai que l’année dernière ça a été une étonnante évolution. Mais en même temps pour moi c’est un peu un autre monde c’est-à-dire que je n’ai pas vécu cette émergence là, de la transidentité. Et c’est marrant parce qu’il y a trois ans c’étaient les trans qui apparaissaient comme petite minorité, qui commençait à prendre une place. Donc qui commençait à perturber le jeu homme-femme. Donc maintenant c’est plus ça, depuis qu’il y a des transsexuels bien sûr, mais toutes les autres trans-identités, et ça c’est incroyable.

 

Nicolas : Juste pour terminer sur vos pratiques, vos loisirs etc., est-ce que c’était uniquement avec des homosexuels, plus hétérosexuel, les deux ?

 

Christian : Pour moi c’est essentiellement, bon alors y’a toujours la dimension hétéro, plus ou moins, les collègues de travail, les associations à vocation sociale dans lesquelles je me suis beaucoup impliqué, la famille, etc. il y’a toujours une dimension hétéro quelque part, mais, au bout d’un moment c’est parmi les homos que je me sens le mieux. J’ai fait partie de ces idéalistes qui ont voulu au début créer un pont entre homosexuels et hétérosexuels dans les années 1970. Je pense qu’il y a beaucoup d’homosexuels qui ont du être comme ça, pendant les premières années de leur décrochage vers l’homosexualité se disaient  » moi je vais réussir à tout mélanger, à organiser des repas, des fêtes, on aime tout le monde, parce que j’ai des relations de qualité avec les uns avec les autres « …

 

Nicolas : Pourquoi ne pas les rassembler?

Christian  : Bien sûr. Eh puis il y a un jour où inévitablement il y a basculement. Parce que il y a les hétéros qu’on invitait qui regardent, qui sont désarçonnés, qui sont mal à l’aise, etc, et là, on se rend compte qu’il y a pas d’autres solutions, qu’il faut faire un choix, et lorsque le choix est celui de l’homosexualité, il devient inévitablement celui de l’homosocialité. J’aime beaucoup ce mot d’homosociabilité, c’est-à-dire le choix du désir et du plaisir de se retrouver avec des gens qui ont la même orientation……

 

Nicolas : Alors on en était au basculement, vous disiez, dans vos relations, que vous ne pouviez pas rassembler tout le monde…

Christian : C’est donc là comment dire, une espèce de voeux pieu, un espoir impossible. Peut être aujourd’hui les choses seraient-elles différentes, et vraisemblablement ça dépend aussi des personnes, on entend parfois tel ou tel homosexuel connu, chanteur ou acteur, qui a un entourage d’amis people, je sais pas moi Josiane Balasko qui jouait dans « Gazon Maudit », les acteurs, des gays connus, ou Thierry Le Luron, qui disaient qu’ils ont toujours eu un entourage mixte…

 

Nicolas : Soit disant oui !

Christian  : Certain le disent… et j’ai été étonné récemment pour Noël que Pierre Olivier Fogiel avait passé ses vacances avec Castaldi, et qu’ils s’entendaient super bien. Bon, on ne sait pas très bien ce que ça cache, mais c’est marrant parce que dans le milieu du show-biz ça a l’air de bien se mélanger…

 

Nicolas : C’est vrai que dans le milieu du show-biz tout le monde s’aime bien aussi ! Apparemment…

Christian : Oui ! Mais quand on passe des vacances ensemble, c’est autre chose… Je ne passe pas mes vacances avec mon mec ou ma famille mais avec tel autre… Bon peut-être que les choses ont évoluées aujourd’hui, que ce ça serait un petit peu plus facile, mais ça dépend des personnalités aussi ou des projets professionnels communs qu’ils travaillent pendant les vacances, et dont la presse fait des gorges chaudes… Pour ce qui me concerne, j’ai l’impression qu’on peut mélanger dans la période étudiante, enfin je ne sais pas quelle est ton expérience, qu’on peut mélanger pendant quelques années encore, mais après, il y’a toujours un moment où il y’a la rupture. Parce qu’il y a un moment où l’hétéro ne peut pas comprendre. Et réciproquement : le gay, il n’a pas envie de se retrouver avec l’hétéro qui lui raconte l’histoire des gosses, ses difficultés amoureuses… au bout d’un moment il dit oui d’accord on parle de tes difficultés amoureuses, mais est-ce que tu t’intéresses aux miennes ? Il y’a toujours un moment où ça bascule dans la difficulté de communiquer, il me semble…

 

Nicolas : Et au niveau des valeurs, et des normes qui sont véhiculées chez les homosexuels ? Par exemple, vous disiez que l’homosexuel n’a pas envie d’entendre parler d’enfants, de famille etc., donc pour vous ce serait quoi les valeurs importantes ?

Christian : C’est compliqué parce que, non pas que je fasse dans la culpabilisation d’être homosexuel, mais c’est compliqué parce que, quelles sont les valeurs que les homosexuels ont à véhiculer ? Moi, je crois pas qu’il y ait des valeurs spécifiques, je pense que les homos contribuent et qu’ils ont contribués, par leur liberté d’être et en particulier avec cette revendication sur le Pacs, surtout la façon dont cette revendication sur le Pacs a été conduite, ils ont aidé les hétéros à utiliser le Pacs, ils avaient sérieusement envie de mettre en place un truc comme ça, mais aucun ne le réclamait parmi les hétéros, donc quelque part les homos, par ce qu’ils vivent et par ce qu’ils font, aident à faire évoluer les choses dans la société.

La façon qu’ils ont eu de prendre en main la maladie du sida, ça a été quelque chose d’assez d’exemplaire, à tel point qu’aujourd’hui, les malades du cancer, les proches des malades rares, tout ce qui tourne autour du Téléthon maintenant, un série d’autre maladies, ils ont appris. Bon bien sûr c’était une maturation presque normale parce que la société, dans sa lecture de toute une série de revues, grâce au fait que les médecins s’expriment publiquement, grâce au fait que l’on parle avec son médecin etc., c’était une évolution presque normale. Mais je dirais que je pense qu’il y a eu une accélération sur la prise en charge par les gens eux-mêmes de leur propre maladie, alors que les médecins jusque là protégeaient avec force leur pré carré. De la même façon, la conquête du droit au couple égalitaire est passé quelque part par une prise en main par les homosexuels des questions juridiques qui jusque là étaient le trésor des avocats et des notaires. Leurs revendications sur les agressions aussi, bien sûr il n’y a pas que les homosexuels, les femmes ont largement appris elles aussi à faire face à l’offense avant eux, mais la revendication contre les agressions, le fait d’utiliser la loi pour attaquer les propos homophobes. Les propos racistes aussi c’est pareil, SOS Racisme ils ont fait leur maturation. Mais je dirai que tout le monde a fait sa maturation en parallèle, et les homosexuels on largement contribué à cette prise en charge. Et la mise en place du Pacs c’est incroyable quand on pense que c’était pratiquement à 100 % des homosexuels qui se battaient pour le Pacs, peut-être à 80%, et que aujourd’hui c’est à 80% des hétéros qui en profitent, c’est assez incroyable… Donc les homosexuels font évoluer les mentalités sur beaucoup de choses, que ce soit les films, maintenant on n’en plus à des films où on parlait exceptionnellement de l’homosexualité, comme au début des années 80, il y a plein d’autres films, comme  » Brokeback Mountain « . Il y avait eu  » Philadelphia  » qui a été un moment important à une certaine époque, avec de grands acteurs, mais c’était quand même le sida. Maintenant il y’a des tas d’autres façon de parler des homosexuels et des lesbiennes. Les homosexuels quelque part contribuent à faire vivre cette vie sociale en donnant au désir le droit d’être visible et de se vivre.

Les hétéros, apparemment, avaient déjà conquis ça, mais le fait que les homosexuels aussi l’aient conquis a quelque part largement libéré les hétéros, parce que les hétéros font maintenant, en plus, apparaître leur désir de faire comme les homos, c’est-à-dire pas nécessairement avoir un couple marié et tout et tout, pour se visibiliser. Je parle de ceux qui se visibilisent, mais c’est le hiatus enfin le fossé considérable entre Mitterrand qui cache sa deuxième épouse et l’autre qui arrête pas de la montrer. Quelque part, les homos ils ont été dans cet élan, dans ce mouvement de visibilisation du désir, du plaisir, de l’acte du droit à vivre, donc les homos jouent un rôle sacrément positif dans la société, je pense.

 

Nicolas : Ce sont quand même leurs valeurs parce que depuis tout à l’heure vous parlez de désir, de plaisir, est-ce que ce serait pas des valeurs qui leurs seraient propres justement ?

Christian  : Oui mais moi je ne suis pas sur le désir, le plaisir, parce que les hétéros ils le vivaient à fond quoi, auparavant même s’ils le cachaient d’avantage et qu’aujourd’hui ils le visibilisent parce que c’est de bon ton et que les homos ont montré qu’on pouvait faire une Gay Pride en montrant son cul, donc les hétéros ont fait pareil, quand il y a eu les  » Love Parade » ah ben oui on va montrer son cul puisque les pédés ont montré leur cul, etc. Mais ce n’est pas tellement sur le plaisir, le désir, non je crois que c’est plutôt sur la tolérance que les homosexuels ont sacrément fait avancer les choses. La tolérance sur la diversité.

Alors évidemment, les noirs, les arabes, les femmes, jouent un rôle majeur maintenant là-dessus, mais les homos font leur propre espace si je puis dire dans ce droit à la diversité, c’est-à-dire qu’il n’y a pas que la diversité raciale, y’a pas que la diversité des sexes, y’a aussi la diversité du désir, de l’inclination personnelle, donc c’est un droit nouveau dans la diversité. Et donc ça oblige de réfléchir tout à fait autrement la diversité dans la société. Moi j’ai trouvé extrêmement positif le fait que les homos se mettent à avoir des enfants et à revendiquer le droit d’avoir des enfants. Ça je trouve ça extraordinaire, parce que là c’est un altruisme que les homosexuels sont capables d’avoir, alors qu’on n’a pas cessé de leur répéter qu’ils n’avaient aucun altruisme, qu’ils étaient tournés que vers leur propre désir, leur propre plaisir. Donc on découvre que les lesbiennes, les gays aussi… Moi mon copain, je l’aurais connu beaucoup plus tôt, je pense qu’il aurait aimé avoir un enfant. Il aurait aimé qu’on éduque un enfant.

 

Je suis arrivé trop tard, dans ma tête c’était un truc trop difficile, parce que j’ai perdu du temps, perdu énormément de temps rien que pour m’assumer moi-même… Mon copain est beaucoup plus jeune que moi, il n’est pas dans ma situation, mais pour lui ça n’aurait pas été un obstacle d’avoir un enfant. Eh bien, quelque part c’est extraordinaire, par rapport à ce qu’on a raconté comme saloperies sur le fait que les homosexuels étaient incapables d’aimer ! Ils ne sont pas capables d’aimer l’autre sexe donc ils sont incapables d’aimer ! « Comment ça, vous dites que vous aimer quelqu’un du même sexe que vous, mais ce n’est pas l’amour au sens où la société l’entend ! « . Et puis surtout ce n’est pas un amour productif, qui aide à construire la société, puisque vous ne faites pas de gosses, et vous vous refermez sur vous-même, vous n’êtes porteurs que de stérilité… enfin je ne sais pas tout ce qu’on a raconté comme saloperies quoi. Alors qu’on a tout fait pour qu’ils soient porteurs de stérilité. On a tout fait pour ça. Et aujourd’hui, marginalement encore, bien sûr, c’est le début d’un mouvement, eh bien on découvre qu’ils sont capables d’êtres père, mère, d’éduquer un enfant, c’est un truc assez extraordinaire. Une nouvelle page qui s’ouvre.

 

Nicolas : Et au niveau de la fidélité selon vous…

Christian : Bien la fidélité, on a beaucoup dit, de la même façon, que les homosexuels étaient incapables de fidélité. C’est vrai, moi ce que j’ai pu vivre tant de temps et tant d’années c’est de la non fidélité, bon mais en même temps, je fais le rapprochement avec ce que je viens de dire juste avant. A force de nous répéter que l’homosexualité ce n’est pas quelque chose de normal, on nous a inculqué le dégoût de nous-mêmes, il faut du temps pour trouver son équilibre, face à soi d’abord, puis face aux autres…

 

Nicolas : Oui, que c’est comme ci, comme ça.

Christian : Oui que  » vous vous en sortirez jamais, que de toute façons vous terminerez votre vie seul « . J’avais un ami très sympa, hétéro, les années 70, il sentait que j’avais des inclinations homosexuelles. Et un jour, j’en ai un peu parlé, la veille j’étais allé en boîte, bon c’était la Mare aux Diable, je commençais à m’assumer, mais j’étais en colocation avec des hétéros. Et un jour je parle et alors il se tourne vers moi et il me dit : tu sais j’ai rencontré un homosexuel, et il m’a dit surtout qu’il valait mieux pas être homosexuel parce que c’était une solitude immense, c’est le premier message qu’un hétéro ouvert m’a délivré : tu vas vers une solitude immense. Et je ne sais pas quel âge il avait l’homosexuel qui lui avait dit ça. Peut être qu’il avait le même âge que moi, mais que, c’était quelqu’un qui ne s’en sortait pas. Je pense plutôt que c’était quelqu’un de plus âgé et qui avait vécu tout le poids d’une société homophobe, depuis toujours. Alors que pour moi c’était le contraire, je commençais à assumer, je vivais, bon. Mais en même temps l’image qui était encore véhiculée dans les années quatre-vingt c’était ça, c’était la solitude. Et avec cette image là, négative, et ajoutant à tant d’autres images négatives (qui m’avaient envahies), comment l’homosexuel peut-il entrer dans une image sociale positive et qui va l’aider à être fidèle, comme les autres, pas plus pas moins ? Il entre au contraire, dans une spirale de recherche effrénée de partenaires, non pas parce qu’il n’arrive pas à trouver le mec qui lui convient, mais parce que, il essaie, à sa façon, d’échapper à cette espèce de damnation qu’on lui a mis sur la tête comme quoi être homosexuel ce n’était pas productif et culpabilisant. Alors avec cette damnation là sur la tête, eh bien il y’a une mécanique inverse qui se construit dans la recherche du plaisir. Et sans compter qu’après quand il a un métier, un salaire pour une seule personne, et à Marseille presque plus qu’ailleurs, comme la vie homosexuelle n’est pas très marrante, eh bien on va ailleurs, dès qu’il peut on quitte la ville. Il va à Nice, c’est beaucoup plus vivant, à Lyon ou à Montpellier, il va sur les plages naturistes qui en général sont loin de Marseille parce que celles de Marseille ne sont pas super, il va à Sitges ou à Ibiza, en Grèce, et de plus en plus loin selon les moyens qu’il a, pour sortir de la difficulté dans laquelle il vit… Mais ça, ça veut dire qu’il a de l’argent, qu’il commence à avoir de l’argent.

 

Nicolas : Pour votre position par rapport à la fidélité, si j’ai bien compris,

 

Christian : C’est aussi parce que l’homosexualité n’est pas encore banalisée que l’infidélité est stigmatisée. Je pense que lorsqu’il y aura une vraie banalisation, les homosexuels ne seront pas plus infidèles que les hétérosexuels. D’autant qu’on entre dans une période où les hétérosexuels ont sacrément tendance à être infidèles, donc il y’a une certaine banalisation plus générale, quand on voit le nombre de mariages qui sont rompus, pourquoi il y a autant de Pacs chez les hétéros maintenant ? C’est bien ça, c’est l’infidélité qui se développe considérablement chez les hétéros, ça m’amuse parce que j’ai une collègue de travail pas plus tard qu’il y a deux jours qui m’a demandé  » Christian comment ça va ? « , une ancienne collègue de travail,  » j’suis content de te voir « , etc. bon elle sait que je suis homo, et elle me racontait son truc personnel :  » je me suis séparé de mon mec, et tu te souviens le collègue de travail qu’on avait, eh bien il s’est lui aussi séparé de son épouse, et ça y’est on s’est rencontrés on va se marier « . Donc, des gens qui se connaissent grâce au boulot, chacun divorcé de son côté, ils ont sympathisé… L’infidélité est partout chez les hétéros. Par contre chez les homos il y a un certains nombre de facteurs qui font qu’ils se fidélisent, il me semble, en tout cas c’est ce que j’ai vécu moi, alors que jamais je n’y aurai cru, je me disais, quand je suis entré dans le monde homosexuel: « bon, et bien toute ma vie je vais être un peu seul, à aller de droite et de gauche « . Et puis le hasard, les hasards de la vie quoi…

 

Nicolas : Donc ça devient quelque chose d’important ?

Christian : Pour moi, je pense que dans la société, la place des homos se banalise. La fidélité prend sa place, elle n’est pas le propre des hétéros, elle prend sa place. Ça ne veut pas dire que ce soit la fidélité pour tout le monde, ça veut dire que les gens ils ont aussi besoin d’une certaine fidélité, c’est une fidélité qui dure un an deux ans ou beaucoup plus, ça dépend des personnes, après tout, même les fidélités les plus belles elles peuvent s’effondrer, soit parce que y ‘en a un qui meurt, soit parce qu’on finit par plus se supporter…

 

Nicolas : On va changer un peu de sujet : que pensez-vous de l’utilisation du préservatif chez les gays ? A l’heure actuelle… Est-ce que vous pensez que c’est systématique, est-ce que vous pensez qu’il y a un relâchement, qu’on l’utilise de plus en plus, de moins en moins…

Christian : Je ne sais pas, je n’ai pas beaucoup d’éléments. Ce que je vois c’est qu’il y’a un peu tout à la fois. Y’a des endroits, par exemple aux Universités d’Eté on met un maximum de préservatifs à disposition des gens, visiblement ils sont utilisés, et puis en même temps il y a dans d’autres lieux de vraies prises de risques. Cela fait longtemps que j’en ai pas parlé avec des gens qui fréquentent les backrooms où les gens qui travaillent sur les problèmes de sida, mais j’ai suffisamment eu d’exemples comme quoi il y a des relâchements importants au cours des dernières années… Je n’en sais pas plus, ayant une vie plus casanière maintenant, je ne suis pas confronté quotidiennement à ça.

 

Nicolas : Enfin c’est vrai qu’on en parle de plus en plus dans la presse gaie ou…

Christian : Oui, heureusement qu’il y a de plus en plus de films pornos ou photos avec préservatifs, mais j’en vois encore beaucoup sans préservatifs. Les photos que les gens veulent voir ne sont pas des photos avec un préservatif au milieu, voilà. Visiblement parce que les photos que je vois qui portent sur ça, celles qui sont consultées, en particulier des lettres pour des sites gay qu’on reçoit par Internet, qu’on nous envoie sur le site de l’association sans même qu’on les ait demandées.

 

Nicolas : Selon vous ça peut dépendre par exemple du type de partenaire, ou du type de rapport, de pratique sexuelle ?

Christian : Ben évidemment c’est lié aux pratiques bien sûr, mais aussi au partenaire parce qu’il y a les responsables, ceux qui veulent faire acte de responsabilité, ceux qui sont très vigilants là-dessus. Et puis il y a ceux qui s’en foutent, le désir qui souvent est plus fort, le désir passe avant la recherche du préservatif, s’il se produit à un moment où le préservatif est inaccessible… C’est une histoire compliquée cette affaire. Il faut à longueur de temps se trimballer avec un deux préservatifs dans la poche, je parle des gens qui veulent vivre le désir quand il vient.

 

Nicolas : Et alors qu’est-ce que vous pensez du sida et des trithérapies par exemple ? Le sida, est-ce que vous pensez qu’à l’heure actuelle il est plutôt en diminution ou…

Christian : Ce qui est sûr c’est que si je regarde les chiffres concernant cette région, y ‘a une inquiétante persistance et même un inquiétant développement du sida chez les homosexuels. Et pas seulement cette région, les chiffres nationaux sont inquiétants aussi. Donc là c’est effectivement grave que l’on soit incapable de se réfréner, et de faire des campagnes de sensibilisation qui touchent. On est là confrontés à un problème important qui est le fait que pour toucher les nouveaux qui vivent leur sexualité. Effectivement il y a les anciens qui, ayant les informations, ont tendance à ne pas faire attention, bon mais ça c’est encore autre chose, quelque part c’est leur responsabilité, c’est leur choix. Par contre, le problème des jeunes, l’énorme difficulté que la société a à informer les jeunes là où il faudrait les informer, à les sensibiliser, à leur parler du désir… On est dans une société qui est dans une contradiction majeure puisque à l’école il ne faut surtout pas parler de sexualité, et en même temps il faudrait sensibiliser, donc contradiction. Parler de sexualité quand on est enseignant, d’abord la plupart des enseignants disent « c’est sûrement pas mon boulot », deuxièmement « si je me permettais d’en parler, ça pourrait entraîner des choses que je serais incapable de contrôler, soit en ce qui concerne mes désirs à moi, en tant qu’enseignant, soit en ce qui concerne les désirs des enfants, des jeunes, des ados, si je banalise trop qu’est-ce qu’il va se passer dans cet établissement ? « . On est dans une société qui est complètement schizophrénique dans sa capacité à parler de questions qui d’un côté sont des questions simples, et qui à tout moment sont des questions compliquées.

 

Nicolas : C’est vrai que par exemple vous parlez des jeunes, et il y en a beaucoup qui pensent que depuis l’arrivée des trithérapies on en meurt moins facilement du sida. Donc est-ce que vous pensez que ça a un impact sur le..

Christian : Oui c’est sûr que j’ai connu des gens qui, quelques années auparavant seraient décédés, et qui grâce aux trithérapies ont vécu. Un certain nombre d’entre eux ont été même tellement étonnés de vivre, de revivre, des gens qui avaient tout abandonné, y compris qui ne payaient plus leur loyer, qui ne faisaient que des conneries parce qu’ils se disaient  » de toute façon ma vie elle est foutue, dans peu de temps c’était fini », etc. Ils abandonnaient même leur métier, leur vie professionnelle, leur vie affective, ils ne rencontraient plus personne…

 

Nicolas : Ils s’étaient fait une raison, ça allait se terminer…

Christian : Ils sentaient tellement leur mort venir, ils en avaient vu d’autres qui avaient suivit le même parcours juste avant, et puis j’ai eu quelques amis comme ça, parce que c’est dans mes classes d’âge, ils ont mis du temps à réaliser qu’en fait ils allaient vivre, qu’en fait en plus ils allaient revivre, vraiment vivre, et à nouveau être en capacité de rencontrer des proches, enfin des amants etc., que leur propriétaire eh ben peut-être qu’il faudrait qu’ils recommencent à payer leur loyer parce que la vie était là. J’en ai vu comme ça des cas de résurrection, mais ça c’est ma génération…

 

Nicolas : Voilà c’est ce que j’allais vous dire, déjà touchée…

Christian : Mais c’est vrai que du coup ça a donné le sentiment qu’il y a toujours moyen de s’en sortir, alors on va vivre libre, ce qu’on a envie, en faisant plus ou moins attention, même si on a le virus. Et de toute façon si ça m’arrive, j’aurai les moyens de m’en sortir, de toute façon la société n’est pas loin de trouver le remède, voire le vaccin, on n’est pas loin de la solution. C’est-à-dire qu’ils n’ont aucune conscience de la difficulté que ça va représenter ce traitement que sont les trithérapies, aucune conscience des répercutions secondaires, etc.

 

Nicolas : Donc là c’est surtout les jeunes qui sont concernés ?

Christian : Jeunes, et moins jeunes.

 

Nicolas : Et au niveau des barebackers, est-ce que vous en avez entendu parler ?

Christian : Oui bien sûr. Je faisais allusion à ça tout à l’heure, c’est-à-dire qu’effectivement il y a des gens qui de leur propre responsabilité, soit parce qu’ils sont séropositifs, ils se disent que de toute façon ils pourront s’en sortir grâce aux trithérapies ou grâce à je ne sais quoi, ou ils se disent que puisqu’ils sont séropos ça ne peut pas s’aggraver, donc là il y a tout un courant de gens pour lesquels c’est une espèce de damnation qu’il y a eu sur leur tête et pour laquelle ils se disent « de toute façon je suis pas très utile », on leur a tellement mis ça dans la tête, donc « de toute façon il faudra bien que je meure, donc si elle s’arrête maintenant, qu’au moins j’ai pris tout le plaisir que j’avais à prendre ». Il y’ a là un phénomène suicidaire qui est peut-être plus fort chez les homosexuels. Mais qui existe aussi chez les hétéros, c’est-à-dire une femme qui n’a jamais trouvé l’amour de sa vie, un mec qui en a marre d’être seul, bon voilà. Des gens qui se dégradent, j’en vois.

 

Nicolas : Oui mais c’est vrai que ce qui peut paraître inquiétant c’est que le bareback, c’est peut-être qu’une impression, mais que de plus en plus de gens s’assument ouvertement en tant que barebacker…

Christian : Tout à fait, tout à fait. Mais je ne peux pas en dire beaucoup plus là-dessus. Je suis au courant de ça, je lis des trucs, mais je ne peux pas en dire beaucoup plus. Parce que je ne m’approche pas d’assez près non plus.

Nicolas : On va finir sur une question plus anecdotique : est-ce que vous avez déjà donné votre sang ?

Christian : Oui, j’ai donné mon sang, et j’ai donné mon sang avant le sida. J’ai toujours ma carte de donneur de sang dans mon portefeuille, et, je ne peux toujours pas donner mon sang.

 

Nicolas : Donc en fait vous donniez votre sang avant ?

Christian : Oui

 

Nicolas : Si j’ai bien compris, et vous dites que jusqu’à l’apparition du sida y’avait pas de souci,

Christian : Non, jusqu’à, oui enfin oui, peut-être encore pendant une période où j’assumais mon homosexualité, mais j’ai plus donné mon sang à partir du moment où on m’a dit les pires saloperies sur le fait que le sang des homosexuels était voilà, était vérolé, et maintenant, tous les ans, il y a le camion de donneur de sang qui vient par exemple ici à la Région, et dans plein d’autres endroits, eh bien depuis trois ans, je pose la question, « est-ce que les homosexuels peuvent donner leur sang ? ». J’ai demandé ça au DRH d’ici, tant qu’il y aura interdiction je trouve fondamentalement discriminatoire, etc. Et alors le nouveau DRH pas du tout au courant de cette affaire, donc il est allé aux nouvelles, il est allé rencontrer les gens qui viennent collecter le sang « oui alors il paraît que les homosexuels ne peuvent pas donner leur sang ». Enfin il m’a pas dit « vous pouvez pas » puisque je n’avais pas dit clairement « c’est en tant qu’homosexuel que je pose la question », même s’il l’avait fort bien compris,

 

Nicolas : Et comment vous avez réagit ? Enfin ne vous on vous l’a pas dit directement mais si ça avait été le cas ?

Christian : Heureusement qu’on me l’a pas dit directement. J’ai un collègue de travail qui était chef de service depuis quatre ans ici, on l’a obligé à cocher la case « êtes-vous homosexuel ? ». Il a été tellement furieux, pourtant c’était un hétéro, qui a des enfants, mais il a été super, il m’en a parlé après parce qu’il savait que j’étais concerné, il m’a dit « j’ai refusé de donner mon sang parce qu’on m’obligeait de dire si j’étais homo ou si je l’étais pas ». Un petit geste de solidarité que j’ai trouvé sympathique. Mais c’est vrai que je suis ulcéré. Même si la dernière fois que j’ai donné mon sang, bon ça remonte à longtemps maintenant, et j’avais tourné un peu de l’œil, et je m’étais dit « voilà : je ne vais pas redonner mon sang avant un moment ». Mais c’est uniquement parce qu’à ce moment là je devais être un peu fatigué, mais je ne pensais pas en disant cela que je ne donnerais plus du tout mon sang…

 

Nicolas : Que vous seriez autant dans le vrai !

 

Christian : Que ça serait pendant trente ans que je pourrais plus donner mon sang.

 

Nicolas : Donc pour vous c’est quoi, une sorte de discrimination…

Christian  : Ah oui, oui pour moi c’est une discrimination tout à fait insupportable, je trouve ça insupportable, d’autant qu’ils ont largement les moyens de vérifier si le sang qui est donné, d’ailleurs ils font tous les contrôles, tous les contrôles, tellement ils ont peurs, donc ils ont largement les moyens de vérifier si le sang qui est donné est infecté, donc moi je trouve que c’est une vraie discrimination.

 

Nicolas : Quelque chose à ajouter sur la discrimination en général ?

Christian : Non j’en ai assez parlé jusque là…